Voyage dans les provinces du nord du Portugal/02

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Seconde livraison
Le Tour du mondeVolume 3 (p. 288-303).
Seconde livraison


VOYAGE DANS LES PROVINCES DU NORD DU PORTUGAL,

PAR M. OLIVIER MERSON[1].
AVRIL ET MAI 1857. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




De Guimaraens à Porto. — Porto. — La ville et les habitants. — Mosteiro de Leça do Balio. — De Porto à Coïmbre. — Un jeune Portugais. — Le 29 mars 1809. — Les vins du Douro. — Le château de Feira. — Le Tras-os-Montes. — Ovar. — L’agriculture. — La récolte du maïs. — La Romaria. — Coïmbre. — Camoëns. — L’Université.

Ce que nous rencontrâmes en sortant de Guimaraens, en vérité je ne le pourrais dire. Au début de l’étape, la nuit durait encore, sans lune au ciel. Or, on le sait, au moment où le soleil va dorer de ses premiers rayons la crête des montagnes, la cime des grands arbres, l’éclat des étoiles pâlit et tout devient d’un noir opaque, impénétrable, silencieux. Nous nous étions mis en route précisément à cette heure sombre et triste. Un peu plus tard le jour commençait à poindre ; mais la brume était épaisse ; elle se détachait en masses humides des vallons, des coteaux, des herbes, des ajoncs, des forêts, des ruisseaux, des rivières, de partout. À droite, à gauche, nous voyions les chênes rangés sur les bords du chemin, dessinant leurs silhouettes noueuses et tourmentées sur un fond vague, sans formes, sans couleur. Les autres plans se perdaient effacés, sans contours appréciables. Au delà, il n’y avait plus qu’un nuage d’un gris bleuâtre, froid, diffus, monotone, et à mesure qu’il s’élevait pour se perdre dans l’éther, il prenait des teintes nacrées de jaune et de violet. Ainsi, pas de premier plan, et pas de perspectives, pas d’horizon non plus ; seulement les oiseaux commencèrent bientôt leurs chansons, le petit monde ailé qui vit dans l’air se prit à bourdonner ; les herbes, les ronces, les ajoncs emperlés de rosée, jetèrent des feux prismatiques : la nature était passée des langueurs de la nuit aux joies du réveil, le matin d’un beau jour de printemps.

Peu à peu cependant, les nuages de vapeurs se dispersent, l’atmosphère s’éclaircit, le voile se déchire et le soleil radieux et vainqueur illumine les grandes lignes du paysage et ses adorables détails. La route est tracée dans une contrée admirable. Tantôt elle monte ou elle descend, tantôt elle se rapproche d’une colline qu’elle contourne, tantôt elle s’éloigne d’un géant de granit, et décrit dans la plaine une figure sinueuse. Ici l’on voit des aloès, des orangers, des oliviers, et des vignes qui seront chargées à l’automne de raisins renommés ; là des chanvres ; plus loin du maïs, de l’avoine et du lin ; plus loin encore des prairies artificielles on naturelles, et des troupeaux de moutons, de chèvres, de bêtes à cornes ; ailleurs c’est un vallon fertile, ou bien un ravin, précipice au fond duquel un ruisseau invisible saute de pierres en pierres, charmant l’oreille du voyageur de son murmure souterrain. Les coteaux, les montagnes, derniers rameaux des Pyrénées cantabriques portent une épaisse toison de chênes, de noyers, de châtaigniers, d’où s’échappent par instant les notes nasillardes et plaintives de la musette d’un berger ; nous cueillons çà et là, dans une touffe d’arbousiers et de beillotes, au pied d’une roche moussue, une branche de thym, une fleur de serpolet. Nous atteignons quelques charrettes d’une physionomie barbare, dont les roues pleines, sans jantes ni rayons, tournent en grinçant avec l’essieu ; leurs conducteurs nous saluent au passage ; enfin des voyageurs nous croisent : les uns sont à cheval, les autres en liteira (litière), espèce de chaise à porteurs à deux places, conduite par deux mulets, attelés devant et derrière[2], et c’est ainsi que le voyage se poursuit sinon sans fatigues, du moins sans ennui, et que nous parvenons au gîte sans regret.

Cette course nous avait tenus environ dix-sept heures à cheval.


X

Porto est bâtie sur deux mamelons de granit, au pied desquels passe le Douro. De l’autre côté, sur la rive gauche du fleuve, s’élève Villa-Nova de Gaia (Portus Cale), devenue simple annexe de l’ancien Castrum novum. La cathédrale et l’évêché dominent la ville ; le couvent de Serra do Pilar, transformé en citadelle par D. Pedro, en 1832, protége ou menace le faubourg. Porto se lie à Villa-Nova de Gaia par un pont suspendu ; des navires chamarrés de tous les pavillons possibles encombrent le port ; de la base au faîte des collines, se dressent des rues à pic, des escaliers taillés dans le roc ; le Douro disparaît dans un fond obscur ; sur les deux bords de la rivière, des coteaux inaccessibles, en façon de coulisses, font ressortir le motif principal du tableau, et tout cela, vu à distance est d’un ensemble majestueux. Comme décor de théâtre, comme mise en scène, c’est imposant, mouvementé, grandiose.

Vue de Porto. — Dessin de Catenacci d’après une photographie de M. Seabra.

De tout ce pittoresque, cependant, de ces lignes contrastées dont le peintre s’applaudit, l’habitant aimerait, je crois, à rabattre quelque chose pour que la cité fût plus commode à parcourir. L’artiste, de son côté, ferait sans peine la concession de quelques inégalités de terrain afin que, dans ses constructions, Porto se montrât moins anglaise, moins française, c’est-à-dire un peu plus de son pays. Dans les quartiers neufs, les rues sont larges et alignées au cordeau, les places spacieuses et symétriques, et plus d’un monument porte à son frontispice des colonnes à chapiteaux corinthiens. Mais le caractère national est absent, la couleur locale effacée ; aussi, chose étrange, dans ce pays de soleil et d’azur, malgré les caprices du sol, Porto semble roide et compassée, et, pour comble, le Douro à l’étroit dans son lit, trop serré entre ses deux rives escarpées, vient ajouter à cette teinte de tristesse son cours mélancolique et morne.

Porto est avant tout une ville d’affaires[3]. Le commerce tient ses grandes assises le long du fleuve, tout proche des navires, sur le quai où sont les comptoirs, dans les rues adjacentes, et surtout dans la rua Nova dos Inglezes (rue Neuve des Anglais), où, pendant une sorte de Bourse ouverte en plein air, chacun envahit les trottoirs et la chaussée, voire, quand il pleut, les allées et jusqu’aux escaliers des maisons. Par le pont, les négociants communiquent avec Villa-Nova de Gaia où sont entreposés les fameux vins du Douro, où l’on voit aussi en travail incessant des usines de distillerie, de tannerie, de produits chimiques, de tissus de soie, etc. Les transactions s’engagent et se poursuivent avec une grande activité, mais avec une prudence sagement précautionneuse. Le négociant portuense est riche, quelquefois richissime ; cependant, facile à s’inquiéter, il y regarde de près avant de commencer une opération ; curieux de savoir quelle direction prendront ses écus et peu aventureux, ce n’est pas lui qui donnerait tête baissée dans ces tripotages de finances auxquels l’industrie et le commerce servent trop souvent de prétexte.

Rua Nova dos Inglezes (rue Neuve-des-Anglais), à Porto. — Dessin de Lancelot d’après une photographie.

