Voyage sentimental/62

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Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 220-221).


VŒUX EN FAVEUR DES PAUVRES.


Nature ! sous quelque forme que tu te montres ; sur les montagnes de la nouvelle Zemble, ou sur le sol brûlant des tropiques, tu es toujours aimable ! toujours tu guideras mes pas ! Avec ton secours, la vie confié à cette foible et frêle machine sera toujours conforme à la raison et à la justice. Ces douces émotions que tu inspires par une sympathie organisée dans toutes les parties m’apprennent à sentir, à prendre part au malheur des autres, à compatir à leur misère ; elles sont pour moi la source d’une satisfaction, d’une félicité ineffable. Comment donc les infortunes passagères du moment peuvent-elles obscurcir ton front ; ce front, où la sérénité devoit fixer son empire ? — Loin d’ici méchant Spléen aux yeux jaunes ! empare-toi de l’hypocrite au cœur double, au regard louche ; saisis ce misérable qui soupire, même en contemplant ses trésors, et tremblant en pensant à la fragilité des portes et des verroux ; — mais songe donc insensé, que la vie elle-même est plus fragile encore ; calcule les jours que tu as encore à vivre, — dix années peut-être ; et peut-être moins. Ne garde que ce qu’il te faut pour ce trajet si court, et donne le reste au véritable indigent.

Puisse ma prière être exaucée, et la misère disparoîtra de dessus la terre ; chaque mois sera pour le pauvre un mois de vendange ?