Voyage aux Indes orientales et à la Chine/Livre IV/03

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Pierre-Théophile Barrois, Jean-Luc III Nyon, Jacques-François Froullé Voir et modifier les données sur Wikidata (vol. 2p. 55-79).


CHAPITRE III.

De l’Isle de Madagascar.


Je ne pourrai donner une description générale de Madagascar ; l’étendue du pays & la variété des cantons exigeroient un séjour très-long. La multitude des gouvernemens & les guerres continuelles qui existent dans ce pays, s’opposeroient d’ailleurs aux voyages & aux examens d’un observateur : je me bornerai donc à décrire ce que je me suis trouvé à portée d’apprendre & d’examiner moi-même.

Jusqu’ici nos succès n’ont pas été heureux dans cette île ; plusieurs fois nous avons abandonné nos comptoirs, & souvent nous en avons été chassés : il est même douteux que nous puissions nous y fixer d’une manière solide, parce que les habitans veulent être traités avec douceur. Les Français s’accoutumeront-ils jamais à regarder comme des hommes des êtres qui ont l’épiderme noir ? Avant de nous connoître, les Madégasses vivoient dans cette heureuse ignorance du crime ou de la vertu qui suppose l’innocence des premiers âges. Bientôt ils suivirent l’exemple d’une nation, qui selon eux, étoit descendue du Soleil[1] pour leur donner des loix ; mais ce n’est pas impunément que nous leur avons apporté nos vices. Auteurs de leur dépravation, nous en avons été les premières victimes ; ils apprirent de nous le meurtre & le brigandage dont ils se servirent ensuite contre leurs maîtres.

Nous ne connoissons de Madagascar que la côte de l’est ; les meilleurs port de cette côte sont le fort Dauphin, Tamatave, Foule pointe, l’île Saint-Marie, & le port Choiseuil dans la baye d’Antongil. La partie du ouest est très-peu fréquentée à cause de la cruauté des habitans de cette côte, & par conséquent elle est très-peu connue.

Il y a trois races d’hommes très-distinctes à Madagascar ; la première est très-noire, & a les cheveux courts & crépus : elle paroît être la seule qui soit originaire de cette île. Ceux qui forment la seconde, habitent quelques provinces de l’intérieur ; ils sont bazannés & ont les cheveux longs & plats ; on les nomme Malambous : ils sont continuellement en guerre avec les premiers ; on les estime moins à l’île de France que les autres, parce qu’ils sont moins forts pour le travail, & qu’ils sont en général très-paresseux : leurs traits ressemblent assez à ceux des Malais. La troisiéme habite les environs du fort Dauphin, & quelques parties de la côte de l’ouest ; ils descendent de quelques anciens Arabes qui s’établirent dans l’île après un naufrage : ils ont conservé la figure, de même que certaines coutumes de leurs ancêtres ; mais ils n’en ont aucune connoissance : ils disent seulement qu’ils ne sont point originaires du pays, & se regardent comme enfans de la mer, parce qu’elle a jetté leurs pères dans cette contrée. Ils écrivent la langue Madégasse en caractères Arabes, sur une espèce de mauvais papier qu’ils fabriquent eux-mêmes avec une écorce d’arbre battue qu’on appelle Foutache ; ils écrivent encore sur des feuilles de Ravénala[2], pour lors ils se servent du poinçon, à la manière des Indiens : les caractères tracés sur la feuille, n’y sont pas d’abord très-sensibles ; mais à mesure qu’elle séche, ils deviennent très-noirs. Ces hommes sont reconnus pour savans dans toute la côte ; on ne manque pas d’y recourir lorsqu’on a quelqu’inquiétude, des sacrifices à faire, ou des augures à tirer. Ils se sont attribués le droit exclusif de tuer les animaux : un Madégasse qui tueroit une poule dans leur pays, commettroit un grand crime ; & lorsqu’un Étranger y passe, s’il veut manger une volaille, il envoie chercher un habitant qui lui coupe le col. Ceux qui mangent du cochon perdent cette prérogative. Ils ont une telle horreur pour ces animaux, qu’ils ne permettent pas même qu’il en passe dans leur village.

On prétend que l’intérieur de l’île renferme une Nation blanche & naine qui vit sous terre à-peu-près comme les Hottentots ; on la dit fort laborieuse, ne fréquentant point ses voisins, faisant du jour la nuit, & de la nuit le jour, & sacrifiant tous ceux qui pénètrent dans les lieux qu’elle habite. Je n’oserai garantir son existence. J’ai vu cependant au fort Dauphin une fille âgée de trente ans, qu’on assuroit être de cette nation, du moins on l’avoit amenée pour telle à M. de Modave ; elle étoit assez blanche, & n’avoit pas plus de trois pieds & demi, mais c’étoit sans doute un phénomène particulier, car si ces êtres existoient, nous en aurions vu quelques-uns dans nos comptoirs.

L’habillement des Madégasses est une simple pagne[3], longue de trois aunes, qu’ils mettent sur leurs épaules, & dont les deux bouts tombent par-devant : les chefs en portent en soie ou en coton, garnies à leur extrémité de franges & de verroterie, ou de grains d’étain ; ils se couvrent la tête avec une calotte faite de joncs. Les femmes se ceignent les reins d’une toile bleue de trois ou quatre brasses, ce qui sait l’effet d’un jupon ; par-dessous elles portent toujours une toile blanche plus ou moins grande par propreté : elles ont aussi une espéce de corset ou demi chemise de toile bleue, qui ne descend qu’à la moitié du sein, & qui est orné par-devant de plusieurs plaques d’or ou d’argent qui servent d’agraffes. Elles portent des pendans d’oreilles, & ont aux bras des anneaux d’argent & de verroterie, & au col des chaînes d’or ou d’argent, travaillées dans le pays.

