Vingt Jours en Espagne/2

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Ed Monnier et Cie, éditeurs (p. 6-10).


II

BURGOS, LES SENORAS, LES ÉGLISES, LA CARTUJA


On s’arrête à Burgos : d’abord il faut se reposer ; ensuite on veut voir la Cathédrale, l’une des plus célèbres de l’Espagne ; la ville, les types de la Vieille Castille, le couvent de la Cartuja de Miraflores où se trouve le beau saint Bruno de Pereira. Et de fait voilà les senoras en robes noires et mantilles qui s’en vont à l’église, le chapelet roulé autour du bras et l’éventail à la main ; voici les mendiants légendaires aux visages fantastiques, aux loques indescriptibles, parce que rien ne saurait peindre le rapiécetage des chiffons informes dont ils se drapent ; voici les prêtres en chapeaux de Basile, les mules à grelots, le soleil et la poussière.

Un ciel bleu, un soleil torride, des maisons démantelées, des rues mal pavées à travers lesquelles errent des passants rares, des soldats et des soldats, les uns avec les culottes rouges des Français, les autres avec le casque pointu des Prussiens : un ensemble âpre et dénudé, — voilà Burgos dans le milieu du jour.

Mais quelle cathédrale au milieu de tout cela ! et comme ce monstre de pierre, au milieu de la ville, raconte bien l’hisPage:Cadiot - Vingt jours en Espagne.pdf/16 et huit statues de saints, à Cordoue, dans la chapelle du cardinal de Salazar.

Ces figures, comme le saint Bruno de la Cartuja à Burgos, sont fouillées par un ciseau d’une habileté incomparable : elles ont l’expression religieuse et ascétique au plus haut degré, et, en même temps, atteignent la suprême limite du naturalisme. Imaginez, avec cela ou plutôt sur cela, une peinture sobre et naturaliste comme la sculpture - et vous comprendrez que l’effet soit surprenant.

Maintenant il est inutile de vous dire, n’est-ce pas, que, pour quelques figures exquises, la sculpture peinte a produit d’innombrables magots ? ni que rien n’est étrange et choquant pour nos yeux comme l’entassement de saints peints et habillés qui remplissent les églises espagnoles.

Les vierges ont des robes et des bonnets ; les crucifix — ne riez pas ! - ont tous des jupons, qui leur vont de la ceinture aux talons. Dans la cathédrale de Burgos il y a un certain Christ miraculeux dont le corps est, dit-on, revêtu d’une peau humaine, et je vois encore scintiller, à la lueur des cierges, son jupon de satin brodé de paillon.

Paillon ! que dis-je ? ce doit être de bel et bon or, encadrant des rubis et des émeraudes ! Les églises espagnoles sont peut-être les seules en Europe qui aient encore toutes leurs richesses.

Les couvents cependant n’ont plus leurs moines. Là comme ailleurs on les a licenciés, puisque c’est une loi nécessaire, à l’existence des États catholiques, de rejeter de temps en temps la population cloîtrée qui les envahit. Les moines absorberaient l’État, si l’État ne mettait pas les moines dehors.

Donc, à la Cartuja de Miraflores, près Burgos, quatre moines seulement pour garder l’immeuble et le saint Bruno. Mais on répare. On attend, dit-on de nouveaux hôtes. Serait-ce quelques-uns des moines que l’Espagne avait exportés chez nous il y a dix ou douze ans et que nous lui avons renvoyés ?

En tout cas, j’ai eu la curiosité de visiter une des cellules. Que l’on se figure, pour la disposition et la capacité, un petit hôtel de la chaussée d’Antin ou de Passy Au rez-de-chaussée, une grande pièce avec une cheminée dans une

armoire : un bûcher, un garde-manger et un escalier ; à mi
Maison Louis XIV à Saint-Sébastien
Maison Louis XIV à Saint-Sébastien
hauteur, une autre pièce à destination d’oratoire et un cabinet

de travail ; au premier ou au second, si vous voulez, une grande pièce qui sert de chambre à coucher, et deux petites qui servent à je ne sais plus quoi. Le tout donne sur un jardin clos de murs, de dix mètres carrés environ. Voilà ce que c’est à Burgos que la cellule d’un chartreux ; et il y en a comme cela je ne sais combien. La place ne manquera donc pas s’il se présente de nouveaux locataires.