Visites au front juin 1916/02

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Visites au front juin 1916
Revue des Deux Mondes6e période, tome 37 (p. 120-144).
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VISITES AU FRONT
JUIN 1916

II[1]
DE L’ARGONNE Á REIMS

Les jours suivans, nous avons vu les autres secteurs de la forêt, chacun commandé par un brigadier faisant office de divisionnaire. L’auto nous conduisait jusqu’à quelque village, — Florent, Clain ou Les Islettes, — au fond d’une de ces vallées qui séparent les arêtes diverses de l’Argonne. Nous retrouvions partout l’épouvantable boue qui semble ne jamais sécher, l’eau des plaines ne s’évaporant guère sous l’épaisse fouillée et délayant sans pouvoir y filtrer, la glaise. On pataugeait jusqu’au premier poste où, du fond d’un souterrain, des soldats nous tendaient des casques, et l’on prenait avec joie le boyau de communication, le boueux fossé où le pied trouve enfin, sous l’eau jaune, l’appui du rondinage.

Le général D…, commandant le secteur, nous faisait l’honneur de nous conduire, avec quelques officiers de son état-major, et puis, à chaque poste où nous passions, le chef de ce quartier ou l’un de ses lieutenans. Nous finissions par être une petite troupe ; on cheminait par groupes, en causant, et, sous les dehors uniformes, c’était toujours une surprise, — les officiers de réserve étant les plus nombreux, — de découvrir la personne originale, ancienne et véritable, celle qui, dans « le civil, » avant la métamorphose pour la guerre, apparaissait d’abord comme un individu distinct. Encore une fois, dans l’armée, on retrouvait la France et son infinie diversité. Tel capitaine, en qui l’on n’avait vu d’abord que l’arme et le grade, se révélait d’un métier et d’un monde tout voisins du vôtre. L’un nous parlait de son maître Boutmy et d’Anatole Leroy-Beaulieu ; un autre, du Canada, où il a créé une grande ferme et s’est même fait naturaliser ; mais à la première nouvelle de la guerre, il a rallié la France.

Parmi les hommes, une rencontre inattendue fut celle d’un ami de Basse-Bretagne, d’un pêcheur qui, je ne sais plus comment, avait passé des Fusiliers marins dans la Coloniale. Je ne l’aurais pas reconnu s’il ne m’avait fait signe. Le pauvre pêcheur d’avant la guerre, si timide alors, un peu sauvage, d’une sensibilité toute bretonne, avec cela malade, — incurablement, disaient les médecins à qui des amis l’avaient adressé… A la mobilisation, il était parti tout de même. Mais, au dépôt de Cherbourg, son mal, un ulcère à l’estomac, le terrassait à la première marche. Hôpital, opération, miraculeuse réussite. Trois mois de convalescence, et le voilà versé dans un corps qui partait pour l’Argonne. Je trouvai un homme rajeuni de vingt ans : un air de force et de calme, la figure jadis exsangue, maintenant pleine et colorée sous le hâle une allure d’aplomb et même de fierté qui contrastait avec ce que les yeux bleu de mer avaient conservé, malgré tout, d’enfantin et de sensible. Pendant que mes compagnons visitaient les dessous d’un fortin, nous causions ; je l’interrogeai sur sa croix de guerre. « Celui-là ? disait-il avec l’accent chantant et martelé de Tréguier, et modelant encore son français sur sa langue natale, celui-là, j’ai eu parce que je suis été de bonne volonté. Souvent qu’on en demande des hommes de bonne volonté pour aller couper du fil de fer devant les Boches ! Oh ! des coups comme ça, y a pas à faire tant de cas ; c’est pas si dangéreusse que vous croyez, surtout la nuit et en hiver par temps bouché ! Sûr, faut se couler comme le chat, à ras de terre… Faut pas se presser, c’est le principal. C’est comme pour aller sur le bout-dehors changer le foc par gros temps. Une fois seulement, j’ai trouvé long, et personne pour donner la main. Y avait du Boche crevé. Plus de quinze jours qu’ils étaient là ! On avait mal au cœur ! Et pas moyen d’aller les enterrer : les autres tiraient sitôt qu’on approchait. Alors fallait bien que quelqu’un se propose pour aller mettre du camphre dessus, la nuit. Ah ! j’ai pas été vite ! J’aurais pu compter les cailloux. Au moindre bruit !… L’endroit était repéré. Enfin, j’avais envoyé un sac plein avec moi ; j’ai tout mis. Oui, bien sûr ! du camphre : on en a exprès pour ça, et puis pour se mettre dans le nez comme du tabac. Après ça, on pouvait respirer. Le cap’taine qui voulait me proposer pour passer sous-officier ! Dommage ! Paraît que faut savoir écrire ! Mais ça, vous savez bien, c’était seulement une corvée de propreté ! »

Il le croyait vraiment. Il avait été ramper de nuit sur ces corps, sous les fusils braqués, comme il eût été patiemment nettoyer de poisson pourri la cale d’un chalutier. Il y eut une certaine histoire de combat à coups de crosse et puis de corps à corps… Les yeux qui avaient vu ces horreurs, vu tant d’hommes mourir, gardaient toute leur innocence, toute leur limpidité bleue. Celui-là, au fond, n’avait pas changé. Il était resté marin et Breton : la résistance aux influences nouvelles, c’est le trait propre à sa vieille race.

Le commandant de ce poste nous fit ses adieux à la française. Du chablis et, le verre à la main, un petit discours. Ah ! le merveilleux orateur ! Mince, droit, tendu, il vibrait comme un bel instrument. Avec quelle brève énergie il dit sa confiance et la volonté des hommes ! Quels accens il trouva pour saluer nos Alliés, proclamer la cause et l’idéal communs ! Les Anglais étaient électrisés.


Nous arrivions à la limite d’un quartier de l’Argonne, à l’extrémité du plateau qui domine la vallée de la B… Au bord de cette arête, un balcon que rien, semble-t-il, ne masquait, permettait de surveiller librement la position ennemie de l’autre côté de la vallée. Le général, après nous avoir répété qu’il serait dangereux pour chacun d’y rester plus de deux minutes, s’y était installé pour nous y recevoir tour à tour et nous expliquer la partie qui se joue là depuis si longtemps. Voici à peu près ce que nous avions sous les yeux. En face, la forêt, qui remontait d’une longue pente. Verte et riche forêt de juin, depuis le bas jusqu’à mi-côte, tout le long de la position française que les batteries boches ne peuvent atteindre. Grise forêt de décembre par en haut, où l’ennemi reçoit de plein fouet notre tir. C’est un des paradoxes de la guerre moderne que, sur une côte, l’avantage n’est pas toujours à celui qui domine, mais souvent à celui qui se bat en montant. Tout en bas, des prés d’un vert splendide, et qui tournent avec la vallée, avec les luisans d’une petite rivière, avec une route dont une grosse bâtisse à demi détruite marque le coude. Cette ruine, c’est le Four de Paris, un des lieux célèbres de cette guerre d’Argonne, comme la Fille-Morte, les bois de la Harazée, de la Grurie. A droite de la bâtisse, sur la route blanche qui par-là cesse d’être « défilée, » une tache obscure : un cheval mort, — celui d’un vaguemestre qu’une marmite allemande hier matin a broyé. Les débris de l’homme ont été recueillis ; le cheval reste là. Un peu plus loin, toujours du même côté, des traînées grises, comme de la terre retournée, évoquent un triste souvenir……..


