Woodstock/Introduction

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Woodstock, ou Le Cavalier, Histoire de l’année 1651
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 8p. 5-13).

INTRODUCTION.


MISE EN TÊTE DE LA DERNIÈRE ÉDITION D’ÉDIMBOURG.




La fertile période de la grande guerre civile d’Angleterre mit dans tout leur jour le caractère et le génie des différents partis, et certes les incidents qui surgirent des deux rangs opposés avaient un caractère aussi frappant qu’extraordinaire, et ils offraient un ample fondement à une composition idéale ou fictive. L’auteur l’avait, en quelque sorte, essayée dans Peveril du Pic ; mais la scène se trouvait en un lieu reculé du royaume et mêlée de quelques autres différences nationales qui lui laissaient encore la liberté de faire une petite récolte après une si riche moisson.

Dans ces circonstances, quelques aventures merveilleuses arrivées à Woodstock, en 1649, se présentèrent à lui comme une histoire qu’il avait lue depuis long-temps, quoiqu’il ne pût se rappeler en quel endroit, et dont l’idée paraissait suffisante pour être exploitée, bien que sans doute elle eût pu l’être beaucoup mieux, si l’auteur n’eût pas, dans le laps du temps qui s’était écoulé, perdu en partie le souvenir exact de l’histoire véritable.

Ce ne fut guère que dans l’année 1831 que l’auteur, appelé à écrire la présente introduction, obtint un abrégé substantiel et général de ce qui était réellement arrivé sur la merveilleuse circonstance dont il est question. Il le trouva dans un ouvrage ayant pour titre : The Every-day Book (le Livre de tous les jours), publié par M. Hone et rempli de curieuses recherches d’antiquité ; le but de cet auteur étant d’offrir une variété de renseignements originaux sur les mœurs, renseignements que l’on trouverait difficilement ailleurs. Entre autres documents, M. Hone cite un article au British Magazine, 1747, lequel est probablement celui que l’auteur de Woodstock avait autrefois parcouru, bien qu’il n’ait pu se rappeler la source de sa première lecture. Cet article est intitulé : « Histoire véritable du brave démon de Woodstock, fameux dans le monde en 1649, laquelle n’avait jamais été racontée ou entendue jusqu’à présent. »

Le narrateur de cette véridique histoire s’exprime ainsi :

« Quelques papiers originaux étant tombés dans mes mains, sous le titre de Mémoires authentiques du mémorable Joseph Collins d’Oxford, vulgairement connu sous le nom de Funny Joe, et prêts à être mis au jour, je fus extrêmement charmé d’y trouver le récit sans réplique et circonstancié du plus fameux des agents invisibles, si bien connu en 1649 sous le nom de brave démon de Woodstock, et même adoré par le peuple de cette localité, à cause des tribulations qu’il occasionnait à certaines gens qui ne les aimaient pas beaucoup. Comme cette fameuse histoire, quoique rapportée par plus de mille individus, et attestée dans ses détails, au delà de toute possibilité du doute, par des hommes de rang, de science et de renom, d’Oxford ainsi que des villes voisines, n’a pas encore été généralement racontée ou comprise, et comme elle est parfaitement et irrécusablement expliquée dans ces papiers, je ne pourrais sans remords me dispenser de faire éprouver à mes lecteurs le même plaisir qu’elle m’a causé en la lisant. Je vais donc la leur communiquer. »

Il n’y a nul doute qu’en 1649 bon nombre d’incidents, que l’on suppose surnaturels, arrivèrent au château royal de Woodstock, pendant que les commissaires du parlement s’efforçaient de le dévaliser et de le détruire. L’abrégé de ce qui advint, publié par les commissaires eux-mêmes ou sous leur patronage, a paru comme sixième relation du Monde dévoilé de l’invisible Satan, par George Sinclair, professeur de philosophie à Glasgow, collecteur approuvé de semblables romans.

Aucun des grands partis politiques de ce temps n’avait intérêt à discréditer ce récit qui donnait satisfaction tout à la fois aux Cavaliers et aux Têtes-rondes : les premiers concevant que la licence accordée aux démons était une conséquence de la souillure impie du mobilier et des appartements du roi, à tel point que les citoyens de Woodstock adoraient presque les esprits supposés, comme vengeant la cause de la royauté ; au lieu que les amis du parlement, de leur côté, imputaient à la malice de l’ennemi l’empêchement au pieux ouvrage, comme ils jugeaient celui qu’ils avaient en main.