Leur nourriture à Foulepointe est le riz, qu’ils mangent avec du poisson, ou avec une poule dépecée, cuite dans l’eau ; ils mettent dans le bouillon quelques feuilles de Ravensara[4], & un peu d’eau de mer, car ils ne connoissent pas le sel. Dans l’intérieur de l’île, ils se servent de la feuille d’un arbre que nous connoissons sous le nom d’arbre de sel. Des feuilles de bananier leur servent de nappes & de plats ; on met dessus d’un côté le riz, & de l’autre la viande : pour manger le riz, ils se servent aussi d’un morceau de feuille de bananier, replié en forme de petit cornet, & versent dessus un peu de bouillon. Ils ne boivent après leur repas que de l’eau qui a bouilli dans le vase où on a fait cuire le riz, & au fond duquel il s’est formé une croûte fort épaisse ; cette précaution est très-utile dans ce pays où les eaux sont en généraal très-mauvaises & presque toutes saumâtres.

Leurs maisons sont composées d’un seul appartement dans lequel couche toute la famille, & dont la charpente est construite avec de gros piquets enfoncés en terre : les parois sont faites avec des côtes de la feuille de Ravénala jointes ensemble & liées contre des lattes de bambou ; en dedans elles sont tapissées de nattes. Le toît est couvert de feuilles de Ravénala, dont les côtes sont rapprochées les unes à côté des autres, ce qui forme une couverture très-solide : le plancher est ordinairement élevé d’un ou de deux pieds ; il est fait de fortes claies de bambou, recouvertes de nattes, excepté dans un des coins de l’appartement où est le foyer pour faire la cuisine. Ils y entretiennent continuellement du feu, même pendant la nuit, pour leur santé.

Les demeures des chefs ne sont pas mieux ornées ; la seule chose qui les distingue est une palissade qui les entoure avec un mât plus élevé que le bâtiment, & placé devant la maison auquel sont suspendues les cornes de tous les bœufs qu’on a sacrifiés dans les fêtes publiques.

Leurs meubles consistent en quelques vases de terre pour la cuisine, en bambous ou calebasses pour aller puiser de l’eau, & en petits paniers de nattes pour serrer leurs pagnes.

Leurs armes, avant qu’ils connussent les Européens, étoient la sagaye, espéce de javelot long de cinq à six pieds, ferré par les deux bouts, qu’ils lancent très-adroitement ; mais depuis que nous traitons avec eux, ils se servent de fusils, de pistolets & de sabre.

Les arts n’ont pas fait de grands progrès dans cette contrée ; les femmes du sud font des pagnes avec du coton & de la soie, & celles du nord avec les feuilles du raphia. Leurs métiers sont simples & composés seulement de quatre morceaux de bois mis en terre. On y trouve des Orfévres & des Forgerons qui font des chaînes & autres ouvrages auxquels ils ne donnent point le poli. Les soufflets dont ils se servent pour leurs forges, sont composés de deux troncs d’arbres creux, & liés ensemble ; dans le bas il y a deux tuyaux de fer, & dans l’intérieur de chaque tronc, un piston garni de raphia qui tient lieu d’étouppe : l’apprentis qui fait jouer cette machine, enfonce alternativement l’un des pistons, tandis qu’il leve l’autre. Ils ont fait toutes les piéces qui composent un fusil, mais il ne leur a pas été possible d’en percer le canon.

L’agriculture n’est pas plus avancée que les arts. On n’y voit point de jardins ni d’arbres fruitiers. Les habitans du nord ne cultivent que le riz dont ils se nourrissent ; & comme cette plante ne réussit point dans les terres méridionales, ceux du sud y suppléent par le petit Mil. Ils ne labourent point, après avoir brulé les herbes des marécages ; ils y sément leur riz au commencement des pluies. Dans plusieurs endroits ils ne se donnent même pas la peine de sémer ; ils laissent sur leur tige des épis dont le grain tombe & se reproduit.

Les Médecins y jouissent d’une grande considération ; toute leur science consiste à connoître quelques plantes aromatiques astringentes & purgatives, dont ordinairement ils font un mélange pour les boissons ou pour les bains ; mais on ne les appelle que dans les maladies graves, & après avoir épuisé les remèdes généraux & connus de tout le monde. Ces remèdes se réduisent à broyer une espéce de pois monstrueux avec un peu de chaux pour en faire un emplâtre, qu’on applique ensuite sur la partie la plus souffrante. Si la maladie devient sérieuse, ils mettent une branche d’arbre quelconque garnie de ses feuilles au-dessus de leur porte, & la ferment avec une ficelle qui forme un triangle, au moyen d’un bâton planté en terre : par ce signe, les amis sont avertis qu’ils ne peuvent point entrer comme à l’ordinaire, & que la porte n’est ouverte qu’au Médecin & aux autres personnes dont le service est utile au malade.

