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Voyages en Égypte et en Nubie/Préface de l’édition anglaise

La bibliothèque libre.
Traduction par G. B. Depping.
Librarie française et étrangère (tome 1p. v-x).

PRÉFACE
DE L'ÉDITION ANGLAISE.

Ayant fait mes découvertes tout seul, j’ai voulu aussi en rédiger moi-même la relation, au risque d’être taxé, avec justice, de témérité par le lecteur ; mais si mon récit y perd en agrément et en élégance, il y gagnera peut-être en fidélité et en exactitude. Quoique je ne sois pas Anglais, j’ai préféré rendre compte en anglais, à mes lecteurs, autant que je le puis, de mes recherches en Égypte, en Nubie, sur la côte de la mer Rouge et dans l’Oasis, plutôt que de courir la chance de voir mes pensées mal présentées par d’autres. Tout ce que je désire, c’est d’être bien entendu : je me bornerai à la narration simple et pure de ce qui m’est arrivé, pendant mes voyages dans ces contrées, depuis 1815, jusqu’en 1819. La description des moyens que j’ai employés pour atteindre mon but, les difficultés qui se sont opposées à mes travaux, et la manière dont je les ai vaincues, donneront une idée assez exacte des mœurs et coutumes des peuples avec lesquels j’ai eu des relations. J’ai peut-être trop parlé des obstacles élevés par la jalousie et l’esprit d’intrigue de mes adversaires, et peut-être n’ai-je pas assez songé que le public se soucierait peu de connaître mes querelles particulières, qui, pourtant, dans ces momens et dans ces contrées, me parurent de la plus grande importance ; mais j’ose espérer qu’il accordera un peu d’indulgence à un homme, qui ne se souvient pas sans chagrin, que ce furent ces querelles mêmes qui le forcèrent de quitter l’Égypte, avant d’avoir exécuté tous ses projets.

J’ai aussi à demander pardon de quelques observations que j’ai hasardées sur divers points historiques : c’est que la vue des temples, des tombeaux et des pyramides, m’avait rendu ces antiquités tellement familières, que je n’ai pu m’empêcher de me livrer à des conjectures sur leur origine et sur le but de leur construction. L’érudit et le voyageur savant souriront de ma présomption ; mais eux-mêmes n’ont-ils donc jamais qu’une seule opinion, sur ces matières, et ne diffèrent-ils pas quelquefois d’avis sur des sujets bien moins difficiles ?

On a déjà beaucoup d’ouvrages sur l’Égypte et la Nubie, écrits par les voyageurs de la dernière époque, tels que M. Denon et les autres savans français, dont le récit général sur ces pays laisse peu de chose à désirer. Il en est de même de l’ouvrage de M. Hamilton, dont je puis certifier l’exactitude de la manière la plus positive. Que pourrais-je dire encore à l’éloge du feu cheik Burckhardt, homme tellement familiarisé avec la langue et les mœurs de ces peuples, que personne ne soupçonna qu’il fût Européen ? Les détails qu’il nous a donnés sur les tribus de ces contrées, sont si exacts et si complets, qu’à ce sujet il ne reste que peu ou rien à observer en Égypte et en Nubie.

Cependant je dois faire valoir en ma faveur une circonstance particulière, en priant le lecteur de ne pas prendre ma remarque pour un mouvement de vanité : c’est qu’aucun voyageur n’a eu autant d’occasions d’étudier les mœurs des indigènes, qu’il s’en est présenté à moi, puisqu’aucun n’a eu avec eux des relations aussi spéciales. Mon occupation constante étant d’aller à la recherche des antiquités, j’eus avec eux diverses transactions, qui me mirent à même de bien observer le véritable caractère des Turcs, des Arabes, des Nubiens, des Bédouins et des Ababdeh. Je me trouvai donc dans une position bien différente de celle d’un voyageur ordinaire, qui fait ses remarques sur les habitans et les antiquités, en parcourant le pays, et qui n’a pas la tâche pénible d’agir sur l’esprit de ces peuples ignorans et superstitieux, pour les engager à des travaux auxquels ils étaient totalement étrangers.

Je suis d’une famille romaine, établie depuis long-temps à Padoue. L’état de trouble dans lequel se trouva l’Italie en 1800, et qui est trop connu pour que j’aie besoin d’en parler en détail, me forcèrent de quitter ma patrie ; depuis ce temps, j’ai visité diverses parties de l’Europe et éprouvé bien des vicissitudes du sort. J’avais passé la plus grande partie de ma jeunesse à Rome, ancien séjour de mes ancêtres, où je faisais mes études pour me préparer à l’état monastique ; mais l’entrée inattendue de l’armée française dans cette ville, changea ma destination ; depuis lors m’étant livré aux voyages, j’ai toujours mené une vie errante. Ma famille me fournit d’abord quelques secours ; mais comme elle n’était pas riche, je ne voulus pas être à sa charge, et je commençai à vivre de ma propre industrie, en tirant partie des faibles connaissances que j’avais acquises dans diverses branches. Je m’adonnai surtout à l’hydraulique que j’avais apprise à Rome ; cette science me fut très-avantageuse, et elle devint finalement le motif de mon départ pour l’Égypte. J’avais été informé en en effet qu’une machine hydraulique serait d’une grande utilité dans ce pays pour l’irrigation des champs, qui n’attendent que l’eau pour se couvrir de productions à toutes les époques de l’année. Mais j’anticipe sur les événemens. Arrivé en Angleterre en 1803, je m’y mariai bientôt après, et je continuai d’y résider pendant neuf ans. Ayant formé ensuite la résolution de me rendre dans le midi de l’Europe, je visitai avec ma femme le Portugal, l’Espagne, et Malte. Dans cette île nous nous embarquâmes pour l’Égypte, où nous séjournâmes cinq ans. Ce fut là que j’eus le bonheur de découvrir plusieurs restes d’antiquités des habitans primitifs. Je parvins à ouvrir une des deux fameuses pyramides de Gizeh, ainsi que quelques tombes des rois de Thèbes. Parmi ces dernières, celle qu’un des savans les plus distingués de notre âge regarde comme la tombe de Psammétique, est visitée en ce moment par les voyageurs, comme le monument le plus beau et le plus parfait de ce pays. Le célèbre buste du jeune Memnon que j’ai apporté de Thèbes, est maintenant au musée Britannique ; et le sarcophage d’albâtre trouvé dans les tombeaux des rois est en route pour l’Angleterre.

Auprès de la seconde cataracte du Nil, j’ouvris le temple d’Ybsamboul ; j’entrepris ensuite un voyage à la côte de la mer Rouge, pour retrouver la ville de Bérénice, et je fis encore une excursion à l’Oasis ou Elloah occidentale. M’étant enfin embarqué pour l’Europe, je revins, après une absence de vingt ans, dans ma patrie et dans le sein de ma famille, d’où je me rendis en Angleterre.

À mon retour en Europe, je trouvai que l’on avait répandu dans le public, sur mes opérations et découvertes en Égypte, tant de bruits erronés, que je regardai comme un devoir, de publier un simple exposé des faits. Si quelqu’un révoquait en doute l’exactitude de mes assertions, je le prierais de s’expliquer ouvertement, afin que je puisse être à même de fournir mes preuves.