Voyage en Orient (Lamartine)/Marko, fils de roi, et le More

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Chez l’auteur (p. 77-93).


MARKO, FILS DE ROI, ET LE MORE




Un méchant More a bâti une tour,
Une tour haute de vingt étages ;
Il l’a bâtie tout au bord de la mer bleue et profonde.
Quand la bâtisse fut terminée,
Le More y fit faire des fenêtres,
Et tendre l’intérieur de velours et de soie ;
Puis il se prit ainsi à parler :
« Tour, que fais-tu là, seule sur le rivage,
Isolée et sans maître ? car personne ne t’habite.
Je n’ai point de mère, point de sœur,

Et ne me suis jamais marié de ma vie !
Par le Dieu vivant ! il faut que, non ma mère,
Mais une cavale, m’ait enfanté,
Si je ne demande point la fille du sultan en mariage !
Oui, il faut que le sultan me donne sa fille,
Ou qu’il vienne à moi sur le champ de bataille ! »

Quand le More eut parlé ainsi,
Il écrivit une lettre en fins caractères
Au sultan de la blanche Stamboul.
« Sultan, écrivait-il, seigneur de la blanche Stamboul,
J’ai bâti une tour près de la mer,
Mais elle est déserte et inhabitée ;
Car je ne me suis jamais marié.
Donne-moi ta fille pour épouse !
Mais si tu ne veux point me l’accorder,
Sors de ton palais, et viens te battre ! »

La lettre parvint à l’illustre sultan ;
Et quand il vit ce qui lui était demandé,
Il commença à chercher un champion
Pour combattre le More à outrance.
On promit à cet homme un prix considérable,
S’il pouvait tuer le méchant More.
Il se trouva de braves guerriers en nombre,
Mais aucun ne revint vers Stamboul.
Le sultan tomba bientôt en grand souci.
Il n’avait plus de champion à opposer :
Le sombre More les avait tous tués.


Mais sa misère devait monter plus haut encore,
Car le More s’arma un jour en guerre,
Il se vêtit de riches habits,
Ceignit son cimeterre damasquiné,
Et sella lui-même sa grise jument arabe ;
Il la sangla de sept courroies,
Il la brida d’une bride tressée d’or,
Il attacha sur ses flancs une blanche tente,
Et de l’autre côté sa forte massue.
Il monta sur le dos de la cavale,
Et, tenant en main sa lance de bataille,
Il prit le chemin de la blanche Stamboul.
Quand il arrive devant les portes,
Il plante en terre sa forte lance,
Attache à la hampe la jument arabe,
Dresse devant les murs sa blanche tente,
Et impose un tribut à la ville :
Pour chaque nuit un veau gras,
Une fournée de pain blanc,
Un muid d’eau-de-vie brûlée,
Deux muids de vin pourpré,
Et, de plus, une belle vierge
Qui pendant le repas lui servira à boire,
Pendant la nuit baisera son noir visage,
Et qu’ensuite il vendra,
Et dont il tirera de nombreux sequins.

Il demeura là trois longs mois ;
Mais la misère devait monter encore.
Chaque jour, sur sa svelte et grise cavale arabe,

Le More chevauchait hardiment par la ville ;
Il chevauchait jusque dans la cour du palais,
Et criait au sultan à tue-tête :
« Eh ! vieux fou de sultan, donne-moi ta fille ! »
Et, balançant avec fureur sa pesante massue,
Il en frappait les murailles,
Et mettait les vitres en pièces.
Lorsque le sultan se vit dans cette nécessité,
Il promit honteusement de lui donner sa fille.

Le More commença alors à parler des noces :
« Quinze longs jours s’écouleront, dit-il,
Jusqu’à ce que je revienne de la côte,
Et que j’aie invité les convives parés de fleurs. »
Alors il monta sa svelte cavale,
Et retourna au bord de la mer
Pour inviter les convives aux noces.