Le Médecin lui fait des cataplasmes & le met au régime ; quelquefois il a recours à la saignée, mais ce n’est jamais qu’à la dernière extrémité. S’il est obligé d’en venir à cette opération, il la fait à toutes les parties du corps, & particuliérement à celle qu’il croit être le siége de la douleur. Il y applique d’abord une corne de bœuf par son côté le plus large ; un petit trou qu’on a eu soin de pratiquer à l’autre extrémité, lui sert à pomper avec la bouche pour attirer le sang sur cette partie : ensuite il prend un mauvais couteau, dont la pointe est recourbée, fait plusieurs scarifications, & remet une seconde fois la corne. Si la maladie augmente, on fait des sacrifices, & l’on immole des bœufs, qui sont distribués aux voisins, après toutefois qu’on a prélevé la portion du Dieu bienfaisant, & de l’Être malfaisant : les cornes sont exposées sur une perche devant la porte de la maison. Si le malade meurt, & qu’il soit riche, on recommence les sacrifices, & l’on ne discontinue pas d’en saire jusqu’à ce qu’on ait enterré le cadavre, ce qui forme un intervalle de plusieurs jours. Pendant la nuit, on tire des coups de fusil devant la maison, pour écarter les mauvais génies ; ensuite on place le dédunt dans une bierre de bois avec ses plus beaux habits, & on l’ensevelit hors du village : on construit sur le lieu de sa sépulture une cahute, devant laquelle on place sur une perche toutes les cornes des bœufs sacrifiés à sa mort. S’il tient à quelques familles de considération qui vivent éloignées de l’endroit, comme en géneral toutes les grandes familles ont des tombeaux qui leur sont affectés, après les sacrifices, on le transporte chez ses parens en grande pompe, & les mêmes cérémonies s’y renouvellent pendant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’on le dépose dans le tombeau de ses ancêtres.

Les Madégasses n’ont à proprement parler aucune religion. Ils reconnoissent cependant deux principes, l’un bon, & l’autre mauvais, ils nomment le premier Janhar, ce qui signisie grand Dieu, tout-puissant : ils ne lui élévent point de temples, ne le représentent jamais sous des formes sensibles, & ne lui adressent point de prières, parce qu’il est bon, mais ils lui font des sacrifices.

Le second s’appelle Angat ; ils réservent toujours pour ce dernier une portion des victimes qu’ils immolent à l’autre.

Ils pensent qu’après la mort les hommes deviennent des mauvais esprits, qui quelquerois leur apparoissent & leur parlent dans leurs songes : le dogme de la métempsycose ne leur est pas connu ; cependant selon le caractère de la personne, ils croient que certaines ames passent dans le corps d’un animal ou d’une plante, & parce qu’ils virent des serpens sur le tombeau d’un ches cruel & sanguinaire qui, pour découvrir les mystères de la génération, avoit fait ouvrir le ventre à plusieurs femmes enceintes, ils crurent que son ame avoit passé dans le corps de ces reptiles. A la baye d’Antongil, on révère un Badamier qu’on dit être sorti des cendres d’un chef bienfaisant.

Quelques-uns sans avoir la moindre idée de Mahomet, se disent Musulmans, parce qu’ils trafiquent avec des Arabes qui viennent leur enlever l’argent que les français leur apportent toutes les années, en y allant acheter des esclaves, des bœufs, & deux ou trois millions de riz. Ceux-là joignent au Mahométisme les superstitions les plus extravagantes ; on les circoncit dès leur enfance ; cette cérémonie ne se fait que tous les trois ans : elle amène un grand jour de fête, dans lequel on assemble les enfans de tous les environs pour les mutiler. Le chef fait tuer plusieurs bœufs, & fournir le tok[5] : tant que les provisions durent, la fête est brillante, mais dès qu’il n’y a plus à boire, chacun retourne dans son village.

Semblables à presque tous les peuples sauvages, les habitans de Madagascar regardent les éclipses comme des présages de quelque grand malheur ; mais ils sont rassurés par l’idée qu’il ne doit tomber que sur les personnes d’une condition relevée.

A la naissance des enfans, ils tirent les augures ; & s’ils ne sont pas favorables, ils les exposent dans les bois à la merci des bêtes féroces.

On croiroit ces peuples adorateurs de la mer, par la cérémonie qu’ils font, lorsqu’ils entreprennent quelque voyage le long de la côte ; c’est une espéce de bénédiction qu’ils donnent à leur bateau : le pilote prend de l’eau de mer dans un morceau de feuille de Ravénala, puis il adresse des prières à l’élément qui va le porter ; il le conjure de ne point faire de mal à son navire, de le garantir au contraire de tous les écueils, & de le ramener promptement au port chargé de beaucoup d’esclaves : ensuite il se met dans l’eau, fait le tour de sa pirogue & l’asperge tout au tour ; après cette opération, il revient sur le bord & fait un trou dans la terre, pour y déposer le morceau de feuille de Ravénala. Les autres Noirs qui doivent faire le voyage dans le même bateau, s’asseyent tous autour, adressent des prières à la mer, mettent leur bateau à flot & s’embarquent.

On trouve à Madagascar des espéces de convulsionnaires qui passent pour sorciers ; ils entrent en fureur, & paroissent mourir dans le même instant : après plusieurs heures passées dans cet état, ils semblent sortir d’un long somme, & débitent toutes les rêveries qui leur viennent à l’idée.