La canonnade augmentait, tandis que le général, — si simple, placide, presque bourgeois, avec sa canne et sa houppelande bleue, — nous donnait très vite ces détails, et puis, pour ses observations personnelles, s’attardait longuement sur son dangereux belvédère. Ce jour-là, les 75 donnaient sans arrêt, sans doute pour empêcher les canons d’en face de s’en aller faire nombre devant Verdun. Depuis le matin, nous les entendions aboyer, de plus en plus bruyans, à mesure que nous approchions de la crête, — si près, enfin, que le coup vous secouait comme lorsque la foudre semble tomber et claquer à vingt pas. Une batterie tirait par-dessus nous, à quarante mètres en arrière, pendant que nous étions à ce balcon. Les Allemands, jusqu’à dix heures, n’avaient presque pas répondu, mais à la fin l’irritation venait, et les coups profonds commençaient à devenir fréquens au milieu des claires détonations françaises. Maintenant, au milieu de ces fracas, nous descendions vers la rivière. Raide et longue dégringolade par des tunnels, des couloirs obliques, en zigzags, et masqués toujours, du côté de l’ennemi, de feuillages ou de paillassons.

Quand nous atteignîmes les splendides prés verts, et puis la route au fond de la vallée, le duel était établi, continu. Sur la crête que nous venions de quitter, on entendait tomber les lourds tonnerres allemands. Nous allions, visitant toujours des abris, des postes, des fortins, au milieu d’une population silencieuse et bleue, le long de la pente boisée dont le haut est aux mains de l’ennemi. Dans cette profondeur, entre les deux artilleries dont les coups s’entre-croisaient, la sécurité était absolue. Nous étions « sous la voûte d’acier, » et l’on sentait l’air trembler continûment. Cris perçans, éperdus, entre les fracas d’explosions, des aveugles créatures qui passent là-haut, et qui ne veulent rien que détruire et tuer. Sinistres et sifflantes vibrations que l’on entend se propager avec une lenteur qui étonne, avancer comme par saccades à travers les résistances de l’air. Le ciel n’était que grisaille uniforme : on eût dit chaque fois qu’il se fendait, qu’une puissance furieuse s’acharnait à le déchirer longuement, d’un bord à l’autre, avec le bruit progressif et craquant d’une large et forte étoffe qui s’arracherait tout droit entre deux mains vigoureuses. On sentait si bien des lignes se tracer, des Assures s’ouvrir et traverser le milieu du ciel, que l’on renversait la tête en cherchant instinctivement ce qui passait là. Ce n’étaient que des obus de 77, de 75 et de 90 (90 de montagne), mais on percevait la violence énorme de la guerre, le surhumain des forces que l’homme, aujourd’hui, déchaîne contre l’homme.

Parfois, un bref répit, un intervalle de silence, et presque aussitôt, dans l’espace un instant délivré, on recommençait d’entendre l’intarissable et confus tire-lire des alouettes, joie frissonnante, invisible, mais qui semblait remplir tout le ciel. Elles montaient des longs prés, au bord de l’eau courante, — des longs prés en fleurs où la guerre a tendu partout ses fils d’acier. Elles ignoraient la guerre. Chantant à leurs nids, au matin, au jeune été naissant, elles passaient à travers les mortelles volées.


Une dernière course nous a menés, à travers la région des plus grands bois, jusqu’à la dernière pente orientale de l’Argonne. Je revois de vastes ravins de forêt, que surveillent des postes de seconde ligne. Toujours la surprise de ces paysages et de ces décors de légende : huttes de glaise, de rondins et de ramées dans l’épaisseur des sous-bois, et s’en distinguant à peine. Ces demeures semblaient avoir été là de tout temps, à la fois mystérieuses et naturelles, comme celles de quelque animal inconnu de la forêt. Au-dessous, en houles de feuillages, descendait très bas et très loin le peuple des hêtres. On ne voyait que la face qu’ils présentent au ciel, tous les grands dômes lustrés que le vent çà et là remue, ouvrant, comme en d’épaisses graminées, des profondeurs tressaillantes. On était là, semblait-il, très loin d’aujourd’hui et de tout ce qui nous obsède ; on entrait dans la paix et l’indifférence des choses que l’homme n’a point faites. Les lents mouvemens de toutes ces vertes têtes fraternelles semblaient ceux d’un long rêve engourdi. Et puis, si l’on se retournait, dans le profond demi-jour, parmi les fougères et les colonnes grises de la futaie, on voyait des feux comme ceux qu’allument les bûcherons en automne, des n’animes claires, jaillissantes, et des fumées. Mais de ces fumées le bleu sourd, par en bas, semblait persister, immobile, — et l’on reconnaissait, au second coup d’œil, des groupes de soldats assemblés à l’heure de la soupe. Sans doute les voix s’étaient tues à l’approche des officiers.

Plus loin, nous arrivions, comme la veille, à l’extrême bord d’un plateau ; mais, cette fois, c’était la fin de l’Argonne. Sur la gauche, un dernier éperon s’avançait, enveloppant de noirceur luisante un profond repli de la forêt. A droite, elle reculait derrière nous, dans la direction de la Fille-Morte, dévastée de ce côté par un coup de mine : long cratère où le regard ne rencontrait que cendres blêmes et scories. Mais en bas, dans l’Est et le Sud-Est, la plaine bleuissait à d’infinies distances, et la vue de ce libre espace remuait plus que tout ce qu’on avait aperçu dans les bois des images de la guerre. Cette claire étendue qui s’en allait vers la Meuse, c’était un morceau de la France captive…

On se penchait pour mieux regarder, écouter. Oh ! l’étrange, l’anxieux silence ! Avaucourt et son bois tragique étaient à deux lieues, mais autour de Verdun les canons se taisaient ce jour-là. Rien de vivant en vue, rien seulement qui remuât. Une immense solitude. Tout en bas, des villages détruits (Varennes, Boureuil, Vauquois où l’on s’est tant battu), une toute petite portion, — et qui semblait si grande ! — de la ligne de ruines qui s’allonge continûment, de la mer du Nord à la Suisse. Toujours la même désolation : des pignons debout, des cubes ouverts qui n’enferment plus rien, des carcasses de maisons béantes et décapitées. Mais le silence et l’inanimé de ces espaces étonnaient davantage, effrayaient presque. On avait la sensation d’un pays mort entièrement, d’une terre que les Allemands auraient vraiment tuée. On songeait à cette idée et ce mot monstrueux des pangermanistes : Vider un territoire — le vider de toute sa vieille et naturelle vie humaine, comme on fauche un champ, en y passant ensuite la charrue, pour en changer la flore et la culture. Oui, ils avaient rêvé cela : conquérir une bande nouvelle de France, et puis en extirper l’humanité native.

