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Voyage en Amérique (Chateaubriand)/Histoire naturelle

La bibliothèque libre.
Garnier frères (Œuvres complètes, tome 6p. 100-110).

HISTOIRE NATURELLE.

CASTORS.

Quand on voit pour la première fois les ouvrages des castors, on ne peut s’empêcher d’admirer celui qui enseigna à une pauvre petite bête l’art des architectes de Babylone, et qui souvent envoie l’homme, si fier de son génie, à l’école d’un insecte.

Ces étonnantes créatures ont-elles rencontré un vallon où coule un ruisseau, elles barrent ce ruisseau par une chaussée ; l’eau monte et remplit bientôt l’intervalle qui se trouve entre les deux collines : c’est dans ce réservoir que les castors bâtissent leurs habitations. Détaillons la construction de la chaussée.

Des deux flancs opposés des collines qui forment la vallée commence un rang de palissades entrelacées de branches et revêtues de mortier. Ce premier rang est fortifié d’un second rang placé à quinze pieds en arrière du premier. L’espace entre les deux palissades est comblé avec de la terre.

La levée continue de venir ainsi des deux côtés de la vallée, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une ouverture d’une vingtaine de pieds au centre ; mais à ce centre l’action du courant opérant dans toute son énergie, les ingénieurs changent de matériaux : ils renforcent le milieu de leurs substructions hydrauliques de troncs d’arbres entassés les uns sur les autres, et liés ensemble par un ciment semblable à celui des palissades. Souvent la digue entière a cent pieds de long, quinze de haut et douze de large à la base ; diminuant d’épaisseur dans une proportion mathématique à mesure qu’elle s’élève, elle n’a plus que trois pieds de surface au plan horizontal qui la termine.

Le côté de la chaussée opposé à l’eau se retire graduellement en talus ; le côté extérieur garde un parfait aplomb.

Tout est prévu : le castor sait par la hauteur de la levée combien il doit bâtir d’étages à sa maison future ; il sait qu’au delà d’un certain nombre de pieds il n’a plus d’inondation à craindre, parce que l’eau passeroit alors par-dessus la digue. En conséquence une chambre qui surmonte cette digue lui fournit une retraite dans les grandes crues ; quelquefois il pratique une écluse de sûreté dans la chaussée, écluse qu’il ouvre et ferme à son gré.

La manière dont les castors abattent les arbres est très-curieuse : ils les choisissent toujours au bord d’une rivière. Un nombre de travailleurs proportionné à l’importance de la besogne ronge incessamment les racines : on n’incise point l’arbre du côté de la terre, mais du côté de l’eau, pour qu’il tombe sur le courant. Un castor, placé à quelque distance, avertit les bûcherons par un sifflement quand il voit pencher la cime de l’arbre attaqué, afin qu’ils se mettent à l’abri de la chute. Les ouvriers trament le tronc abattu à l’aide du flottage jusqu’à leurs villes, comme les Égyptiens, pour embellir leurs métropoles, faisoient descendre sur le Nil les obélisques taillés dans les carrières d’Éléphantine.

Les palais de la Venise de la solitude, construits dans le lac artificiel, ont deux, trois, quatre et cinq étages, selon la profondeur du lac. L’édifice, bâti sur pilotis, sort des deux tiers de sa hauteur hors de l’eau : les pilotis sont au nombre de six ; ils supportent le premier plancher, fait de brins de bouleau croisés. Sur ce plancher s’élève le vestibule du monument : les murs de ce vestibule se courbent et s’arrondissent en voûte recouverte d’une glaise polie comme un stuc. Dans le plancher du portique est ménagée une trappe par laquelle les castors descendent au bain ou vont chercher les branches de tremble pour leur nourriture : ces branches sont entassées sous l’eau dans un magasin commun, entre les pilotis des diverses habitations. Le premier étage du palais est surmonté de trois autres, construits de la même manière, mais divisés en autant d’appartements qu’il y a de castors. Ceux-ci sont ordinairement au nombre de dix ou douze, partagés en trois familles : ces familles s’assemblent dans le vestibule déjà décrit et y prennent leur repas en commun : la plus grande propreté règne de toutes parts. Outre le passage du bain, il y a des issues pour les divers besoins des habitants ; chaque chambre est tapissée de jeunes branches de sapin, et l’on n’y souffre pas la plus petite ordure. Lorsque les propriétaires vont à leur maison des champs, bâtie au bord du lac et construite comme celle de la ville, personne ne prend leur place, leur appartement demeure vide jusqu’à leur retour. À la fonte des neiges, les citoyens se retirent dans les bois.

