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Vues des Cordillères/T1/4

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PLANCHE III.

Vue de la grande Place de Mexico.



La ville de Ténochtitlan, capitale d’Anahuac, fondée, l’an 1325, sur un petit groupe d’ilots situé dans la partie occidentale du lac salé de Tezcuco, fut totalement détruite pendant le siège qu’en firent les Espagnols, en 1521, et qui dura soixante-quinze jours. La nouvelle ville, qui compte près de cent quarante mille habitans, a été reconstruite par Cortez, sur les ruines de l’ancienne, en suivant les mêmes aligne mens des rues ; mais les canaux qui traversoient ces rues ont été comblés peu à peu, et Mexico, singulièrement embelli par le vice-roi comte Revillagigedo, est aujourd’hui comparable aux plus belles villes de l’Europe. La grande place, représentée dans la troisième Planche, est le site qu’occupait jadis le grand temple de Mexitli, qui, comme tous les teocallis ou maisons des dieux mexicains, étoit un édifice pyramidal, analogue au monument babylonien dédié à Jupiter Bélus. On voit à droite le palais du vice-roi de la Nouvelle-Espagne, édifice d’une architecture simple, appartenant originairement à la famille des Cortez, qui est celle du marquis de la Vallée d’Oaxaca, duc de Monte Leone. Au milieu de la gravure se présente la cathédrale, dont une partie (el sagrario) est dans l’ancien style indien ou moresque, vulgairement appelé gothique. C’est derrière cette coupole du sagrario, au coin de la rue del Indio triste et de celle de Tacuba, que se trouvoit jadis le palais du roi Axajacatl, dans lequel Montezuma logea les Espagnols, lors de leur arrivée à Ténochlitlan. Le palais de Montezuma même étoit à droite de la cathédrale, vis-à-vis le palais actuel du vice-roi. J’ai cru utile d’indiquer ces localités, parce qu’elles ne sont pas sans intérêt pour ceux qui s’occupent de l’histoire de la conquête du Mexique.

La Plaza major y qu’il ne faut pas confondre avec le grand marché de Tlatelolco, décrit par Cortez dans ses lettres à l’empereur Charles-Quint, est ornée, depuis l’année 1803, de la statue équestre du roi Charles IV, exécutée aux frais du vice-roi marquis de Branciforte. Cette statue en bronze est d’une grande pureté de style, et de la plus belle exécution : elle a été dessinée, modelée, fondue et placée par le même artiste, Don Manuel Toisa, natif de Valence, en Espagne, et directeur de la classe de sculpture de l’académie des beaux-arts à Mexico. On ne sait ce qu’on doit le plus admirer, ou du talent de cet artiste, ou du courage et de la persévérance qu’il a déployés, dans un pays où tout restoit à créer, et dans lequel il lui a fallu vaincre les obstacles les plus multipliés. Ce bel ouvrage a réussi dès la première fonte. La statue pèse près de vingt-trois mille kilogrammes ; sa hauteur excède de deux décimètres celle de la statue équestre de Louis XIV, qui étoit à la place Vendôme, à Paris. On a eu le bon goût de ne pas dorer le cheval ; on s’est contenté de l’enduire d’un vernis de couleur olivâtre, qui tire sur le brun. Comme les édifices qui entourent la place sont en général peu élevés, on voit la statue projetée contre le ciel ; circonstance qui, sur le dos des Cordillères, où l’atmosphère est d’un bleu très-foncé, produit l’effet le plus pittoresque. J’ai assisté au transport de cette masse énorme, depuis l’endroit de sa fonte jusqu’à la Plaza major. Elle a traversé une distance d’environ seize cents mètres, en cinq jours. Les moyens mécaniques que M. Toisa a employés pour l’élever sur le piédestal d’un beau marbre mexicain, sont très-ingénieux, et mériteroient une description détaillée.

La grande place de Mexico est aujourd’hui d’une forme irrégulière, depuis que, contre le plan de Cortez, on y a construit le carré qui renferme les boutiques du Parian. Pour éviter l’apparence de cette irrégularité, on a jugé nécessaire de placer la statue équestre, que les Indiens ne connoissent que sous le nom du grand cheval, dans une enceinte particulière. Cette enceinte est pavée en carreaux de porphyre, et élevée de plus de quinze décimètres au-dessus du niveau des rues adjacentes. L’ovale, dont le grand axe est de cent mètres, est entouré de quatre fontaines, et fermé, au grand déplaisir des indigènes, par quatre portes, dont les grilles sont ornées en bronze.

La gravure que je publie est la copie fidèle d’un dessin fait, dans des dimensions plus grandes, par M. Ximeno, artiste d’un talent distingué, et directeur de la classe de peinture à l’académie de Mexico. Ce dessin offre, dans les figures placées hors de l’enceinte, le costume des Guachinangos, ou du bas peuple mexicain[1].

  1. Voyez mon Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, Vol. II, p. 12 et 136 de l’éd. in-8o.