Voyage de Marco Polo/Livre 3/Chapitre 3

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III
De quelle manière le Grand Khan envoie une armée pour s’emparer de l’île de Zipangu.


Le grand khan Koubilaï, ayant appris que l’île de Zipangu était si riche, songea aux moyens de s’en rendre le maître. C’est, pourquoi, ayant envoyé deux chefs, dont l’un s’appelait Abatan et l’autre Nonsa-chum, il leva deux grandes armées pour l’assiéger. Ces généraux, étant partis des ports de Zeiton et de Quinsai avec plusieurs vaisseaux chargés de cavalerie et d’infanterie, mirent à la voile vers l’île de Zipangu et ayant mis pied à terre, ils ravagèrent le plat pays et détruisirent tous les châteaux qui se trouvèrent à leur rencontre ; mais avant que de subjuguer l’île, il survint entre eux un fâcheux différend touchant la prééminence, ni l’un ni l’autre ne voulant céder le commandement à son compagnon, ce qui causa un obstacle dangereux au succès de leur entreprise. Car ils ne prirent qu’un seul château, lequel étant pris, ceux qui avaient été chargés de le défendre par le roi de Zipangu furent condamnés par le général à être passés par le fil de l’épée. Parmi ces misérables il s’en trouva huit qui avaient de certaines pierres attachées à leurs bras, dont l’efficace était telle, sans doute par les enchantements diaboliques, qu’il fut impossible en aucune manière de les blesser, bien moins de les tuer avec le fer, en sorte que l’on résolut de les assommer à coups de leviers[1].

  1. Marco Polo parle ici d’après ce qu’il a pu entendre dire par des soldats ayant fait partie de l’expédition. Les Orientaux, comme le remarque très justement M. Pauthier, ne sont pas seuls à croire au pouvoir des amulettes. « On pourrait citer chez nous, dit-il, des militaires qui ont cru être préservés des boulets et des balles par certains objets bénits qu’ils portaient sur eux. »