Les Madégasses ont des femmes autant qu’ils en veulent ; ils les répudient quand il leur plaît, & se tiennent fort honorés, lorsqu’un Européen en jouit : elles font le travail du ménage, mais l’occupation ne les empêche pas d’être coquettes au point de passer des journées entières à se parer pour plaire à leurs amans.

Ce n’est pas par les démonstrations d’une gaieté bruyante, ni par des embrassades [ils en ignorent l’usage] que les Madègasses expriment le plaisir de revoir des parens ou des amis dont une longue absence les avoit séparés. Ils se contentent de se passer les mains l’une sur l’autre sans se les presser.

Les Madégasses ont différentes épreuves par lesquelles ils s’imaginent reconnoître la vérité. Les principales sont celles de l’eau, du Tanguin & du feu. La première consiste à jurer par le Cayman : ceux qui s’y soumettent sont obligés de traverser une rivière où ces reptiles se trouvent en grande quantité, & de rester un certain tems dans le milieu ; si les Caymans ne les attaquent point, on les tient pour innocens. Les habitans du sud ont une autre épreuve par l’eau : dans cette dernière, on attend que la mer soit extrêmement courroucée ; alors on expose le coupable sur une roche placée en dehors du fort Dauphin, & s’il est respecté par les vagues, son innocence est reconnue. Celle du feu se pratique en passant un fer rouge sur la langue ; & comme il est impossible qu’elle ne soit pas brûlée, ceux qui la subissent sont toujours regardés comme coupables.

Le Tanguin est un des poisons les plus terribles du règne végétal ; dans les cas douteux où les preuves manquent, on en fait avaler aux criminels ; mais il n’y a guères que ceux qui possédent des esclaves & des troupeau qui passent par cette épreuve. Lorsqu’un chef perd quelqu’un de ses parens, s’il connoît un particulier riche, il forme un cabar, c’est-à-dire, une assemblée ou conseil des principaux du village & des chefs des environs ; il accuse en leur présence celui dont il veut usurper le bien d’avoir empoisonné son parent, & demande qu’il prenne le Tanguin : si l’on décide qu’il le fera, le chef va l’annoncer lui-même à l’accusé. Celui-ci n’ayant point commis le crime, est très-persuadé que le poison ne l’incommodera pas ; il désigne le jour auquel il doit te prendre, fait venir ses parens des terres, & se prépare à cette épreuve, en ne mangeant rien de tout ce qui a eu vie. Au jour indiqué, on lui verse une bonne dose de Tanguin, qui le met ordinairement au tombeau : s’il meurt, il est reconnu coupable, & ses parens deviennent esclaves du chef à qui les richesses appartiennent de droit. Cependant comme le chef n’a guères en vue que de s’emparer de ses esclaves & des troupeaux, il laisse la liberté aux parens. C’est ainsi que dans un pays soumis à des loix aussi barbares, chacun est forcé de cacher ce qu’il posséde, s’il veut échapper à l’oppression des chefs : ceux-ci ne risquent point d’être esclaves, car dès qu’ils sont pris à la guerre, ils sont aussi-tôt sagayés.

L’île de Madagascar est divisée en petites souverainetés ; chaque village a son chef, qui vit comme indépendant : la royauté y est héréditaire.

Le Dian, ou chef ne peut rien entreprendre sans assembler le Conseil ; les Étrangers, & même les ennemis, peuvent y assister ; chacun y donne ses conclusions & parle à son tour suivant son rang : jamais on n’entend deux voix ensemble.

Si ce pays étoit habité par les Européens, il seroit peut-être le plus beau, le plus puissant & le plus riche de la Nature ; on y trouve des montagnes de quartz & de crystal de roche, des mines d’or, d’argent & de cuivre, des pierres précieuses, de l’ambre, & beaucoup de quadrupèdes, d’oiseaux, d’insectes & de reptiles qui nous sont très-peu connus, de même que les productions végétales dont l’humanité pourroit tirer de grands secours.

Je vais donner une idée des différentes provinces méridionales que nous connoissons, & sur lesquelles M. Bouchet[6] a fait quelques observations utiles, ainsi que sur les maladies épidémiques de ce pays.

Ces Provinces s’appellent Matalan, Manatingue, Anossie, Androué, Antecouda ou Empate, Mariasale, Fiérien, Machicores, Salame, Elaquelaque, la vallée d’Amboulle, Mandréré, Ecouda-inverse & Manatan, ou Raqui-Mouchy.

La province de Matalan est sans contredit une des meilleures de Madagascar ; elle est située sur une agréable colline, dont la croupe offre une pente douce qui se prolonge jusqu’au bord de la mer : plusieurs rivières y coulent sans effort, & contribuent à la fertilité du terrain. On y trouve des bois de haute futaie, de même qu’une grande quantité de cocotiers, d’Aréquiers, & d’autres palmiers ; le manioc, les patates, les cambards y viennent d’une grosseur prodigieuse, & les cannes à sucre y sont beaucoup plus belles que dans nos îles ; Les habitans cultivent le riz en terre sèche. Il seroit à souhaiter qu’il y eût une rade le long de cette côte, où l’on pût mettre les vaisseaux à l’abri, car c’est la partie de Madagascar la plus propre à l’établissement d’une colonie ; sa situation & le peu de marécages qu’on y trouve, annonce qu’elle est moins mal-saine que toutes celles que nous avons habitées.