Comme il y a une écluse pour le trop-plein des eaux, il y a une route secrète pour l’évacuation de la cité : dans les châteaux gothiques un souterrain creusé sous les tours aboutissoit dans la campagne.

Il y a des infirmeries pour les malades. Et c’est un animal foible et informe qui achève tous ces travaux, qui fait tous ces calculs !

Vers le mois de juillet, les castors tiennent un conseil général : ils examinent s’il est expédient de réparer l’ancienne ville et l’ancienne chaussée, ou s’il est bon de construire une cité nouvelle et une nouvelle digue. Les vivres manquent-ils dans cet endroit, les eaux et les chasseurs ont-ils trop endommagé les ouvrages, on se décide à former un autre établissement. Juge-t-on au contraire que le premier peut subsister, on remet à neuf les vieilles demeures, et l’on s’occupe des provisions d’hiver.

Les castors ont un gouvernement régulier : des édiles sont choisis pour veiller à la police de la république. Pendant le travail commun, des sentinelles préviennent toute surprise. Si quelque citoyen refuse de porter sa part des charges publiques, on l’exile ; il est obligé de vivre honteusement seul dans un trou. Les Indiens disent que ce paresseux puni est maigre et qu’il a le dos pelé en signe d’infamie. Que sert à ces sages animaux tant d’intelligence ? L’homme laisse vivre les bêtes féroces et extermine les castors, comme il souffre les tyrans et persécute l’innocence et le génie.

La guerre n’est malheureusement point inconnue aux castors : il s’élève quelquefois entre eux des discordes civiles, indépendamment des contestations étrangères qu’ils ont avec les rats musqués. Les Indiens racontent que si un castor est surpris en maraude sur le territoire d’une tribu qui n’est pas la sienne, il est conduit devant le chef de cette tribu, et puni correctionnellement ; à la récidive, on lui coupe cette utile queue qui est à la fois sa charrette et sa truelle : il retourne ainsi mutilé chez ses amis, qui s’assemblent pour venger son injure. Quelquefois le différend est vidé par un duel entre les deux chefs des deux troupes, ou par un combat singulier de trois contre trois, de trente contre trente, comme le combat des Curiaces et des Horaces, ou des trente Bretons contre les trente Anglois. Les batailles générales sont sanglantes : les sauvages qui surviennent pour dépouiller les morts en ont souvent trouvé plus de quinze couchés au lit d’honneur. Les castors vainqueurs s’emparent de la ville des castors vaincus, et, selon les circonstances, ils y établissent une colonie ou y entretiennent une garnison.

La femelle du castor porte deux, trois, et jusqu’à quatre petits ; elle les nourrit et les instruit pendant une année. Quand la population devient trop nombreuse, les jeunes castors vont former un nouvel établissement, connue un essaim d’abeilles échappé de la ruche. Le castor vit chastement avec une seule femelle ; il est jaloux, et tue quelquefois sa femme pour cause ou soupçon d’infidélité.

La longueur moyenne du castor est de deux pieds et demi à trois pieds ; sa largeur, d’un flanc à l’autre, d’environ quatorze pouces ; il peut peser quarante-cinq livres ; sa tête ressemble à celle du rat ; ses yeux sont petits, ses oreilles courtes, nues en dedans, velues en dehors ; ses pattes de devant n’ont guère que trois pouces de long, et sont armées d’ongles creux et aigus ; ses pattes de derrière, palmées comme celles du cygne, lui servent à nager ; la queue est plate, épaisse d’un pouce, recouverte d’écailles hexagones, disposées en tuiles comme celles des poissons ; il use de cette queue en guise de truelle et de traîneau. Ses mâchoires, extrêmement fortes, se croisent ainsi que les branches des ciseaux ; chaque mâchoire est garnie de dix dents, dont deux incisives de deux pouces de longueur : c’est l’instrument avec lequel le castor coupe les arbres, équarrit leurs troncs, arrache leur écorce et broie les bois tendres dont il se nourrit.

