Volapük et Lingvo Internacia/Appendice

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Traduction par Auguste Demonget.
Auguste Ghio (p. 30-32).

APPENDICE


ÉTAT ACTUEL DE LA LANGUE UNIVERSELLE




Les meneurs volapükistes continuent à faire trombonner dans leurs journaux que le nombre de leurs adeptes s’élève à 2, 3, voire même 5 millions ! Ça pousse, ça pousse comme des champignons. Mais l’Annuaire des Diplômés (Yelabuk pedipedelas) que vient de faire paraître le Dr  Kerckhoffs ne donne que 2000 noms et encore parmi ceux-ci comprend-il les morts et ceux, qui depuis longtemps déjà, ont jeté aux orties la défroque volapükiste. Sur ces 2000, il y en a environ 800 pour l’Allemagne, 300 pour la France, 60 pour l’Angleterre, etc. Vouloir estimer, d’après ces chiffres, quel est le nombre exact de tous les volapükistes est chose tout à fait impossible. Celui qui est le plus près de la vérité est encore M. Jules Lott, de Vienne, qui fixe à un millier au plus le nombre de ceux qui s’adonnent sérieusement à l’étude du Volapük.

Très intéressante cependant est l’énumération que fait le Dr  Kerckhoffs des différents essais de langues universelles tentés depuis 1617 jusqu’à nos jours. Il y en a plus de cent, dont 28 depuis que le Volapük a fait son apparition mais qui, pas plus que le Volapük lui-même, ne doivent aspirer au succès.

Depuis que M. Einstein a péremptoirement prouvé que le Volapük ne repose sur aucune base solide, que ses mots très difficiles à saisir, sont d’autant plus désagréables à entendre, et qu’en somme il ne plaît à personne, les volapükistes les plus zélés commencent à se rallier à l’admirable conception d’Esperanto, la Lingvo internacia que nous appellerons désormais tout simplement l’Internacia. C’est ainsi que le secrétaire de l’American Philosophical Society, M. Henry Phillips jr, a fait paraître la grammaire d’Esperanto en anglais (New York, Henry Holt et Company) ; et que M. le Dr  Blanchard, secrétaire général de la Société zoologique de France s’occupe aussi très sérieusement de l’étude de l’Internacia pour pouvoir en parler au grand Congrès international de zoologie qui doit se tenir à Paris le 5 août et lui réserver, dans son Rapport sur la question d’une langue scientifique internationale, la place qui revient à cette merveilleuse invention.

M. le baron de Mainow, à Saint-Pétersbourg, autrefois volapükiste, aujourd’hui Esperantiste a fait savoir à M. Einstein, que Max Müller, l’éminent philologue de l’Université d’Oxford, lui avait écrit que l’Internacia lui plaisait mieux que le Volapük, (voilà un jugement qui en vaut beaucoup d’autres) ! et que S. E. le grand-duc Konstan Konstantinowich lui avait donné l’autorisation de traduire ses ouvrages en Internacia, ce à quoi il travaille en ce moment.

Le bagage littéraire de l’Internacia va grossissant ; nous avons déjà nommé la jolie nouvelle de A. Grabowski, un des meilleurs traducteurs de l’Internacia, La neĝa blovado : la Tourmente de neige, traduit du russe de Pushkin, et sa traduction de la comédie de Gœthe : La Gefratoj : Les frère et sœur ; nous lui devrons bientôt aussi un guide de conversation international. M. L. Einstein, de son côté, prépare en ce moment une étude scientifique : La lingvo de la homo paleolita : La langue de l’homme à l’âge de pierre, traduit de l’anglais du Dr Brinton, professeur à l’Université de Pennsylvanie.

C’est à la Société de philosophie de Philadelphie que revient le mérite d’avoir mis à nu tous les défauts du Volapük et d’avoir posé les principes suivant lesquels la langue de l’avenir devra être bâtie. En même temps, elle invitait toutes les Sociétés savantes de tous les pays à se réunir en Congrès pour étudier, sous toutes ses faces, la question d’une langue universelle. Vingt Sociétés savantes ont déjà répondu à son appel, entre autres la Société zoologique de France, représentée par M. Chaper et le Dr  P. Fischer ; le Sénat de l’Université d’Édimbourg, la Royal Danish Academy of Sciences and Letters, la Société géographique de Halle, la Batavian Society de Rotterdam, etc.

Un des premiers principes d’une langue universelle est, avons-nous dit, d’être accessible à tous par sa logique et sa simplicité. L’Internacia d’Esperanto peut y prétendre.

Un exemple : Un diplômé volapükiste de M. Kerckhoffs, M. V. Stein, à Copenhague, s’est trouvé à même, sans aucune étude préparatoire et sans le secours de dictionnaire, de traduire librement une carte postale que lui avait écrite, en internacia, M. Einstein ; et, après quelques heures d’étude, il a pu lui répondre très correctement : « L’internacia estas tre bela, kaj pli bela ol volapük jes pli bela ol la lingvo itala. » Qui pourrait, si peu préparé, manier aussi aisément le Volapük ?

On peut le dire bien haut : l’internacia du Dr  Esperanto est un très grand progrès sur le Volapük ; M. Kerckhoffs finira bien par l’avouer lui-même et reconnaître l’inutilité de ses efforts à faire adopter en France le système essentiellement allemand de Herr Schleyer. Déjà le nombre de ses partisans va sans cesse diminuant, les Sociétés volapükistes se désagrègent un peu partout[1] et l’harmonie est loin de régner dans les sphères dirigeantes où l’on ne veut pas reconnaître la suprématie du Dr  Kerckhoffs. Ce que je ne comprends pas, moi qui connais M. Kerckhoffs, c’est qu’il s’obstine à vouloir rester dans cette pétaudière et s’entiche ainsi d’une chose aussi imparfaite que le Volapük ; c’est, pour moi, une énigme.

Auguste DEMONGET.

  1. M. Einstein m’écrit qu’à Nuremberg — autrefois un des centres volapükistes les plus importants — tous les membres de la Société volapükiste ont tourné casaque et ne s’occupent plus que de l’internacia !