Voulez-vous demeurer belles et jeunes ?/3

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III
L’Art de plaire

Qu’est-ce que la beauté ? Qu’est-ce que la jeunesse ?

C’est l’art de plaire, l’art de faire naître l’attirance dont nous venons de parler.

L’art de plaire est fait de tout et de rien. Souvent beaucoup plus de rien que de tout. Un sourire, ou le petit doigt retroussé, et ça y est. La moitié du temps une femme plaît sans savoir pourquoi, et cela vient qu’avec un peu trop d’orgueil elle attribue à la seule perfection de son visage ou de sa taille, ou à la seule science de son élégance le pouvoir de fasciner.

En principe, pour plaire, il faut ressembler à la personne qu’on vise, j’entends par là qu’il faut se rapprocher d’elle le plus possible en adoptant ses idées et ses goûts, en se conformant à son idéal, en la flattant. Mais, en la flattant non seulement par la perpétuelle approbation à ses opinions, encore — et cela devient plus difficile à expliquer, car nous entrons dans le domaine de l’occultisme — en moulant la physionomie, lies traits du visage, l’allure, l’attitude, le geste sur les siens, à la façon de ces « médiums à incarnations », dont nous avons parlé dans notre brochure sur le Spiritisme et qui savent ou peuvent composer leurs visages à la ressemblance de celles des personnes qu’ils évoquent. Commencez par rire si l’on rit, par pleurer si l’on pleure ; le reste viendra tout seul. Regardez et taisez-vous.

Bien que nous en soyons un peu jaloux, rien ne nous plaît plus que ce qui nous ressemble. Il nous apparaît que l’univers est fait à notre image, qu’il nous a pris pour modèle ; notre orgueil s’en trouve flatté, et — le sentiment n’est pas très beau, mais il est humain, hélas ! — nous allons tout naturellement à ce qui nous flatte.

Pour plaire à une personne il faut s’entendre avec elle. Vous ne plairez jamais à quelqu’un dont vous ne partagerez pas les idées, à qui vous le ferez sentir, avec qui vous vous disputerez d’abord doucement, ensuite plus ou moins poliment. Si vous voulez déplaire à quelqu’un, vous n’avez qu’à le contredire ; il vous dira : « À la bonne heure ! j’aime qu’on me parle ainsi, j’adore que l’on soit franc avec moi » ; puis il vous tournera le dos en pensant : « Quelle brute ! il n’est pas près de me revoir ! » Si vous voulez plaire, faites donc des concessions, arrondissez les angles, ne « faites pas le malin ». Le meilleur moyen est de n’avoir pas d’opinion trop franchement prononcée, d’être modéré en tout.

J’en dirai autant de la couleur des cheveux : pourquoi les teindre ? vous êtes brune, et vous alliez plaire à un homme qui aime les brunes : pan ! vous vous teignez en blond ; êtes-vous sûre de rencontrer, tout de suite, un homme qui aime les blondes ? Et puis, cela agace : êtes-vous blonde ou brune ? À la fin on ne sait plus ! Arrangez-vous donc pour que vos cheveux soient constamment d’une teinte neutre, c’est-à-dire châtain : ainsi, si vous ne plaisez pas à ceux qui aiment les brunes, au moins ne leur déplairez-vous pas.

Quand vous parlez à la personne à qui vous voulez plaire et dont, pour l’instant, vous épousez les idées, ne manquez pas, de temps en temps, de la contredire très légèrement, afin de lui donner le plaisir et l’orgueil de vous convaincre par un raisonnement qu’elle jugera fort habile et tout à fait supérieur, et qui, pardessus le marché, lui procurera de vous une haute idée : « Eh ! eh ! pensera-t-elle naïvement, voilà une intelligence remarquable : elle se rend tout de suite à mes raisons, elle me comprend tout de suite. »

Ce n’est qu’une affaire de patience, et vous serez largement récompensé de vos peines ; car, quand vous aurez réussi à plaire, il arrivera qu’on voudra vous plaire, et, alors, ce sera celui ou celle dont vous vous serez efforcé d’imiter la personnalité qui s’efforcera, à son tour, d’imiter la vôtre ! Vous n’aurez plus besoin d’affecter des sentiments que vous ne pensez pas, vous pourrez afficher votre véritable caractère, vous n’aurez plus à surveiller vos manies, à composer votre attitude, vous les verrez se refléter dans votre partenaire ! Et cela ne fera qu’augmenter la sympathie, l’amour qu’il ou elle vous porte déjà, car il ou elle voudra vous conquérir, il mettra tout son orgueil dans la réussite de ce désir, il ne vous quittera plus, il vous accordera tout !

