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Voltaire (Faguet)/L’homme/I

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CHAPITRE PREMIER

ENFANCE ET JEUNESSE DE VOLTAIRE.

(1694-1718)

François-Marie Arouet naquit à Paris en 1694. Son père, François Arouet, de bonne famille poitevine, était notaire au Châtelet. Sa mère, Marguerite Daumart, appartenait à une famille de petite noblesse, également du Poitou. Il prit plus tard le nom de Voltaire, d’un petit bien qui appartenait à sa mère, disent les uns ; simplement, disent les autres, par anagramme de son nom. (Arouet l. j., c’est-à-dire Arouet le jeune, donne en effet, en prenant le j pour un i et l’u pour un v, Voltaire.

Il fit ses études chez les Jésuites du collège Louis-le-Grand, où il eut des maîtres restés célèbres par leur mérite et à cause du bien qu’il en a dit toujours : les R. P. Tellier, Tournemine, Le Jay et Porée, son professeur de rhétorique, qui lui fut toujours particulièrement cher. C’est avec le P. Porée qu’il traça le plan et qu’il commença l’exécution de sa première tragédie, Œdipe. — Déjà, du reste, il avait rimé quelques petites pièces : une élégie à sa tabatière confisquée :

Adieu, ma pauvre tabatière.
Adieu, je ne te verrai plus ;…


une ode à sainte Geneviève, composée à quinze ans (1709) :

 
 
Vous, tombeau sacré que j’honore,

Enrichi des dons de nos rois,
Et vous, bergère que j’implore,
Écoutez ma timide voix ;
Pardonnez à mon impuissance,
Si ma faible reconnaissance
Ne peut égaler vos faveurs,
Dieu même, à contenter facile.
Né tient pas l’offrande trop vile,
Que nous lui faisons de nos cœurs ;


une ode sur le Vœu de Louis XIII, composée à dix-huit ans (1712).

 
 
Viens ! la Chicane insinuante,

Le Duel armé par l’Affront,
La Révolte pâle et sanglante,
Ici ne lèvent plus le front.
Tu vis leur cohorte effrénée
De leur haleine empoisonnée
Souffler leur rage sur tes lis ;
Leurs dents, leurs flèches sont brisées,
Et sur leurs têtes écrasées,
Marche ton invincible fils.

On voit déjà dans ses premiers essais, sans compter le profond sentiment religieux que Voltaire a toujours eu quand il avait intérêt à le montrer, le goût pour les abstractions personnifiées, qui était du temps (J.-B. Rousseau) et que Voltaire a toujours gardé. C’est un des charmes de sa poésie.

Il sortit du collège en 1713, présenta son ode sur Louis XIII au concours de l’Académie française, se vit préférer l’abbé du Jarry, qui avait écrit sur le même sujet une ode où il était question de « pôles brûlants, » publia son poème avec une critique de celui de son heureux rival ; en un mot débuta dans la vie littéraire, où il devait rester, toujours militant, pendant soixante-cinq ans.

À vingt ans il alla visiter en Hollande le marquis de Châteauneuf qui y était ministre de France, eut un commencement de roman avec Mademoiselle Dunoyer, française réfugiée, à laquelle il adressa des lettres charmantes que l’on trouvera dans sa Correspondance, et revint, un peu contraint par sa famille, à Paris en 1714.

Là il entra comme clerc chez un procureur, maître Alain, qui demeurait auprès de la place Maubert. C’est dans ces lieux austères qu’il connut le joyeux et indolent Thiériot, qui resta son ami toute sa vie. — Il s’y ennuyait fort, nonobstant, et trouva le moyen d’en sortir. Séduit par ses grâces et son esprit, M. de Caumartin, intendant des finances, l’emmena au château de Saint-Ange, à trois lieues de Fontainebleau. Il y causa et il y travailla. M. de Caumartin était « du beau temps du règne de Louis XIV. » Il inspira à Voltaire le goût de ce grand roi et de ce grand règne, déclinants alors, lui raconta force anecdotes, lui fit comme un tableau complet de la brillante époque, laissa dans l’esprit du jeune homme une impression qui ne devait pas s’effacer. Après quelques mois de séjour, Voltaire revient à Paris, se lance dans le monde, fréquente chez la marquise de Mimeure, chez Ninon de Lenclos, chez le grand-prieur de Vendôme, connaît Chaulieu, le léger poète, qu’il appelle « son maître. » Chapelle, dit-il, lui est apparu en songe, et lui a parlé :

Pour chanter toujours sur la lyre
Ces vers aisés, ces vers coulants,
De la nature heureux enfants,
Où l’art ne trouve rien à dire,
« L’amour, me dit-il, et le vin
Autrefois me firent connaître
Les grâces de cet art divin ;
Puis à Chaulieu l’épicurien,
Je servis quelquefois de maître :
Il faut que Chaulieu soit le tien. »