Cette Province est gouvernée par vingt chefs de village dont un seul a la prépondérance dans les grandes affaires ; on les appelle Zasé-Raminie ; ils descendent tous d’une famille Arabe, qui vint s’établir dans cette contrée, & dont le chef s’appelloit Raminie : il eût plusieurs enfans ; deux se retirèrent dans la province d’Anossie, s’en rendirent les maîtres, & leurs descendans la gouvernent encore aujourd’hui. Les autres héritèrent de l’autorité de leur père, & depuis environ trois cens ans elle réside dans les mains de leurs successeurs.

Matalan nourrit environ six mille habitans, & quatre mille bêtes à cornes. Les moutons & les cabrits y sont fort rares, mais la volaille est très-abondante ; on y trouve une grande quantité de gibier, & différentes espéces de pigeons & de perroquets.

La province de Manatingue est arrosée par la rivière Ménanpanie, qui se divise en plusieurs branches. Les îlots qu’elle embrasse, fréquemment submergés par ses eaux, forment ensuite des marécages qui rendent la Province mal-saine. Ses productions moins abondantes que celle de Matalan sont cependant les mêmes. Elle nourrit environ deux mille bêtes à cornes, & trois mille habitans gouvernés par huit chefs appellés Zaphé-Raniou. Ces derniers, naturels du pays, sont presque toujours en guerre avec les Zaphé-Raminies, qu’ils regardent comme des usurpateurs étrangers ; leur caractère porté à la trahison les fait craindre de leurs voisins.

La mer brise tellement le long des côtes de Manatingue & de Matalan, que les pirogues du pays même ne peuvent mettre à terre que dans le beau tems.

La province d’Anossie, sur laquelle est bâtie le fort Dauphin, est bornée à l’est par la mer, & à l’ouest par une chaîne de montagnes. Le bord de la mer n’offre qu’un sable aride & léger, incapable de se prêter à la culture ; il ne produit que de petits arbrisseaux & un maigre pâturage. L’intérieur est infecté par les eaux stagnantes des marais : on y trouve plusieurs rivières très-poissonneuses, qui ne se débouchent qu’une sois ou deux l’année dans les grandes inondations, pour se rendre à la mer. Les gorges des montagnes sont couvertes de beaux arbres propres à la construction ; mais le pays en général est si sec, que si les habitans n’avoient pas la précaution de planter le riz dans les étangs, ils manqueroient souvent de vivres.

Cette Province renserme environ quinze mille bêtes à cornes, & c’est le pays où les cabrits & les moutons réussissent le mieux. Les oranges, les bananes, les ananas & les grenades, sont les fruits qui s’y trouvent le plus communément ; on y voit aussi quelques plants de vigne qui, sans être cultivés, donnent un très-bon raisin. Le nombre des habitans se monte à dix mille ; ils sont gouvernés par deux chefs qui portent le même nom que ceux de Matalan, parce qu’ils descendent des deux fils de Raminie. Ils partagent également le pouvoir suprême, & tous ont droit de vie & de mort sur leurs sujets.

On trouve plusieurs baies dans cette Province ; nos vaisseaux mouillent ordinairement dans celle du fort Dauphin, mais elle n’est pas la meilleure : celle de Sainte-Luce est beaucoup plus sûre ; les bateaux abordent plus facilement à terre, & les vaisseaux sont à l’abri des vents généraux dans celle des Galions.

On voit encore dans l’étang de Fauzer les ruines d’un fort que les Portugais y bâtirent en 15o6, lorsqu’ils abordèrent àMadagascar. On voit aussi des excavations considérables sur une montagne dont ils exploitèrent les mines ; les habitans assurent qu’ils en tirèrent beaucoup d’or.

La province d’Androué est arrosée par la rivière Mandar, qui ne dégorge dans la mer que deux ou trois sois l’année ; elle roule des eaux saumâtres jusqu’à plus de vingt lieues dans les terres : le pays est extrêmement plat, & presque au niveau de la mer, ce qui rend toutes ses eaux infectes ; sans un fort cordon de sable, il seroit inondé dans les orages & les grandes marées. Son terrain est aride & peu propre à la culture du riz ; les habitans cultivent du petit mil ; du maïs, des patates, du coton & du Palma christi, dont ils font de l’huile qu’ils échangent pour du riz avec leurs voisins : ils sont plus sauvages que ces derniers, & ceux-ci pour les empêcher de commercer avec nous, leur persuadent que nous n’achetons des esclaves que pour les dévorer.

Cette Province contient trois mille habitans, gouvernés par huit chefs ; elle nourrit deux mille bêtes à cornes & des troupeaux considérables de moutons & de cabrits.

Les vaisseaux ne peuvent mouiller qu’en pleine côte, où la mer est assez tranquille ; les bateaux abordent facilement à terre.

La province d’Antécouda ou d’Empate, contient six mille habitans, commandés par onze chefs ; ils sont déserteurs des Provinces adjacentes, & par conséquent toujours en guerre avec leurs voisins.

Son sol est composé d’une terre rougeâtre qui n’est propre qu’à la culture du petit mil, des patates & du maïs. On n’y trouve que de très-mauvaises eaux ; les habitans sont réduits à boire celle de pluie, qu’ils ramassent des les tems d’orage.

On y voit peu de bêtes à cornes, parce qu’elles n’y trouvent pas de quoi paître, mais les moutons & les cabrits y réussissent très-bien.

