Émile Verhaeren, Le Comte de la Mi-Carême dans Poèmes légendaires de Flandre et de Brabant 1916
LE COMTE DE LA MI-CARÊME
Au trot de son lent cheval blanc,
Passe, dans les villes de Brabant
L’oreille au trou des cheminées,
Surprendre, avec sa haquenée,
Ce qu’on entend et ce qu’on voit
Dans les maisons, où les mioches
Autour des foyers d’or, l’hiver,
S’instruisent en des livres clairs,
Par la lucarne à tabatière,
Longer les étroites gouttières.
Il vient et va, pousse en avant,
S’arrête, et puis revient encore ;
Son cheval suit tous les chemins
Qu’il lui suggère avec la main,
Et quand parfois, au loin, s’essorent
Ses hauts galops silencieux,
La sueur blanche et son écume
S’entremêlent, comme des plumes
Sur l’échiquier géant des tours
Et des pignons des carrefours,
Par les grand’routes translucides.
Ceux qui ne l’ont pas aperçu
Quand vers le soir sonnent les cloches,
C’est qu’ils eurent les yeux en poche.