Au risque de prolonger une citation curieuse, j’insère ici une page ou deux du livre de M. Hone (Every-day-Book) :

« Les honorables commissaires arrivèrent au château de Woodstock le 13 octobre 1649, et s’installèrent dans les propres appartements du roi. Ils firent de la chambre à coucher leur cuisine, de la salle du conseil leur paneterie, et de la salle d’audience le lie où ils expédiaient les affaires. La salle à dîner du roi devint leur chantier, et ils n’y enfermèrent d’autre bois que celui du fameux chêne royal du parc, qu’ils avaient enlevé jusqu’aux racines et mis en fagots pour allumer leur feu, de manière qu’il ne demeurât rien du nom de roi dans la localité.

« Le 16 octobre ils commencèrent à expédier des affaires. Au milieu de leur premier débat, un gros chien noir, à ce qu’ils pensèrent, entra dans la salle, y poussa un affreux hurlement, renversa deux ou trois chaises ou fauteuils, et sans causer d’autres dommages se glissa sous le lit, où il rongea des cordes. La porte de l’appartement avait été constamment fermée, et lorsqu’au bout de deux ou trois heures Giles Sharp, secrétaire des commissaires, regarda sous le lit, il s’aperçut que l’animal avait disparu, sans avoir touché à un plat de viande que les domestiques y avaient caché, et le montrant aux commissaires, ceux-ci furent convaincus que ce ne pouvait avoir été un chien véritable ; ledit Giles déposa aussi sous serment qu’à sa connaissance il n’y en avait pas.

« Le 17 octobre, au moment où les commissaires étaient à dîner dans une pièce plus basse, ils entendirent distinctement le bruit de gens qui se promenaient dans la pièce supérieure, quoiqu’ils sussent parfaitement que les portes en étaient fermées et qu’il ne pouvait s’y trouver personne. Ensuite ils entendirent également que l’on portait tout le bois du chêne royal, et qu’on le jetait avec violence de la salle à dîner dans la salle d’audience, en même temps que les chaises, les fauteuils, les tables et les autres meubles étaient bouleversés dans l’appartement, et qu’on y déchirait les papiers-minutes de leurs transactions, après avoir brisé les encriers. Lorsque tout ce vacarme eut cessé, ledit Giles proposa d’entrer le premier dans les appartements, en présence des commissaires qui venaient de lui en remettre les clefs : il ouvrit la porte et entra dans la chambre suivi de leurs Seigneuries. Là il trouva le bois dispersé dans l’appartement, les chaises déplacées et brisées, les papiers déchirés, les encriers brisés ; et cependant on n’aperçut aucune trace de pas humains, et aucune porte n’avait été ouverte pour laisser entrer ou sortir aucun individu depuis que les commissaires étaient là. Ils tombèrent donc unanimement d’accord que la personne qui avait fait tout ce dégât ne pouvait avoir pénétré dans la chambre que par le trou de la serrure.

« Dans la nuit du même jour, ledit Giles et deux des domestiques des commissaires, pendant qu’ils étaient au lit dans la même chambre avec leurs maîtres, eurent les pieds de leurs lits soulevés beaucoup plus haut que leurs têtes ; ils s’attendaient à avoir le cou rompu : ils furent en effet jetés avec violence de leurs lits dans la chambre à une distance considérable ; ceci se répéta plusieurs fois, et les commissaires en furent les témoins stupéfaits. Le lendemain matin, on trouva les bois de lit fendus ou brisés ; et ledit Giles et ses camarades déclarèrent avoir les membres disloqués par l’ébranlement et le cahotement de leurs lits.

« Le 19 octobre, au moment qu’ils étaient tous ensemble au lit, toutes les lumières s’éteignirent à la fois en répandant une odeur sulfureuse, et aussitôt un grand nombre d’assiettes de bois furent mises en mouvement dans la chambre. L’un des domestiques ayant levé la tête par dessus les draps, n’en reçut pas moins de six qui le blessèrent grièvement. Le lendemain on trouva les assiettes çà et là dans la chambre, et on remarqua que c’étaient les mêmes que celles dans lesquelles on avait mangé la veille, aucune n’étant restée dans la chambre des provisions ou paneterie.

« Dans la nuit du 20 octobre, les lumières furent éteintes comme auparavant, les rideaux des lits dans lesquels dormaient les commissaires furent tirés et retirés plusieurs fois avec une grande violence ; leurs Seigneuries reçurent plusieurs mauvais coups, étant d’ailleurs assez meurtries par huit grands plats d’étain et trois douzaines d’assiettes de bois qu’on avait jetés sur les lits et qu’on entendit ensuite rouler dans l’appartement.

