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Voyage de Marco Polo/Livre 1/Chapitre 62

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LXII
Du pays d’Erigimul et de la ville de Singui.


Il nous faut retourner ici à la ville de Campition dont nous avons parlé un peu plus haut, afin de prendre de là notre route, pour parcourir les autres provinces qui nous restent à décrire. En partant donc de Campition et marchant du côté de l’orient par l’espace de cinq journées de chemin, on entend dans les lieux à moitié chemin des voix horribles de démons, pendant la nuit, jusqu’à ce qu’on ait atteint le royaume d’Erigimul, qui est un grand royaume sujet du Grand Khan. On trouve là des chrétiens nestoriens, des mahométans et des idolâtres. Il y a beaucoup de villes et de châteaux. De là, si l’on avance entre l’orient et le midi, on vient à la province de Cathay[1]. Il y a cependant entre le royaume de Cathay et celui de Cerguth une ville nommée Singui (Si-ning-fou), qui est tributaire du Grand Khan, dont les habitants professent aussi les trois susdites sectes. On trouve là des bœufs sauvages très beaux et grands comme des éléphants[2], ayant le poil noir et blanc de la longueur de trois paumes : Il y a de ces bœufs que l’on apprivoise et dont l’on se sert comme d’autres bêtes de charge ; d’autres, étant mis à la charrue, font en peu de temps beaucoup de travail. On recueille en cette province le plus excellent musc qui soit en tout le monde, car il y a en ce pays-là un certain bel animal de la grandeur d’une gazelle, ayant le poil épais comme le cerf et les pieds de même ; il n’a que quatre dents, deux en haut et deux en bas, qui sont longues de trois travers de doigt en dessous de ses lèvres[3]. Or il a près du nombril ; entre cuir et chair, une vessie pleine de sang, lequel sang est ce musc agréable et précieux. Les habitants sont idolâtres, adonnés à leurs sens, gras de corps et ayant un fort petit nez, et se laissant croître le poil sur les lèvres. Les femmes sont blanches et belles. Quand les hommes veulent se marier, ils cherchent plutôt la beauté que la noblesse ou la richesse ; d’où il arrive souvent qu’un grand seigneur épousera une pauvre fille, mais qui sera belle, et assignera de quoi vivre à sa mère. On trouve là beaucoup de négociants et d’artisans. Cette province peut avoir vingt-cinq journées de long et est fort fertile ; il y a une grande quantité de faisans, qui ont la queue de huit ou dix paumes de long. On y trouve aussi plusieurs autres sortes d’oiseaux d’un très beau plumage, mêlés de diverses belles couleurs.

  1. La Chine proprement dite.
  2. Le yack (Bos grunniens).
  3. Le chevrotain à musc (Moschus moschïferus).