On prenait une jumelle et l’on regardait des clochers lointains. Je ne sais pourquoi, à les voir agrandis, silencieux et si troubles, changés en fantômes prochains et comme fatidiques, l’impression de mort s’accroissait. Y avait-il encore par-là de la vie française ? Ce morceau de France interdit et si proche prenait des aspects de mystérieux au-delà…

Nous avons, tout de même, réveillé les Boches. Une batterie de 75 dominait. Le colonel demanda le tir sur une imperceptible raie jaune qui n’apparaissait qu’à la lunette : une tranchée que l’on savait occupée. Quatre abois successifs des bons 75, en arrière : quatre longues huées qui s’éloignent… Ensuite, rien, — on renonce à chercher la chute des obus, quand soudain, très loin, tout au ras de la terre bleuâtre, une lueur blême et comme électrique, étincelle, tout de suite accompagnée dans le même silence, de trois autres, et puis, de fumées qui s’élèvent. Le bruit des éclatemens achevait à peine de nous arriver quand une seconde bordée suivit. A une lieue de distance, les brefs et muets éclairs s’espaçaient en ligne droite, comme pour promener plus méthodiquement la mort. Alors les Boches répondirent. Le dialogue de haine s’engagea.

L’invisible vie, la vie ennemie de la plaine française venait de su révéler.


Le lendemain et le surlendemain, nous courions sous le front de Champagne, au long des routes d’où la vue ne s’étend que sur un champ de bataille infini. Massiges, Tahure, les e Hurlus, Suippes, Souain, Saint-Hilaire, Aubcrives, Mourmelon, Reims, — quels noms aujourd’hui ! Depuis deux ans, ils nous hantent, associés pour toujours à nos angoisses, à nos deuils, à nos fiertés ; — et le monde entier les a répétés presque chaque jour. Grave impression quand, à la croisée d’un chemin, à Suippes, à Saint-Hilaire, par exemple, le vieux poteau indicateur tournait sa flèche vers Perthes ou vers Tahure. On regardait la route qui ne servait jadis qu’à des routiers ou des paysans champenois, portant dans leurs carrioles leurs poules aux marchés — la route blanche que ne suivent plus aujourd’hui que des colonnes silencieuses de soldats. Au sortir de l’Argonne, une de ces flèches indiquait la direction de Vouziera, le pays d’ancêtres dont je revois les portraits : graves messieurs en habits prune, dames si françaises en robes roses à paniers, serrant toutes, d’un même geste, avec le même sourire, une rose sur leur cœur.

Combien nous en avons coupé de ces grandes chaussées allongées vers le Nord, et dont on savait qu’elles n’aboutissaient plus !

De lieue en lieue, un soldat surgissait au travers du chemin, le barrant de son fusil. Il fallait montrer des permis, un certain papier rose qu’un brigadier examinait très attentivement.

Il pleuvait, et le deuxième jour, pendant des heures de suite, ce fut cette pluie raide et massive d’orage que sa violence épuise, d’habitude, en quelques minutes. Impossible, nous dit-on, d’aller jusqu’aux tranchées : la craie de Champagne se délayait sous ce déluge ; dans les fossés, l’eau blanche devait monter jusqu’aux genoux. Nos soldats y étaient, pourtant, collés à cette craie, indifférens à tout, sauf aux possibles mouvemens de l’ennemi, lui barrant le reste de la France, obstinés toujours à le refouler. On regardait au loin ; de leur côté, rien n’apparaissait. Ce monde inanimé fondait dans une vapeur d’eau, sous les obliques rideaux gris.

On regardait tout de même. Quelque part, tout près dans ce pays fantôme, dans cette apparente solitude, commençaient les étendues reprises à l’ennemi. Le malin du 25 septembre 1915, par un jour presque aussi voilé que celui-ci, sur un front de vingt-sept kilomètres, trois cent mille Français surgirent de cette plaine, qui, jusqu’à cetto suprême minute, semblait peut-être aussi vide, — mais les canons avaient tonné pendant soixante-douze heures. Hors de l’abri des tranchées, vague sur vague, ils s’élancèrent, paysans, ouvriers, bourgeois, pauvres et riches, nos enfans, nos frères, rués à ciel ouvert contre des fils de fer et des nappes de mitraille. Partout ils refoulèrent le mur allemand. Ils furent quelques milliers qui en crevèrent, une à une, toutes les épaisseurs et passèrent de l’autre côté ; mais la trouée n’était pas assez large, et la muraille repoussée se referma derrière eux. Combien sont mêlés à cette terre que leur sacrifice a reconquise et sanctifiée pour toutes les générations de la France future !

Nous courions toujours. Enfin, la pluie cessait, mais le ciel restait noir, immobile et chargé de menaces. Sous cette voûte solennelle, on retrouvait pourtant la grâce et l’humaine beauté de ce vieux pays. La magnifique route française filait tout droit, bien jalonnée par ses grands peupliers. Quel luxe de ces routes ! Elles nous rappelaient l’ancienne France, avant l’époque de la mécanique, quand sa civilisation supérieure apparaissait d’abord, comme jadis celle de Rome, à la perfection de tant de grandes voies qui la liaient comme aucun autre pays. On passait devant des clochers de tous les âges : romans, gothiques ou classiques. Je revois les tours aiguës de l’Epine : bijou flamboyant de pierre filigranée et brunie, dorée par les siècles, au milieu d’un rectangle de sages maisons, dont les quatre lignes forment tout le village. Grande surprise, en rase campagne, de voir se lever cette chose vénérable et précieuse. Et puis, de l’autre côté de Châlons, à travers les plaines qui virent la défaite d’Attila, nous remontions dans le Nord-Ouest, en nous rapprochant des lignes allemandes. Par Suippes et Saint-Hilaire-le-Grand, les belles routes continuaient sous leurs grands arbres, aussi parfaites toujours, aussi claires et bien roulantes, mais, hélas ! ne reliant plus que des ruines abandonnées. Encore ces carapaces de maisons, dont le toit et le dedans manquent ; ces façades où le feu a dévoré tout ce qui n’est pas l’incombustible pierre, — encore ces églises violées, éventrées sur un lit de décombres ! Et dans cette désolation, toujours certains vestiges où s’atteste le vieux besoin français de style et de sobre beauté : le fronton Louis XVI d’une mairie, la corniche grecque d’un simple logis de village, les hautes cheminées Renaissance d’une grosse maison bourgeoise ! Mais tous ces bourgs et hameaux étaient vides. La mort, par endroits, avait séché jusqu’aux plantes des jardins abandonnés. A H…, où nous nous étions arrêtés pour essayer encore d’aller jusqu’aux tranchées, on nous montra le potager roussi du presbytère : les lourdes fumées du chlore allemand avaient roulé jusque-là.

A traverser cette plaine immense de Champagne, on avait bien plus le sentiment de la grande guerre, de la bataille continuelle sur toute la largeur de la France, que dans les forêts d’Argonne, où la vue est confinée, où la lutte prend un caractère pittoresque et tout local. On savait qu’une partie de l’étendue visible était occupée par l’ennemi. Dans l’Est et dans l’Ouest, on pouvait suivre ses positions à perte de vue ; on se disait qu’elles se prolongeaient ainsi par-delà beaucoup d’horizons, — et l’on imaginait un peu la longueur et la continuité de la ligne où deux mondes s’affrontent.

