Voyages en Égypte et en Nubie/Avis du traducteur

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Traduction par G. B. Depping.
Librarie française et étrangère (tome 1p. xi-xiv).

AVIS DU TRADUCTEUR.

Cette simplicité du récit, à laquelle l’auteur tient avec raison, comme à l’une des qualités les plus recommandables d’une relation de voyage, j’ai tâché de la conserver dans la traduction qui est aussi fidèle que le permet la différence des langues. Si je me suis écarté de l’original en quelques points peu importans, je ne l’ai fait qu’avec l’assentiment de l’auteur, qui a trouvé bon que je supprimasse les répétitions et quelques phrases qui n’ajoutaient rien ni aux pensées ni aux faits énoncés précédemment, et que je réunisse des détails homogènes qui dans l’original étaient quelquefois séparés. J’ai adopté pour les noms propres une orthographe uniforme et j’ai suivi à cet égard, autant que possible, la grande description de l’Égypte. J’ai ajouté quelques notes que peut-être on ne regardera pas comme inutiles.

J’arrive à une partie délicate de la relation des voyages de M. Belzoni ; je veux parler des passages où il expose les persécutions qu’il a essuyées dans ses recherches intéressantes. L’auteur a bien voulu me laisser la plus grande latitude à l’égard de la traduction de ces passages. Quoique profondément blessé dans tous ses sentimens, M. Belzoni a pourtant été disposé à supprimer la vive expression de son chagrin. J’ai quelquefois usé de cette liberté pour adoucir les termes ; mais je n’ai pas cru devoir porter la réserve trop loin. Un homme qui, comme M. Belzoni, s’est illustré par de belles découvertes et par des recherches importantes, est bien en droit, ce me semble, de se plaindre de ceux qui l’ont arrêté dans sa carrière, surtout quand ses adversaires n’ont rien négligé pour prévenir le public, non-seulement contre ses travaux, mais encore contre son caractère.

Il est triste, j’en conviens, d’apprendre que les rivalités, ou plutôt les jalousies nationales des Européens, cherchent des victimes jusqu’au milieu des ruines d’Égypte, et donnent, à des peuples que nous appelons barbares, un spectacle peu propre à leur faire estimer notre civilisation. Mais ce n’est pas M. Belzoni qui, le premier, a mis le public dans la confidence de ces querelles singulières ; il se livrait encore à ses recherches savantes en Égypte, lorsque déjà les presses d’Europe diffamaient son caractère et discréditaient les résultats de ses travaux. Des anonymes calomniaient sa conduite, des savans employaient l’autorité de leur nom à lui ravir l’honneur de ses découvertes. À son retour, sa première pensée a dû être d’exposer les faits comme ils se sont passés, et de faire tomber l’échafaudage de diffamations et de faussetés que ses adversaires avaient élevé sans peine et sans danger pendant son absence. Il s’est expliqué, dans sa relation, comme un homme offensé dans ce qu’il a de plus cher, son honneur. Il a rejeté tout le blâme sur ceux qui l’ont attaqué ; c’est à eux maintenant à se justifier s’ils se sentent innocens.

On a voulu colorer le motif de ces attaques jalouses du nom de patriotisme ; mais aucun véritable savant n’a jamais regardé comme une action patriotique de dénigrer les savans étrangers. Si les découvertes scientifiques avaient besoin d’un certificat d’indigénat comme les marchandises de nos fabriques, il est probable que le domaine de la science resterait toujours fort rétréci ; cela accommoderait peut-être les demi-savans ; cependant la république des lettres, ainsi que l’humanité, ne doit pas connaître les limites politiques : elle a les mêmes intérêts sur tout le globe.

Au reste, d’honorables témoignages ont déjà vengé M. Belzoni des attaques de ses ennemis. Le colonel Fitz-Clarence, qui a été témoin de ses opérations en Égypte, dit de lui, dans la relation de ses propres voyages : « M. Belzoni possède à un degré étonnant l’art de se concilier l’affection des Arabes, et leur fait réellement faire tout ce qu’il veut. Il projette des recherches fort extraordinaires ; et l’on peut attendre de son esprit ingénieux le succès de tout ce qu’il entreprend, etc. » La ville de Padoue, qui a donné naissance à M. Belzoni, et à laquelle il a fait hommage de deux statues provenant de ses fouilles en Égypte, a fait frapper en son honneur une médaille sur laquelle sont indiquées ses principales découvertes archéologiques. Les antiques qu’il a tirées des entrailles de la terre ou sauvées des mains de la barbarie vont former un accroissement considérable d’un des premiers dépôts scientifiques de l’Europe, le musée britannique à Londres. On aimerait sans doute mieux en France qu’ils fussent venus orner le musée royal de Paris ; mais on ne peut pas réunir tous les trésors ; d’ailleurs, depuis que les nations sentent que les collections d’art, pour être utiles, doivent toujours être exposées au public, il importe peu à l’intérêt de l’art que ce soit dans telle ou telle capitale qu’on peut les admirer. L’essentiel est qu’elles soient préservées de la destruction, et accessibles, dans tous les momens, aux indigènes et aux étrangers.