La noblesse a joué autrefois à Porto un rôle considérable. Elle avait le monopole des emplois administratifs et militaires, et, sans déroger, elle faisait en même temps un peu de négoce. Son influence a beaucoup baissé. Elle tenait avec ardeur pour D. Miguel ; aussi, le régime libéral ayant prévalu, elle s’est complétement retirée de la scène politique et commerciale. Pendant les années qui suivirent la chute de la cause roi gué liste, les familles nobles restèrent éloignées de Porto ; aujourd’hui elles sont rentrées en ville, et leurs hôtels groupés dans les environs de la cathédrale, forment un quartier à part qui répond à notre faubourg Saint-Germain. Les gros bonnets de la finance ont leur faubourg Saint-Honoré auprès de Cedofeita.

La rue Vivienne n’est pas non plus sans avoir été l’objet d’un essai d’imitation sur les bords du Douro. Avec beaucoup moins de festons, de glaces, d’astragales et d’or aux devantures et sur les enseignes qu’à Paris, les magasins élégants et confortables de la ville, les bijoutiers, les marchands de nouveautés, les modistes, ont fait de la rua das Flores (rue des Fleurs) un point de réunion très-agréable pour les flâneurs et les désœuvrés. Les maisons de la rue des Fleurs datent du seizième siècle. Les changeurs ouvrent leurs caisses au largo da Feira, et quant aux marins, dont la population est nécessairement considérable, ils habitent à portée du Douro, par exemple la basse ville, la vieille ville, dans les rues sombres, étroites, à peine praticables qui avoisinent la cathédrale du côté du fleuve, et qu’il faut prendre d’assaut ; enfin sur la rive gauche, à Villa-Nova de Gaia.

Parmi les belles rues de Porto, il convient de citer la rue Neuve-Saint-Jean, la rue Saint-Antoine, la calçada dos Clerigos (chaussée des Prêtres) et la rue neuve des Anglais, fermée à l’une de ses extrémités par un rocher abrupt qui porte comme un diadème la cathédrale et les vastes bâtiments du palais épiscopal. La chaussée des Prêtres et la rue Saint-Antoine partent de la place Dom Pedro, pour gravir l’une en face de l’autre deux collines opposées. La chaussée des Prêtres conduit à la place de la Corderie où se trouve un asile pour les enfants trouvés ; elle mène aussi au passeio das Virtudes (promenade des Vertus), à l’hôpital des Carmes, à la place Charles-Albert, à la prison, à Cedofeita, au quartier Saint-Ovide et à la grande caserne de la place de la Régénération. Sur le plateau culminant de la chaussée, tout près d’un marché, on voit l’église de Notre-Dame de l’Assomption dont le clocher pittoresque, nommé torre dos Clerigos (tour des Prêtres), se pavane dans les airs servant de point de repère aux navires du large qui veulent donner dans le Douro[4].

A torre dos Clerigos (la tour des Prêtres). — Dessin de Lancelot d’après une photographie.

Le quartier de la cathédrale absorbe l’autre colline. On trouve de ce côté le théâtre Saint-Jean, la Préfecture, la promenade das Fontanhas (des Fontaines), les ruines de l’ancien séminaire, l’évêché, la cathédrale, et une portion de l’ancienne enceinte de la ville. Appuyée sur vingt-six tours carrées, haute de dix mètres, elle se développait autrefois sur trente mille pas de circonférence.

La ville ne se borne pas à ces deux montagnes subdivisées elles-mêmes en mamelons secondaires, et à la vallée qui les sépare. Elle se prolonge à l’est et au nord et se continue avec les dernières maisons de ses longs faubourgs éparpillés dans la campagne ; elle tend surtout à suivre le cours du Douro, et un jour sans doute, elle atteindra l’embouchure du fleuve pour s’annexer S. Joao da Foz.


XI

Servant de point de rencontre à la rue Saint-Antoine et à la chaussée des Prêtres, la place Dom Pedro s’allonge comme un trait d’union entre les deux collines jumelles et rivales. C’est une sorte de champ neutre que la population de tous les quartiers remplit d’un mouvement continuel.

À Porto, le mouvement de la foule n’a pas à beaucoup près le même caractère qu’à Paris où à Londres. Chez nous, il se montre alerte, gai, familier, bruyant et même assourdissant. Chez nos amis d’outre-Manche, il est plus actif encore qu’en France ; en revanche, il est triste et silencieux ; on croit voir une fourmilière d’ombres s’agiter et passer sans mot dire, sans éveiller de bruit. À Porto, il est vivant et expressif. Non pas que les allures des Portugais affectent de l’animation et de la promptitude, au contraire, les Portuenses sont dolents, leur grand parasol (chapeo do sol) à la main, ils marchent à pas posés ; mais la physionomie est ordinairement vive, le geste accentué, démonstratif, et en se joignant ou en se croisant, s’ils se saluent du bord du chapeau, c’est avec une bonhomie souriante et même gracieuse

Et puis, des paysans, des paysannes vont et viennent criant à tue-tête les oranges, les légumes, les fromages, les fruits, les fleurs qui remplissent leurs paniers de jonc, et les costumes des villageoises, aux couleurs intenses, à la coupe élégante et quelquefois inattendue, brisent heureusement la monotonie des paletots de ces messieurs de la noblesse et de la bourgeoisie. Ici, des mules conduites par un arreiro qui siffle une ronde de son village, trottent agitant autour d’elles les flocons de laine rouge, jaune, bleue, verte de leur harnais, et des vaches, par bandes, comme à Paris les ânesses, portent leur lait à domicile ; là, des officiers à la tournure suffisamment martiale, des gardes municipaux, avec leur numéro d’ordre en chiffres de cuivre sur le collet de l’habit et le sifflet passé dans une gaine, sur la poitrine, se mêlent au flot populaire ; de ce côté, des bœufs lourds et pesants traînent des charrettes étranges ; de celui-ci, des gallegos, espèces de bêtes de somme, attelés à une cadeirinha (chaise à porteurs), gravissent d’un pas rhythmé, la pente d’une rue presque perpendiculaire ; enfin l’agoadeiro (porteur d’eau), un baril enluminé sur l’épaule, un gobelet à la main, coiffé d’un chapeau à pompons, le corps serré dans une large ceinture rouge, s’annonce de loin, dominant le bruit de son cri aigre et faux : agoa fresca ! (eau fraîche !), et tout cela stimule la curiosité, soutient l’intérêt, éveille l’observation.

La configuration du sol rend l’usage des voitures difficile, aussi compte-t-on peu de carrosses à Porto ; et les femmes et les hommes du bel air vont au théâtre et rendent leurs visites en chaises à porteurs. Nos grands parents ne faisaient pas autrement. Le commissionnaire du coin de la rue, le portefaix sont de toute nécessité gallegos, parce que le plus pauvre Portugais a de la dignité à revendre et qu’il ne consentirait jamais à s’abaisser au point de faire des métiers aussi humbles.

Sur le port, les barqueiros ont des embarcations à l’usage des gens d’affaires et des promeneurs qui veulent monter ou descendre le Douro. Ils vous entourent, vous harcèlent, leur gros bonnet de laine brune à la main, en glapissant sur tous les tons de l’échelle vocale : Hum bote, excellencia, hm bote ! hum bote ! bote ! bote ! bote ! (bateau). Le jour ou nous allâmes à S. Joao da Foz, ils montrèrent même une insistance toute particulière, et pendant qu’ils nous accablaient d’Excellencia et de hum bote ! bote ! bote ! la lorgnette de Joseph fut… égarée. Le tour se fit du reste très-adroitement, en moins d’un clin d’œil ; Christoval lui-même, aux aguets, selon son habitude, n’en vit rien. Mais ce n’est là qu’un détail qui ne peut rien prouver contre l’ensemble. À Paris à Londres surtout, des industriels battent le pavé, vivant aux dépens des badauds, des oisifs, et parfois des Portugais en train de visiter la France et l’Angleterre, et cela ne veut pas signifier absolument que Londres et Paris soient des repaires de coquins et de filous.

