Vues des Cordillères/T1/3

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(tome 1p. gravure-56).
Buste d’une Prêtresse Aztèque
Buste d’une Prêtresse Aztèque
Buste d’une Prêtresse Aztèque


PLANCHES I et II.[1]

Buste d’une Prêtresse aztèque.



J’ai placé à la tête de mon Atlas pittoresque un reste précieux de la sculpture aztèque. C’est un buste en basalte conserve à Mexico dans le cabinet d’un amateur éclairé, M. Dupé, capitaine au service de Sa Majesté Catholique. Cet officier instruit, qui, dans sa jeunesse, a puisé le goût des arts en Italie, a fait plusieurs voyages dans l’intérieur de la Nouvelle-Espagne, pour étudier les monumens mexicains. Il a dessiné, avec un soin particulier, les reliefs de la pyramide de Papantla, sur laquelle il pourroit publier un ouvrage très-curieux.

Le buste, représenté dans sa grandeur naturelle, et de deux côtés (Pl. i et ii), frappe surtout par une espèce de coiffe qui a quelque ressemblance avec le voile ou calantica des têtes d’Isis, des Sphinx, des Antinoüs et d’un grand nombre d’autres statues égyptiennes. Il faut observer cependant que, dans le voile égyptien, les deux bouts qui se prolongent au-dessous des oreilles, sont le plus souvent très-minces, et plies transversalement. Dans une statue d’Apis, qui se trouve au musée Capitolin, les bouts sont convexes par-devant, et striés longitudinalement, tandis que la partie postérieure, celle qui touche le col, est plane et non arrondie comme dans la coiffe mexicaine. Cette dernière présente la plus grande analogie avec la draperie striée qui entoure les têtes enclavées dans les chapiteaux des colonnes de Tentyris, comme on peut s’en convaincre en consultant les dessins exacts que M. Denon en a donnés dans son Voyage en Égypte[2].

Peut-être les bourrelets cannelés qui, dans l’ouvrage mexicain, se prolongent vers les épaules, sont-ils des masses de cheveux semblables aux tresses que l’on voit dans une statue d’Isis, ouvrage grec qui est placé dans la bibliothèque de la Villa-Ludovisi, à Rome. Cet arrangement extraordinaire des cheveux frappe surtout dans les revers du buste gravé sur la seconde Planche, et qui présente une énorme bourse attachée au milieu par un nœud. Le célèbre Zoega, que la mort vient d’enlever aux sciences, m’a assuré avoir vu une bourse tout-à fait semblable, dans une petite statue d’Osiris, en bronze, au musée du cardinal Borgia, à Veletri.

Le front de la prêtresse aztèque est orné d’une rangée de perles qui bordent un bandeau très-étroit. Ces perles n’ont été observées dans aucune statue de l’Égypte. Elles indiquent les communications qui existoient entre la ville de Ténochtitlan, l’ancien Mexico, et les côtes de la Californie, où l’on en péchoit un très-grand nombre. Le col est enveloppé d’un mouchoir triangulaire, auquel pendent vingt-deux grelots ou glands, placés avec beaucoup de symétrie. Ces grelots, comme la coiffe, se retrouvent dans un grand nombre de statues mexicaines, dans des bas-reliefs et des peintures hiéroglyphiques. Ils rappellent les petites pommes et les fruits de grenade qui étoient attachés à la robe du grand-prêtre des Hébreux.

Sur le devant du buste, et à un demi-décimètre de hauteur au-dessus de sa base, on remarque de chaque côté les doigts du pied, mais il n’y a pas de mains, ce qui indique l’enfance de l’art. On croit reconnaître, sur le revers, que la figure est assise ou même accroupie. Il y a lieu de s’étonner que les yeux soient sans pupilles, tandis qu’on les trouve indiquées dans le bas-relief découvert récemment à Oaxaca. (Pl. xi.)

Le basalte de cette sculpture est très-dur et d’un beau noir ; c’est du vrai basalte auquel sont mêlés quelques grains de péridot, et non de la pierre lydique ou du porphyre à base de grünstein, que les antiquaires appellent communément basalte égyptien. Les plis de la coiffe, et surtout les perles, sont d’un grand fini, quoique l’artiste, dépourvu de ciseaux d’acier, et travaillant peut-être avec les mêmes outils de cuivre mêlé d’étain, que j’ai rapportés du Pérou, ait du trouver de grandes difficultés dans l’exécution.

Ce buste a été dessiné très-exactement, sous les yeux de M. Dupé, par un élève de l’académie de peinture de Mexico. Il a 0,38 m de hauteur, sur 0,19 m de largeur. Je lui ai laissé la dénomination de Buste d’une Prêtresse qu’on lui donne dans le pays. Il se pourroit cependant qu’il représentât quelque divinité mexicaine, et qu’il eût été placé originairement parmi les Dieux pénates. La coiffe et les perles qui se retrouvent dans une idole découverte dans les ruines de Tezcuco, et que j’ai déposée au cabinet du roi de Prusse, à Berlin, autorisent cette conjecture : l’ornement du col et la forme non monstrueuse de la tête rendent plus probable que le buste représente simplement une femme aztèque. Dans cette dernière supposition, les bourrelets cannelés qui se prolongent vers la poitrine, ne pourroient être des tresses, car le grand-prêtre ou Tepanteohuatzin coupoit les cheveux aux vierges qui se dévouaient au service du temple.

Une certaine ressemblance entre le calantica des tètes d’Isis et la coiffe mexicaine, les pyramides à plusieurs assises, analogues à celles du Fayoum et de Sakharah, l’usage fréquent de la peinture hiéroglyphique, les cinq jours complémentaires ajoutés à la fin de l’année mexicaine, et qui rappellent les épagomèmes de l’année memphitique, offrent des points de ressemblance assez remarquables entre les peuples du nouveau et de l’ancien continent. Nous sommes cependant bien éloignés de nous livrer à des hypothèses qui seroient aussi vagues et aussi hasardées que celles par lesquelles on a fait des Chinois une colonie de l’Égypte, et de la langue basque un dialecte de l’hébreu. La plupart de ces analogies s’évanouissent dès que l’on examine les faits isolément. L’année mexicaine, par exemple, malgré ses épagomènes, diffère totalement de celle des Égyptiens. Un grand géomètre, qui a bien voulu examiner les fragmens que j’ai rapportés, a reconnu, par l’intercalation mexicaine, que la durée de l’année tropique des Aztèques est presque identique avec la durée trouvée par les astronomes d’Almamon[3].

En remontant aux temps les plus reculés, l’histoire nous indique plusieurs centres de civilisation, dont nous ne connaissons pas les rapports mutuels, tels que Méroé, l’Égypte, les bords de l’Euphrale, l’Indostan et la Chine. D’autres foyers de lumières, encore plus anciens, étoient placés peut-être sur le plateau de l’Asie centrale ; et c’est au reflet de ces derniers que l’on est tenté d’attribuer le commencement de la civilisation américaine.

  1. Pl. i de l’édition in-8o.
  2. Denon, Voyage, pl. 39, 40, 60 (no 7 et 8).
  3. Laplace, Exposition du Système du Monde, 3e  édit., p. 554.