Wikisource:Extraits/2018/45

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Jean Richepin, La Mer : Un dizain de sonnets en guise de préface 1894


I



Parmi les vains désirs, à l’avance déçus,
N’est-ce pas le plus fou, celui dont je me vante,
De faire dans des mots tenir la mer vivante
Avec tous ses secrets que nul n’a jamais sus ?

Sans doute. Mais pourtant, auprès d’elle, et dessus,
J’ai passé de longs jours d’extase captivante.
J’en ai bu la tendresse et mangé l’épouvante.
C’est ce que j’ai senti dont mes vers sont tissus.

Pour un si grand tableau, certes, l’étoffe est brève.
Ah ! tout ce qu’on entend, ce qu’on voit, ce qu’on rêve
Devant cet infini qui change incessamment !

Espérer qu’on l’embrasse est un enfantillage.
Bah ! Dans la goutte d’eau luit tout le firmament,
Et tout l’Océan chante au fond d’un coquillage.



II



Aussi bien, après tout, puisque je suis ici
En train de m’excuser, ô lecteur bénévole
Qui jugeras si mon espérance était folle
Ou si mes orgueilleux projets ont réussi,

Il faut de bout en bout que tu sois éclairci.
Avant que mon esquif ouvre l’aile et s’envole,
En style familier, sans ornement frivole,
Je vais pour mon audace implorer ta merci.

Assez de mauvais gas à sinistre figure
Me jetteront du quai quelque mauvais augure
Pour ameuter sur moi les colères du vent !

Je veux que ton souhait me conduise au mouillage,
Et que ta voix sans haine au départ me suivant
Pour bénédiction m’envoie un : — Bon voyage !




III



Et d’abord, sache bien à ma louange, ami,
Que je ne suis pas, comme on dit, marin d’eau douce.
De tanguer et rouler j’ai connu la secousse.
Sur un pont que les flots balayaient j’ai blêmi.

J’ai travaillé, mangé, gagné mon pain parmi
Des gaillards à trois brins qui