Costumes des marchandes de poisson de Porto. — Dessin de Lefèvre fils d’après des croquis faits d’après nature.

Pour terminer par des chiffres ce croquis à vol d oiseau, je dirai que la commune de Porto, la banlieue comprise se divise en huit paroisses urbaines et quatre rurales qu’elle renferme soixante-huit mille habitants au moins, et dix-neuf mille feux au plus ; que Villa-Nova de Gaia possède une population de quarante mille âmes et près de dix mille cinq cents maisons.


XII

Parmi les monuments de Porto, lorsque le choix est fait, c’est à peine s’il en reste deux ou trois offrant un intérêt réel. Il faut dire un mot cependant de S. Martinho da Cedofeita. L’édifice n’appelle pas sans doute l’attention par son caractère architectural ; mais, après la cathédrale de Braga, c’est le monument religieux le plus ancien que possède le Portugal. Sa fondation serait due, affirment les uns, à un roi goth du nom de Reciaire ; à Théodomir, roi suève, prétendent les autres, qui l’aurait élevée en 556 sur les ruines d’une autre basilique. La version qui attribue au roi goth la construction de S. Martinho est enchâssée dans un récit légendaire dont voici la substance : Reciaire a une fille ; elle tombe malade, et le père la croyant en danger de mort expédie une ambassade en France pour aller y chercher une relique de saint Martin de Tours. En même temps il fait commencer une église. L’ambassade rapporte la précieuse relique, la jeune fille guérit et la chapelle incontinent se trouve achevée du haut en bas. Voilà pourquoi on l’appela S. Martinho da Cedofeita, ou Citò facta, bientôt faite. Du reste le temple est exigu et il a subi des réparations qui en ont profondément altéré le caractère.

Avec des tours carrées aux angles, des petites coupoles sur les toits, un style barbare un peu partout, haut perchée sur sa montagne granitique, la cathédrale a un faux air de forteresse moscovite. La première fondation de la basilique appartient au sixième siècle ; toutefois la plus grande partie des constructions actuelles ne remontent qu’au onzième siècle, ce qui doit déjà paraître très-respectable. L’intérieur est riche en ornements d’or et en marbres, sinon en tableaux ; ses proportions sont lourdes, mais imposantes et solennelles, et la voûte des trois nefs repose avec une noble gravité sur d’épaisses colonnes marmoréennes. Une inscription placée au-dessus de la maîtresse porte apprend que le monument a été restauré « non par la main d’un prélat, mais par les soins du Chapitre in sede vacante. » Le corps de saint Pantaléon, patron de la ville, est dans la cathédrale, renfermé dans un cercueil d’argent.

L’église de Lapa, qui garde le cœur de D. Pedro ; celles de S. Francisco, de Trinidade, de S. Bento, de S. Ildefonso, et dos Congregados sont assez belles, et valent un coup d’œil en passant. Quant à la résidence de l’évêque, à la caserne Saint-Ovide, au théâtre Saint-Jean, a l’hôtel de la préfecture, à la douane, à l’hôtel de ville, à la bibliothèque, à l’hôpital royal de la Miséricorde, etc., ce sont des édifices vastes, bien appropriés peut-être à leur destination, d’apparence fière et même un peu arrogante ; mais, imitations trop serviles de ce qui s’est fait en France et en Angleterre depuis un ou deux siècles, s’ils proclament l’opulence de la cité qui les a élevés, ils annoncent du même coup que le sentiment original en matière d’art est éteint sur les bords industriels et commerçants du Douro.

La Bourse de Porto. — Dessin de Catenacci d’après une photographie.

M. Smith avait des relations en ville ; ce fut pour nous une bonne fortune qui nous permit de voir le Portuense chez lui. L’habitant de Porto a un caractère qui mérite qu’on l’étudie. L’homme du Tras-os-Montes est grossier, brutal, farouche dans ses dehors ; au fond, il est brave et généreux, de mœurs pures et simples. Celui du Beira est travailleur ; celui de l’Estradamure, raffiné, et l’Algarvien, vif, intelligent et jaloux. Le Portuense est industrieux, il a l’esprit libéral ; mais il se laisse facilement dominer par un sentiment d’indépendance et de dignité personnelle qu’il pousse à l’excès et dont il subit l’influence exagérée jusque dans les détails les plus vulgaires de la vie. En affaires, négociant par vocation, il se révèle comme il a été dit plus haut, prudent, difficile, peut-être, mais sûr et loyal. Quand il s’agit de fondations pieuses et philanthropiques, charitables et humanitaires, on ne voit jamais son zèle bouder aux cordons de la bourse ; loin de là, et, par exemple, grâce à ses largesses, les cérémonies religieuses déploient à Porto un éclat, une pompe, une splendeur peu ordinaires. D’autre part, je le soupçonne sensuel, affolé de plaisirs, de fêtes, de galas, de danses et de spectacles, et en même temps légèrement superstitieux. Avec cela, homme de très-bonne compagnie et de grandes façons, il fait à l’étranger les honneurs de son logis avec beaucoup d’abandon et de courtoisie.

Maintenant, quand j’aurai dit qu’en fait d’établissements de bienfaisance, d’éducation, de répression[5], de finance, etc., etc., Porto ne laisse rien à désirer ; quand j’aurai constaté, en outre, qu’on trouve en ville au moins deux cercles de premier ordre, l’Assemblea portuense et la Feitoria ingleze (la factorerie anglaise) offrant aux voyageurs qui s’y font recevoir une hospitalité du meilleur goût, la liste des titres qui recommandent la grande cité aux sympathies des touristes aura, je crois, été épuisée.


XIII

C’est le 30 avril que nous descendîmes le Douro. C’est aussi ce jour-là que mon ami Joseph fit la fâcheuse rencontre du matelot qui lui emprunta sa lorgnette.

Au bas du Douro, nous laissâmes à droite S. Joao da Foz (en français, Saint-Jean de l’Embouchure), très-fréquenté par les baigneurs et à l’abri derrière des bastions étoffés, puis le phare de Luz[6]. L’embarcation, voilée en tartane, remonta vers le nord, suivit la côte, passa comme une flèche devant Matasanhos, et nous mit à terre à Leça da Palmeira, où les gens de qualité de Porto se réunissent pendant la saison des bains. Le bote congédié nous nous dirigeâmes vers le mosteiro (moutier) de Leça, dont la chapelle et la tour carrée, d’un aspect plus militaire que religieux, semblent déceler un architecte arabe.

Monastère de Leça do Balio. — Dessin de Catenacci d’après une photographie de M. Seabra.

L’apparence est trompeuse. La portion la plus ancienne du couvent est âgée de moins de neuf cents ans — une bagatelle — et l’église, la tour comprise, date de 1336. L’établissement, il est vrai, appartenait alors à des frères hospitaliers de Jérusalem et les institutions de l’Ordre autorisaient les religieux, soldats autant que moines, à se mettre militairement à l’abri des attaques des infidèles. Or, à cette époque, Osmin, le célèbre chef des Maures de Grenade, tenait les princes d’Espagne et de Portugal en haleine et il n’est pas surprenant que le prieur, D. Frei Estevao Vasques Pimentel, ait construit un monastère capable de résister à une attaque sinon probable, du moins possible. Le révérend père avait même prévu le cas où l’impie forçant les portes extérieures de la chapelle, les frères pussent prolonger la défense dans l’intérieur du couvent. Celui-ci, en effet, ne communiquait avec l’église que par un escalier en colimaçon très-étroit, et le sanctuaire violé et envahi, les frères pouvaient se retirer et défendre sans peine, flamberge en main, la seule issue qui donnât accès dans leur retraite.