Quand la fille du sultan eut appris ceci,
Elle pleura. L’infortunée au désespoir s’écriait :
« Malheur à moi ! malheur à moi !
Ai-je donc tant soigné mon visage
Pour qu’enfin un vilain noir le caresse ! »
Mais quand la nuit commença à noircir,
Voilà que la sultane en dormant fit un rêve,
Et, dans son rêve, une voix d’homme lui dit :
« Noble dame, il est dans ton pays
Une plaine nommée Amsel ;
La ville de Prilip s’élève sur cette plaine ;

C’est la demeure de Marko, fils de roi.
Ce Marko est un vaillant héros !
Envoie une lettre à ce fils de roi,
Nomme-le ton fils en Dieu, ce héros ;
Et promets-lui d’innombrables trésors,
S’il délivre ton enfant du méchant More. »

Lorsque l’aube du matin parut,
La sultane courut vers son seigneur,
Et lui confia ce qu’un songe lui avait révélé.
Quand le sultan l’eut entendue,
Il écrivit promptement un firman,
Et l’envoya à Prilip la blanche forteresse,
Aux genoux de Marko, fils de roi.

« Mon fils en Dieu, royal rejeton, Marko,
Viens à mon secours dans la blanche Stamboul ;
Viens ; délivre-moi du méchant More !
Si tu tues le More qui veut me ravir ma fille,
Je te donnerai trois charges d’or. »

Le message arriva à Marko, fils de roi.
Lorsque le héros eut reçu le firman
Et qu’il eut vu ce qu’il contenait,
Il parla ainsi au messager, au Tartare :
« Dieu te protége, Tartare, messager du sultan !
Salue pour moi Sa Hautesse mon vénérable père,
Mais dis-lui que je ne dois point affronter le More ;

Car c’est un fort héros sur le champ de bataille.
Et s’il m’abat la tête des épaules,
De quoi me serviront trois charges d’or ?… »

Et le Tartare revint sur ses pas.
Il rapporta au sultan ces mots pour message.
Là-dessus, la sultane, entendant ceci,
Écrivit une autre lettre,
Et l’envoya à Marko, fils de roi :
« Mon fils en Dieu, ô royal rejeton, Marko,
N’abandonne point ma fille au More !
Vois, je te donnerai six charges d’or. »

Cette lettre parvint aussi à Marko.
Quand le héros vit ce qu’elle annonçait,
Il dit au messager, au Tartare :
« Retourne, Tartare, ô toi, messager du sultan,
Va ; et dis à ma noble mère la sultane :
« Marko ne peut aller défier le More,
» Car c’est un rude jouteur sur le champ de bataille ;
» Il abattra mon chef de mes épaules,
» Et ma blonde tête m’est bien plus chère
» Que tout l’or de la cour du sultan. »

Et le Tartare revient vers Stamboul,
Et rapporte à la sultane ces mots pour message.
Quand la fille du sultan eut entendu ceci,
Elle s’élança, la vierge, d’un pied léger,

Et, prenant la plume et le vélin,
Elle se piqua le visage avec la plume,
Et, recueillant le sang qui coulait de sa joue,
Elle écrivit avec ce sang au héros Marko :

« Ô toi, mon frère en Dieu, noble Marko ;
Frère, je te conjure au nom du Dieu vivant ;
Parrain, je t’adjure par le même Dieu,
Et par la tête sacrée de votre saint Jean,
Ne m’abandonne point au More farouche !
Vois ! je te donnerai sept charges d’or ;
J’y joindrai sept différents vêtements
Qui ne seront ni tissus ni filés,
Mais composés de pur or.
Je te donnerai aussi une coupe d’or,
Et autour de cette coupe s’entrelace un serpent
Qui, tenant sa tête élevée,
Montre, au lieu de ses dents, des pierres précieuses,
De façon qu’à minuit comme à midi,
À son éclat tu pourras prendre ton repas.
De plus, je te décorerai d’une épée
Dont la poignée est d’or ciselé,
Et enrichie de trois pierres précieuses.
Enfin, je te donnerai un acte signé et scellé
Comme quoi le vizir n’osera jamais te mettre à mort
Sans l’ordre de Sa Hautesse le sultan, mon père. »

Le message fut porté par le Tartare à Marko.
Mais quand Marko l’eut reçu,

Et qu’il eut vu de quoi il s’agissait,
Il commença à se parler ainsi :
« Malheur à moi, sœur d’adoption,
Malheur, si je vais vers toi !
Mais plus grand malheur, si je reste !
Je ne crains point le sultan ni ta mère,
Mais je crains Dieu et saint Jean.
J’irai donc, dussé-je y laisser ma vie ! »

