Voyage sentimental/48

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Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 176-177).


LE FRAGMENT ET LE BOUQUET.
Paris.


Le reste ! Monsieur, dit-il, quand je lui eus dit ce qui me manquoit. Il n’y en avoit que deux feuilles, celle-ci, et une autre dont j’ai enveloppé les tiges du bouquet que j’avois, et que j’ai donné à la demoiselle que j’ai été trouver sur le boulevard… Je t’en prie, La fleur, retourne la voir, et demande l’autre feuille, si par hasard elle l’a conservée. Elle l’aura sans doute, dit-il ; et il part en volant.

Il ne fut que quelques instans à revenir. Il étoit essoufflé, et plus triste que s’il eût perdu la chose la plus précieuse… Juste ciel ! me dit-il, Monsieur, il n’y a qu’un quart-d’heure que je lui ai fait le plus tendre adieu ; et la volage, en ce peu de temps, a donné le gage de ma tendresse à un valet-de-pied du comte… J’ai été le lui demander ; il l’avoit donné lui-même à une jeune lingère du coin ; et celle-ci en a fait présent à un joueur de violon, qui l’a emporté je ne sais où… et la feuille de papier avec ? Oui, Monsieur… nos malheurs étoient enveloppés dans la même aventure… Je soupirai ; et La Fleur soupira, mais un peu plus haut.

Quelle perfidie ! s’écrioit La Fleur. Cela est malheureux, disoit son maître.

Cela ne m’auroit pas fait de peine, disoit La Fleur, si elle l’avoit perdu. Ni à moi, La Fleur, si je l’avois trouvé.

L’on verra par la suite si j’ai retrouvé cette feuille… ou point.