L’animal est noir, rarement blanc ou brun ; il a deux poils, le premier long, creux et luisant ; le second, espèce de duvet qui pousse sous le premier, est le seul employé dans le feutre. Le castor vit vingt ans. La femelle est plus grosse que le mâle, et son poil est plus grisâtre sous le ventre. Il n’est pas vrai que le castor se mutile lorsqu’il tombe vivant entre les mains des chasseurs, afin de soustraire sa postérité à l’esclavage. Il faut chercher une autre étymologie à son nom.

La chair des castors ne vaut rien, de quelque manière qu’on l’apprête. Les sauvages la conservent cependant après l’avoir fait boucaner à la fumée : ils la mangent lorsque les vivres viennent à leur manquer.

La peau du castor est fine sans être chaude ; aussi la chasse du castor n’avoit autrefois aucun renom chez les Indiens : celle de l’ours, où ils trouvoient avantage et péril, étoit la plus honorable. On se contentoit de tuer quelques castors pour en porter la dépouille comme parure, mais on n’immoloit pas des peuplades entières. Le prix que les Européens ont mis à cette dépouille a seul amené dans le Canada l’extermination de ces quadrupèdes, qui tenoient par leur instinct le premier rang chez les animaux. Il faut cheminer très-loin vers la baie d’Hudson pour trouver maintenant des castors ; encore ne montrent-ils plus la même industrie, parce que le climat est trop froid : diminués en nombre, ils ont baissé en intelligence, et ne développent plus les facultés qui naissent de l’association[1].

Ces républiques comptoient autrefois cent et cent cinquante citoyens ; quelques-unes étoient encore plus populeuses. On voyoit auprès de Québec un étang formé par des castors, qui suffisoit à l’usage d’un moulin à scie. Les réservoirs de ces amphibies étoient souvent utiles, en fournissant de l’eau aux pirogues qui remontoient les rivières pendant l’été. Des castors faisoient ainsi pour des sauvages, dans la Nouvelle-France, ce qu’un esprit ingénieux, un grand roi et un grand ministre ont fait dans l’ancienne pour des hommes policés.

OURS.

Les ours sont de trois espèces en Amérique : l’ours brun ou jaune, l’ours noir et l’ours blanc. L’ours brun est petit et frugivore ; il grimpe aux arbres.

L’ours noir est plus grand ; il se nourrit de chair, de poisson et de fruits ; il pêche avec une singulière adresse. Assis au bord d’une rivière, de sa patte droite il saisit dans l’eau le poisson qu’il voit passer, et le jette sur le bord. Si, après avoir assouvi sa faim, il lui reste quelque chose de son repas, il le cache. Il dort une partie de l’hiver dans les tanières ou dans les arbres creux où il se retire. Lorsqu’aux premiers jours de mars il sort de son engourdissement, son premier soin est de se purger avec des simples.

Il vivoit de régime et mangeoit à ses heures.

L’ours blanc ou l’ours marin fréquente les côtes de l’Amérique septentrionale, depuis les parages de Terre-Neuve jusqu’au fond de la baie de Baffin, gardien féroce de ces déserts glacés.

CERF.

Le cerf du Canada est une espèce de renne que l’on peut apprivoiser. Sa femelle, qui n’a point de bois, est charmante ; et si elle avoit les oreilles plus courtes, elle ressembleroit assez bien à une légère jument angloise.

ORIGNAL.

L’orignal a le muffle du chameau, le bois plat du daim, les jambes du cerf. Son poil est mêlé de gris, de blanc, de rouge et de noir ; sa course est rapide.

Selon les sauvages, les orignaux ont un roi surnommé le grand orignal ; ses sujets lui rendent toutes sortes de devoirs. Ce grand orignal a les jambes si hautes, que huit pieds de neige ne l’embarrassent point du tout. Sa peau est invulnérable ; il a un bras qui lui sort de l’épaule, et dont il use de la même manière que les hommes se servent de leurs bras.

Les jongleurs prétendent que l’orignal a dans le cœur un petit os qui, réduit en poudre, apaise les douleurs de l’enfantement ; ils disent aussi que la corne du pied gauche de ce quadrupède appliquée sur le cœur des épileptiques les guérit radicalement. L’orignal, ajoutent-ils, est lui-même sujet à l’épilepsie ; lorsqu’il sent approcher l’attaque il se tire du sang de l’oreille gauche avec la corne de son pied gauche, et se trouve soulagé.

BISON.

