Voyage en Italie/Herculanum, Portid, Pompeia

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Herculanum, Portici, Pompéia

11 janvier.

La lave a rempli Herculanum, comme le plomb fondu remplit les concavités d’un moule.

Portici est un magasin d’antiques.

Il y a quatre parties découvertes à Pompeïa : 1° le temple, le quartier des soldats, les théâtres ; 2° une maison nouvellement déblayée par les Français ; 3° un quartier de la ville ; 4° la maison hors de la ville.

Le tour de Pompeïa est d’environ quatre milles. Quartier des soldats, espèce de cloître autour duquel régnaient quarante-deux chambres ; quelques mots latins estropiés et mal orthographiés barbouillés sur les murs. Près de là étaient des squelettes enchaînés : " Ceux qui étaient autrefois enchaînés ensemble, dit Job, ne souffrent plus, et ils n’entendent plus la voix de l’exacteur. "

Un petit théâtre : vingt-et-un gradins en demi-cercle, les corridors derrière. Un grand théâtre : trois portes pour sortir de la scène dans le fond, et communiquant aux chambres des acteurs. Trois rangs marqués pour les gradins ; celui du bas plus large et en marbre. Les corridors derrière, larges et voûtés.

On entrait par le corridor au haut du théâtre, et l’on descendait dans la salle par les vomitoires. Six portes s’ouvraient dans ce corridor. Viennent, non loin de là, un portique carré de soixante colonnes, et d’autres colonnes en ligne droite, allant du midi au nord ; dispositions que je n’ai pas bien comprises.

On trouve deux temples : l’un de ces temples offre trois autels et un sanctuaire élevé.

La maison découverte par les Français est curieuse : les chambres à coucher, extrêmement exiguës, sont peintes en bleu ou en jaune, et décorées de petits tableaux à fresque. On voit dans ces tableaux un personnage romain, un Apollon jouant de la lyre, des paysages, des perspectives de jardins et de villes. Dans la plus grande chambre de cette maison, une peinture représente Ulysse fuyant les Sirènes : le fils de Laerte, attaché au mât de son vaisseau, écoute trois Sirènes placées sur les rochers ; la première touche la lyre, la seconde sonne une espèce de trompette, la troisième chante.

On entre dans la partie la plus anciennement découverte de Pompeïa par une rue d’environ quinze pieds de large ; des deux côtés sont des trottoirs ; le pavé garde la trace des roues en divers endroits. La rue est bordée de boutiques et de maisons dont le premier étage est tombé. Dans deux de ces maisons se voient les choses suivantes :

Une chambre de chirurgien et une chambre de toilette avec des peintures analogues.

On m’a fait remarquer un moulin à blé et les marques d’un instrument tranchant sur la pierre de la boutique d’un charcutier ou d’un boulanger, je ne sais plus lequel.

La rue conduit à une porte de la cité où l’on a mis à nu une portion des murs d’enceinte. À cette porte commençait la file des sépulcres qui bordaient le chemin public. Après avoir passé la porte, on rencontre la maison de campagne si connue. Le portique qui entoure le jardin de cette maison est composé de piliers carrés, groupés trois par trois. Sous ce premier portique, il en existe un second : c’est là que fut étouffée la jeune femme dont le sein s’est imprimé dans le morceau de terre que j’ai vu à Portici : la mort, comme un statuaire, a moulé sa victime.

Pour passer d’une partie découverte de la cité à une autre partie découverte, on traverse un riche sol cultivé ou planté de vignes. La chaleur était considérable, la terre riante de verdure et émaillée de fleurs [N V 3 1].

En parcourant cette cité des morts, une idée me poursuivait. À mesure que l’on déchausse quelque édifice à Pompeïa, on enlève ce que donne la fouille, ustensiles de ménage, instruments de divers métiers, meubles, statues, manuscrits, etc., et l’on entasse le tout au Musée Portici. Il y aurait selon moi quelque chose de mieux à faire : ce serait de laisser les choses dans l’endroit où on les trouve et comme on les trouve, de remettre des toits, des plafonds, des planchers et des fenêtres, pour empêcher la dégradation des peintures et des murs ; de relever l’ancienne enceinte de la ville, d’en clore les portes ; enfin d’y établir une garde de soldats avec quelques savants versés dans les arts. Ne serait-ce pas là le plus merveilleux musée de la terre ? Une ville romaine conservée tout entière, comme si ses habitants venaient d’en sortir un quart d’heure auparavant !

On apprendrait mieux l’histoire domestique du peuple romain, l’état de la civilisation romaine dans quelques promenades à Pompeïa restaurée, que par la lecture de tous les ouvrages de l’antiquité. L’Europe entière accourrait : les frais qu’exigerait la mise en œuvre de ce plan seraient amplement compensés par l’affluence des étrangers à Naples. D’ailleurs rien n’obligerait d’exécuter ce travail à la fois ; on continuerait lentement, mais régulièrement les fouilles ; il ne faudrait qu’un peu de brique, d’ardoise, de plâtre, de pierre, de bois de charpente et de menuiserie pour les employer en proportion du déblai. Un architecte habile suivrait, quant aux restaurations, le style local dont il trouverait des modèles dans les paysages peints sur les murs mêmes des maisons de Pompeïa.

Ce que l’on fait aujourd’hui me semble funeste : ravies à leurs places naturelles, les curiosités les plus rares s’ensevelissent dans des cabinets où elles ne sont plus en rapport avec les objets environnants. D’une autre part, les édifices découverts à Pompeïa tomberont bientôt : les cendres qui les engloutirent les ont conservés ; ils périront à l’air, si on ne les entretient ou on ne les répare.

En tous pays les monuments publics, élevés à grands frais avec des quartiers de granit et de marbre, ont seuls résisté à l’action du temps ; mais les habitations domestiques, les villes proprement dites, se sont écroulées, parce que la fortune des simples particuliers ne leur permet pas de bâtir pour les siècles.