Wikisource:Extraits/2012/40

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Marguerite Audoux, L’Atelier de Marie-Claire 1921



L’ATELIER DE MARIE-CLAIRE


I

Ce jour-là, comme chaque matin à l’heure du travail, l’avenue du Maine s’encombrait de gens qui marchaient à pas précipités et de tramways surchargés qui roulaient à grande vitesse vers le centre de Paris.

Malgré la foule, j’aperçus tout de suite Sandrine. Elle aussi allongeait le pas et je dus courir pour la rattraper.

C’était un lundi. Notre chômage d’été prenait fin, et nous revenions à l’atelier pour commencer la saison d’hiver.

Bouledogue et la petite Duretour nous attendaient sur le trottoir, et la grande Bergeounette, que l’on voyait arriver d’en face, traversa l’avenue sans s’inquiéter des voitures afin de nous rejoindre plus vite.

Pendant quelques minutes il y eut dans notre groupe un joyeux bavardage. Puis les quatre étages furent montés rapidement. Et tandis que les autres reprenaient leurs places autour de la table, j’allai m’asseoir devant la machine à coudre, tout auprès de la fenêtre. Bouledogue fut la dernière assise. Elle souffla par le nez selon son habitude, et aussitôt l’ouvrage en main, elle dit :

— Maintenant il va falloir travailler dur pour contenter tout le monde.

Le mari de la patronne la regarda de très près en répondant :

— Eh bé… Dites si vous grognez déjà !

C’était toujours lui qui faisait les recommandations ou les reproches. Aussi les ouvrières l’appelaient le patron, tandis qu’elles ne parlaient de la patronne qu’en l’appelant Mme Dalignac.

Bouledogue grognait pour tout et pour rien.

Lorsqu’elle n’était pas contente, elle avait une façon de froncer le nez qui lui relevait la lèvre et découvrait toutes ses dents, qui étaient fortes et blanches.

Il arrivait souvent que le patron se querellait avec elle ; mais