Quelques saucisses la jalonnaient, grises dans la grisaille de l’espace, et qu’on aurait prises pour des points de vapeur plus épaisse dans un ciel ennuyeux, où rien ne semblait plus devoir jamais changer. Au-dessus de la plaine où rien non plus ne remuait, elles portaient les yeux des invisibles armées, des yeux occupés, toujours, à scruter le paysage, à y épier, au loin, le moindre signe de l’adversaire, et dont chaque impression utile se communique instantanément, par le filet et puis le réseau nerveux du téléphone, au cerveau central qui enregistre, assemble tout et commande.

Le caractère du pays changeait. De sombres ondulations se levaient dans le Nord : en face de la montagne de Reims, Moronvilliers, Nogent-l’Abbesse, d’où les vues de l’ennemi s’étendent sur cette partie de la plaine. Aussi les routes se masquaient-elles de plus en plus, derrière des écrans bientôt ininterrompus de paillassons, et l’on arrivait toujours à une sentinelle qui vous empêchait de pousser au-delà. Il fallait chaque fois tourner à gauche, gagner des chemins plus à l’Ouest pour atteindre enfin une certaine colline qui était notre but, car elle commande toute la Champagne, et l’on y voit se déployer, comme sur une carte, un des grands théâtres de la guerre.


En ce haut lieu, nous avons passé les dernières heures de la sombre et pluvieuse journée. Nous étions là dans une niche obscure, creusée comme une aire de rapace, à l’arête d’un plateau sauvage. Pour y arriver, il avait fallu traverser des bois trempés, des fourrés et des fondrières qui rappellent l’Argonne. Mais aucune tranchée, nulle trace de la guerre. Etonnement de trouver, dans cette solitude, ce repaire caché où vivent quelques hommes. Le jour y entre par un étroit créneau, une sorte de fente horizontale, qui laisse flotter une pénombre. Une table, des cartes, un téléphone, des longues-vues, des jumelles, rien d’autre. C’est qu’il ne s’agit là, du matin au soir, que d’attentivement regarder. Regarder, interpréter surtout, découvrir et comprendre les moindres indices des activités ennemies, comme nous l’expliquait le lieutenant, chef du poste, avec le laconique enthousiasme qui distingue ces jeunes gens quand ils parlent de leurs tâches spéciales. A Sainte-Menehould, à Châlons, j’avais déjà vu ceux qui étudient les petites photographies apportées par les aviateurs, et qui reconnaissent à une imperceptible hachure, les réseaux de fil de fer, à des pointillages d’ombres portées, les poteaux télégraphiques, et par conséquent, malgré les écrans, les routes. Ici l’image ne change pas, mais elle est infinie dans son détail et vaste comme l’horizon. Et c’est toujours le même effort et la même tâche : reconnaître et traduire ce qui échapperait à des yeux ordinaires. Ce déchiffrage a ses Champollions ; chaque observateur en est un dont les découvertes s’accumulent. Aujourd’hui, pour ce jeune officier à mine de professeur, que l’on plaindrait de vivre en ce réduit et cette solitude, ce morceau de France déployé est une page passionnante. Sur l’étendue qui nous paraît vide et morte, de jour en jour il voit se développer la guerre.

— Tenez, disait-il, dans le Nord, par le clocher de… qui pointe là-bas entre deux boqueteaux, tout à fait à l’horizon : voyez-vous une fumée blanche ? Regardez bien, suivez-la : elle se déplace…

Il avait orienté la lunette sur le chevalet, mais on avait beau mettre au point, on ne percevait qu’une pâleur grise, celle de l’extrême lointain où la terre s’évanouit et ne se distingue plus des vides de l’espace. On essayait encore, et cette fois, dans ce champ si trouble, on croyait voir naître un minuscule et pâle flocon, et puis un autre, comme une ligne de points qui commencerait à s’écrire.

— C’est le chemin de fer de R…, expliquait-il (R… est à quinze lieues). Vous voyez dans quel sens se suivent les flocons ? — de gauche à droite. C’est le train qui descend. D’habitude, il descend une fois par jour. Si les points blancs apparaissent plusieurs fois dans la journée, c’est que les transports s’activent vers le front. On conclut que l’ennemi prépare quelque chose.

Ces fumées si lointaines, ponctuant le cercle gris de la lunette, avec quelle attention nous les regardions ! Bien loin en arrière de la ligne de feu, dans l’intimité du pays envahi, elles étaient quelque chose de la mystérieuse activité allemande Cela traduisait une volonté venue du profond de l’Allemagne. Quelques points blancs, si vagues, et qui s’évanouissent tout de suite, et cela veut dire un train réglé à l’heure de Berlin, des troupes — les lourdes troupes grises — et des canons, des obus, du matériel d’Essen, acheminés en pleine France, vers la barrière que le peuple ennemi essaie de maintenir contre l’incessante poussée française.

Nous cherchions encore ces fumées : elles ne reparaissaient pas. On ne les découvre qu’en ce point de l’immense demi-cercle, où l’officier, chaque jour, à cette heure-là, les attend.

Par elles seules, à des yeux qui ne savent pas tout scruter, pendant quelques minutes, le pays s’était révélé vivant. Même aspect que de la plaine aperçue l’avant-veille, du revers oriental de l’Argonne : terre inanimée dont l’homme aurait achevé de disparaître. Mais combien plus vaste cette solitude, et par-là plus émouvante ! Ici ce qu’on voit de la France envahie embrasse tout l’horizon, de Bétheny près Reims, jusque par-dessus l’Argonne et presque en pays meusien, — jusqu’à ce Montfaucon qui, du dernier belvédère de la grande forêt, nous semblait déjà si loin. Et puis, par un soir d’orage, tout est plus sombre aussi. L’air, dans la direction de l’Est, a cette transparence qui souvent précède et suit les grandes chutes d’eau, et surprend dans un éclairage voilé. Les distances s’y abrègent ; mais le ciel est une blême tenture d’où pendent de lourdes nuées de deuil. Des franges de pluie traînent, brouillant les hauteurs prochaines de Nogent-l’Abbesse, et puis se propagent sur les longues croupes noires de Moronvilliers.

En bas, les ruines ordinaires ; plus loin, la ligne infinie des tranchées : mince et multiple égratignure courant à travers le pays ; plus loin encore, des pointes pâles de clochers dont l’observateur nous montrait les noms sur la carte, — la carte où rien n’est changé, où l’on voit les lignes ferrées continuer vers Mézières et vers Rethel, où l’on îmagine toujours la circulation de la vie française. Mais pas un charroi, les routes, sans doute, étant masquées de ce côté comme les nôtres. Pas une fumée en vue, celles que l’on nous avait montrées ne se révélant que si des initiés braquent à une certaine heure une lunette sur un certain point, à l’extrême et si vague limite de la terre et du ciel. Triste et terne immensité. Silence vaste comme l’étendue. De cette France immobilisée par l’entrave, et captive depuis deux ans sous les yeux de la France vivante, un indicible et muet appel semblait monter.

Vers six heures et demie, comme on nous l’avait annoncé, quelques coups profonds commencèrent à tonner au loin. « Le canon lourd de Moronvilliers ! » dit le lieutenant. « Tous les jours à la même heure. On va leur répondre comme d’habitude, par dix coups de 240. »

Graves et lentes pulsations ; elles ajoutaient à la solennité de l’immense et sombre plaine, comme en mer par temps couvert, lorsqu’on entend, très loin, le canon d’une escadre.

