Voyage sentimental/71

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Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 232-233).


LE COMPAGNON DE VOYAGE.


Le malheureux inconnu, tout en déplorant la mort de son ami, oublioit sa propre sûreté ; — comme j’aperçus quelques hommes à cheval, à une certaine distance, je conjecturai qu’ayant eu peut-être connoissance du duel qui devoit avoir lieu, ils venoient à la recherche des combattans : je le conjurai de monter dans ma chaise, afin de gagner Paris, avec toute la promptitude possible. Il pouvoit s’y tenir caché jusqu’à ce que son affaire eût été arrangée, où, si elle prenoit une mauvaise tournure, il s’échapperoit et passeroit en pays étrangers.

Mes remontrances eurent leur effet, et avec quelques instances de plus, j’obtins de lui que nous ferions route ensemble.

Quand nous eûmes fait environ une lieue, je remarquai que ses pleurs étoient moins abondans, sa poitrine moins agitée, tout son extérieur plus tranquille. Nous n’avions pas encore ouvert la bouche depuis que nous étions entrés dans la voiture : voyant qu’il n’étoit pas éloigné de me raconter la cause de son malheur, je l’en priai poliment, et sans importunité : il y consentit.