Visions de l’Inde/Chapitre VII

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Société d’Editions Littéraires et Artistiques (p. 236-251).

CHAPITRE VII

La Pompéi hindoue
(Fattepur-Kipri)


En héka. — Le saoyasi sur le chemin. — Une ville qui est la suggestion d’un fakir. — La tombe prolifique. — La plus gigantesque des boîtes à joyaux. — Les sultanes chrétienne et turque. — Une cité intacte et morte.

I

En héka.

Je suis parti le matin en héka. À ce qu’il paraît, c’est un exploit assez extraordinaire que j’ai accompli là. L’Européen méprise l’héka que je trouve l’objet le plus hindou et le plus amusant du monde. D’abord, le voyage revient à un bon marché remarquable. Je n’ai à payer que trois roupies (à peu près cinq francs) pour quarante-quatre milles au lieu d’une livre et quart. Puis, cette voiture du pays vous fait communier un peu avec la vie indigène ; j’en ai déjà parlé à propos de Calcutta ; c’est une machinette large à peu près d’un mètre et longue d’autant où doivent se tenir le cocher et les voyageurs. Je dis bien les voyageurs, car les natifs se pressent parfois à quatre dans cet étroit véhicule. Je ne sais trop comment ils s’y prennent. Le cocher, je crois bien, se juche sur la queue du cheval, ses heureux clients s’accroupissent en tailleur sur leurs talons, ou à la manière des singes sur l’étroit tapis qui déborde vers les roues ; un petit dais soutenu par quatre bouts de bois et des cordes achève de restreindre ce char qui est cahoté au point de sembler volant.

Il est cinq heures du matin et nous ne possédons pour fanaux que les étoiles ; par économie, mon conducteur n’a pas allumé sa lanterne caduque et rudimentaire où se tortille une mèche à esprit de vin. Il ressemble tout à fait à un singe. Je n’ai jamais rencontré un être plus malpropre, plus démaagé dans tout le corps et à pieds plus prenants. Mais il est adroit comme aucun cocher européen ne saurait l’être. Nous voilà allant comme le vent sur la route assez plate, bordée de délicieux arbres chargés de fleurs d’où émane un parfum varié et incessant. Nous faisons quelques pauses. Je ne demande pas mieux, car je me dégourdis les jambes ; le prétexte, c’est de rafraîchir le cheval et de le laisser reposer, mais en somme, mon Hindou veut fumer avec des camarades. Il sort une pipe de terre rouge comme ils en ont là-bas, qui ressemble à un minuscule vase à fleurs. Dans l’ouverture du haut, la plus large, il place un peu de cette pâte puissante et noire qui est le tabac populaire ; il s’accroupit sous un arbre, près d’une cendre chaude, autour de laquelle des paysans se sont groupés ; on lui fait passer avec la main un morceau de bois, à moitié rouge, à moitié charbonneux, qu’il place sur son tabac. La conversation est modique. Elle se borne à la distance parcourue, à celle qui reste à parcourir et à quelques vagues impressions sur ma personne.

II

Le Sanyasi sur le chemin.

La première station est insignifiante, la seconde l’est moins. Près d’une sorte d’étable, au bord de la route est assis un sanyasi, un de ces saints de l’Inde que, chez nous, on enfermerait dans un hôpital de fous. À Bénarès et à Muttra ils sont légion; ils forment les ordinaires parasites des palais et des temples.

Celui-là, par exemple, appartient à l’espèce la plus radicale. Il est nu, et, pour me servir des termes précis de Musset qui jurent un peu avec les troubles magnificences de l’Inde, « nu comme un mur d’église, nu comme le discours d’un académicien », ce qui s’appelle nu tout à fait, même sans pagne. Ses cheveux sont devenus, par suite des intempéries et de l’absence de peigne, des sortes de cordes jaunes. Il est maigre, obscène, avec des yeux étincelants. Sa peau noire est couverte de cendre. Cela veut dire qu’il a renoncé au monde et qu’il est disciple de Shiva.