L’œuvre de D. Frei Estevao ne nous est pas parvenue dans son état primitif. La dent du temps, la pioche des hommes, de nouvelles exigences, l’ont en bien des endroits transformée ou mutilée. Ainsi, le couvent était protégé à l’angle nord-ouest par deux fortes tours rondes dont on retrouve à peine les vestiges ; des bâtiments spacieux qui joignaient l’église, derrière la tour existante, a torre dos sinos (la tour des cloches), ont été démolis en 1844 ; enfin les arcades du cloître sont du commencement du dix-septième siècle ; la sacristie est plus moderne encore ; au fond, les celliers ne remontent pas au delà de la fin du siècle dernier.

Quoi qu’il en soit, cet édifice, ou plutôt cet amas de constructions incohérentes impressionne vivement. Face à face avec ces murs bizarres, étrangement découpés sur le bleu du ciel, l’esprit renoue toute une chaîne d’idées, d’usages et de mœurs effacés à jamais par le temps, dispersés sans retour par les révolutions, et qu’il croit retrouver énergiques et impérieux encore comme s’ils avaient franchi, sans en être altérés, les âges et les espaces. Mais l’illusion dure peu ; les fantômes disparaissent, les frères hospitaliers s’évanouissent, les soldats du calife s’envolent et nous reprenons gaiement, à pied cette fois, la route de Porto.

Avant de quitter le mosteiro de Leça nous avions fait une courte visite à l’intérieur de la chapelle. Huit solides piliers la divisent en trois nefs. Naguère on y voyait sept autels ; deux ont été supprimés. Une cuve baptismale d’un sentiment d’ornementation très-énergique est digne de remarque. Çà et là apparaissent quelques tombes, entre autres celle de D. Frei Estevao, et partout l’architecture est âpre, rigide, d’une sombre gravité, sans aucune fioriture aux clefs et aux retombées des voûtes, aux moulures des fenêtres, aux nervures des portes.

Au moment de quitter cette église dentelée de créneaux, cette abbaye à mâchicoulis, l’indigène qui nous servait de cicerone dit encore : « L’établissement, autrefois sous l’invocation du Sauveur, est placé aujourd’hui sous le patronage de Santa-Maria. Ses commencements se perdent dans les obscurités du neuvième siècle. Habité d’abord par des religieux et des religieuses il fut nommé, à cause de cela : Mosteiro dos Duplices (des doubles) ; puis il passa aux mains des bénédictins, enfin à celles des frères de l’hôpital de Saint-Jean-Baptiste de Jérusalem qui l’ont conservé jusqu’en 1834. On l’appelle Mosteiro de Leça do Balio (du Bailly), parce qu’il a été jadis la résidence des administrateurs du bailliage dont il formait une dépendance. »

Après avoir recueilli ce dernier renseignement, nous nous mettons en marche pour Porto ; nous franchissons un pont de pierre quem ja existia no tempo dos romanos (qui déjà existait du temps des Romains), assure la chronique, et nous rentrons en ville par la route de Braga.


XIV

Les comptes soldés, les paquets ficelés et bouclés, nous partons le 2 mai pour Coïmbre. Un service d’excellentes voitures avait été organisé sur une très-bonne route récemment ouverte. Nous profitons de l’occasion pour voyager, au moins un jour, vite et commodément. La malle-poste contient quatre places dans sa caisse. M. Smith et Joseph s’y installent avec un ecclésiastique ; Christoval à son tour disparaît dans les profondeurs de la voiture convenablement garnie de coussins rembourrés, et j’escalade la banquette, où je trouve pour compagnie le conducteur, le cocher et un jeune Portugais. Le conducteur donne le signal ; le cocher fait claquer son fouet et pousse un cri rauque et sauvage ; les quatre chevaux de l’attelage, — quatre vigoureux normands, s’il vous plaît, arrivés depuis un mois de France, — enlèvent la berline au galop et le jeune Portugais me demande du feu pour allumer son chaluto (cigare).

La conversation s’engage vite et se soutient sans peine avec le jeune Portugais. C’est un aimable garçon un peu bavard, mais bon enfant, sachant beaucoup, parlant de tout avec esprit, en français aussi bien qu’en portugais, et répondant aux questions qui lui sont adressées avec une rare précision, en homme sur de son fait et qui connaît les choses de son pays sur le bout du doigt. Aussi, grâce à lui, ma provision de notes est considérable ; je n’ai plus qu’à la mettre en prose.

« Voici, me dit-il, au moment où nous passions le Douro, voici un endroit qui conservera jusqu’à la consommation des siècles le souvenir du 29 mars 1809. Ce jour-là, vos soldats commandés par Soult, s’emparèrent de la ville à la suite d’un assaut terrible et malgré le feu d’une soixantaine de batteries. Les nôtres avaient fait une résistance opiniâtre et valeureuse, mais une fois rompus et mis en déroute, ils arrivèrent sur les rives du Douro et commencèrent à franchir le pont en masses ahuries et confuses. Celui-ci par une épouvantable fatalité se brisa sous la charge. Non-seulement les soldats et les citoyens qui s’y pressaient furent engloutis, mais encore une foule de fuyards qui ne pouvant rebrousser chemin et toujours pressés par derrière, se précipitaient dans le fleuve. Le désastre fut immense, le nombre des victimes prodigieux, et le passage bientôt rétabli, les derniers vaincus, des troupes de toutes armes, même avec leur artillerie, purent traverser le Douro sur un nouveau pont formé de corps humains, la plupart encore vivants et que foudroyaient des canons anglais qui prétendaient défendre la rive gauche. »

Les tièdes senteurs de la campagne, la vue des champs de lin et de maïs, des oliviers, des orangers aux pommes d’or, au feuillage luisant et métallique, firent une heureuse diversion à l’impression pénible causée par ces tristes souvenirs, et la conversation suivit un autre cours.

« Les vins, connus à l’étranger sous le nom de Porto, ne se récoltent pas dans les environs de la ville que nous venons de quitter ; ils prennent leur dénomination du nom de la barre qu’ils franchissent pour l’exportation. Les vins dits de Figueira, sont dans un cas analogue. Nous traverserons tout à l’heure, entre Aveiro et Coïmbre, la Baïrrada, contrée qui les produit. Cependant, comme ils partent de Figueira pour le Brésil où ils sont en vogue, ils adoptent le nom de leur port d’embarquement. On peut en dire autant des différents crus de l’Estramadure désignés dans le commerce sous l’étiquette uniforme de vins de Lisbonne. Quant aux vins de Porto, nous autres gens du pays, nous les appelons vins du Douro, et c’est sur le bord de ce fleuve, à vingt lieues à l’est, que l’on rencontre le terrain béni qui donne les qualités les plus estimées.