« Pendant assez long-temps, cette même nuit, on entendit rouler beaucoup de fagots près des lits ; mais le matin on n’y en trouva aucun, on ne trouva non plus ni plats ni assiettes ; et ledit Giles attesta que, d’après leur arrangement tout différent dans la paneterie, on les avait sans doute enlevés et replacés immédiatement.

« Le 21 octobre, le garde et son chien passèrent la nuit près des commissaires, et l’on n’entendit rien.

« Le 22 octobre, les lumières furent enlevées comme auparavant. Les commissaires avaient avec eux le chien, et n’en furent point pour cela protégés : le chien poussa un cri lamentable ; les draps des lits furent tirés avec force et sans qu’il fît aucun vent, les briques du haut de la cheminée furent jetées dans le milieu.

« Le 24 octobre, les lumières furent de même enlevées ; on crut que tout le bois du chêne du roi était violemment jeté près des lits ; on compta soixante-quatre fagots qui tombèrent avec une grande violence, et quelques uns ébranlèrent les lits ; mais le matin on ne trouva rien près des lits, et la porte de la chambre dans laquelle on avait renfermé les fagots n’était pas non plus ouverte.

« Le 25 octobre, même disparition des lumières ; les rideaux de lits sont violemment agités plusieurs fois ; le bois est remué de la même manière ; on entend un craquement qui ressemble au tonnerre ; et un des domestiques, en courant pour voir si son maître n’était pas tué, trouva à son retour au lit trois douzaines d’assiettes de bois que l’on avait placées sous le matelas.

« Le 26 octobre, les lits furent ébranlés comme auparavant ; il sembla que les vitres étaient toutes brisées et que le verre en tombait partout dans la chambre. Le matin on trouva les fenêtres intactes ; mais le parquet était jonché de verre cassé que l’on recueillit et que l’on mit de côté.

« Le 29, à minuit, les lumières disparurent, quelqu’un marcha d’un pas grave dans la chambre, ouvrit et referma la fenêtre ; de grosses pierres furent jetées violemment dans la chambre, quelques unes tombèrent sur les lits, les autres sur le parquet, et vers une heure un quart du matin, on entendit comme une décharge de quarante canons à la fois, bruit terrible qui fut répété à environ huit minutes d’intervalle. Ce bruit alarma et fit lever tous les voisins qui, arrivant jusqu’auprès des lits des commissaires, ramassèrent près de ces lits de grosses pierres en grande quantité, et dont quelques unes étaient semblables à des cailloux ordinaires ; ils les portèrent dans un coin du champ attenant à la maison. Ce même bruit, pareil à une décharge de mitraille, fut entendu dans le pays à seize milles à la ronde. Les commissaires et leurs domestiques, se croyant perdus, crièrent au secours, et Giles Sharp, sautant sur une épée, faillit tuer un des commissaires qu’il prit pour le démon, parce que ce commissaire arrivait en chemise dans la chambre. Pendant que tous étaient rassemblés, le bruit continua ; une partie de la toiture de la maison et toutes les fenêtres de la chambre supérieure furent enlevées.

« Le 30 octobre, quelqu’un marcha dans la chambre, ou se traîna comme un ours ; il marcha quelque temps, puis jeta violemment la bassinoire sur le parquet, et l’endommagea tellement qu’elle fut pour ainsi dire mise hors d’usage. Ensuite il y eut une grande quantité de verre avec de grosses pierres et des os de cheval jetés dans la chambre ; on trouva le tout le lendemain matin ; et le parquet, les lits, les murailles étaient grandement endommagés.

« Le 1er novembre, des lumières furent placées dans toutes les parties de la chambre, et on y alluma un grand feu. À minuit, ces lumières brûlaient encore ; un bruit comme celui du canon fut entendu dans la chambre, et les bûches de bois enflammées furent roulées près des lits ; si les commissaires n’avaient point appelé Giles et ses camarades, la maison eût été certainement brûlée. Une heure après disparurent les lumières comme de coutume ; on entendit le bruit de plusieurs canons, et plusieurs seaux pleins d’eau puante furent jetés près des lits des commissaires ; il y eut aussi de grosses pierres roulées comme auparavant ; les rideaux des lits furent déchirés, et les bois de lit disloqués ; les vitres furent de même et réellement brisées, à tel point que tout le voisinage fut alarmé du bruit, jusqu’à des lapins maraudeurs qui, cette nuit hors de la garenne, furent tellement effrayés qu’ils prirent la fuite en laissant leurs furets bien loin derrière eux.