Son feu à peu près éteint laisse monter jusqu’à ses narines une fumée épaisse. Des chiens dorment devant lui et le protègent, des chiens roux et laids, qu’on devine lépreux et méchants. Je m’approche ; les chiens grognent. Le charbon brillant de ses yeux me fixe derrière les cordes jaunes de la chevelure éparpillée sur le visage. Il m’ausculte du regard, puis il fait le signe de fumer et un geste de supplication.

Je lui jette deux païsses (deux sous de cuivre). Avec une pince de fer, l’ascète les retire soigneusement, sans un merci, de la cendre où ils sont tombés. Il les place sur un petit monticule de pierre. Mon cocher m’explique que ce solitaire est tellement saint qu’il ne parle plus ! Il daigne à peine employer le geste pour qu’on subvienne à ses besoins. Il reçoit les aumônes des passants et du brave paysan à qui appartient l’étable où il doit se réfugier quand il pleut ou quand le soleil est trop dur.

Je ne suis plus dupe de ces mendiants fabuleux qui autrefois, dit-on, enseignèrent le Bouddah. Celui-ci, d’ailleurs, ne fit que passer peu de temps avec eux et refusa d’adopter leur inutile ascétisme. Aujourd’hui, l’Inde est si dégénérée que nous n’avons plus que la grimace de ces maîtres du Nirvana, de ces professeurs d’anéantissement. Au fond, tout leur but maintenant se résume à vivre sans rien faire. La populace les adule, si rusée dès qu’il s’agit d’intérêts matériels, si crédule dès que la religion est en jeu. Ainsi, ils satisfont infiniment leur paresse et leur orgueil vide, insensé. Par leur exemple de suicide quotidien, par leur bestialité et leur fainéantise vaniteuse, ils apparaîtraient assez bien à des mystiques catholiques comme les prêtres démoniaques de notre Satan, ce Shiva occidental, des maîtres en damnation, réalisant dès ici-bas un enfer vertigineux et hypnotique. En fait, volontairement ils exterminent leur conscience et leur santé.

Le reste de la route est reposant et doux, dans la fraîcheur réconfortante de l’aurore. Mais une tristesse vague plane dans l’air, la profonde, l’incurable misère de ce peuple, misère morale, misère physique, pauvreté et déchéance ! Ils ont accepté leurs malheurs et ils s’y enfoncent. Dans leurs chariots à bœufs, ils défilent lentement à côté de nous, se dérangeant difficilement malgré nos cris.

La plupart dorment. L’un d’eux est vautré sur un taureau, sa tête près du museau de l’animal, les jambes et les bras brinqueballant le long des flancs. Des paysans, avant d’aller au labour, grelottent tout nus devant leur feu, près de leur cahute de boue. Des femmes sur une fontaine, haute et large comme une terrasse, avec leur double cruche sur la tête, leurs cotonnades enroulées autour du corps forment un groupe étincelant. Elles se retournent à peine pour regarder un instant l’étranger et quelques-unes ramènent sur leur bouche leurs fichus jaunes. C’est la paresse universelle. Et l’on s’explique que le mendiant mystique, logique jusqu’au bout, soit traité comme un Dieu.

III

Une ville qui est la suggestion d’un fakir.

Mon arrivée à Fattepur-Kipri est naturellement épiée par la nuée des guides et des tenanciers de bengalows. L’un s’impose, finit par m’entraîner avec lui. Il a la teigne. C’est un descendant de grands prêtres. Il tousse affreusement et, dans son atmosphère, traîne des parfums rances et l’haleine horrible des phtisiques. C’est un homme-ruine qui me promène au milieu d’autres ruines.

Si jamais ville eut une destinée brillante et courte, ce fut Fattepur Kipri. Akbar veut une résidence de plaisir : il bâtit sur une colline entre deux villages, une cité splendide ; puis, il s’aperçoit que l’eau n’est pas bonne, et, avec un caprice d’empereur ou de grande courtisane, il rejette ces palais comme on casserait un éventail. D’ailleurs, tout est étrange en cette histoire sur laquelle plane une mystification. Derrière ce décor d’architectures, de gateways, de corniches, de dômes, de temples, de subtiles sculptures, l’âme prodigieuse et dérisoire d’un fakir transparaît comme la main d’un montreur de marionnettes.