« Le vin du Douro est préparé suivant le goût du pays auquel il est destiné. Ainsi, nos plus forts consommateurs, les Anglais, qui en font la perle de leurs caves, les délices de leurs orgies, le préfèrent jeune et en barriques ; ils le mettent eux-mêmes en bouteilles, et le gardent dans leurs celliers jusqu’au temps de sa suprême bonification. Les citoyens des États-Unis, au contraire, choisissent dans nos magasins les deuxièmes qualités ; ils le veulent doux et monté en couleur. Enfin nous envoyons dans le nord de l’Europe des vins vieux, purs, transparents et aussi légers que possible. Du reste les vins du Douro sont si variés comme goût et comme couleur, que nous les distinguons (vous en faites autant pour vos différentes provenances de Bordeaux et de Bourgogne) par le nom des propriétés qui les récoltent. Le Minho ne fournit pas seulement des vins de gourmet ; il produit aussi des qualités communes, pour l’ordinaire des tables modestes : le vinho verde, l’enforcado, le bastardo… »

« Excellence, dit le conducteur, en montrant une ruine à quelque distance d’une petite ville émiettée sur la verdure, à droite de la route, voici un bien vieux château. On affirme qu’il a été bâti par les Romains.

— Oh ! oh ! c’est un extrait de naissance singulièrement embelli, s’exclama mon compagnon. Il y a des gens pour qui vieillir un monument est une nécessité. On prétend aussi qu’un architecte goth a élevé les murailles de celui-ci, ses tours, ses donjons à formes pyramidales, ses tourelles, accrochées aux angles comme des nids d’oiseaux ; mais il faut en rabattre de quelques siècles, et je tiens la construction tout bonnement pour arabe, ce qui représente après tout une antiquité suffisamment vénérable. Senhor, ajouta-t-il, c’est le château de Feira ; il est en granit, et malgré son apparence délabrée, je le garantis capable de résister longtemps encore aux insultes du temps. »


XV

J’interrogeai mon compagnon sur la province de Trasos-Montes, — c’est-à-dire au delà des monts, de l’autre côté de la serra d’Estrella.

« C’est un pays sec, peu sain, hérissé de rochers, coupé de ravins et de précipices, répondit-il, et, senhor, je ne crois pas que même pour un touriste la vue de cette partie du royaume compense les peines et les fatigues du voyage. On y rencontre, il est vrai, quelques belles plaines, quelques riches vallées où l’on cultive tant bien que mal le lin, le maïs, l’orge et le blé ; sur les coteaux inférieurs on trouve des vignes dont les produits reçoivent à Porto leur dernière manipulation ; des châtaigniers étalent sur les montagnes leur épais feuillage et leurs fruits sont une grande ressource pour les pauvres gens, qui pullulent dans la contrée ; mais en général le pays est sauvage, âpre, inculte, maussade et les habitants sont comme le pays[7].

« Quant aux villes, leur intérêt est tout historique. À Bragance, fut célébré en 1354, par l’évêque de Guarda, le mariage clandestin de D. Pedro et d’Ignez de Castro. Notre chroniqueur Fernando Lopez a laissé un récit naïf de cette cérémonie qui fit couler plus tard tant de larmes et de sang. Miranda, petite ville épiscopale, sur la frontière, a été réduite en cendres en 1762. Les Espagnols l’assiégeaient ; un vaste magasin à poudre prend feu, saute en l’air, et à la suite de cet événement, les maisons de la cité flambent toutes jusqu’à la dernière. Moucoro est affreusement bâti ; Montalegre, malgré son vieux château, Villaréal érigé en duché par le roi Diniz, Mirandella, Vimioso, Outeiro, Peso da Bogoa, sont des localités insignifiantes, et Chaves, sans le pont magnifique de dix-huit arches jeté sur la Tameja par Vespasien, disent ceux-ci, par Trajan, assurent ceux-là, mériterait à peine une mention.

« Quittant le Tras-os-Montes, vous auriez pu entrer dans le Beira par Lamégo. Les cortès de 1143 qui constituèrent légalement la nation portugaise ont fait la célébrité de Lamégo ; mais, en passant, je vous dirai que l’existence de ces cortès fameuses est sujette a controverse. Des individus au courant des plus vieux parchemins du royaume, ont étudié la question sous toutes ses faces et se prononcent, même très-nettement, pour la négative. Vous seriez aussi allé voir Pinhel, jolie petite ville, adoptée par les Anglais pour résidence d’été ; Almeida, place très-forte opposée à Ciudad-Rodrigo d’Espagne, prise, reprise, reprise encore par vos compatriotes sous le premier Empire ; Guarda, fondée en 1199 par D. Sancho, aux sources du poétique Mondégo sur un terrain élevé où le froid est très-rigoureux en hiver ; enfin Viseu, l’une des plus anciennes villes du Portugal, bâtie d’abord par des aventuriers venus de Laconie, réédifiée ensuite par Trajan. Malheureusement, vous le savez, senhor, rien ne ressemble plus à une ville neuve qu’une antique cité ! On panse les plaies, on relève les brèches, on bouche les trous, les lézardes, les crevasses, on crépit d’une couche de badigeon blanc, jaune ou rose, les cicatrices et les rides des vieux murs, et, sous ce fard renouvelé chaque année et qui finit par effacer même les moulures les plus saillantes, comment reconnaître les anciens logis des Grecs, des Goths, des Arabes, et des vainqueurs de Mahomet ? »

Pendant que le Portugais parlait ainsi, Corvo et Oliveira d’Azeimeis avaient été dépassés. Désignant l’horizon à droite de la route, mon compagnon reprit :

« Là-bas, mais trop loin pour que vous puissiez apercevoir les campaniles de ses clochers, Ovar se prélasse au soleil. C’est une ville importante… pour le Portugal : onze mille habitants environ. Écrivez sur vos tablettes, écrivez qu’épanoui au fond du grand lac de Rio d’Aveiro, son port magnifique entretient des relations suivies et fructueuses avec les régions transatlantiques. N’oubliez pas non plus de signaler ses marins comme les plus audacieux de ce pays qui en compte tant d’intrépides. Il leur en coûte cher quelquefois de braver les vents et les flots sur des navires trop légers ; mais quand vingt disparaissent, il en accourt cent pour braver des périls certains. Ce lac d’Aveiro est très-vaste ; une masse d’îles et d’îlots en percent l’azur de leurs têtes coiffées de verdure, ou chauves et couvertes seulement de sable doré. Alimenté par le Vouga, il donne la main à l’océan par la barre d’Aveiro et se prolonge au sud, en marais insalubres, jusqu’à Mira. Si c’est ici qu’on trouve des matelots sans peur et sans reproche, c’est également dans ces parages qu’on rencontre les plus jolies filles du Portugal[8]. »

La malle par continuation court à toute vitesse. Esterraja, Albergaria-Nova, Eixo où nous passons le Vouga sur un pont, Sandao, Aguada, Avelans, Anadia, Mortagoa, Mealhada sont loin déjà derrière nous. Le sol est montueux et difficile ; mais la route est bonne et sonore, les relais sont nombreux et les chevaux ne ralentissent pour ainsi dire jamais leur allure à fond de train.

« Le pays, senhor, dit mon compagnon, est d’une extrême fertilité. La terre ne demande qu’à produire, et il est infiniment regrettable qu’elle ne soit pas cultivée comme elle demande à l’être. Si nos ingénieurs perfectionnaient les systèmes d’irrigation, défectueux et incomplets en bien des points ; si nos laboureurs avaient en main de meilleurs outils aratoires, avec plus de bras dans les campagnes, plus de gros et petit bétail, plus d’ardeur au travail, moins d’esprit de routine, l’agriculture pourrait profiter des encouragements qu’elle reçoit du gouvernement et répondre aux sacrifices que la nation s’impose. Alors au lieu d’importer des grains pour notre subsistance, nous en approvisionnerions les marchés des contrées moins bien favorisées que celle-ci[9].