Alors il renvoya le Tartare,
Mais sans lui dire ce qu’il avait résolu ;
Et il se rendit dans la tour élevée,
Pour revêtir ses habits de voyage.
Sur ses épaules il jeta sa pelisse de peau de loup,
Mit sur sa tête un bonnet pareil,
Suspendit à sa ceinture son sabre damasquiné,
Et tira du râtelier sa plus forte lance.
Ensuite il descendit près de son Scharatz,
Le sangla de sept fortes courroies,
Attacha une outre remplie de vin
Au côté droit du Scharatz,
Au côté gauche sa pesante massue,
De façon que la selle ne penche ni deçà ni delà ;
Et, se jetant enfin sur le dos de son coursier,
Il prit au grand trot la route de Stamboul.

Lorsqu’il arriva devant ses blanches murailles,
Il n’alla point chez le sultan ni chez le vizir ;
Il préféra l’hôtellerie nouvellement bâtie,

Et, passant de ce côté, il y fit son entrée ;
Et quand le soir commença à s’obscurcir,
Il conduisit son coursier au bord de la mer,
Afin de le désaltérer aux fraîches eaux.
Mais le Scharatz ne veut point boire.
Il regarde attentivement autour de lui,
Et voici qu’une vierge turque descend le chemin,
Tout enveloppée d’un voile tissu d’or.

Et lorsque la vierge fut sur la rive,
Elle se pencha sur les vertes ondes,
Et commença à parler ainsi :
« Dieu soit avec vous, flots verdoyants !
Dieu soit avec vous, ma dernière demeure !
Je veux finir ma vie avec vous désormais.
Ô mer profonde, j’aime mieux me marier
À toi, hélas ! qu’au détestable More ! »

Alors le fils de roi, Marko, s’avançant :
« Arrête, ô noble vierge de Turquie !
Qui te porte à te précipiter dans le sein des flots ?
Pourquoi veux-tu te marier avec la mer ?
Dis, quel grand malheur est donc tombé sur toi ? »

Et la vierge turque lui répondit :
« Éloigne-toi de ces lieux, bon derviche.
Pourquoi demander, quand tu ne peux aider ? »

Et, du commencement jusqu’à la fin,
Elle conta ce qui l’amenait au bord de la mer.
« Enfin, dit-elle, j’avais entendu parler de Marko,
De Marko de Prilip, la blanche forteresse ;
Et j’avais entendu dire qu’il était un héros, ce Marko,
Et que lui seul pourrait vaincre le More.
Alors je l’implorai au nom de frère en Dieu,
Je le nommai parrain au nom de saint Jean ?
Et lui promis de beaux et nobles dons.
Mais en vain ! Marko me refusa son aide.
Puisse celle de Dieu lui manquer à son tour ! »

Et Marko, fils de roi, lui répondit :
« Veuille ne point me maudire, ma sœur !
Vois, je suis devant toi, moi-même Marko. »

Quand la belle fille l’eut entendu,
Elle se jeta dans les bras du héros.
« Ô mon frère, royal rejeton Marko,
Ne m’abandonne pas au méchant More. »
Et le noble Marko lui répondit :
« Ma sœur, noble vierge de Turquie,
Non, aussi longtemps que ma tête tiendra là,
Je ne t’abandonnerai point au More !
Mais veuille ne dire à nul autre tout ceci,
Excepté à tes vénérables parents. Dis-leur aussi
De m’envoyer quelque chose pour manger,
Et que surtout le vin n’y manque point.
Envoyez le tout à la nouvelle hôtellerie.

Quand le More arrivera avec les convives,
Qu’on le reçoive et le traite bien ;
Et toi aussi, accueille le More,
Et garde qu’il ne s’élève aucune querelle dans la cour.
Je sais bien le temps que je prendrai pour t’enlever,
Si Dieu et la fortune des héros le permettent. »

Là-dessus, Marko retourne à son hôtellerie,
Et la vierge au palais de son père ;
Et elle dit en hâte à ses nobles parents
Que Marko de Prilip était arrivé.
Le sultan et la sultane, ayant entendu cela,
Firent préparer un magnifique repas,
Bien pourvu de vin rouge et précieux,
Et l’envoyèrent à Marko dans l’auberge.