Il était plus ou moins persan, s’appelait Sulim Chesti ; et son mahométisme était teinté de magie. Il habitait dans une caverne et menait cette vie d’ascète qui a encore aujourd’hui sur le peuple hindou un si irrésistible ascendant. Revenant de sa campagne contre les Uzbeks révoltés, l’empereur planta sa tente sur le roc entre Fattepur et Kipri. Sa femme, une princesse hindoue de la famille Amber, l’accompagnait. Que se passa-t-il entre le couple royal et l’ermite ? Toujours est-il qu’Akbar semble avoir subi le prestige du saint. Celui-ci sut le décider à bâtir dans le voisinage de la caverne, son palais. La belle Rajput dut être pour beaucoup dans le lien qui rassembla ces deux rois de l’Inde, le prince des solitudes et le prince des armées. Elle était lasse sans doute du guerrier qui avait, selon la légende, des bras aussi longs que ceux des singes ; elle dut aimer l’homme mystérieux qui lui parlait de l’au-delà et qui parfois, le soir, quand les ombres semblent sortir de la terre, paraissait vêtu des derniers rayons du couchant, comme d’une pourpre triomphale. Tous deux se comprirent et s’attirèrent… Akbar se désespérait de n’avoir pas de fils. La Rajput lui avait bien donné deux jumeaux, mais ils étaient morts en bas âge. Akbar subit une de ces crises de superstition fréquentes chez les sceptiques.


Il consulte le fakir :

— Quand aurai-je un héritier ?

L’homme du silence hoche la tête comme s’il pouvait lire dans le livre occulte du Destin.

— Je donnerais tout au monde pour qu’un enfant mâle naisse de celle que j’aime.

— Un signe’dangereux, dit le fakir, menace votre union. Les étoiles sont impitoyables.

— Mais, grand saint, vous êtes plus puissant que les étoiles.

— Il est vrai ; seulement, ma puissance a besoin que vous restiez dans son rayonnement pour que le démon de stérilité et de mort soit chassé.

— Je bâtirai ici une ville et j’y vivrai.


Ainsi fut fait. Agra fut abandonné. Le couple royal ne quitta plus le solitaire. La Rajput devint grosse. Et au bout de neuf mois un prince vint au monde, tant les exercices spirituels du fakir avaient d’efficacité. Ce fils s’appela Sulim, comme l’ascète, — son père dans l’ordre du mystère, — et ce fut lui qui plus tard fut couronné sous le nom de Jahangir…

IV

La Tombe prolifique.

J’entre dans une immense cour où se trouve le plus joli, le plus vénéré aussi des souvenirs de pierre et de marbre. C’est la tombe de ce saint à qui les puissances fécondatrices obéissaient. Je suis, paraît-il, trop impur pour visiter le cénotaphe. L’espoir même du bakchich ne fait pas lever la robe de soie qui le cache ; mais je peux constater que le marbre est là serti de nacre, et que des peintures vieillies s’écaillent dans l’obscurité. La balustrade est belle, même à côté de celle qui encadre les tombeaux du Taj, et, dans les galeries qui l’entourent, la formidable lumière de ces contrées est tamisée par des treillis de marbre d’une délicatesse qui n’a sa rivale nulle part. Mon guide m’explique en toussant sur un ton de mélopée traînarde que, même après sa mort, le vénérable Sulim Chèsti garde encore cette faculté du miracle génital qui semblait beaucoup plus explicable pendant sa vie.

Des bribes de linges, des morceaux d’étoffes sont attachés par centaines aux panneaux grillagés qui adornent cette tombe de solitaire aussi exquise qu’un boudoir. Ainsi les épouses superstitieuses espèrent obtenir, comme la Rajput, l’enfant qui tarde à gonfler leurs entrailles. Que le Fakir n’existe-t-il encore et que ne peuvent-elles lui rendre hommage en personne ! Comme elles seraient alors facilement exaucées !

