Voyage à mon bureau, aller et retour/Chapitre IV

La bibliothèque libre.
◄  Chapitre III IV Chapitre V   ►


L’EXACTITUDE

Le chapitre qui précède me porte tout naturellement à vous parler de l'exactitude. S'il est utile de prendre son parapluie de crainte du mauvais temps, il est de principe aussi de ne pas arriver trop tard à son bureau, afin de ne pas manquer la signature de la feuille de présence.

Je plains les gens dénués d'exactitude. Ils ont ordinairement mille excuses toutes trouvées pour prouver qu'ils ne pouvaient pas faire autrement que d'oublier l'heure de leurs devoirs. C'est le temps qui n'a pas permis qu'ils sortissent plus tôt ; c'est une visite inattendue, ou la réception d'une lettre demandant une prompte réponse ; c'est une entorse qu'ils ont gagnée en descendant l'escalier de la maison éloignée où ils demeurent ; l'embarras des voitures dans la rue ; l'encombrement des curieux sur les trottoirs, ou bien enfin leur montre qui s'est endormie dans le gousset. Pourtant ce n'est à aucune de ces causes qu'il faut rattacher la perte d'un temps précieux maladroitement employé. Les mêmes incidents se rencontrent pour tout le monde. Il s'agit, en homme prudent, de savoir éviter les fâcheuses rencontres, et d'avoir toujours le soin de monter sa montre avant de partir pour qu'elle ne s'arrête pas en chemin. L'exactitude doit être le régulateur de notre conduite. Que serait la vie sans l'exactitude ? Le sang ne circule dans nos veines qu'en raison de la contraction régulière du ventricule du cœur, qui laisse échapper par ses valvules la quantité suffisante de sang pour animer la merveilleuse invention de l'Être suprême.

L'Homme n'est qu'une machine. C'est à l'intelligence de l'aider dans les fonctions qu'il doit remplir, en commandant au corps, pour que ce dernier obéisse. S'il est paresseux et se montre trop partisan du lit moelleux où il s'endort, l'intelligence doit lui dire hardiment : « Lève-toi ! Les oiseaux du jardin ou du voisinage ont chanté le lever de l'aurore ; les bois sont frais, et les fleurs parfumées ; jouis du bel aspect de la nature pendant les douze heures que le travail ne réclame pas de ton activité. Que ferais-tu, plongé dans le sommeil une heure de plus qu'à l'ordinaire ? Le mouvement, c'est la vie ; le sommeil, c'est la mort ! »

Que d'affaires en litige et souvent oubliées ! Que de procès perdus pour s'être levé trop tard!... L'exactitude est dans tout, et rien ne s'accomplit régulièrement en dehors de la ferme résolution de s'y soumettre. Si vous êtes sur le point de partir en voyage, ce n'est pas le jour même de votre départ qu'il faut préparer vos bagages, mais bien la veille ou l'avant-veille du jour choisi pour ce voyage. De la sorte, vous ne serez point pris en défaut.

Est-il rien de plus doux au monde que l'exactitude ? C'est elle qui procure à deux cœurs favorisés de l'amour la satisfaction de se rencontrer, à jour dit et à l'heure convenue, au rendez-vous habituel. Si l'un des deux amants arrive après l'autre, il est obligé de s'avouer coupable d'un manque d'exactitude qui l'a privé de serrer plus tôt la main chérie qui l'attendait.

Que de choses on pourrait rappeler sur l'exactitude et sur les afflictions qu'elle peut causer en se dérangeant de ses devoirs! On doit donc conclure que l'exactitude est essentielle à toutes les préoccupations de la vie, et qu'elle procure mille jouissances que les paresseux et les gens insouciants doivent avoir honte de ne pas connaître.

Un souverain de la France disait spirituellement que l'exactitude est la politesse des rois. Je crois qu'elle sera toujours la politique des hommes bien élevés, et je suis d'avis que l'exactitude devrait être celle des employés.


◄  Chapitre III IV Chapitre V   ►