Marko se mit à table, et il savourait son vin,
Lorsque dans Stamboul chaque porte se ferma,
Et l’hôte lui-même vint pour tout fermer.
Et le fils de roi, Marko, lui demanda :
« Pourquoi donc fermez-vous si tôt les portes ? »
Sur quoi l’hôte lui fit pour réponse :
« Eh ! par le ciel ! guerrier étranger,
Ignorez-vous que le More a demandé la princesse en mariage ?
Et cela, pour la honte et la douleur de notre maître ?
Aujourd’hui soir, il vient pour la chercher ;
Et comme nous avons grand’peur de lui,
Nous fermons de bonne heure les portes et les boutiques. »

Marko s’opposa à ce qu’il fermât la porte ;
Il se plaça de manière à voir passer le More,
Et tous les convives parés de fleurs.
Mais voici un grand tumulte dans Stamboul :
Voyez ! le sombre More arrive monté
Sur sa svelte jument arabe,
Et avec lui cinq cents convives,
Et tous les cinq cents noirs comme lui !
Noir est le conducteur, et noir est le héraut,
Et le fiancé lui-même est un noir Africain.
Fougueuse et bondissante, la cavale sautait ;
Les pierres roulaient sous ses pieds,
Et allaient fracasser les boutiques.
Quand le cortége arriva devant l’hôtellerie,
Le More dit en lui-même :
« Juste ciel, quelle merveille !
Tout est fermé dans la blanche Stamboul,
Tout fuit devant moi, de crainte et d’épouvante ;
Et la porte de cette seule hôtellerie est ouverte ?
Il n’y a peut-être personne dans cette auberge :
Ou seraient-ils assez fous
Pour n’avoir pas peur de mon approche ? »

En disant cela, le More continua sa route.
Arrivé devant le palais du sultan,
Il campa dans ce lieu, et y passa la nuit ;
Et quand l’aube du matin parut,
Le sultan lui remit la jeune vierge,
Et le riche trousseau de la mariée,
Dont douze chevaux étaient pesamment chargés.

À travers la ville le More reprit sa route
Avec la vierge et tout le cortége des noces.
Mais quand ils arrivèrent devant l’hôtellerie,
De nouveau la porte en était ouverte.
Le More pousse vivement sa cavale ;
Il veut voir qui est dans l’auberge.
Marko était assis au milieu de la cour ;
Assis, il se délectait à boire un vin pourpré ;
Mais il ne buvait point comme il est coutume de boire :
Dans un bassin qui contenait douze mesures
Il buvait d’abord, puis donnait le reste au Scharatz.
Une envie de querelle saisit le More ;
Mais à la porte, et bien attaché,
Le coursier du héros lui barrait le passage,
Et donnait des coups de pied à la cavale.
Alors le More retourna vers sa suite,
Et tous se dirigèrent vers le marché.

À cet instant Marko se lève ;
Il jette à l’envers sa pelisse fourrée,
Il retourne son bonnet de peau de loup,
Il rattache les sangles de son coursier,
Suspend son outre à demi vide aux flancs du Scharatz,
Assujettit sa pesante et forte massue,
Prend en main sa lance de guerre,
S’élance sur le dos du coursier,
Et, l’éperonnant, il vole sur la place de Stamboul.

Marko atteint le cortége des noces,

Et aussitôt commence la querelle ;
Il chasse depuis les derniers jusqu’aux premiers,
Et quand il arrive auprès de la mariée,
Il frappe à mort le parrain et le conducteur.
Le bruit en arrive jusqu’au More.

« Malheur à toi, vaillant More ! voici un héros
Qui a bouleversé le cortége de tes noces.
Il monte un coursier qui ne ressemble point aux autres coursiers,
Il est tacheté et luisant comme un taureau.
Ce n’est point un héros comme les autres héros :
Il porte une pelisse de peau de loup,
Sur la tête un bonnet semblable,
Quelque chose de noir entre ses dents,
Comme un jeune agneau de six mois.
En approchant il a commencé la querelle ;
Il a chassé depuis les derniers jusqu’aux premiers ;
Il a tué le parrain et le conducteur de la mariée. »

Aussitôt le More retourne sa jument,
Et, s’avançant vers Marko, il lui dit :
« Malheur à toi, guerrier inconnu !
Quel est le diable qui te conduit ?
Et pourquoi viens-tu disperser mon cortége,
Et tuer mes parrains et conducteurs ?
Es-tu imbécile ! et ne sais-tu pas qui je suis ?
Ou bien es-tu puissant, mais devenu fou ?
Ou la vie t’est-elle devenue à charge ?