Le bison porte basses ses cornes noires et courtes ; il a une longue barbe de crin ; un toupet pareil pend échevelé entre ses deux cornes jusque sur ses yeux. Son poitrail est large, sa croupe effilée, sa queue épaisse et courte ; ses jambes sont grosses et tournées en dehors ; une bosse d’un poil roussâtre et long s’élève sur ses épaules comme la première bosse du dromadaire. Le reste de son corps est couvert d’une laine noire, que les Indiennes filent pour en faire des sacs à blé et des couvertures. Cet animal a l’air féroce, et il est fort doux.

Il y a des variétés dans les bisons, ou, si l’on veut, dans les buffaloes, mot espagnol anglicisé. Les plus grands sont ceux que l’on rencontre entre le Missouri et le Mississipi ; ils approchent de la taille d’un moyen éléphant. Ils tiennent du lion par la crinière, du chameau par la bosse, de l’hippopotame ou du rhinocéros par la queue et la peau de l’arrière-train, du taureau par les cornes et par les jambes.

Dans cette espèce, le nombre des femelles surpasse de beaucoup celui des mâles. Le taureau fait sa cour à la génisse en galopant en rond autour d’elle. Immobile au milieu du cercle, elle mugit doucement. Les sauvages imitent dans leurs jeux propitiatoires ce manège, qu’ils appellent la danse du bison.

Le bison a des temps irréguliers de migration : on ne sait trop où il va ; mais il paroît qu’il remonte beaucoup au nord en été, puisqu’on le retrouve aux bords du lac de l’Esclave, et qu’on l’a rencontré jusque dans les îles de la mer Polaire. Peut-être aussi gagne-t-il les vallées des montagnes Rocheuses à l’ouest et les plaines du Nouveau Mexique au midi. Les bisons sont si nombreux dans les steppes verdoyants du Missouri, que quand ils émigrent leur troupe met quelquefois plusieurs jours à défiler comme une immense armée : on entend leur marche à plusieurs milles de distance, et l’on sent trembler la terre.

Les Indiens tannent supérieurement la peau du bison avec l’écorce du bouleau : l’os de l’épaule de la bête tuée leur sert de grattoir.

La viande du bison, coupée en tranches larges et minces, séchée au soleil ou à la fumée, est très-savoureuse ; elle se conserve plusieurs années, comme du jambon : les bosses et les langues des vaches sont les parties les plus friandes à manger fraîches. La fiente du bison brûlée donne une braise ardente, elle est d’une grande ressource dans les savanes, où l’on manque de bois. Cet utile animal fournit à la fois les aliments et le feu du festin. Les Sioux trouvent dans sa dépouille la couche et le vêtement. Le bison et le sauvage, placés sur le même sol, sont le taureau et l’homme dans l’état de nature : ils ont l’air de n’attendre tous les deux qu’un sillon, l’un pour devenir domestique, l’autre pour se civiliser.

FOUINE.

La fouine américaine porte auprès de la vessie un petit sac rempli d’une liqueur roussâtre : lorsque la bête est poursuivie, elle lâche cette eau en s’enfuyant ; l’odeur en est telle que les chasseurs et les chiens même abandonnent la proie : elle s’attache aux vêtements et fait perdre la vue. Cette odeur est une sorte de musc pénétrant qui donne des vertiges : les sauvages prétendent qu’elle est souveraine pour les maux de tête.

RENARDS.

Les renards du Canada sont de l’espèce commune ; ils ont seulement l’extrémité du poil d’un noir lustré. On sait la manière dont ils prennent les oiseaux aquatiques : La Fontaine, le premier des naturalistes, ne l’a pas oublié dans ses immortels tableaux.

Le renard canadien fait donc au bord d’un lac ou d’un fleuve mille sauts et gambades. Les oies et les canards, charmés qu’ils sont, s’approchent pour le mieux considérer. Il s’assied alors sur son derrière, et remue doucement la queue. Les oiseaux, de plus en plus satisfaits, abordent au rivage, s’avancent en dandinant vers le futé quadrupède, qui affecte autant de bêtise qu’ils en montrent. Bientôt la sotte volatile s’enhardit au point de venir becqueter la queue du maître-passé, qui s’élance sur sa proie.

LOUPS.

Il y a en Amérique diverses sortes de loups : celui qu’on appelle cervier vient pendant la nuit aboyer autour des habitations. Il ne hurle jamais qu’une fois au même lieu ; sa rapidité est si grande, qu’en moins de quelques minutes on entend sa voix à une distance prodigieuse de l’endroit où il a poussé son premier cri.