Mais tout est sacré en cette enceinte. Une mosquée splendide dont les arceaux enthousiasment par leur nombre, leur élévation, leur variété, est le témoignage de la grandeur d’Allah, tandis que le portail, le plus beau peut-être dans toute l’Inde avec ses terrasses, ses colonnades, ses minarets, ses escaliers, ses dômes magnifiques, est l’affirmation de la grandeur d’Akbar.

V

La plus gigantesque des boites à joyaux.

On a comparé Fattepur-Kipri à Pompéi. Pompéi est plus près de nous, par l’art, par la pensée, par la médiocrité restreinte des monuments. La ville de l’Inde est plus grande, plus belle, plus forte, plus attristante. Ce ne sont pas les laves d’un volcan, qui l’ont dépeuplée et conservée, elle est la création et la victime d’une névrose impériale et de la mystification d’un saint. Il reste, dans son atmosphère, un peu du spleen qui l’a construite puis délaissée.

La distance d’une porte de la cité à une autre porte est de trois milles. Ici l’énorme côtoie le joli. La « Birbuls’house » est un chef-d’œuvre de gentillesse. Là vivait sans doute la fille d’un conquérant. Cette maison a deux étages tout en grès ; et la massivité des matériaux s’allie à la minutie du travail. On dirait qu’un de ces ouvriers chinois qui cisèlent merveilleusement l’ivoire s’est appliqué à faire avec de la pierre rouge un coffret. Le bois est absent partout. Et je me suis souvenu du texte de Hugo : « C’était partout une magnificence à la fois raffinée et stupéfiante : si ce n’était pas le plus mignon des palais, c’était la plus gigantesque des boîtes à joyaux. » On sent l’influence de l’artiste. Birbul, le père de l’habitante, fut en effet un homme de lettres, confident et conseiller du grand Akbar. Malheureusement, il voulut jouer au militaire et il trouva la mort dans une expédition qu’il avait mal organisée.

VI

Les Sultanes chrétienne et turque.

Le palaiseau de l’épouse chrétienne d’Akbar nous ramène à Pompéi, par ses proportions exquises et ses fresques. Cet étrange empereur, dilettante comme Néron, sage comme Marc-Aurèle, posséda une âme du dix-neuvième siècle, sceptique, curieuse, inquiète de tout, dans un corps de son temps, violent, généreux et sanguinaire.

I] avait, dit-on, dans son sérail non seulement des Hindoues et des musulmanes, mais aussi une catholique romaine. La légende raconte qu’elle était portugaise et s’appelait Marie[1]. En tous cas, tendre et voluptueuse, elle devait chérir l’ombre fraîche des chambres étroites, les frissons qu’apportent les rythmes savants des poètes et les splendeurs des fresques byzantines. Sur les piliers des portiques quelques vagues traces persistent d’enluminures illustrant le poème de Firdusi le Shah Nama. Dans l’intérieur, des vierges et des anges, dont le pâle profil, les ailes aiguës ont été seuls respectés par le fanatisme musulman…

Pauvre Marie, isolée parmi ces Asiatiques et ces païennes, je te vois suivant ton rêve amoureux et chrétien sur les murs de ta villa où se déroulait, consolatrice, la vie de ta Patronne. Souvent tu montas sur la terrasse pour admirer et mépriser les splendeurs environnantes qui ignoraient Jésus présent dans ton cœur. Certainement, tu dus souffrir de ton séjour à la cour du grand Barbare comme d’un exil raffiné et mélancolique. Tu serais retournée volontiers dans ton petit pays montagneux, près de l’Atlantique, si les Jésuites, qui intriguaient à la cour des Mongols, n’avaient pas eu sur toi leurs desseins, lis espéraient conquérir, par la beauté de tes caresses et la docilité de ton cœur, l’Inde en proie à Mahomet. Tu restas. Tu mourus à cette tâche vaine ; et, jusqu’au dernier moment, tu crus travailler pour le Christ quand Akbar le conquérant t’étreignait dans ses bras maigres et trop longs de singe…