Écoute ! sur ma foi je te le jure,
Si je tourne vers toi la bride de ma cavale,
Sept fois je veux te fouler aux pieds,
Sept fois deci, sept fois delà…
Et ensuite je te trancherai la tête. »

Et le fils de roi, Marko, lui répondit :
« Ne le tente point, ô More farouche !
Car, si Dieu et la fortune des héros le permettent,
Non-seulement tu ne me fouleras point,
Mais tu ne pourras pas seulement m’atteindre. »

Voyez comme il écume de rage, le More !
Il tourne la bride de sa cavale arabe,
Il lui déchire les flancs à coups d’éperons,
Il veut écraser sous ses pieds le héros ;
Mais c’est ce que ne souffre point le destrier Scharatz.
Il se dresse sur ses deux pieds de derrière,
Et avec ceux de devant il attaque la cavale,
Et, la saisissant violemment avec les dents,
Il lui arrache de la tête l’oreille droite,
De telle sorte qu’elle nage bientôt dans son sang.

Voyez quel terrible combat commence !
Comme héros et héros s’attaquent violemment,
Le fils de roi, Marko, et le sombre More !
Mais ni estoc ni taille ne peut abattre Marko,
Et d’aucun coup ne se laisse atteindre le More.

Ils combattent, et pendant quatre heures
Retentit le son aigu des sabres tranchants.
Enfin, le sombre More voit arriver l’instant
Où Marko doit le vaincre.
Soudain il tourne la bride à sa svelte cavale,
Et il fuit en hâte dans les rues de Stamboul.
Marko le poursuit par derrière ;
Mais la rapide cavale fuit ;
Elle fuit, légère et rapide comme la Wila des forêts,
Et s’efforce d’échapper au vigoureux Scharatz.
Tout à coup Marko songe à sa massue ;
Il l’arrache du pommeau de la selle,
Il la lance, et en atteint le More à l’épaule.
Voyez ! il est jeté bas le More ! et d’un coup de sabre
Marko tranche sa noire tête.

Puis, saisissant rapidement la bride de la svelte cavale,
Il retourne avec elle sur la place de Stamboul.
Tous les convives aux noces se sont dispersés,
Et toute seule l’attend la belle fille ;
Autour d’elle sont les coursiers, au nombre de douze,
Qui portent le riche trousseau de la princesse.
Alors Marko reprend avec lui la jeune vierge ;
Il la conduit à la cour du sultan son père,
Et parle en ces termes à l’illustre sultan :
« Vois, sultan ! ici est ta fille, la belle vierge.
Voici la noire tête du More redouté ;
Voici les coursiers, au nombre de douze,
Qui portaient le trousseau de la belle fille. »
Cela dit, il tourne en arrière la tête du Scharatz,
Et reprend le chemin de la blanche Prilip.

Mais lorsque l’aube matinale parut,
Le sultan prit sept charges d’or,
Et la jeune vierge sept vêtements
Qui n’étaient ni tricotés, ni filés,
Ni même tissus à la navette,
Mais travaillés d’or pur.
Elle y joignit la coupe merveilleuse
Autour de laquelle se roulait un serpent d’or,
Dont la tête redressée
Montrait, au lieu de dents, des pierres précieuses,
De telle sorte qu’à minuit comme à midi,
Leur éclat pouvait éclairer un festin.
Elle y joignit le sabre damasquiné
Qui portait trois poignées de pur or,
Et à chaque poignée trois pierres précieuses ;
Et de plus l’écrit scellé du sceau royal,
Afin que nul vizir ne puisse le faire mourir
Sans l’ordre du sublime sultan.
Elle envoya le tout à Marko.
« Reçois, ô Marko, ce peu d’or et de biens ;
Mais quand tu commenceras à en manquer,
Adresse-toi avec confiance à ton père
Le sultan, et à ta sœur en Dieu, sa fille. »