Ce jour-là, Nogent-l’Abbesse, à six kilomètres de nous se taisait. Là est la batterie qui, de temps en temps, bombarde encore Reims…


Le lendemain matin, nous étions chez d’autres observateurs, ceux que nous avions vus voler au-dessus de l’ennemi, et qui rapportent ces étonnantes photographies où toutes les blessures que la guerre fait à la terre — tranchées et trous d’obus — se détachent mieux que tout dans le paysage, et semblent des marques indélébiles.

Sous le ciel encore chargé de pluie, la plaine et les choses s’engourdissaient. Rien de vivant que la présence des éternelles alouettes, leur allégresse invisible et partout épandue, plus étrangement significative en cette grise atonie du monde. Une grande prairie s’élargissait entre des lignes lointaines de petits bois. Près de la route, deux hangars, quelques baraquemens semblaient des joujoux d’enfans posés au bord d’une table verte.

Les deux chefs de poste vinrent à notre rencontre — très jeunes et minces, précis et brillans comme leurs galons : trois galons d’or et deux galons d’argent. Toujours les physionomies de finesse, de sérieux et d’énergie que nous avons si souvent rencontrées chez ces officiers de vingt et vingt-cinq ans. De ceux-ci la gravité paraissait plus habituelle et plus profonde encore. Elle s’explique peut-être, si l’on songe à leur vie : longues journées monotones devant l’immense horizon vide, et puis les heures de fièvre, les ardentes et subites tensions de l’esprit dans le danger du volet du combat.

Nous venions voir les avions de chasse : il y en avait dix dans le même hangar, dix bêtes surprenantes, si brèves, ramassées, métalliques comme certains insectes dont le vol a la raideur et la vibration d’une balle. Mais le corps est tout oblique, depuis la grosse tête luisante et ronde où l’on cherche presque les yeux, jusqu’à la pointe de la queue qui surmonte deux ailerons perpendiculaires. Cela tient du phalène, de la libellule ; ou plutôt on songerait à ces brillans poissons volans que l’on a vus tomber, ailes ouvertes et tremblantes, sur le pont d’un navire, si par un artifice imité du mimétisme naturel, les couleurs — toujours les mêmes : jaune et vert par en haut, bleu pâle par en bas — n’étaient celles du ciel et de la terre. Etrange similitude de ces machines que l’homme fabrique — le sous-marin comme l’aéroplane — en combinant rationnellement des moyens pour une fin, et de la forme organique que la nature élabore au cours de ses âges par ses lents procédés irrationnels. Un instant on oubliait la guerre. C’est tout le mystère de la vie qui s’évoquait devant ces créatures de la pure mécanique. Pourquoi cette ressemblance ? On dirait vraiment qu’elle aspire, cette vie, comme la volonté constructive de l’homme, à des fins qui ne sont possibles que par tel dispositif ou structure, qu’elle s’y efforce en tirant parti de tout, et d’abord du hasard, en détournant parfois un organe de sa fonction primitive pour l’appliquer à l’activité désirée. Il semble, par exemple, qu’au problème que posait le désir de voir, une seule réponse parfaite fût possible, puisque, à traversées évolutions si dissemblables, l’œil du poulpe et celui de l’homme se répètent si étrangement — puisque chez certains êtres, le cristallin détruit se reforme aux dépens d’un tissu d’origine différente. Devant ces machines qui volent et qu’on eut dites vivantes, je me rappelais l’antique et mystérieuse parole entendue jadis à Bénarès : « Dieu voulut voir, et il devint l’œil. »

Dix avions de chasse dans la pénombre d’un hangar. La répétition des lignes, des couleurs, du type achevait l’illusion. On voyait une espèce. On était là dans un repaire de prodigieux insectes. Au-dessus de leurs grêles appendices qui semblaient à peine frôler le sol, ils se suspendaient, ailes ouvertes, comme immobilisés dans leur vol.

Le jeune et grave capitaine nous démontrait les commandes et les manœuvres. Il parlait lentement avec des mots froids, exacts, — et presque sans gestes.

« Cette barre-là, que l’on tient à pleine main, c’est le gauchissement des ailes, l’appui sur l’aile droite ou la gauche, suivant le côté où on l’abaisse. Ici, la commande de direction. Ici, le palonnier au pied pour le gouvernail de profondeur. Ici, la manette des gaz qui change le régime du moteur, et qu’on manœuvre en même temps que la direction, quand on veut virer. C’est comme en auto : on réduit la vitesse pour ne pas se faire déporter par la force centrifuge. »

Il levait la main vers une longue pièce suspendue, orientée avec la même délicatesse que, dans un laboratoire de physique, certains instrumens de précision :

« La mitrailleuse : au-dessus de la tête, dans l’axe de l’avion ; car on vise avec l’avion. Vous voyez : placée trop haut pour changer le chargeur ; cela oblige à quitter les commandes et on s’expose en se dressant. Tout est sacrifié à la légèreté, à la vitesse. Cinquante kilos de plus, c’est vingt-cinq kilomètres de moins à l’heure. Mais nous aurons bientôt mieux que ces appareils. »

Un bruit de moteur attirait nos regards du côté de la prairie. Un avion partait ; déjà on le voyait fuir : longues pattes à peine visibles traînant, oscillant sur l’herbe, et tout d’un coup le grand moustique détaché de terre, tranquille et bourdonnant là-bas dans la grisaille vide. Il s’inclina et commença de monter par grandes spires…

« Ce n’est rien ; un simple essai : un appareil d’observation dont on vérifie le moteur. Le temps est trop voilé pour observer. Mais la semaine dernière il travaillait tous les jours au-dessus des Boches. Vitesse assez médiocre, comme vous voyez…

… « La vitesse de l’avion de chasse ? Ça dépend du type. Ceux-ci : cent soixante à l’heure, près du sol, cent quarante à mille mètres, cent vingt à deux mille, parce que la résistance de l’air diminuant avec la hauteur, il faut cabrer l’appareil pour le faire appuyer, ce qui freine. L’essentiel pour le combat, c’est de monter vite. On parle d’appareils qui monteront à quatre mille mètres en dix-sept minutes. On se demande comment le poumon, le foie résisteront à ces changemens de pression. Mais pour manœuvrer l’adversaire, il faut le dominer, choisir son moment et venir tomber sous sa queue, dans son angle mort où il ne peut vous atteindre. Si l’ennemi est plus vite, s’il vous poursuit, vous voyez qu’avec ce type d’appareil, il n’y a pas grand’chose à faire : la mitrailleuse ne tire qu’en avant. Quelques-uns se laissent tranquillement gagner de vitesse, et tout d’un coup font le loop par-dessus l’adversaire, et se retrouvent derrière lui, en position pour le mitrailler. C’est plus intéressant qu’au début où l’on courait bord à bord en échangeant des salves. Avec le Focker, le mieux c’est de virevolter, bourdonner autour. Il y en a un qui est descendu dans nos lignes, l’autre jour, parce que le Français l’avait affolé. Pour ces manœuvres-là, nous valons mieux qu’eux. La supériorité du Français, c’est le cran individuel…

… « Oui, une seule place. Il faut tout faire soi-même, actionner les quatre commandes, manœuvrer le Boche, tourner autour de lui, le viser, tirer, changer le chargeur… »

Nous songions à ce qu’il avait l’air d’oublier : les deux ou trois mille mètres de vide au-dessous d’une telle bataille, avec le sentiment de la chute possible, presque certaine pour l’un des deux. Cette chute, ils l’ont tous vue : l’appareil tombant sur une aile, se relevant, tombant sur l’autre avec des oscillations de feuille morte, et tout d’un coup, la descente en vrille jusqu’à terre, jusqu’à l’embrasement final. Ils n’en parlent jamais.

