Voyage en Asie (Duret 1871)/Le Japon/07

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Michel Lévy (p. 51-56).


VII

KIOTO


Les temples de Kioto. — Le palais du mikado. — Le lac de Bîwa. — Le cèdre de Karasaki.
Janvier 1872.


La ville de Kioto est célèbre par ses temples. Par leur nombre et leurs dimensions, les temples de Kioto constituent une magnifique série d’édifices religieux. La plupart d’entre eux ont quelque particularité remarquable. Celui de Nichi-bon-gouan-dgi est le plus grand du Japon. Comme tous les édifices de ce pays-ci, il est construit en bois, mais, par ses belles et vastes proportions, il réalise toutes les conditions de la grande architecture. A San-djou-san-ken-do, une des plus vieilles constructions de Kioto, se trouve une immense série de personnages sanctifiés du bouddhisme, trente-trois mille trois cent trente-trois, pas un de plus ni de moins, tous dorés des pieds à la tête, exposés en longue file sur des gradins, petits et grands ; les grands en pied, les petits placés sur les bras, les épaules, la tête des grands. À Mi-hô-in, c’est une tête en bois de Bouddha, haute de vingt pieds ; à Tchi-hô-in, une grosse cloche ; ailleurs des statues en bronze de Bouddha, et toutes sortes d’autres curiosités.

Kioto est bâti en plaine, dans un grand cirque de montagnes. Les temples sont placés à l’entour de la ville dans la campagne. De tous côtés, en sortant de Kioto, on rencontre de grandes avenues qui conduisent à des bouquets d’arbres magnifiques, au milieu desquels les temples sont construits. À l’est, la ville se rapproche des montagnes jusqu’à en toucher le pied. Dans cette direction, les hauteurs apparaissent au loin avec les toits relevés de leurs temples ; en y montant, on circule au milieu de bois épais de pins et de bambous. Les édifices placés au milieu de cette belle nature ont été orientés pour commander la vue, et de leurs plates-formes on jouit du panorama de la ville et de la vallée.

À l’ouest, les montagnes sont plus éloignées que du côté opposé ; pour les atteindre, on traverse une partie de la plaine cultivée. De ce côté encore, il y a de grands massifs de verdure, et au pied même des hauteurs, un massif plus frais que les autres, qui abrite da chapelle bouddhiste de Kinkakodgi. Il est impossible d’imaginer un lieu plus riant et mieux choisi. Ce sont de grands bouquets de pins d’espèces diverses, avec toutes sortes d’arbres à feuilles persistantes ; au centre, entoure d’un mur de feuillage, on a ménagé un petit lac d’un dessin plein de goût ; du fond du bosquet, la montagne s’élève arrondie et forme en perspective un gigantesque dôme de verdure. Au milieu de ce beau site est la chapelle de Kinkakodgi, toute petite et fort peu en proportion avec les dimensions de la scène naturelle. J’imagine que la visite à la chapelle a dû servir bien souvent de prétexte à un séjour prolongé aux beaux ombrages qui l’entourent, et les gens qui ont choisi et disposé les lieux, s’ils étaient de fervents bouddhistes, étaient plus sûrement encore des dilettanti et des épicuriens. Du reste, au Japon, on ne fréquente point les édifices religieux uniquement pour prier : on les a placés de telle façon que leur visite est en même temps une promenade aux plus beaux sites du pays ; et, s’il en était besoin, les maisons de thé qui sont à leurr porte, les fêtes locales qui se tiennent dans leurs parvis, nous apprendraient que les prêtres japonais ne font point de l’exercice du culte une chose austère, séparée des plaisirs ordinaires de la vie.

En dehors de ses temples, Kioto ne possède pas de monuments remarquables par leur architecture. Le Daïri, au centre duquel habitait le mikado, est en partie composé de bicoques qui servaient à loger les grands dignitaires, les femmes et les parents du mikado. La résidence propre du mikado est entourée d’une enceinte quadrangulaire, une sorte de mur de ronde, ayant au plus cinq cents mètres de côté. Quand on pénètre dans l’intérieur, on passe d’abord dans une cour fort ordinaire, dont la porte et les clôtures en bois sont peintes en rouge : c’était là la grande entrée et cour d’honneur. Puis on trouve un tout petit jardin et, donnant sur ce jardin, le palais même du mikado. C’est en visitant le Daïri qu’on voit à quel degré d’insignifiance les taïcouns avaient réduit les mikados, et ce prétendu palais reçoit sa vraie signification du mur de ronde qui le ceint et qui en faisait une prison,

De Kioto, nous faisons une excursion au lac de Biwa, à trois heures de marche au nord-est de la ville. Nous sortons, en suivant le Tokaïdo, du cercle de montagnes dans lequel est situé Kioto, et, pour nous rendre à Oïtz, sur les bords du lac, nous traversons de grandes collines boisées. Le lac lui-même est entouré de montagnes dont les sommets sont en partie couverts de neige ; il est fort vaste, du côté du nord on n’aperçoit point ses rivages. Ici encore nous trouvons des temples, comme toujours dans la plus belle des situations. La ville d’Oïtz est dominée d’une façon pittoresque par les constructions de Mü-dera, et, en naviguant sur le lac, on découvre du milieu des grands bois, et fort haut sur les montagnes, des séries de temples dont le nombre finit par étonner.

A Karasaki, sur les bords du lac, se trouve une des curiosités naturelles du Japon. C’est un vieux cèdre qui a poussé ses branches latéralement presque au ras du sol, de façon à former un immense parasol de quarante-cinq mètres de diamètre. Ses branches énormes, pour ne point craquer sous leur propre poids, ont dû être étayées par une foule de pieux. En approchant, on reconnaît que ce qui de loin paraissait tout un bois n’est qu’un seul et même arbre.

Nous pourrions continuer ainsi pendant longtemps à nous promener autour d’Oïtz et de Kioto, car ce sont partout des sites magnifiques ; cependant nous ne saurions nous attarder outre mesure, et il nous faut songer à revenir vers la mer.