« Je ne parle pas des oranges, des citrons, des limas, des cédrats, des grenades, vous savez que ces beaux et excellents fruits, le charme et l’élégance de vos tables les plus opulentes, sont ici à l’état vulgaire ; les indigents s’en régalent. Nous avons aussi les variétés d’oliviers les plus appréciées. Malheureusement la récolte du fruit se fait de la manière la plus absurde et la plus barbare. Le paysan ne se donne pas la peine de monter dans l’arbre pour cueillir l’olive à la main : armé d’un gros bâton, il frappe à coups redoublés sur les branches jusqu’à ce que le fruit soit à terre. Quant aux autres espèces d’arbres, les châtaigniers, les figuiers, les pruniers, les amandiers, les cognassiers, les mûriers, les pins, les chênes-liége, etc., on les rencontre à peu près partout.

« Le maïs est l’une de nos productions les plus importantes et les plus exploitées. Si nous étions au temps de la moisson, il me serait aisé de vous faire assister à la fête que les paysans se donnent à cette occasion. Règle générale, le jour de la récolte, lorsque le maïs est coupé, chaque fermier réunit chez lui, le soir, ses connaissances et ses intimes des environs. Les femmes, assises en rang, égrènent le maïs, les hommes apportent des corbeilles vides, enlèvent celles qui sont pleines, et chacun à son tour, homme ou femme, accompagné par la guitare et le violon, chante un couplet improvisé où les absents et les absentes ne sont pas épargnés. À la sortie, si quelqu’un se croit autorisé à prendre fait et cause pour un ami ou une amie, trop vertement attaqué, les coups tombent dru comme grêle sur l’auteur du quatrain inconvenant. C’est très-amusant. Lorsqu’un homme a trouvé un épi de maïs rouge, il s’empresse de l’offrir à l’une des jeunes filles de la société qui se laisse prendre, de bonne grâce, par réciprocité de galanterie, deux gros baisers sur les joues. Après le travail, les chansons reprennent de plus belle, les danses commencent, on mange, on rit, on boit, et le matin surprend ordinairement la fête au plus fort de son animation.

« Il serait aussi à souhaiter que vous vissiez une Romaria. C’est une fête moitié religieuse, moitié profane, très-populaire, principalement dans le nord, où il n’est pas rare de voir réunies, à cette occasion, ]usqu’à vingt mille personnes des deux sexes. Inaugurée par un feu d’artifice (nos pyrotechniciens sont très-ingénieux), elle se poursuit avec des sauteries et des chansons. Vient ensuite le tour d’une messe, puis celui d’un sermon et d’une procession, et la solennité s’achève au milieu d’un tourbillon de peuple endimanché avec un redoublement de folies, de violons, de guitares, de caisse, de chansons bourrées de propos libres et peu décents, et de danses où la foffa traditionnelle s’évertue sans vergogne, laissant loin derrière elle les gestes, les cambrures et les coups de hanche de la cachucha. Dans une Romaria, si la foffa ne tient pas précisément la place d’honneur, il faut avouer cependant qu’elle en devient l’épisode le plus original ; elle la complète en effet par un de ces traits hardis et passionnés qui plaisent tant au voyageur affamé de pittoresque et de couleur locale. Pour couronner la fête, des disputes s’engagent, des volées de coups de bâton s’échangent… et tout cela dure deux jours et deux nuits.

« … Mais nos chevaux vont un train d’enfer… Bussaco et Cantanhède n’ont fait que paraître et disparaître… Nous sommes à Coïmbre. »


XVI

Nous étions descendus dans la rue Large, auprès de l’Université.

Le lendemain matin de notre arrivée (3 mai), en me penchant en dehors de la fenêtre de notre chambre, j’aperçus dans la rue quelques gamins jouant aux boules avec des oranges. En France et partout, c’est à peine si les enfants sacrifieraient des pommes à ce passe-temps, mais ici, c’est autre chose ; les fruits d’or du jardin des Hespérides ne sont pas de trop pour servir à l’amusement des petits Portugais en guenilles.

La ville, en amphithéâtre sur la rive droite du Mondégo, se divise en deux parties distinctes : la ville haute, où demeure la population fixe ; la ville basse abandonnée aux étudiants et aux professeurs. Les deux quartiers communiquent par l’escalier de Minerve, par des rues tristes, sales, mal bâties, espèces de coupe-gorges que l’on gravit des mains autant que des pieds, et par deux belles chaussées qui, commençant au pied de la ville, contournent la cité à droite et à gauche pour aboutir au plateau de l’Université. Par la rue Large on arrive à la nouvelle cathédrale, autrefois église des jésuites, édifice moderne sans valeur artistique ; au musée d’histoire naturelle où l’on voit de belles collections de géologie et de minéralogie, au laboratoire chimique, au collége Saint-Paul et à l’hôpital. À l’extrémité de la rue on trouve l’arc do Castello et l’on descend ensuite au jardin botanique.

Ce jardin est d’une grande beauté. Encadré par les couvents des bénédictins, celui des carmes, celui encore des religieuses de Sainte-Anne, par le séminaire épiscopal, l’observatoire astronomique de l’Université, par l’aqueduc qui approvisionne les quartiers élevés de la ville ; embelli de vastes terrasses, de serres monumentales, d’escaliers spacieux et commodes ; planté d’arbres superbes, de palmiers qui balancent mollement dans l’air imprégné de parfums leur feuillage en parasol ; comblé d’arbustes et de plantes, spécimens rares et charmants des flores de l’Afrique, de l’Amérique et de l’Asie, — cet établissement ferait la gloire et l’orgueil de la plus fière de nos cités de France. Et comme si toutes ces merveilles qu’il a sous l’œil, qu’il peut toucher du doigt ne devaient pas suffire au promeneur, le jardin s’ouvre en grand sur le Mondégo, dont il laisse admirer le cours calme et majestueux, et, sur la marge opposée, ourlée de sable jaune, des plaines fertiles, des coteaux zébrés de vignes et d’oliviers, les couvents de Saint-François et de Sainte-Claire, enfin une nuée d’habitations où la haute et moyenne noblesse ainsi que l’oisive bourgeoisie viennent passer les mois d’une indolente villégiature.

L’ancienne cathédrale, S. Christovan, est située à mi-côte. Les créneaux dont les murs sont hérissés, la font ressembler à un alcazar arabe plutôt qu’à un temple chrétien, et le plein cintre de ses baies, orné de moulures à relief très-ressorti, porte ce cachet de mâle solidité qui n’appartient qu’aux monuments des âges primitifs.

La façade de l’église de Santa-Cruz a été défigurée par une restauration du goût le plus déplorable. À l’intérieur, aux côtés du maître autel, se dressent deux mausolées somptueux ; ils contiennent les dépouilles d’Affonso, o conquistador (le conquérant,) et de son fils Sancho, deuxième roi de Portugal. Des stalles en bois d’un beau travail sont adossées au pourtour du chœur ; elles sont de provenance allemande, et je crois aussi que plusieurs statues de la façade ont été taillées par un ciseau tudesque.

Les cloîtres du couvent, au nombre de trois ou quatre, sont encore debout. Ce monastère occupe un vaste emplacement dans la basse ville, rue Santa-Sophia. Derrière les bâtiments s’enfoncent les allées et les pelouses sans fin d’un parc immense. C’est là, sous des ombrages sur les bords d’un étang dont les proportions sont presque celles d’un grand lac, que les religieux venaient promener leurs pieuses méditations.