« Un des commissaires parla cette même nuit, et demanda au nom de Dieu pourquoi on les troublait ainsi. Il n’obtint aucune réponse ; toutefois le bruit cessa pour un moment, mais l’esprit revint bientôt avec d’autres pires que lui. Un des domestiques alluma une grande chandelle et la plaça sur le seuil de la porte entre les deux chambres, afin qu’il pût voir ce qui se passerait ; comme il la surveillait[1], il aperçut distinctement un sabot qui poussa la chandelle et le chandelier dans le milieu de la chambre, et qui fit ensuite trois grattages à la mèche pour l’enlever. Là-dessus la même personne fut assez hardie pour tirer une épée ; mais l’arme était à peine hors du fourreau, qu’une main invisible montra une autre épée et la dirigea contre le domestique en le frappant si violemment sur la tête avec le pommeau, qu’il se crut mort. À cet instant l’on entendit un nouveau fracas, semblable à la décharge d’une bordée d’un vaisseau de guerre, et ce bruit fut répété, à une ou deux minutes d’intervalle, jusqu’à dix-neuf fois, ce qui ébranla tellement la maison que les autres s’attendaient à tout moment à la voir crouler sur leurs têtes. Les voisins furent épouvantés, et accourant au logis ils se mirent en prières en chantant des psaumes dans une chambre pendant que le bruit continuait dans les autres, et que le canon y faisait des décharges, bien que pas une âme ne s’y trouvât. »

Le docteur Plot termine sa relation de ce mémorable événement en faisant observer que, bien que l’on ait vu souvent jouer de semblables tours dans des affaires de cette nature, beaucoup de circonstances ayant rapport à cet événement ne peuvent se concilier avec les tours de gobelets, comme par exemple : 1° ces bruits plus grands que le pouvoir de l’homme ne peut les rendre sans le secours d’instruments, et il n’y en avait aucun ; 2° le déchirement des rideaux et le bouleversement des lits ; 3° l’éparpillement du feu ; 4° le sabot entraînant la chandelle ; 5° la prise de l’épée et le coup que le domestique en reçut avec le pommeau.

Pour montrer à quel point les hommes sont quelquefois trompés, nous pouvons recourir à un écrit intitulé : Histoire secrète de l’honnête démon de Woodstock, dans laquelle nous voyons de la propre main de l’auteur que Joseph Collins, vulgairement appelé Funny Joe, était lui-même ce vrai démon ; que, sous le nom simulé de Giles Sharp, il se loua comme domestique au service des commissaires ; qu’à l’aide de deux amis, d’une trappe ignorée dans le plafond de la chambre à coucher, et d’une livre de poudre ordinaire, il joua lui-même tous ces tours extraordinaires ; que ses acolytes qu’il avait introduits pour l’assister avaient quitté leurs propres lits, et qu’au moyen d’une traînée de poudre les lumières étaient arrangées de manière à pouvoir être éteintes à volonté.

Le chien qui commença la farce n’était pas du tout un gros chien, mais véritablement une chienne qui, comme le jura Funny Joe, avait depuis peu mis bas dans cet appartement où elle faisait tout ce tapage pour chercher ses petits ; et comme elle avait servi les projets de Joe, il l’avait laissée sortir pour l’employer ensuite. L’histoire du sabot et de l’épée, pour lesquels il rendit témoignage de manière à ce qu’on ne pût pas douter de la vérité, n’était qu’une pure fiction. Par le moyen de la trappe, ses amis lâchaient les pierres, les fagots, le verre, l’eau, etc., que l’on y laissait pour être hissés de nouveau, afin de servir à ses desseins ultérieurs. De cette manière ses amis pouvaient aller et venir sans ouvrir les portes ou sans passer par le trou des serrures ; et tout le bruit dont il a été parlé, Joe déclare qu’il le produisit en plaçant une certaine quantité de poudre à canon sur des charbons ardents, ou sur des plats d’étain, qui en se fondant éclataient avec un bruit violent.