Si vous voulez plaire, ne vous faites pas craindre, employez la douceur, la bonté, la persuasion. Les brutaux réussissent peut-être une fois, ils ne réussissent pas deux. Frappez, on vous frappera ; embrassez, on vous embrassera. Vous ne vous intéressez pas à la santé de X… : X… ne s’intéressera pas à la vôtre. Car, remarquez-le bien, si X… s’intéresse à votre santé, c’est, le plus souvent, non pas parce qu’elle le préoccupe, mais parce que ensuite il pourra s’épancher dans votre soin, vous confier ses peines et tourments, vous raconter que, la nuit précédente, il a mal dormi, et que, la veille, sa digestion a été un peu pénible. De même, si Mme  X… dit à Mme  Z… : « Ma chère, que votre robe est jolie ! », c’est pour que Mme  Z… lui réponde : « Pas si jolie que la vôtre ! » Certains qui trouvent absolument naturel de répondre à une injure par une injure, jugent indigne d’un homme fier de répondre à une flatterie par une flatterie. Mais, c’est la vie ! c’est la politesse, c’est une pièce de ce savant édifice de conventions sociales qui distinguent les hommes des animaux, qui fait que ceux-là ne s’entre-tuent pas… trop.

Si vous n’avez pas la voix d’or de Sarah Bernhardt, que vos yeux expriment votre pensée : rendez-les doux, langoureux, languissants, profonds, souriants ; si vous n’avez pas la voix d’or, si vos yeux sont muets, que ce soit le geste qui parle : vos doigts fins se lèveront joyeusement, s’abaisseront tristement. Ne voyez-vous pas les mimes jouer une pièce entière uniquement avec les doigts ? Bref, n’oubliez pas que pour plaire, vous devez mettre en vedette votre voix, ou vos yeux, ce que vous vous savez de a charmeur ». C’est votre voix ? cultivez-la, habituez-vous à lui donner les diverses tonalités, qu’elle monte et descende les gammes, que tantôt elle épouse le découragement d’une basse, tantôt l’amour d’un ténor, tantôt la gaîté d’une clarinette. Ce sont les yeux ? devant votre armoire à glace, ouvrez-les, fermez-les, lentement, vite, allumez-les, éteignez-les.

Pour plaire, bannissez impitoyablement toute manière commune. Pas d’expressions grossières, pas de gestes équivoques. La distinction est indispensable. Surveillez-vous, répétez-vous les préceptes de savoir-vivre qu’on enseigne aux enfants : ne mettez pas les coudes sur la table, ne croisez pas les jambes l’une sur l’autre, mangez proprement. Vous vous moquez ! dites-vous, vous n’avez pas besoin de nous rappeler tout cela, nous le savons. Vous le savez peut-être, mais pardonnez-moi de vous dire que vous… l’oubliez constamment. Or, que de sympathies, que d’amours, que de mariages sont morts, ainsi, d’un rien, d’un geste « déplaisant », d’un mot regretté aussitôt qu’échappé ! Une jeune fille fort jolie fait, en mangeant, une tache sur sa robe, et cela chasse l’amour, comme le ferait une malédiction de la Kabbale. Un bas troué, un ruban dénoué, une mèche qui s’envole… En vérité, je vous le dis, il faut si peu de chose…

Pour plaire, ne suivez pas la mode. Quoi ? vous êtes blonde, le bleu vous va à ravir, et parce que le jaune est à la mode, vous allez vous habiller de jaune ? c’est-à-dire que vous allez éteindre cette charmante auréole d’or qui nimbe votre tête, vous allez écraser sa délicieuse teinte sous le voisinage du jaune criard ? C’est vous rendre indigne des présents de Dieu.

L’illustre savant Chevreul, auquel nous devons la théorie des couleurs, assignait : aux blondes à teint blanc, le bleu clair, qui est la couleur complémentaire du pâle orangé ; aux blondes à teint rose, le vert clair ; aux brunes, le rouge. Mais, est-il besoin d’être un illustre savant pour le savoir, et toute femme ne le sait-elle pas en naissant ?