Les vaisseaux mouillent en pleine côte ; cependant ils pour roient se mettre à l’abri du cap Sainte-Marie, auprès duquel on voit sur toutes les cartes une baye qu’on nomme Baye S. Jean ; elle n’est probablement qu’un lac entouré d’un cordon fort étroit du côté de la mer, & qui se ferme lorsque les vents soufflent de la partie du sud. Les habitans assurent y avoir vue entrer un vaisseau qui n’en a jamais pu sortir.

La province de Mariafale est très-étendue ; son terrain n’est pas moins aride que celui des précédentes. On n’y cultive que du mil, du maïs, des ambrevades & des melons d’eau ; cependant on en trouve quelques parties assez bien boisées : elle est arrosée par une très-grande riviére qui se dégorge à la mer, & forme une anse où les vaisseaux peuvent mouiller, à moins que les vents de sud & de sud-est ne battent en côte.

Elle nourrit dix mille habitans gouvernés par dix chefs barbares & cruels : lorsque la Syrène se perdit, l’un d’entre eux nommé Dian-Bason, arrêta tous les malheureux qui se sauvèrent du naufrage, & ne les renvoya qu’après les avoir inhumainement dépouillés : mais quelques jours après il fut massacré par les autres, qui vouloient être de moitié dans ce brigandage.

Les bœufs, les moutons, les cabrits & les esclaves abondent dans cette contrée ; c’est de-à que les habitans du fort Dauphin tirent la plus grande partie de ceux qu’ils nous vendent.

La province de Fiéren où la baye de S. Augustin est située, n’offre qu’un terrain aride, peu boisé, surmonté de grosses roches ferrugineuses, & couvert de fatagues[7].

Elle contient environ huit mille habitans, gouvernés par sept chefs. Les Anglais fréquentent la baye de S. Augustin plus qu’aucune autre Nation. Ils y portent quelques marchandises qu’ils échangent pour des esclaves. Les moutons & les cabrits y sont à très-bon compte : le pays est arrosé par une très-grande rivière, & nourrit à-peu-près six mille bêtes à cornes.

La province des Machicores se trouve dans l’intérieur de l’île ; elle est remplie de petites montagnes couvertes de cailloux, & contient environ dix mille habitans, gouvernés par onze chefs. ils ne recueillent que le riz, qu’ils plantent dans les marécages à la suite des pluies. Les femmes élèvent des vers à soie qui leur fournissent de quoi faire des pagnes, qu’elles vendent fort chères, & qui sont très-estimées.

Cette Province nourrit à-peu-près mille bêtes à cornes ; on y trouve des carrières de différents marbres blancs, noirs & gris, de même qu’une espèce de tuf qu’on coupe en sortant de terre aussi facilement que le savon, & qui durcit à l’air.

Les habitans riches ont des Sérails gardés par des eunuques comme dans plusieurs autres Provinces : il est à présumer que cet usage qui est en horreur dans touts la partie du nord, leur est venu des Arabes, ainsi que la circoncision qu’on trouve généralement répandue dans l’île.

La province de Salame est renfermée dans de hautes montagnes, d’où s’échappent plusieurs ruisseaux qui vont fertiliser les vallées, & sur lesquelles on trouve quantité de plants de vignes : elle contient environ deux mille habitans, commandés par cinq chefs. On y trouve encore les ruines d’une maison de pierre de trente pieds de long sur vingt de large, que les gens du pays disent avoir été bâtie par des Européens qui vinrent s’établir chez eux.

La petite province Délaquelaque est située entre celles d’Anossie & d’Androué ; son terrain peu propre à la culture & couvert de roches ferrugineuses, ne laisse pas que d’être excellent pour le pâturage. Elle contient environ deux mille habitans gouvernés par quatre chefs.

La vallée d’Amboulle est une des plus belles Provinces de Madagascar, arrosée par une très-grande rivière, elle s’étend d’un côté jusqu’à Manatingue, & de l’autre elle est bornée par une chaîne de montagnes qui n’offre que trois passages. Les gorges sont couvertes de bois propres à la construction, & fertilisées par de petits ruisseaux ; cette vallée peut contenir quinze mille habitans gouvernés par douze chefs : les bêtes à cornes y deviennent plus grosses, & réussissent mieux que dans les autres Provinces.

Cet endroit dont le terrain peut se labourer, seroit propre à l’établissement d’une colonie ; elle pourroit subsister d’elle-même & devenir considérable, en y joignant la province de Manatingue. Lés Français l’ont autrefois habitée, & l’on voit encore un mur considérable de trois pieds de large, qui formoit l’enceinte de leur établissement, de même que le puits qu’ils y creusèrent. Quand les habitans eurent massacré tous les Européens, qui faisoient leur résidence au fort Dauphin, les Français de la vallée d’Amboulle périrent de misère, & furent tués par les Madégasses ; ils n’en épargnèrent que deux, l’un parce qu’il avoit épousé la fille d’un des chefs, & l’autre, parce qu’il commandoit dans un village.

On y trouve deux sources d’eaux minérales chaudes : elles ont le même degré de chaleur, le même goût & les mêmes propriétés, ce qui prouve qu’elles ont le même foyer, quoique éloignées de quatre lieues l’une de l’autre.

Les Naturels du pays leur attribuent de grandes propriétés, particulièrement pour toute sorte de douleur, on y voit encore une petite rivière qui charie de la poudre d’or, près de laquelle se trouvent les ruines d’une petite redoute, qui fût, dit-on, bâtie par les Européens.