Je suis heureux d’avoir une occasion d’établir ici la véritable histoire de ces événements remarquables, et, d’après le récit de mon propre auteur, le lecteur ne les aurait pas contestés, soit en nommant une poudre blanche qui éclatait à la fusion, soit en faisant à son gré prendre feu à la terre contenue dans le pot à fleur ; ces faits n’auraient pas été contestés, dis-je, puisque, tout improbables qu’ils puissent paraître à quelques personnes, et tout mystérieux qu’ils aient pu être du temps de Joe, ils sont maintenant bien connus en chimie. Quant au dernier procédé, il suffit de mêler une quantité de limaille de fer bien fine et de la poudre de soufre pure, de manière à en faire une pâte qui, après avoir reposé environ vingt-six heures, se trouvera prendre feu et brûlera tout le soufre en jetant une flamme bleue et en répandant une mauvaise odeur. Pour ce qui est de la poudre blanche, c’est ce que les chimistes appellent de la poudre fulminante. Elle est composée de trois parties de salpêtre, de deux parties de sel de tartre et d’une partie de fleur de soufre, mêlées et battues ensemble pour former une belle poudre ; une faible quantité de cette poudre, tenue par la pointe d’un canif sur une lumière, n’éclatera point qu’elle ne fonde, et alors elle éclatera comme un coup de pistolet. Elle avait pu être disposée en plus grande quantité, de manière à faire d’elle-même explosion pendant que Joe se trouvait auprès de ses maîtres.

Telle est l’explication des aventures de revenants de Woodstock, ainsi qu’elles ont été transmises par M. Hone en son vieux traité ayant pour titre : Mémoires authentiques du célèbre Joseph Collins d’Oxford, dont le courage et la loyauté furent les uniques magiciens qui produisaient ces étranges et surprenantes apparitions et ces travaux surnaturels qui s’opérèrent d’une manière si incontestable sous les yeux des commissaires du parlement, d’après le docteur Plot et d’autres écrivains en crédit. La poudre fulminante, principal secret dont Joe fit usage, est aujourd’hui connue du moindre apprenti de pharmacie.

Si ma mémoire ne me trahit point, l’acteur de ces merveilles employa son habileté d’artificier dans la remarquable circonstance que je vais citer. Les commissaires n’avaient pas, dans leur zèle pour la chose publique, négligé leurs intérêts privés, et un acte fut dressé sur parchemin pour consigner la portion et la nature des avantages qu’ils s’étaient mutuellement concédés. Mais en même temps il leur répugnait, ce semble, de confier à aucun d’eux la garde d’un titre à la conservation duquel ils étaient tous intéressés. Ils cachèrent donc, d’un commun accord, l’écrit dans un pot qui contenait un arbuste, afin que cet arbuste le dérobât aux regards des spectateurs. Cependant le bruit des apparitions merveilleuses s’étant répandu au dehors, la curiosité attira à Woodstock une foule de gens des environs, et en particulier quelques unes des personnes auxquelles la connaissance de cette convention eût offert une ample matière à produire du scandale. Comme les commissaires recevaient ces hôtes ou visiteurs dans le salon où le pot de fleur était placé, une mèche fut mise tout-à-coup un jour à des pièces d’artifice établies en ce lieu par le secrétaire Giles Sharp. Le pot à fleur sauta avec le titre de concussion, ou bien fut préparé de manière à éclater de lui-même, et le contrat des commissaires contenant le témoignage de leur friponnerie tomba au milieu des visiteurs réunis en assemblée. Si j’ai rappelé exactement cet incident, car il y a plus de quarante ans que je ne l’ai lu, il est probable qu’en l’omettant dans le roman je puis de même avoir omis, par défaut de mémoire, plusieurs traits qui auraient été d’une importante addition à l’histoire elle-même. Il est certain, en effet, que les incidents réels conservent un avantage infini dans ces sortes de compositions sur ceux qui sont purement fictifs. L’arbre cependant doit rester où il est tombé.

Ayant eu occasion de me trouver à Londres en octobre 1831, je fis quelques recherches au musée britannique, et je découvris dans cette riche collection deux pièces originales contenant le récit des prodiges arrivés à Woodstock en 1649. La première est un poème satirique, publié en cette même année, et qui montre que la légende circulait parmi le peuple sous la forme dans laquelle elle fut ensuite rendue publique. Je n’ai pas trouvé l’explication de Joe Collins, qui, ainsi qu’elle est mentionnée par M. Hone, résout le tout en confédération. Cependant elle pourrait être retrouvée dans une recherche plus minutieuse que celle à laquelle je pus me livrer. En même temps on peut faire observer que ni le nom de Joe Collius, ni celui de Sharp ne figurent dans les personnages du drame, indiqués en ses écrits, publiés lorsque ce Joe aurait couru quelque danger d’être soupçonné, au moins en 1649 ; et peut-être eût-il éprouvé le même danger en 1660, à cause de la malice d’une faction puissante, bien qu’abattue et complètement défaite.


  1. Probablement que ce rôle de comédie était rempli par Giles Sharp, qui était ici le fantôme ou voyant régulier habituel.