Wikisource:Extraits/2018/28

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James Oliver Curwood, Les Chasseurs d’or 1909

Traduction Louis Postif et Paul Gruyer avant 1930


Le calme engourdissement de midi planait au-dessus des vastes solitudes de la forêt, de la plaine et des lacs canadiens. L’élan et le caribou, occupés à se repaître dès l’aube naissante, étaient maintenant au repos, immobiles sous la précoce chaleur du soleil de février.

Le lynx, roulé en boule dans sa tanière, en quelque chaos rocheux, attendait, pour reprendre sa maraude, que, dans le ciel du Nord, le soleil s’inclinât peu à peu vers l’occident. Le renard faisait, lui aussi, sa sieste coutumière. Les oiseaux-des-élans, tout heureux, gonflaient voluptueusement leurs plumes, sous la tiède clarté qui commençait à fondre les dernières neiges de l’hiver.

C’est l’heure où, sur la piste du gibier, le chasseur averti dépose à terre son paquetage, pour ramasser sans bruit le bois mort dont il fera son feu, puis, ayant absorbé son déjeuner, allume et fume sa pipe, l’œil et l’oreille aux aguets.

Alors, si vous tentez d’élever la voix, il posera son doigt sur ses lèvres et rapidement murmurera :

— Ch-h-h-h ! Taisez-vous ! Peut-être y a-t-il, à deux pas de nous, en dépit du silence qui semble régner, un gibier tout proche. Toutes les bêtes, repues, somnolent en ce moment. Si nous ne les dérangeons point, elles demeureront ainsi, durant encore une heure ou deux. Élans et caribous sont peut-être à une portée de fusil de nous. Impossible de le savoir…

Bientôt, cependant, quelque chose bougea, dans le désert immobile et muet.

Ce ne fut à l’œil, tout d’abord, qu’un petit point noir, sur le flanc ensoleillé d’une crête neigeuse. Puis cela grossit, s’étira et s’allongea, étendant ses pattes de devant et aplatissant ses épaules.

C’était un loup.

Le loup, d’ordinaire, son festin terminé, s’endort profondément. Un chasseur expérimenté n’eût pas craint d’affirmer que, si la bête secouait ainsi sa torpeur, c’est que quelque chose l’avait alarmée.

Cet outlaw de la solitude venait, en effet, de sentir imperceptiblement dans l’air ce qui, plus que tout, inquiète les hôtes du Wild[1]. L’odeur de l’homme.

Le loup descendait lentement la pente blanche, lourd encore de nourriture et de sommeil, alerté pourtant par son vieil et atavique instinct de défense.

Comme il trottinait parmi la neige fondante d’une clairière, il s’arrêta soudain. La perception de l’odeur humaine s’était faite plus forte.

Si bien que, levant son museau, droit vers le ciel, il se prit à lancer à ses frères de la forêt et de la plaine le signal avertisseur coutumier.

À cela, quand il est grand jour, se borne le loup. La nuit, il prendra immédiatement la chasse de l’homme, et d’autres loups se joindront à lui, à son appel. Mais, sous le soleil de midi, il se contentera de jeter son cri d’alarme, pour, presque aussitôt, se défiler peureusement, dans une direction opposée.

Ce loup, cependant, ne prit point la fuite. Il continuait à

  1. Le wild est un terme générique, intraduisible, qui, comme le causse, le maquis, la brousse, la pampa, la steppe, la jungle, désigne une région particulière et l’ensemble des éléments types qui la constituent. Le Wild comprend, dans l’Amérique du Nord, la région traversée par le cercle arctique et celle qui l’avoisine, qui ne sont plus la terre normalement habitable sans être encore la glace éternelle et la région morte du pôle.