… « C’est vrai, continua-t-il, c’est beaucoup de choses à la fois : tout le monde ne peut pas faire çà. Aussi, la sélection s’opère toute seule. Rien ne compte ici que l’aptitude. La tension, la dépense nerveuse sont énormes. Après un combat, on voit parfois un pilote ramener son appareil sans une défaillance ou un faux mouvement, et puis s’affaisser d’épuisement en touchant la terre, ou bien se mettre à gesticuler, être pris subitement de saccades nerveuses. Il faut parfois de vraies cures de repos avant de pouvoir repartir. Mais ça vous prend étonnamment. On recommence toujours… Quand on a tâté de ça, on ne peut plus faire autre chose. »

Une passion s’était mise à remuer en lui. Quittant le ton froid, uni, du gentleman et du démonstrateur, il parlait plus vite, mais, trait significatif, en baissant la voix à mesure qu’il s’animait. Un instant, les deux mains gantées se levèrent à demi, dans le geste frémissant mais contenu de l’enthousiasme, et il ajouta :

— « Voyez-vous, ce métier-là, on en rêve ! Aucune chasse ne vaut celle-là. C’est une chose ensorcelante : ça vous tape dans la tête ! Et puis, il y a des matins, au-dessus des vapeurs, où on a l’illusion de naviguer tout seul sur une mer splendide !… »

Il se reprit tout de suite :

— « Voulez-vous voir les appareils à deux places ? »

Je le regardais ainsi que son camarade, l’observateur, et puis un autre aussi, qui étudiait une magnéto près de nous. Je pensais aux mots qu’il avait dits : « Tout le monde ne peut pas faire ça ; la sélection se fait toute seule. » Oui, ici comme partout, la guerre impose les valeurs vraies. Un seul critère : non plus une note d’examen théorique, non plus l’âge ou la longueur de l’attente, non plus l’attache à tel ou tel parti, mais l’évidente efficacité. Ces minces jeunes hommes, qui font penser à des lames de fleurets, étincelantes, souples et vigoureuses, quels exemplaires de cette race dont celui-ci venait de dire : « Le Français vaut par le cran individuel ! » Sûrement, la bravoure atavique est partout aux armées ; depuis vingt-sept mois, tout au long de la ligne du front, elle s’exalte en éclats quotidiens. A tous les degrés du commandement, la science, le talent abondent. Mais pour l’ensemble des vertus qui font toute la perfection virile de l’homme, celles qui signalaient le héros des âges épiques, et qui s’attestent encore en ces combats singuliers, — vigueur, vif élan d’audace, facilité d’adaptation à l’imprévu, promptitude et certitude du coup d’œil et du geste, — ceux-ci sont les meilleurs, la plus pure fleur de la France d’aujourd’hui, de cette incalculable race française qui s’est mise à pousser, quand l’étranger parlait de son épuisement, des surgeons qui nous étonnent.


Dernière journée. Reims. Nous ne pensions pas y aller de sitôt. Du haut de l’observatoire, où nous étions la veille, nous apercevions tout juste l’extrémité de son faubourg, Bétheny, dont les derniers jardins touchent aux lignes boches. Une avancée du plateau nous cachait la grande ville. On la voyait presque commencer : on savait qu’elle était là, derrière, — ses richesses, sa merveille française, dont un poète allemand réclamait, il y a quatre-vingts ans, la destruction, exposées depuis plus de vingt mois au libre ravage du Barbare jaloux.

C’est presque un hasard qui nous permit d’y entrer le lendemain, en allant chercher toujours des routes plus à l’Ouest. Il fallut tourner jusqu’à la chaussée d’Epernay, qui vient droit du Sud. Nous courions vite entre les grands rideaux de peupliers qui nous masquaient interminablement le paysage. Mais, un instant, de très loin, ce que nous avions tant désiré la veille nous apparut tout d’un coup : la nappe sérieuse et grise de la vieille cité d’où montait, portant haut ses deux couronnes, une majesté solitaire et religieuse.

Et déjà, c’est l’octroi, les premiers faubourgs, où les signes de la vie ancienne, cafés, chantiers, magasins déserts, affiches sur les murs, ne font qu’accroître le pressentiment de mort, — où la population ne semble plus que de quelques femmes, où des rangs et des rangs de volets sont fermés. Nous pouvions imaginer ce vide en croisant, sur la route d’Epernay, tant de voitures de déménagement qui cheminaient toutes vers le Sud. Reims qui comptait cent vingt mille âmes, il y a deux ans, et qui n’en a plus vingt mille, continue toujours de se dépeupler.

En vain, les yeux cherchent la forêt fumante des cheminées d’usines. Le canon boche s’est inspiré du principe énoncé dans le manuel boche des usages de guerre : « Ruiner l’adversaire dans toutes ses ressources matérielles et spirituelles. » Simplement déshonorer une splendeur que l’on hait parce qu’elle parle de tous les rois et tous les siècles de la France, et puis détruire pour vingt ans l’outillage d’un concurrent industriel. La cathédrale et les manufactures. À cette double volonté de meurtre aboutissent les deux rêves allemands : l’un récent, tout moderne, celui de la Mittel Europa organisée pour la domination économique et la suzeraineté politique en Europe, — l’autre ancien, historique, où renaissent les prestigieux souvenirs du Saint-Empire et les vieilles jalousies contre le Royaume.