Cependant Louis XIV était mort, et le duc d’Orléans commençait à régner avec le titre de Régent. En 1717 une pièce satirique, qui était d’un nommé Lebrun, et qu’on appela les J’ai eu, parce que chaque paragraphe commençait par les mots j’ai vu et qu’elle se terminait par ce vers : « J’ai vu ces maux et je n’ai pas vingt ans, » fut attribué à Voltaire, qui du reste était dans sa vingt-troisième année. Il fut mis à la Bastille le 17 mai 1717. Il s’y recueillit, remania sa tragédie d’Œdipe, qu’il avait commencée dès le collège, écrivit un chant du poème qui devait être plus tard la Henriade, composa sur la Bastille elle-même un poème très gai :

 
 
L’un près de moi s’approche en sycophante :

Un maintien doux, une démarche lente,
Un ton cafard, un compliment flatteur,
Cachent le fiel qui lui ronge le cœur :
« Mon fils, dit-il, la cour sait vos mérites ;
On prise fort les bons mots que vous dites.
Vos petits vers et vos galants écrits ;
Et, comme ici tout travail a son prix,

Le roi, mon fils, pléiade reconnaissance,
Veut de vos soins vous donner récompense,
Et vous accorde, en dépit des rivaux,

Un logement dans un de ses châteaux. »
 
« À moi, lui dis-je, à moi point ne s’adresse

Ce beau début. C’est me jouer d’un tour ;
Je ne suis point rimeur suivant la cour ;
Je ne connais roi, prince, ni princesse ;
Et si tout-bas je forme des souhaits,
C’est que d’iceux ne sois connu jamais :
Je les respecte ; ils sont dieux sur la terre ;
Mais ne les faut de trop près regarder.
Sage mortel doit toujours se garder
De ces gens-là qui portent le tonnerre :
Partant, vilain, retournez vers le roi ;
Dites-lui fort que je le remercie
De son logis, c’est trop d’honneur pour moi ;
Il ne me faut tant de cérémonie :
Je suis content de mon bouge, et les dieux
Dans mon taudis m’ont fait un sort tranquille ;
Mes biens sont purs, mon sommeil est facile,
J’ai le repos ; les rois n’ont rien de mieux. »
J’eus beau parler et j’eus beau m’en défendre,
Tous ces messieurs, d’un air doux et badin,
Obligeamment me prirent par la main.
« Allons, mon fils, marchons ! » Fallut me rendre
Fallut partir. Je fus bientôt conduit,
En coche clos vers le royal réduit
Que près Saint-Paul ont vu bâtir nos pères
Par Charles Cinq. Ô gens de bien, mes frères,
Que Dieu vous gard’ d’un pareil logement !
J’arrive enfin dans mon appartement.
Certain croquant avec douce manière
Du nouveau gîte exaltait les beautés,
Perfections, aises, commodités.
« Jamais Phébus, dit-il, dans sa carrière,
De ses rayons n’y porta la lumière :
Voyez ces murs de dix pieds d’épaisseur,
Vous y serez avec plus de fraîcheur. »

Puis, me faisant admirer la clôture,
Triple la porte et triple la serrure,
Grilles, verrous, barreaux de tout côté :

« C’est, me dit-il, pour votre sûreté. »
 

Ainsi gémissait Voltaire dans les chaînes du despotisme. Un matin on vint lui dire que son innocence était reconnue. Il se fit présenter par Noce au Régent, qui lui fit réparation en l’invitant à sa table :

« Je remercie Votre Altesse, dit-il, de se charger de ma nourriture, et la supplie de ne plus se charger de mon logement. »

Ne manquant pas du reste de profiter de sa mésaventure pour faire sa cour, il célébra le duc d’Orléans en vers brillants, lui dédia sa tragédie d’Œdipe, qui allait paraître, lui lut quelques chants de la future Henriade, sollicita discrètement une souscription du Régent pour cet ouvrage. Toutes ces démarches se trouvent comme résumées dans la lettre suivante qui a cela de commun avec toutes les lettres de Voltaire, qu’elle est charmante :

« Monseigneur faudra-t-il que le pauvre Voltaire ne vous ait d’autres obligations que de l’avoir corrigé par une année de Bastille ? Il se flattait que, après l’avoir mis en purgatoire, vous vous souviendriez de lui dans le temps que vous ouvrez le paradis à tout le monde. Il prend la liberté de vous demander trois grâces : la première, de souffrir qu’il ait l’honneur de vous dédier la tragédie qu’il vient de composer ; la seconde, de vouloir bien entendre quelque jour des morceaux d’un poème épique sur celui de vos aïeux auquel vous ressemblez le plus ; et la troisième, de considérer que j’ai l’honneur de vous écrire une lettre où le mot de souscription ne se trouve point. »