Le petit pays de Mandrérè forme une province qui contient deux mille habitans, gouvernés par quatre chefs. Il est situé sur un empâtement de montagnes très-élève ; pendant quatre mois de l’année, il y fait assez de froid pour que l’eau soit gelée à deux pouces d’épaisseur. La terre est très-bonne, & l’on y cultive de très-bon riz, on y voit les restes d’une ancienne habitation que les Français y bâtirent en 1662.

La province d’Ecouda-Enverse est bonne & fertile, mais on la fréquente peu, parce que les habitans au nombre de trois mille, gouvernés par six chefs, sont toujours en guerre avec ceux des Matatan ou de Manatingue.

Le pays de Manatan ou Racquimouchi, forme une petite province située à la source de la rivière de Matatan ; le sol est si aride, qu’il n’y vient que des cambards & des bananiers : il renferme deux mille habitans, gouvernés par six chefs qui descendent d’un petit homme de trois pieds, & quoiqu’ils soient d’une taille ordinaire, ils ont conservé le nom de Zaphéraquimouché, qui veut dire Nain. C’est apparemment ce qui fait croire que l’île renferme une race Naine.

On trouve dans cette Province quantité de bœufs sauvages d’une espèce particulière ; ils sont très-petits, & n’ont pas de louppe comme les autres.

Après avoir donné une légère idée du sol, des productions, de la population de Madagafcar & des moyens d'y commercer. Je parlerai de la salubrité ou de l'intempérance de l'air & des maladies qui en résultent.

OBSERVATIONS
Sur les Fiévres épidémiques de l'isle de Madagafcar.

CE sont les mêmes caufes qui produifent les fièvres épidé- miques dans toute cette grande île, leur degré de malignité ne varie que relativement au plus ou moins d'aftion de ces causes réunies. La première vient fans doute de cette multitude de marais dont les eaux croupiflantes infeûées par la grande quantité d'herbes & de paille de riz qui fe pourrit annuellement, ne ceffent de fournir des exhalaifons putrides, en fécond lieu, les différens dégrés de chaleur & les vents généraux qui circulent avec plus ou moins de facilité, peuvent étendre ou resserrer ce levain morbifique.

Inftruits par une longue expérience, ces Infulaires ont appris que les endroits bas & marécageux écoient mal fains, qu'il falloit habiter les lieux élevés, & ne cultiver les marais qu'avec précaution. Aufîi voit-on dans toute l'île qu'ils bât-uTent leurs villages fur des montagnes, & que tous les chefs, & même les fimples particuliers ne travaillent prefque jamais à la culture du nz, fur-tout aux plantations , abandonnant entièrement ce-* soin dangereux à .leurs efclaves. Les trois quarts pour obvier à cet inconvénient, ne cultivent que du mil, & ne vivent que de racines ou de graines des bois qu'ils recueillent fans fe donner beaucoup de peine. Peut-être la chaleur exceffive da climat eft-elle la première caufe de cette pareffe infouciante; mais la fécondé fondée foî l'expérience, a dû néceflairement s'y joindre.

Les cruelles maladies de cette contrée n'attaquent pas seulement les hommes; prefque tout le règne " animal en eft la victime. On obferve une grande différence dans ces efpèces de fièvres, quoiqu'elles foient produites par une premièrecaufe commune, car il eft certain que Madagafcar étant fitué fous la zone torride, ton climat brûlant doit augmenter ra&on de ce levain fébril, & par conféquent occafionner & produire une fièvre plus forte & plus maligne. Les marais de cette île causent des fièvres dans toutes les faifons, fur-tout à ceux qui ne font pas faits au climat; mais le tems le plus dangereux, toit pour les habitans.foit pour les étrangers, eft depuis lepremiet Novembre jufquà la fin d'Avril : il eft sûr que pendant ces fix mois où la chaleur eft à ton dernier période, ce levain mor- bifique s'infinue dans le corps des animaux, exerce ton Bâion diffolvante, acre, putréfanguine, & change par fa nature une partie des liqueurs circulantes , en une grande quantité de

Ces humeurs acquièrent à leur tour une nouvelle acrimonie, & donnent nainance à la fièvre ou à la dyffenterie, ou enfin à la péripommonie bilieufe,.& quelquefois à ces trois maladies en même-tems. Les Naturels du pays dont la poitrine eft plus délicate que celle des Européens, font quelquefois attaqués d'une fièvre violente, dune forte dyffenterie, & d'un embarras aux poumons, qui le plus fouvent finiuent par abcéder : cette, dernière maladie eft principalement occafionnée par le mauvais régime que les Noirs obfervent lorfquils ont la fièvre, & par les drogues que les Médecins leur font prendre.

Le commerce avec les femmes contribue beaucoup à donner les fièvres ; il eft très - dangereux, parce qu'elles font toutes gâtées : d'ailleurs elles énervent par leur lubricité. Plufieurs perfonnes font mortes au deuxième accès de fièvre, après avoir paffé quelques nuits avec ces femmes.

L'ufage des viandes graffes n'y eft pas moins funefte, parce que les alimens donnent naiffance à une grande quantité d'hu- meurs bilieufes qui fe dépravent plus promptement ou plus len- tement, fuivant la quantité de liqueurs circulantes.