Parfois tu devais rendre visite à une autre prisonnière européenne comme toi, mais de l’est-extrême : le Bosphore, comme tu étais, toi, de l’extrême-ouest : l’Atlantique. Dans la maison de l’épouse turque, tu apprenais la résignation et que les pauvres femmes de ton époque, dans tous les coins du monde, en avaient encore pour longtemps à incliner leur tête, à ouvrir passivement leurs bras et à obéir. Oh ! l’exquis palaiseau ottoman faisant face à la demeure chrétienne ! Il n’est pas illustré comme l’autre avec de mystérieux visages et des ailes déployées ; c’est, au contraire, un Koran de chasse et d’amour, charmant et austère, avec des arbres d’or et des perruches d’émeraude, des faisans perchés sur une branche, des tigres bondissant au milieu de la jungle avec leurs queues brandies !

VII

La Cité intacte et morte.

J’ai pénétré dans le jardin du Khas-Mahal, jusqu’au « Khwabgah » couronné autrefois par le lit du grand Akbar. Sur le seuil de cette chambre à coucher impériale que les herbes sauvages profanent et que-la poussière des reconstructions pires que celle des ruines a défigurée, j’ai lu encore les distiques persans adressés par le maître à sa propre splendeur :

« Le portier du paradis peut voir son visage dans le parquet de ton appartement, et la boue de ta cour pourrait servir de collyre pour les yeux de la céleste Houri ! »

J’ai réveillé, de ma canne insolente qui frappait la pierre abolie, la solitude et le silence du palais de l’Impératrice appelée Iodh-Bai et de ces salles d’audiences où se pressaient le peuple elles grands ; j’ai souri à l’Anmk Michauli où l’Empereur jouait à cache-cache avec ses femmes, et j’ai gravi, pour m’y reposer et jouir d’une vue générale de la ville, le Puj-Mahal, cinq étages de colonnades qui vont en se rétrécissant toujours plus, depuis le premier de cinquante-six colonnes, (toutes affectant un style différent), jusqu’au dernier, un simple kiosque de quatre piliers ! Au loin j’apercevais le Hatti-Pol, la porte des éléphants où ces léviatlians étaient représentés, les trompes entrelacées dans l’attitude de la lutte. La bigoterie musulmane fut plus cruelle que le temps, pour ce chef-d’œuvre d’architecture colossale. Aureng-Zeb, qui n’avait pas la largeur d’esprit paternelle, brisa par piété les têtes des montres belliqueux. Un peu plus bas s’érige une tour de soixante et dix pieds, l’Hiran Minar, toute hérissée de défenses d’éléphants, pareille à une massue formidable…

Quelle imagination ne travaillerait pas en présence de ces suggestives ruines ? Personne n’est auprès de moi ; mon guide lui-même que j’ai payé pour qu’il m’abandonne, m’a obéi. Une magie monte des choses que le contact humain a en quelque sorte aimantées et à leur tour elles deviennent évocatrices de fantômes. Mais la réalité mélancolique opprime bientôt mon rêve d’antique faste. Toute la cité morte se déroule sous mes pieds, et ces villages, plus tristes encore que s’ils étaient morts, où de misérables humains modernes somnolent comme des brutes : Fattepur, devant moi, n’ayant qu’un monument solide, le bureau de police, Kipri derrière moi, réduite à quelques masures de boue. C’est la désolation apportée par l’homme au milieu de la nature la plus joyeuse, sous un ciel qui a toujours pitié ! Les remparts démolis çà et là dentèlent la plaine ; ils sont comme la ceinture déchirée d’une momie. Le hammam survit avec ses dômes écrasés et noirs. Et c’est la plaine immense qui console, par son éternité, les terrasses désertes, le soleil roi… J’écoute… une rumeur monte vers moi, — ce sont des rires et des chants d’enfants, l’inconscience des recommencements qui est la fleur vivace des tombes.


  1. On montre sa tombe, problématique comme elle-même, à Agra, non loin de Sikandra.