XVII

Un beau pont de pierre réunit les bords du Mondégo. En arrivant sur la rive gauche, on trouve un couvent de franciscains, et plus haut, sur la colline, celui de Santa-Clara. La chapelle de ce monastère conserve un monument chargé de sculptures, entouré d’une petite balustrade d’argent ciselé, le tout dans une manière moins délicate qu’abondante. Il renferme les restes de sainte Élisabeth de Portugal. La maison de Santa-Clara avait été bâtie autrefois plus près du fleuve ; mais dans ses crues fréquentes, le Mondégo[10] déplace les nombreux bancs de sable de son lit et les rejette sur les plaines voisines. L’ancien monastère, gagné peu à peu, envahi, obstrué, enseveli, ne montre plus que la crête de ses combles et le profil de quelques corniches supérieures[11].

À peu de distance, on aperçoit la Quinta das Lagrimas (le château des larmes), où tous les cœurs tendres viennent en pèlerinage s’émouvoir et pleurer, en contemplant la fontaine des amours : l’épouse de D. Pedro Ier, Ignez de Castro, est tombée à cette place, sous le poignard d’assassins que ne purent désarmer ni la jeunesse, ni la beauté de leur victime, ni les sanglots, ni les cris de ses enfants !

« Les nymphes du Mondégo se souvinrent longtemps, les yeux en pleurs, de cette mort, et, pour que la mémoire s’en gardât éternellement, elles transformèrent en une fontaine pure les larmes qu’elles versèrent. Elles lui donnèrent un nom qui subsiste encore ; elle rappelle les amours d’Ignez, dont ses rives avaient été témoins. Voyez quelle claire fontaine arrose les fleurs ! Son eau, ce sont des larmes ; son nom, des amours ! »

Ainsi chante Luiz de Camoëns.

Après avoir lu au frontispice du poétique monument cette stance émue, penché sur les taches rougeâtres qui parsèment le marbre de la fontaine, sur les plantes aquatiques qui tremblent au fond de l’eau moirée par la brise, chacun veut retrouver le sang et les cheveux de la malheureuse Ignez, et dans le murmure du courant l’oreille croit surprendre le dernier écho des lamentations de la belle sacrifiée.

Toujours tenue en éveil, la vue n’a plus assez de regards, l’esprit assez d’admiration pour les splendeurs qui nous environnent. Des bouquets d’orangers, des châteaux, des jardins jonchent la plaine et le versant des collines ; la vigne se tord sur le coteau, le saule incline ses branches éplorées sur le ruisseau ; à nos pieds, le fleuve palpitant reflète l’azur d’un ciel incomparable, et en face, au milieu d’un horizon de feuillage, c’est Coïmbre, c’est-à-dire une montagne verdoyante et fleurie, d’où s’échappent par cent issues des cascades de rues, de couvents, d’églises, et portant au front, ainsi qu’une reine sa couronne, un monument célèbre ; et dans ce tohu-bohu indescriptible de toits, de murs, de campaniles, de clochetons, de maisons dont les vitres étincellent éclaboussées par le soleil, d’arbres et de fleurs, on voit apparaître par intervalles le faîte édenté d’une vieille muraille étayée par-ci par-là de quelques tours branlantes. C’est là tout ce qui reste de l’enceinte dont Martinho Freitas, assiégé par un prince usurpateur, ne voulut rendre les clefs que sur le tombeau du roi son maître.

En rentrant en ville par la Calçada où les étudiants et les bourgeois se réunissent le soir, M. Smith dit au jeune homme qui nous avait guidés dans notre promenade.

« Sais-tu ce qu’était ce Camoëns, dont le nom est au bas de l’inscription de la fontaine des Amours ?

Si, Excellencia, hum homem antigo (un homme ancien).

— Je m’en doutais. Et après ? »

Pas de réponse.

« Était-ce un général ?

Nao, hum homem antigo.

— Un évêque, un moine, un poëte ?

Nao, hum homem muito antigo, Excellencia ! »

Voilà tout ce qu’on put tirer de ce rustre, digne de manger de l’herbe.


XVIII

Coïmbre est la ville universitaire du Portugal. Fondée à Lisbonne en 1290 par le roi Diniz, o lavrador (le laboureur), peut-être sous l’inspiration d’un Français, Émeric d’Esbrard, l’Université fut transportée, en 1308, à Coïmbre. Elle retourna, en 1338, dans la capitale, puis, en 1537, elle fut rendue aux bords du Mondégo.

L’Université s’ouvre sur la rue Large par la Porta ferrea (porte de fer). Le dessin qui accompagne ce récit me dispense de décrire la façade du monument, et le lecteur fera lui-même la part du bon et du mauvais, du vieux et du moderne. La galerie, appelée Via latina, sert de promenoir aux élèves, et, à gauche, de vestibule à la salle où les étudiants passent leurs thèses et soutiennent leurs examens. La salle est belle, le vaisseau a de l’étendue, de l’élévation, et les portraits des princes qui dirigèrent les destinées du pays en forment la principale décoration. L’image du roi régnant est toujours placée au-dessus du siége du recteur.

Université de Coïmbre. — Dessin de Catenacci d’après une photographie de M. Seabra.

Près de là, débouchant également sur la Via latina, on trouve les classes de droit et de théologie ; celles du cours administratif sont aussi, je le crois du moins, de ce côté. Les classes de philosophie et de mathématiques ont été installées dans les bâtiments du musée, et les cours de la Faculté de médecine se font à l’hôpital. Le recteur occupe un logement dans le palais même de l’Université, où sont encore les archives, la bibliothèque, et les ateliers d’une imprimerie parfaitement outillée.

Le roi se réserve la nomination du recteur. Les professeurs sont aussi nommés par Sa Majesté, mais sur la présentation et l’avis de l’Université.

L’élève doit être âgé au moins de seize ans ; le français ou l’anglais est exigé. Il paye soixante francs au moment de son inscription, et une autre somme également de soixante francs à l’expiration des cours. Pendant l’année scolaire 1857-1858, le nombre des étudiants a été de huit cent trente-trois. En les réunissant aux cinq cent quatre-ving-trois du lycée, le total présente un ensemble de quatorze cents seize élèves. 1856-1857 n’avait fourni que treize cent onze étudiants, et l’année précédente, neuf cent quatre-vingt-dix seulement[12].

Pour assister aux cours, l’élève doit endosser la batina e capa. C’est une espèce de soutane en drap noir que les jésuites avaient donnée comme uniforme aux disciples de l’Université, et que l’on a conservée. Obligatoire autrefois pour les étudiants, alors même que les classes étaient fermées, la robe universitaire remplissait alors la ville de ses plis sombres et de tapage. Du reste, la physionomie de Coïmbre devait être extrêmement curieuse, lorsque les moines des nombreux couvents de la ville se répandaient dans les rues, et que la batina e capa envahissait bruyamment les promenades. Le bon bourgeois s’inclinait au passage des révérends pères, et faisant presque toujours mauvais ménage avec l’Université, il abandonnait le haut du pavé à cette jeunesse studieuse à l’école, mais affectant un peu trop à la ville des façons de tranche-montagne.

Des fenêtres de notre hôtel nous plongions dans l’intérieur d’une pharmacie. Le soir, la boutique était pleine de gens qui parlaient. En Portugal, il est d’usage que le boticario (pharmacien) prête son officine à ses clients désireux de causer du tiers et du quart, et là, entouré de drogues et de sirops, dans ce milieu de pilules et d’élixirs, chacun vient débiter sa petite malice, et s’amuser, quelques heures durant, aux dépens du prochain.

