Wikisource:Extraits/2016/32

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Arthur Buies, Petites Chroniques pour 1877 : Nos places d’eau — Rimouski 1878


RIMOUSKI



Le Bic est, après Cacouna, la place d’eau la plus rapprochée, en suivant toujours la rive sud. Il faut faire dix-sept lieues pour y arriver et l’on se trouve à cent-soixante dix milles de Québec, en face d’un fleuve sans cesse s’élargissant et qui prend déjà une allure océanique. Mais ne nous y arrêtons pas encore ; abordons vite le grand centre du bas St. Laurent, trois lieues plus loin, Rimouski, chef-lieu d’une immense région, du plus grand district judiciaire et du plus grand diocèse du Dominion.

Rimouski n'est pas seulement une campagne, c’est une petite ville, et une petite ville qui mérite admirablement ce nom. Figurez-vous que vous êtes sur le bord du fleuve, mais absolument sur le bord, là où sa largeur atteint une douzaine de lieues et d’où le regard aperçoit vaguement la rive nord confondue avec l’horizon, ou baignée dans les flots qu’elle teint d’une longue frange bleue qui semble flotter, se soulever ou s’abattre comme une crinière ondulée. Vous êtes au fond d’une baie de peu de profondeur, qui s’évase largement, et que deux pointes de terre inégales protègent de chaque côté contre la violence des vents du nord-est ou du sud-ouest ; le chemin, un chemin plus beau, plus régulier que les chemins macadamisés les mieux entretenus, passe presque sur la grève, entre deux haies de maisons qui se suivent dru sur une longueur de vingt arpens et qui constituent le cœur même de la ville ; derrière, un côteau dominé par de grands édifices tels que le palais de justice, le collège et le couvent, et recouvert ça et là de villas élégantes que des jardins naissants et d’ingénieuses plantations dérobent plus ou moins au regard. À l’extrémité de gauche, une rivière extrêmement pittoresque, variant de deux à cinq cents pieds en largeur, se fraye sournoisement un chemin dans l’intérieur du pays et va se perdre près de la frontière avec ses truites, ses saumons et ses anguilles qui ont escaladé cascades, écluses et barrages. À l’extrémité de droite, c’est la pointe apparente que fait la baie en se refermant, et qui n’offre aucun relief, mais dont le contour régulier, au dessin ferme et pur, s’harmonise agréablement avec l’ensemble du paysage. En face, à une lieue au large, s’étend la gracieuse, l’élégante île de St. Barnabé, île protectrice qui défend Rimouski des vents du nord, qui reçoit sans distinction rêveurs et pique-niqueurs, également hospilalière à tous, qui ne demande pas mieux que de se faire tondre par les nombreux visiteurs à court de bois, et qui n’a véritablement pas de défauts, malgré ce qu’en disent les baigneurs qui vont se jeter à l’eau sur son rivage, s’y gèlent en une seconde et se plaignent ensuite de ce que l’île ne les réchauffe pas.

Dans Rimouski il y a plusieurs genres de beautés ; la beauté ample, à découvert, sans obstacle devant la vue, beauté libre et souveraine que le majestueux St. Laurent déploie dans son cours. Il y a la beauté pittoresque et gracieuse, nourrie d’inattendus, abondante en détails, pleine de capricieux désordres, de promesses interrompues, de séductions, de détours et de fallacies savamment ménagées pour le plaisir de l’âme et des yeux ; c’est la beauté qu’offrent dans son cours furtif la rivière Rimouski et ses rives tantôt dérobées, tantôt étalées en plein soleil sous la chaude averse des rayons d’été ; ça et là bordées d’épaisses touffes d’arbrisseaux qui jettent une ombre silencieuse sur des eaux profondes et claires comme le cristal, ou