Cette maladie s'annonce fouvent par un violent accès de

fièvre, d'autrefois par un grand abattement des bras & des Jambes, la bouche eft mauvaife, on a peu d'appétit, un fom- meil inquiet & toujours un mal de tête exceffif. Il furvient enfuite un friffon fuivi d'une chaleur acre & féche, le pouls vite & petit pendant le friffon, s'élève dans la chaleur, qui fouvent eft très-forte , alors le mal de tête augmente , le malade fouffre & fait des efforts fuivîs d'un vomiffement débile acre, jaune & verdâtre : cette chaleur dure plufieurs heures, fouvent toute la nuit, & diminue un peu le matin ; le pouls tou- Jours fiévreux,!'eft alors un peu moins; la langue eft chargée d'un fédiment d'un jaune brun, les dents fe faliflent, l'haleine a une mauvaife odeur; la peau pour l'ordinaire eft féche, brûlante, & prend fouvent une couleur de jauniffe ; il y a quelque- fois un peu de tranfpiration, mais elle n'eft point falutaire au malade, cette fièvre redouble toujours, & communément à des heures irrégulières.


Il arrive quelquefois qu'elle fe déclare par une forte coli- que, fuivi d'un flux de ventre qui continue plufieurs jours fans autre symptômes. De petits accès de fièvre surviennent ensuite, & vont toujours en augmentant ; quelquefois ils interrompent cette évacuation bilieuse, d'autrefois le flux augmente en même-tems que la fièvre, alors la déjection acquiert de jour en jour de l'acrimonie : cette humeur vicieuse, âcre & irritante, enflamme & ulcère l'intérieur des intestins, & produit le vrai flux dyssentérique. Cette espèce de dyssentérie est d'autant plus dangéreuse, qu'elle est produite & retenue par cette humeur morbifique qui circule dans la masse des liqueurs, & qui va se mêler avec les sucs qui passent par les couloirs de l'estomac & des intestins. De semblables flux de ventre sont presque toujours mortels, pour peu que la maladie soit négligée ou mal traitée dans le principe.

De quelque manière que la fiévre se déclare, lorsqu'elle est abandonnée à elle-même ou mal traitée, elle augmente de jour en jour, les redoublemens deviennent plus longs, plus fréquens & irréguliers, quelquefois le ventre se tend. Quelques-uns éprouvent des engorgemens aux parotides & aux maxilliaires, qui ne viennent presque jamais à suppuration ; il s'ensuit un assoupissemnt & des rêves, le malade ne sent plus ses besoins, les matières abondantes qui sortent de son corps, ont une odeur très-fétide, elles sont de couleur de safran, & le plus souvent sanguinolentes : on observe aussi quelquefois de petits mouvemens convulsifs, sur-tout au visage ; alors le pouls devient de jour en jour petit, irréguliers, intermittent, la poitrine se remplit, & le malade expire.

Cette maladie n'a point de terme fixe pour le tems de la mort ou de la guérison. Dans la partie du nord, de même qu'à la côte de l'est, elle va très-souvent du quatrième au huitième jour ; dans le sud, le progrès sont moins rapides, & le plus souvent le malade ne meurt qu'après deux ou trois mois de souffrance.

M. Boucher a remis au Gouvernement un précis de la manière qu'il a toujours employée avec succès dans le traitement de ces fièvres si funestes aux Européens, je ne le rapporterai point, parce qu'il m'éloigneroit trop de mon sujet.

Je terminerai ce Chapitre en observant qu'il seroit très-avantageux pour le commerce de France que ce pays fut plus connu, plus fréquenté, parce que produisant le sucre & presque toutes les denrées qui se cultivent dans les Indes occidentales, & étant peuplé d'habitans encore sauvages, il paroit propre à former des colonies d'un nouveau genre qui, si elles étoient établies avec prudence, & sous des loix combinées sagement, pourroient procurer des avantages très-grands, & n'avoir pas les inconvénients des colonies fondées jusqu'à présent.

  1. (a) Avant que les Européens abordassent les côtes de Madagascar, les Madegasses croyoient qu’ils devoient être vaincus par les Enfans du Soleil ; quand les Français vinrent y faire des établissemens, ils les prirent pour ces mêmes Enfans du Soleil qui leur étoient annoncés, & se laissèrent subjuguer.
  2. (a) Arbre du genre du Musa, dont les feuilles & les fruits ont beaucoup de rapport avec ceux du Bananier. Voyez à l’article des Plantes. Liv. V.
  3. (a) Étoffe faite avec les feuilles du Raphia ou Mouphia, espéce de Palmier, qui m’a paru être le même que le Sagou des Moluques ; on connaît en Europe ces étoffes sous le nom d’étoffes d’Écorce d’arbre, quelques-unes surpassent par leur finesse nos plus beaux camelots.
  4. (b) Voyez sa description, à l’article des Plantes, Liv. v.
  5. (a) Boisson faite avec des cannes à sucre, & dans laquelle il entre du Bela-aye, dont les propriétés sont les mêmes que celles du Simarouba ; ils font encore une espéce d’eau-de-vie de riz très-forte & aussi claire que l’eau de roche.
  6. (a) M. Bouchet passa dans cette île en 1768, en qualité de Chirurgien-Major, lorsque M. de Modave y fut envoyé pour faire l’établissement du Fort Dauphin.
  7. (a) Espéce de liseron qui, rampant sur la terre, couvre les bords de la mer & les endroits sabloneux.