Voltaire (Lanson)/Avertissement

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Librairie Hachette (Les Grands Écrivains français) (p. 5-6).


AVERTISSEMENT

J’ai tâché dans ce petit ouvrage de parler de Voltaire exactement, historiquement, sans apothéose et sans caricature, sans regarder les préoccupations ni l’actualité contemporaines, en rapportant toujours l’idée ou l’expression de Voltaire aux choses de son temps.

J’ai essayé de dégager les directions principales de sa mobile pensée. On se perd, dès qu’on lit cette œuvre éparse et multiple, dans toutes sortes de contradictions, qui se résolvent en partie, si l’on a soin de dater les textes et de chercher le sens propre, relatif, précis que chaque morceau reçoit des circonstances de sa composition. Il importe de distinguer ce qui est écrit pour le public ou correspondance privée, philosophie réfléchie ou échappement d’humeur, vue générale d’ordre social ou manège occasionnel d’intérêt personnel ; il faut évaluer toutes les modifications de rédaction qui résultent de la destination de chaque ouvrage, selon qu’il répond à quelque chose ou vise quelqu’un, et de sa forme littéraire, selon que Voltaire est sérieux ou persifle, selon qu’il parle en son nom ou prend un masque qui impose un accent, des sentiments, des idées d’un certain genre. Il faut, dans les affirmations qui se contrarient, chercher ce qui est opinion de l’auteur, ou concession à l’opinion commune, et donner des valeurs différentes aux idées, selon qu’elles sont l’objet même de la discussion actuelle, ou bien seulement accessoires et entraînées par le cours du raisonnement : en ce dernier cas, Voltaire, pour limiter le champ de bataille, prend autant qu’il peut les expressions qui pourront échapper à la contestation, quitte à revenir livrer bataille sur cet autre terrain le lendemain.

Ces réductions nécessaires sont délicates à faire ; on ne saurait prendre trop de précautions ni user de trop de scrupule pour y garder la mesure et n’y pas introduire de partis pris ou de sentiments personnels. Je n’oserais me flatter d’y avoir toujours et partout réussi.

Je remercie MM. les bibliothécaires de la Bibliothèque nationale et de l’Arsenal dont la complaisance a été infinie au cours de mes études sur Voltaire en ces dernières années. Je remercie aussi M. et Mme de Salignac-Fénelon, qui m’ont très gracieusement facilité la visite de leur château de Cirey, moins fréquenté que Ferney et qui ne mériterait guère moins d’être vu : le site charmant et qui jadis parut sauvage, la galerie de Voltaire avec sa porte ornée, le théâtre avec sa petite loge et son escalier dérobé qui descend à la chambre de la belle Émilie, tout le cadre de dix ans de la vie voltairienne subsiste et donne un soutien précis à l’imagination du lecteur des lettres de Voltaire, de Mme du Châtelet et de Mme de Graffigny.