RAT MUSQUÉ.

Le rat musqué vit au printemps de jeunes pousses d’arbrisseaux, et en été de fraises et de framboises ; il mange des baies de bruyères en automne, et se nourrit en hiver de racines d’orties. Il bâtit et travaille comme le castor. Quand les sauvages ont tué un rat musqué, ils paroissent fort tristes : ils fument autour de son corps et l’environnent de manitous, en déplorant leur parricide : on sait que la femelle du rat musqué est la mère du genre humain.

CARCAJOU.

Le carcajou est une espèce de tigre ou de grand chat. La manière dont il chasse l’orignal avec ses alliés les renards est célèbre. Il monte sur un arbre, se couche à plat sur une branche abaissée, et s’enveloppe d’une queue touffue qui fait trois fois le tour de son corps. Bientôt on entend des glapissements lointains, et l’on voit paroître un orignal rabattu par trois renards, qui manœuvrent de manière à le diriger vers l’embuscade du carcajou. Au moment où la bête lancée passe sous l’arbre fatal, le carcajou tombe sur elle, lui serre le cou avec sa queue, et cherche à lui couper avec les dents la veine jugulaire. L’orignal bondit, frappe l’air de son bois, brise la neige sous ses pieds : il se traîne sur ses genoux, fuit en ligne directe, recule, s’accroupit, marche par sauts, secoue sa tête. Ses forces s’épuisent, ses flancs battent, son sang ruisselle le long de son cou, ses jarrets tremblent, plient. Les trois renards arrivent à la curée : tyran équitable, le carcajou divise également la proie entre lui et ses satellites. Les sauvages n’attaquent jamais le carcajou et les renards dans ce moment : ils disent qu’il seroit injuste d’enlever à ces autres chasseurs le fruit de leurs travaux.

OISEAUX.

Les oiseaux sont plus variés et plus nombreux en Amérique qu’on ne l’avoit cru d’abord : il en a été ainsi pour l’Afrique et pour l’Asie. Les premiers voyageurs n’avoient été frappés en arrivant que de ces grands et brillants volatiles qui sont comme des fleurs sur les arbres ; mais on a découvert depuis une foule de petits oiseaux chanteurs, dont le ramage est aussi doux que celui de nos fauvettes.

POISSONS.

Les poissons dans les lacs du Canada, et surtout dans les lacs de la Floride, sont d’une beauté et d’un éclat admirables.

SERPENTS.

L’Amérique est comme la patrie des serpents. Le serpent d’eau ressemble au serpent à sonnettes ; mais il n’en a ni la sonnette ni le venin. On le trouve partout.

J’ai parlé plusieurs fois dans mes ouvrages du serpent à sonnettes : on sait que les dents dont il se sert pour répandre son poison ne sont point celles avec lesquelles il mange. On peut lui arracher les premières, et il ne reste plus alors qu’un assez beau serpent plein d’intelligence et qui aime passionnément la musique. Aux ardeurs du midi, dans le plus profond silence des forêts, il fait entendre sa sonnette pour appeler sa femelle : ce signal d’amour est le seul bruit qui frappe alors l’oreille du voyageur.

La femelle porte quelquefois vingt petits ; quand ceux-ci sont poursuivis, ils se retirent dans la gueule de leur mère, comme s’ils rentroient dans le sein maternel.

Les serpents en général, et surtout le serpent à sonnettes, sont en grande vénération chez les indigènes de l’Amérique, qui leur attribuent un esprit divin : ils les apprivoisent au point de les faire venir coucher l’hiver dans des boîtes placées au foyer d’une cabane. Ces singuliers pénates sortent de leurs habitacles au printemps, pour retourner dans les bois.

Un serpent noir, qui porte un anneau jaune au cou, est assez malfaisant ; un autre serpent tout noir, sans poison, monte sur les arbres, et donne la chasse aux oiseaux et aux écureuils. Il charme l’oiseau par ses regards, c’est-à-dire qu’il l’effraye. Cet effet de la peur, qu’on a voulu nier, est aujourd’hui mis hors de doute : la peur casse les jambes à l’homme : pourquoi ne briseroit-elle pas les ailes à l’oiseau ?

Le serpent ruban, le serpent vert, le serpent piqué, prennent leurs noms de leurs couleurs et des dessins de leur peau ; ils sont parfaitement innocents et d’une beauté remarquable.