Olivier Merson.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Suite. — Voy. page 273.
  2. L’usage des liteiras s’est conservé dans les environs de Braga et de Guimaraens. Dans la province de l’Alemtejo, où les chemins sont impraticables aux voitures, on n’emploie jamais, pour les voyages, d’autre mode de transport. La liteira est menée par un leteirero à pied, qui tient toujours la bride du mulet de devant.
  3. En 1859, il est entré ou sorti de Porto deux mille cinquante-six navires ; la marine portugaise est représentée dans ce chiffre pour un peu moins des deux tiers. Pendant cette même année, il a été fait pour 38 197 812 fr. d’affaires à l’importation, et à l’exportation pour 44 648 504 fr. La douane a rapporté 290 000 fr. L’exportation seule des vins du Douro figure sur ce chiffre pour 17 000 fr. Les autres marchandises exportées sont les huiles, les raisins secs, les oranges, les citrons, le sumac, etc. La douane de Porto compte trois cent dix-sept employés.

    Gaia et Porto ont ensemble trois cent vingt fabriques employant quatre mille cinq cents ouvriers.

    Les entrepôts de Gaia ne contiennent pas moins de quatre-vingt mille pipes de vin. La contenance d’une pipe est à peu près égale à celle de deux barriques et demie de Bordeaux.

  4. Une inscription placée au-dessus de l’une des portes de l’église constate que les dépenses occasionnées par la construction du monument ont été en entier supportées par le clergé. C’est il cette circonstance qu’il faut attribuer la dénomination donnée au clocher.
  5. La prison de Porto est assez bien établie. Elle est située sur une colline. Les fenêtres des cachots s’ouvrent sur une cour où, les jours de fête, on dit une messe à laquelle les détenus peuvent assister sans sortir de leurs cabanons. Les autres prisons du royaume ne sont que de simples maisons, avec des grilles aux fenêtres et des verrous aux portes.
  6. Le Portugal a des phares dans les deux forts de Saint-Julien et de Bogio, à l’entrée du Tage ; sur les caps Espichel, S. Vicente, Santa-Maria et Mondego, à Peuiche, Sétubal, Luz ; aux îles Berlenguas et à Ponta-Delgada (aux Açores).

    L’entrée du Douro a la réputation d’être mauvaise. Elle est garnie de roches qui retiennent les sables et rendent la navigation dangereuse. Les Anglais avaient proposé de faire sauter ces roches, mais les habitants de Porto se refusèrent à donner leur approbation à ce projet qui devait priver leur port, en cas de guerre, de sa meilleure défense. Il paraît cependant que cette opposition a cédé, et que la passe vient de recevoir des améliorations importantes. À mer basse, elle a une profondeur de quatre mètres à quatre mètres trente centimètres ; à mer haute, de sept mètres soixante centimètres à sept mètres quatre-vingts centimètres. Le mouvement des sables la modifie chaque année, et pour s’y engager, même lorsque le temps est beau, il faut attendre le vent, la marée et le pilote.

  7. Les Portugais qui émigrent au Brésil sont, pour la plupart, du Tras-os-Montes. Quoique plus vaste, cette province est beaucoup moins peuplée que le Minho. Les documents officiels de 1859 accusent, pour le Minho, une population de 857 132 habitants ; la superficie du Minho est évaluée, par Bory Saint-Vincent, en lieues carrées, à 291 lieues 1/2. — Le Tras-os-Montes a 318 183 habitants ; superficie, 455 lieues. Le Beira compte 1 101 459 habitants ; superficie, 753 lieues. — La population de l’Estramadure est de 751 571 âmes ; superficie, 823 lieues. — L’Alemtejo renferme 307 082 habitants ; superficie, 883 lieues. — Enfin les Algarves n’ont pas plus de 152 959 habitants pour 232 lieues de superficie.

    En résumé, la population actuelle du Portugal est de 3 millions 488 386 âmes pour un territoire de 3437 lieues 1/2. En 1854, elle s’élevait à 3 499 121 âmes. Bory Saint-Vincent l’évaluait, en 1826, à 3 683 400. Il ressort de ces chiffres que la population du royaume a une tendance à diminuer. Les îles adjacentes (Açores et Madère) ont une population de 344 998 habitants ; — celle des possessions d’Afrique est de 1 054 898 habitants ; — celle des possessions d’Asie et d’Océanie, avec les États indigènes considérés comme vassaux, de 1 356 483 habitants. Au total, la population du Portugal, ses possessions d’outre-mer comprises, est de 6 244 755 habitants.

  8. Par suite de travaux importants entrepris à la barre d’Aveiro, la passe, à mer basse, offre une profondeur de cinq mètres. Le port d’Aveiro, au quinzième et au seizième siècle, était l’un des plus importants de la péninsule. Les habitants pouvaient armer, dans ce temps-là, jusqu’à soixante bâtiments pour la pêche de la morue. Cette place maritime est aujourd’hui beaucoup déchue de son ancienne prospérité.
  9. Le gouvernement a fondé six fermes-modèles, deux écoles régionales à Coïmbre et à Evora, et un institut agricole à Lisbonne. Il a aussi créé, en 1852, des concours agricoles dans tous les districts administratifs. Le gouvernement dispose également chaque année d’une somme d’argent, soit pour envoyer quelques élèves à l’étranger étudier les travaux publics et l’agriculture, soit pour faire venir en Portugal des agronomes spéciaux et pratiques.

    On estime que la production en céréales est de 86 880 000 boisseaux. Le Minho seul en produit 17 623 253. Si les autres parties du royaume offraient les mêmes résultats, la production générale serait de 231 505 195 boisseaux. En 1854, le Portugal possédait 2 420 000 individus de la race Ovine, et 13 têtes de gros bétail par 100 habitants. Le maïs exporté, en 1856, du Minho en Angleterre, a représenté la somme de 1 076 070 fr. Le Portugal renferme 913 741 têtes de la race porcine, 70 000 chevaux et 162 000 ânes ou mulets. Le nord du royaume exporte annuellement, pour l’Angleterre, 10 000 douzaines d’œufs.

  10. Le Mondégo se réunit à l’Océan à Figueira. La barre ne contient que onze pieds d’eau à mer basse ; le mouvement des sables en modifie à tout instant la passe et la profondeur.
  11. Bien qu’un certain nombre de maisons conventuelles eussent été abandonnées, faute de moines pour les habiter, on comptait encore en Portugal, en 1821, quatre cent soixante-huit monastères d’hommes et cent cinquante-quatre de femmes.
  12. L’État entretient quinze cent cinquante professeurs d’enseignement primaire des deux sexes. En 1820, le Portugal avait huit cent soixante-treize écoles subventionnées par l’État et fréquentées par vingt-neuf mille quatre cent quatre-vingt-quatre élèves. En 1833, le nombre de ces écoles montait à onze cent quatre-vingt quatorze et celui des élèves à cinquante mille six cent quarante-deux. Tous les établissements de bienfaisance ont ouvert des classes ; il y en a d’autres dont les frais sont supportés par les particuliers ; pendant l’année 1853, quarante et un mille élèves en ont suivi les leçons. Depuis lors, le nombre de ces établissements a beaucoup augmenté, ainsi que ceux auxquels l’État vient en aide. Chaque chef-lieu de district a un lycée pour l’enseignement secondaire. L’État entretient à Porto et à Lisbonne des écoles polytechniques ; à Funchal (Madère), Lisbonne et Porto, des écoles medico cirurgica ; l’école de l’armée à Mafra ; le collége militaire, l’école navale et l’institut industriel à Lisbonne.