Voyage en Orient (Lamartine)/Les Métualis

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Chez l’auteur (Œuvres complètes, tome 7p. 115-117).


LES MÉTUALIS




Les Métualis, qui forment le tiers environ de la population du bas Liban, sont des mahométans de la secte d’Ali, secte dominante en Perse ; les Turcs, au contraire, sont de la secte d’Omar : ce schisme s’opéra dans l’islamisme, la 36e année de l’hégyre ; les partisans d’Ali maudissent Omar comme usurpateur du califat ; Hussein et Ali sont leurs saints ; comme les Persans, ils ne boivent ni ne mangent avec les sectateurs d’une autre religion que la leur, et brisent le verre ou le plat qui a servi à l’étranger ; ils se considèrent comme souillés, si leurs vêtements touchent les nôtres : cependant, comme ils sont généralement faibles et méprisés dans la Syrie, ils s’accommodent au temps, et j’en ai eu plusieurs à mon service qui n’observaient pas rigoureusement ces préceptes de leur intolérance. Leur origine est connue ; ils étaient maîtres de Balbek vers le seizième siècle ; leur tribu, en grandissant, s’étendit d’abord sur les flancs de l’Anti-Liban, autour du désert de Bkâ ; ils le traversèrent plus tard, et se mêlèrent aux Druzes dans cette partie de montagnes qui règne entre Tyr et Saïde ; l’émir Yousef, inquiet de leur voisinage, arma les Druzes contre eux, et les repoussa du côté de Saphadt et des montagnes de Galilée : Daher, pacha d’Acre, les accueillit et fit alliance avec eux en 1760 ; ils étaient déjà assez nombreux pour lui fournir dix mille cavaliers. À cette époque, ils s’emparèrent des ruines de Tyr, village au bord de la mer, appelé maintenant Sour ; ils combattirent vaillamment les Druzes, et défirent complètement l’armée de l’émir Yousef, forte de vingt-cinq mille hommes ; ils n’étaient eux-mêmes que cinq cents, mais la rage et la vengeance en firent autant de héros, et les querelles intestines qui divisaient les Druzes entre l’émir Mansour et l’émir Yousef contribuèrent aux succès des Métualis ; ils abandonnèrent Daher, pacha d’Acre, et leur abandon causa sa perte et sa mort : Djezzar-Pacha, son successeur, s’en vengea cruellement sur eux.

Depuis 1777, Djezzar-Pacha, maître de Saïde et d’Acre, travailla sans relâche à la destruction de ce peuple : ces persécutions les contraignirent à se réconcilier avec les Druzes ; ils rentrèrent dans le parti de l’émir Yousef, et, quoique réduits à sept ou huit cents combattants, ils firent plus dans cette campagne, pour la cause commune, que les vingt mille Druzes et Maronites réunis à Deir-el-Kamar ; ils s’emparèrent seuls de la forteresse de Mar-Djebba, et passèrent huit cents Arnautes au fil de l’épée ; chassés de Balbek l’année suivante après une résistance désespérée, ils se réfugièrent, au nombre de cinq à six cents familles, parmi les Druzes et les Maronites ; ils redescendirent plus tard dans cette vallée, et occupent encore aujourd’hui les magnifiques ruines d’Héliopolis ; mais la plus grande partie de la nation est restée sur les pentes et dans les vallées du Liban, du côté de Sour. La principauté de Balbek a été, dans ces derniers temps, le sujet d’une lutte acharnée entre deux frères de la famille Harfousch, Djadjha et Sultan ; ils se sont dépossédés tour à tour de ce monceau de débris, et ont perdu dans cette guerre plus de quatre-vingts personnes de leur propre famille. Depuis 1810, l’émir Djadjha a régné définitivement sur Balbek.