Maintenant les premières ruines : je n’avais fu que celles des villages. Lugubre étrangeté d’une telle ville où les grands canons recommencent toujours, depuis des mois, à frapper librement, et qu’ils ont aujourd’hui presque tuée. Douze mille obus sur Reims, nous disait-on. A errer par ces rues, on voit très bien la méthode et le dessein. Ils visaient certains quartiers : ceux du commerce et de la richesse, et aussi les rangs de vieux hôtels monumentaux du temps de Louis XIV et de Louis XV, ceux qui faisaient la grave et grise noblesse de la cité. Des rues entières sont mortes : chaque maison, une carapace vide, les étages effondrés, la pierre ancienne des corniches, frontons, mascarons, noircie de fumée et, çà et là, mouchetée, grêlée de blanc par les volées de shrapnells, — ou bien des pans de murs défoncés par brèches énormes. Parfois quelque vestige de la vie disparue s’accroche encore à la coquille ouverte : une cloison entière avec son papier à fleurs et ses tableaux, une étagère avec de sages pots de confitures, une lampe sur une console de cheminée, un lit dans une alcôve dont le plancher n’est pas arraché tout entier, — touchans débris de vieux nids humains dont l’intimité s’ouvre béante a la rue, comme le dedans d’un cadavre éventré. Et cela se répète alors, presque toujours, à chaque étage. On dirait qu’un couteau géant a passé tout droit dans le cadavre, sans s’occuper des articulations et des organes. Mais le plus souvent, il ne reste rien. Le feu que l’obus énorme apportait en ronflant à travers le ciel a tout dévoré. Voilà ce que l’on destinait à Paris, pour « percer la France au cœur, » comme des journaux allemands l’ont dit tout de suite, en 1914. Et le ravage eût pris des aspects de catastrophe sismique : écroulemens de maisons de sept étages, englouties dans un sol que suffit à crever par endroits une grosse pluie d’orage. On ne concevait pas cette toute-puissance de destruction. En quelques jours, par les simples, les aveugles forces mécaniques, — rien que masse et mouvement, — dont l’homme aujourd’hui dispose, tout un monde humain, celui qu’un peuple a développé, imprégné, au cours de tous ses siècles, de sa substance spirituelle, peut disparaître comme une fourmilière défoncée à coups de botte.

Un de leurs rois, qui chantait, au siècle dernier, la Germanie d’Arminius et les aïeux barbares, avait dit l’espérance : « Et toi aussi, Paris, tu crouleras un jour[2] ! » A présent, c’est Londres qu’ils voudraient incendier par un feu jeté du ciel. Frénétique orgueil et démoniaque volonté d’un peuple ivre de sa force et de sa science, qui a rêvé de recréer le monde à son image et, pour commencer, de le détruire. L’un d’eux l’a dit à propos de la Belgique : « Celui-là a le droit de détruire, qui possède la puissance de créer. » Cette Allemagne nouvelle, qui s’est crue Dieu, c’est Lucifer. Mais Lucifer est tombé.


Nous arrivions à la cathédrale. Une dévastation plus consciencieuse, une solitude plus profonde qu’ailleurs l’annonçaient. Je m’attardais dans la rue du Cloître, à peine reconnaissable : j’y cherchais en vain une maison où je fus reçu jadis, celle de vieux cousins, — un frère et ses deux sœurs, — qui ne se marièrent jamais pour mieux continuer de prier, et dont toute la vie s’écoula, recluse, aux pieds de Notre-Dame. De lointains souvenirs d’enfance s’évoquaient. Notre-Dame de Reims, c’est un mot qui revenait souvent, avec ceux de Rethel, de Vouziers, de Beaurepaire, sur les lèvres d’une grand’mère, — la mère de Taine, — qui vit dans la cathédrale le sacre de Charles X, et nous en racontait inlassablement les splendeurs. Un ancêtre, peut-être fabuleux, y avait figuré comme échevin de la ville, plusieurs siècles auparavant, dans un sacre plus mémorable, celui de Charles VU, où son rôle, c’est certain, ne le cédait qu’à celui de la Pucelle. La cathédrale de Reims tenait une grande place dans les rêves de ces bons bourgeois de Rethel et de Vouziers.

Je l’avais souvent visitée. Je la reverrai toujours telle qu’elle m’apparut pour la première fois par un radieux matin de Pentecôte : les frontons, les tours, les diadèmes, la symphonie montante, les nombres et les cadences d’une pierre transsubstantiée où se jouent toutes les idées et tous les chants de la vie ; — en bas, dans l’ombre profonde et confuse des portails, le chœur des graves et souriantes statues, des saints et des rois qui virent passer les générations de nos rois. Et puis, quand on entrait, une immense pénombre entre des feux sacrés de rubis, de saphirs et d’améthystes, la nappe notre d’un peuple épandu sous les fûts et les arceaux jaillissans, le tiède effluve de cette vie d’aujourd’hui mêlé à l’odeur ancienne des cires et de l’encens ; et tout au loin, sous des buissons d’étoiles tremblantes, un chœur de prêtres dorés autour d’un archevêque en chape, — leurs gestes, leurs évolutions rythmés évoquant, jusqu’à la Gaule de saint Rémi, jusqu’à la Rome des catacombes, tous les temps de notre histoire et du christianisme catholique. C’est ce jour-là, dans l’ombre qui s’épaissit après Vêpres, que, sous l’un des quatre grands piliers de la triomphante croisée centrale, je découvris ce cousin : un mince petit vieux en calotte et foulard, de mine toute chétive et si grave, blanche comme sa barbe, de toutes les années passées dans l’ombre et la macération. Je le reconnus pour avoir vu jadis son portrait de jeune homme en daguerréotype. Et puis je le cherchais un peu parmi les familiers de Notre-Dame, qui la fréquentent aux heures où la foule la délaisse, et dont l’oraison persiste comme la petite flamme solitaire du chœur.

On hésite à noter ces menus détails personnels devant la ruine nationale de Reims. Mais n’est-ce point par de tels souvenirs qu’une des grandes œuvres humaines apparaît à des Français autrement qu’aux hommes des autres peuples ? Nos parens et les parens de nos parens en répétaient le nom, et beaucoup y sont venus prier. C’était un de leurs sanctuaires. Depuis les aïeux du XIIIe siècle, dont les statues des porches nous répètent les traits, la continuité des générations vient jusqu’à nous. Si elles pouvaient parler, ces statues, c’est du français qui sortirait de leurs lèvres.


On arrive, comme jadis, par le côté Nord, où le désastre est peu visible, tant qu’on n’approche pas des grands contreforts de la tour. Ce fut pourtant la face la plus directement exposée au premier bombardement, mais les obus frappaient le toit dont ils incendièrent la charpente, ou bien, passant par-dessus le faite, ils allèrent détruire l’archevêché. Surprise de retrouver, à peu près intacte, semble-t-il, devant les maisons dévastées de la place, la merveille de pierre grise, le peuple de figures humaines, divines, démoniaques dont s’anime son infinie floraison. Mais, tout de suite, un détail sinistre : des trous béans, de noires déchirures plutôt, là où les vitraux ont éclaté. Et puis, du côté de l’abside, quelque chose fait défaut, que les yeux attendaient : un peu de la toiture, du triangle de métal qui par-là devrait surgir. Seul apparaît le bord de la terrasse qui le portait, — écaillé, calciné, strié de suie et de blanc livide. Dans la grande silhouette familière la disparition d’un trait qui n’attirait pas l’attention, une trace de feu qui se montre à peine, cela n’est rien, mais cela suffit à serrer le cœur. C’est comme si, retrouvant un visage aimé et ne le voyant d’abord que de profil, on y percevait une petite altération du contour. On pressent quelque affreuse plaie. On hésite à faire le mouvement qui vous découvrira toute cette figure.

