Wikisource:Extraits/2023/30

La bibliothèque libre.

Jules Moinaux, Le chien tondu en lion, 1920


LE CHIEN TONDU EN LION


… Il est si bien acquis que nos compatriotes sont farceurs, qu’ils peuvent être pris pour tels même en cas de simple malentendu.

Est-ce le cas de M. Boulabert, amené devant les magistrats par un tondeur de chiens qui lui réclame deux francs, prix de la tonte en lion d’un caniche, plus trois francs d’indemnité pour le temps que ce monsieur lui fait perdre ?

C’est ce que les explications des parties vont nous apprendre.

Fillard (c’est le nom du tondeur de chiens) raconte ainsi le fait :

— Voilà. Je rendais à ma femme un chat que ses maîtres m’avaient dit qu’il avait du vice et que je disais à ma femme : « Tu peux leur garantir qu’il sera sage comme une image. » Pour lors, monsieur s’arrête à regarder le chat et dit : « Pauvre bête ! — Bah ! que je réponds, il n’en deviendra que plus gras. Vous pouvez l’essayer par vous-même, » que je lui dis, en manière de rigoler. Là-dessus, voyant que ce monsieur avait un chien, un sale barbet, une espèce de griffon, enfin un chien à poils, je dis comme ça : « Faut-il rafraîchir un peu ce cabot-là, bourgeois ?

— Le rafraîchir ? qu’il me fait ; ça ne peut pas lui faire de mal. »

Moi, là-dessus, je prends le chien et je dis à ce monsieur :

« Voulez-vous que je le tonde en lion ?

— En lion ! qu’il me dit.

— Oui, tondu seulement à partir des reins, et puis je lui ferai des manchettes aux pattes.

— Dame, qu’il me répond, oui, en lion avec des manchettes, je crois que ça fera bon effet. »

Voyant ça, je tonds le chien en lion avec des manchettes. Monsieur reste là, à me regarder travailler. Quand c’est fini, je mets le cabot sur ses pattes et je dis :

« Eh bien, bourgeois, comment le trouvez-vous, votre toutou ?

— Ça lui va très bien, qu’il me répond.

— Un Amour, que je lui dis : quarante sous !

— C’est pas cher, qu’il me fait. »

Là-dessus, il s’en va, et son chien le suit en remuant la queue, comme un chien qui est content qu’on lui a fait sa toilette. Moi, je rappelle monsieur, en lui criant :

« Eh bien, et les quarante sous ?

— Quels quarante sous ? qu’il me demande.