Le plus admirable de tous est le serpent appelé de verre, à cause de la fragilité de son corps, qui se brise au moindre contact. Ce reptile est presque transparent, et reflète les couleurs comme un prisme. Il vit d’insectes, et ne fait aucun mal : sa longueur est celle d’une petite couleuvre.

Le serpent à épines est court et gros. Il porte à la queue un dard dont la blessure est mortelle.

Le serpent à deux têtes est peu commun : il ressemble assez à la vipère ; toutefois ses têtes ne sont pas comprimées.

Le serpent siffleur est fort multiplié dans la Géorgie et dans les Florides. Il a dix-huit pouces de long ; sa peau est sablée de noir sur un fond vert. Lorsqu’on approche de lui, il s’aplatit, devient de différentes couleurs, et ouvre la gueule en sifflant. Il se faut bien garder d’entrer dans l’atmosphère qui l’environne ; il a le pouvoir de décomposer l’air autour de lui. Cet air imprudemment respiré fait tomber en langueur. L’homme attaqué dépérit, ses poumons se vicient, et au bout de quelques mois il meurt de consomption : c’est le dire des habitants du pays.

ARBRES ET PLANTES.

Les arbres, les arbrisseaux, les plantes, les fleurs, transportés dans nos bois, dans nos champs, dans nos jardins, annoncent la variété et la richesse du règne végétal en Amérique. Qui ne connoît aujourd’hui le laurier couronné de roses appelé Magnolia, le marronnier qui porte une véritable hyacinthe, le catalpa qui reproduit la fleur de l’oranger, le tulipier qui prend le nom de sa fleur, l’érable à sucre, le hêtre pourpre, le sassafras, et parmi les arbres verts et résineux, le pin du lord Weymouth, le cèdre de la Virginie, le baumier de Gilead, et ce cyprès de la Louisiane, aux racines noueuses, au tronc énorme, dont la feuille ressemble à une dentelle de mousse ? les lilas, les azaléas, les pompadouras ont enrichi nos printemps ; les aristoloches, les ustérias, les bignonias, les décumarias, les célustris, ont mêlé leurs fleurs, leurs fruits et leurs parfums à la verdure de nos lierres.

Les plantes à fleurs sont sans nombre : l’éphémère de Virginie, l’hélonias, le lis du Canada, le lis appelé superbe, la tigridie panachée, l’achillée rose, le dahlia, l’hellénie d’automne, les phlox de toutes les espèces se confondent aujourd’hui avec nos fleurs natives.

Enfin, nous avons exterminé presque partout la population sauvage ; et l’Amérique nous a donné la pomme de terre, qui prévient à jamais la disette parmi les peuples destructeurs des Américains.

ABEILLES.

Tous ces végétaux nourrissent de brillants insectes. Ceux-ci ont reçu dans leurs tribus notre mouche à miel, qui est venue à la découverte de ces savanes et de ces forêts embaumées dont on racontoit tant de merveilles. On a remarqué que les colons sont souvent précédés dans les bois du Kentucky et du Tennessée par des abeilles : avant-garde des laboureurs, elles sont le symbole de l’industrie et de la civilisation, qu’elles annoncent. Étrangères à l’Amérique, arrivées à la suite des voiles de Colomb, ces conquérantes pacifiques n’ont ravi à un nouveau monde de fleurs que des trésors dont les indigènes ignoroient l’usage ; elles ne se sont servies de ces trésors que pour enrichir le sol dont elles les avoient tirés. Qu’il faudroit se féliciter, si toutes les invasions et toutes les conquêtes ressembloient à celles de ces filles du ciel !

Les abeilles ont pourtant eu à repousser des myriades de moustiques et de maringouins, qui attaquoient leurs essaims dans le tronc des arbres ; leur génie a triomphé de ces envieux, méchants et laids ennemis. Les abeilles ont été reconnues reines du désert, et leur monarchie administrative s’est établie dans les bois auprès de la république de Washington.


  1. On a retrouvé des castors entre le Missouri et le Mississipi ; ils sont surtout extrêmement nombreux au delà des montagnes Rocheuses, sur les branches de la Colombie ; mais les Européens ayant pénétré dans ces régions, les castors seront bientôt exterminés. Déjà l’année dernière (1826) on a vendu à Saint-Louis, sur le Mississipi, cent paquets de peaux de castor, chaque paquet pesant cent livres, et chaque livre de cette précieuse marchandise vendue au prix de cinq gourdes.