Voyage de Marco Polo/Livre 3/Chapitre 48

La bibliothèque libre.
XLVIII
D’un autre pays presque inaccessible à cause des boues et des glaces.


Il y a encore d’autres pays dans cette partie du septentrion, mais plus avant que celui dont nous venons de parler, dont l’un est plein de montagnes et produit divers animaux, comme des ermelines (hermines), diverses sortes d’erculiens (écureuils), des renards noirs et d’autres, dont les habitants tirent de fort belles pelleteries, et que les marchands y vont acheter pour apporter en nos pays ; mais les chevaux, les bœufs, les ânes, les chameaux et autres gros animaux pesants ne sauraient aller dans ces endroits-là, car c’est un pays plein de marais et d’étangs, à moins que ce soit en hiver lorsque tout est gelé. Car dans d’autres temps, quoiqu’il y ait toujours de la glace et qu’il y fasse un fort grand froid, la glace n’est cependant pas assez forte pour porter un chariot ou des bêtes pesantes, puisque les hommes ont bien de la peine à marcher sur cette terre, tant c’est fangeux et marécageux. Ce pays peut avoir vers le septentrion treize journées d’étendue, et c’est là que les habitants ont de ces animaux qui donnent ces belles pelleteries, dont ils tirent un gain considérable. Car il vient là des marchands de toutes sortes de pays pour acheter de ces pelisses, et qui en emportent tous les ans une grande quantité. Voici comment ces marchands sont introduits dans ce pays-là : ils ont des chiens accoutumés à tirer des carrosses (traîneaux) ; ces voitures n’ont pas de roues, et sont faites de bois fort léger et fort uni ; deux hommes peuvent tenir dans ces traîneaux, sans crainte de renverser dans la boue, parce qu’ils sont fort larges d’assiette. Quand il vient donc quelque marchand, il se sert d’une pareille voiture, à laquelle on attache six de ces chiens d’une certaine manière, et en quelque endroit que les conduise le conducteur, qui est assis dans le traîneau avec le marchand, ils traînent ce petit engin au travers de l’eau et de la boue, sans aucune résistance. Et comme ils ne pourraient supporter ce travail plus d’un jour, à la fin de la journée on les détache et on en reprend d’autres, y ayant dans ce pays-là beaucoup de villages qui nourrissent de ces chiens exprès pour cet usage, et de cette manière un marchand peut aller jusqu’au fond de ces pays-là. Ces traîneaux ne sauraient porter de lourds fardeaux, les chiens ne pouvant pas traîner plus que le marchand, le voiturier et un paquet de peaux. Le marchand est donc obligé de changer de pareille voiture tous les jours, jusqu’à ce qu’il soit arrivé dans les montagnes où l’on vend de ces pelisses.