Voyage sentimental/42

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Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 154-155).


LA CONQUÊTE.


Oui, et alors ?… Ô vous ! dont les têtes froides et les cœurs tièdes peuvent vaincre ou masquer les passions par le raisonnement, dites-moi quelle faute un homme commet à les ressentir ? Comment son esprit est-il responsable envers l’émanateur de tous les esprits, de la conduite qu’il tient quand il en est agité ?

Si la nature, en tissant sa toile d’amitié, a entrelacé dans toute la pièce quelques fils d’amour et de désir, faut-il déchirer toute la toile pour les en arracher ? Oh ! châtie de pareils stoïciens, grand maître de la nature ! m’écriai-je en moi-même. En quelqu’endroit que tu me places pour éprouver ma vertu, quelque soit le péril où je me trouve exposé, quelle que soit ma situation, laisse-moi sentir les mouvemens des passions qui appartiennent à l’humanité ! Et si je les gouverne comme je le dois, j’ai toute confiance en ta justice ; car c’est toi qui nous a formés nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes.

Je n’eus pas sitôt adressé cette courte prière au ciel, que je relevai la jeune fille. Je la pris par la main et la conduisis hors de la chambre… Elle se tint près de moi jusqu’à ce que j’eusse fermé la porte, et que j’en eusse mis la clef dans ma poche...... Alors la victoire étoit décidée… et seulement alors je lui donnai un baiser sur la joue… Je la pris par la main, et je la conduisis en toute sûreté jusqu’à la porte de la rue.