Enfin, on s’y décide, et d’un seul coup, des trois porches jusqu’en haut des tours, on voit se lever tout le ravage. Un seul mot jaillit des lèvres : « sublime ! » — sublime dans l’horreur comme les grandes destructions naturelles. Une tempête de flammes a passé là, montante et rugissante. On l’imagine, on croit presque la voir, la pierre ayant gardé partout les couleurs tragiques de l’incendie : noirceurs de fumée où s’accusent, comme l’ondoiement rouge d’un brasier mal éteint, les grands reliefs et dessins du prodigieux décor. Par ce noir qui semble une ombre excessive sous ce rouge inattendu des saillies, tout s’exalte et se simplifie ; on pense aux violentes cathédrales de Hugo. L’infinie broderie végétale, le détail délicat et charmant ont disparu. Par-dessus le portail, dont les figures sont enfouies sous des sacs de terre, par-dessus les profondeurs ténébreuses des voussures, aux sommets aigus des trois gables, les trois motifs de la cathédrale s’isolent et prennent une valeur extraordinaire : le Christ triomphant, le Couronnement de la Vierge, la Crucifixion, — une Crucifixion transfigurée et comme agrandie, presque terrible par cette teinte ardente et nouvelle de la pierre écorchée. Mais au centre, Notre-Dame, dont s’incline la tête modeste et couronnée, — plus haut, des deux côtés de la rose, les grands saints dressés entre les longues colonnettes ont gardé toute leur douceur bienheureuse. Le ravage est autour d’eux, leurs corps, çà et là, sont fracassés, — mais la paix et la charité de ces immortels visages demeurent, et semblent plus angéliques et souveraines.

Aux pieds de cette gloire et de cette désolation, on se penche sur des monceaux de décombres : cendres, tisons, charbons, pierraille, scories de métal fondu, où la canne en grattant remue encore de précieuses parcelles de vitraux. Voilà bien ce qui, plus que tout, ici, parle de mort. Noirs et pulvérulens débris de ce qui fut si longtemps beauté, splendeur, forme harmonique et nombreuse, et tout entière rythmée par la plus haute des idées. Après un sinistre où des victimes ont péri, souvent, à côté d’une forme plus ou moins carbonisée, on trouve aussi de petits tas noirs qui sont de la chair fondue qui a coulé.

On quitte le parvis ; on tourne vers le côté Sud où la destruction est autre, — non d’incendie, mais de bombardement, dont les traces sont partout. A la place du merveilleux archevêché, rien que des entassemens de pierre écroulée, la ruine consciencieuse, à l’allemande. Par terre, entre les herbes envahissantes, nous cherchons et nous trouvons quelques éclats rouillés d’obus, une balle aplatie de shrapnell. Enfin, il faut poser les yeux sur ce flanc, aujourd’hui exposé, de la grande chose dont on sait la richesse et l’incroyable légèreté. Hélas ! beaucoup de blessures, beaucoup d’encoches blanches aux statues, aux gables, aux vieux contreforts. Une fine colonnette ploie, demi-rompue comme une tendre tige. Mais devant l’anéantissement de l’archevêché, le miracle, c’est que cette face subsiste, et c’est, en somme, le miracle de toute la cathédrale. Tout ce qui l’enveloppe est détruit, chaque maison comme vidée de ses entrailles. Ce serait à croire, si l’on ne savait l’histoire du bombardement, que l’Allemand a fait comme ces Peaux-Rouges qui, pour prolonger leur plaisir et la torture de leur captif, plantaient leurs flèches aussi près de lui que possible, en évitant de le viser lui-même, en comptant sur l’accident inévitable et lentement répété, pour le blesser et peu à peu le faire mourir. Probablement, si la forme morte a pu se maintenir debout sous les obus, c’est justement par sa folle légèreté, par tout ce qu’elle contient d’aérien et de vide : espaces embrassés par les volées d’arcs-boutans, immenses baies des verrières, où la pierre n’est qu’une sertissure ; — c’est par la diversité des lignes où vient passer et se distribuer son poids, où sa matière se divise comme celle d’une dentelle en ses innombrables fils. Ce qu’on prenait pour sa fragilité a fait sa résistance.

On revient aux grands porches désolés où des sacs de terre, plus haut que sur des parapets de tranchées, s’entassent pour la défense. On évoque, on revoit presque les statues fraternelles que l’on a connues là : la Vierge de la Visitation, la modeste jeune fille dont le voile tombe en plis simples et droits, la Vierge mère gravement et classiquement drapée, aux yeux profonds, chargés de toute la tristesse et la sagesse de la vie, la vénérable sainte Elisabeth, l’ange de l’Annonciation, le mystérieux ange rieur, la reine de Saba, de grâce si sereine et robuste, le beau roi Salomon, les évêques ascétiques et doux, saint Rémi, saint Nicaise, vingt autres, — chacun avec son geste de noblesse et de mesure, sa pudeur, sa finesse et son humanité. Ils ont subi l’horreur, la chute des tonnerres et la furie des flammes. Pour la première fois depuis six siècles, ils ne voient plus les matins et les soirs de Reims. Une terre amoncelée cache aujourd’hui leurs blessures, les enveloppe de paix et de silence.

On passe sous la voussure d’ombre où des légions d’anges montent en orbes glorieux comme les cercles d’élus dont rêva le Moyen Age. Et voici s’ouvrir les grands vides blêmes et nouveaux de la nef. Elle aussi, pourtant, semble à peu près intacte, au moins dans son architecture. Mais on sait que là-haut pèse la toiture effondrée, que l’eau des pluies s’accumule en ces décombres, et que, d’un jour à l’autre, la voûte peut commencer de crever, céder, peut-être, tout d’un coup. Surtout, la grande pénombre intérieure manque : à la place des rayonnantes roses, des vitraux, — azur et pourpre, — qui semblaient les pages suspendues d’un céleste et scintillant évangéliaire, la dure clarté du ciel s’inscrit dans un grillage affreux et déchiré. Un jour sans âme a chassé l’atmosphère antique, avec l’effluve laissé par les générations et leurs prières. Tout se résume d’un mot : la religion n’habite plus ici. On ne baisse plus la voix d’instinct. Le gardien nous a dit de rester couverts.

Pour un dernier adieu, on s’arrête encore devant la façade. Qu’en retrouvera-t-on, si jamais on revient ? Même sensation qu’au premier instant, quand le ravage a surgi devant nous, et ce sont les mêmes mots qui nous montent aux lèvres. Ah ! grande face dévastée, auguste figure aveugle ! Les verrières crevées, les portails vides sont ses yeux éteints ; les pans de pierre écorchée et rougie par la flamme, ses plaies et cicatrices. Elle enchantait jadis par ses sourires et ses parures, par sa jeunesse que les siècles ne pouvaient pas toucher, par toute l’innombrable floraison de sa beauté. Elle n’était qu’harmonie, louange, bienheureuse adoration. Voici que tout le pathétique l’exalte et la transfigure, — et peut-être ses profondes significations apparaissent-elles mieux, comme souvent, dans les destructions de la mort, les grandes lignes de vie, les lignes intérieures et permanentes de la créature, viennent se révéler. Mais combien fragile, sans doute, cette majesté nouvelle et saisissante ! N’est-ce point celle de la forêt incendiée, quand tout va s’émietter, bientôt, sous les vents et les pluies ? Ah ! si par des soins infinis, en s’abstenant surtout de rien refaire, on pouvait la garder, cette sublime figure morte, quel plus émouvant témoignage pour affirmer aux générations à venir la noblesse antique de la France et le crime inexpiable de son ennemie !


ANDRE CHEVRILLON.

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1916.
  2. Louis Ier de Bavière.