Zoloé et ses deux acolythes/7

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De l’imprimerie de l’auteur (p. 67-74).

Conférence.


Des motifs urgens exigeaient la prompte réunion des trois amies ; il fallait dérouter les curieux sur les acteurs qui avaient joué un rôle dans cette fameuse débauche, et préparer d’autres parties de plaisir. Le Comité arrêta d’abord que des affidés désigneraient à demi-voix ? comme l’une des héroïnes, la marquise de Mirbonne, connue par ses bizarreries et ses fureurs libidineuses ; la fastueuse Gelna, maîtresse avouée de Mamamouchi, et Rosni, la plus dévergondée des officieuses procuratrices du vicomte de Sabar. La calomnie était affreuse ; mais elle sauvait au trio les épigrammes et les quolibets du public : il n’en fallut pas davantage pour le déterminer.

Dès le même jour, dans les plus nombreuses assemblées, on se souflait à l’oreille : vous savez les hauts faits de la nuit ? Oh ! ces femmes sont impayables ! quelle licence ! quelle effronterie ! et elles osent, dit-on, paraître dans la société, après cet éclat ? — Vraiment, reprenaient les autres, ce Fessinot est un grand poltron, pourquoi aussi va-t-il se jeter dans une société perdue. — N’est elle pas digne d’un pareil garnement, ajoute une vieille édentée ? Il m’a servi, Dieu sait combien de tours de gibecière il m’a joué et à mes femmes. C’était la séduction même ; il s’en est peu fallu que je ne fusse moi-même la dupe de son air sournois. Il a dissipé, en mauvais lieu, dans sa jeunesse, ce qu’il avait escamoté. Mais aujourd’hui, il ne lui reste plus de desirs à satisfaire, il est tout puissant ; il est riche, infiniment riche et avare. Ô si j’avais le malheur d’être sa femme, combien je me vengerais !

L’arrivée de Lauréda et plus encore une rumeur qui se répandit dans le salon fit taire la vieille sybille. Les regards se portaient sur la marquise qui entrait avec tout le cérémonial d’une dame de son importance. Zoloé était avec Volsange dans le fond de l’appartement, en train de confirmer les incrédules sur l’incartade attribuée à la marquise. Celle-ci lançait sur les spectateurs un regard hardi ; et ce ton décidé acheva de convaincre et d’indigner les plus indulgens. Gelna parut presqu’en même tems. Un motif différent l’avait engagée à se montrer ce jour-là dans les cercles les plus brillans. Un de ses adorateurs l’avait complimentée sur l’heureuse nuit qu’elle avait passée, et de suite lui avait déroulé toute l’histoire. Apperçevant de loin la marquise qui minaudait avec son éventail, elle court à elle et l’embrasse, — Eh ! bonjour, ma chère compagne ! comment vous trouvez-vous des fatigues de la soirée ? — Madame, j’ignore ce que vous entendez par cette question ! il me semble que vous vous trompez de personnage. Je ne me crois pas si fort de vos amies. — Non, vraiment, il n’y a pas à s’y méprendre. C’est bien vous avec laquelle j’ai partagé les délices d’une nuit !… Oh ! cela n’a pas de nom. — Encore une fois, madame, cessez ce ton de familiarité, je n’ai eu avec vous aucun rapport et ne veux, point en avoir.

Un silence profond régnait dans l’assemblée. Tous brûlaient de voir le dénouement de cette comédie. Il était réservé à Fessinot et au Vicomte de Sabar de le donner.

On n’ignore pas l’intimité qui existait entre ces deux hommes. Le premier venait informer son épouse de l’arrivée du comte son père ; l’autre était un des habitués de la maison. — Bon, s’écrie en éclatant de rire la petite Gelna, voilà encore deux de nos champions. Venez, messieurs, convertir la marquise. Elle nie qu’elle fût des nôtres cette nuit ; elle nierait, je crois, la clarté du soleil.

Rien n’était plus plaisant que de voir d’un côté les contorsions de la marquise ; et de l’autre, le geste de courroux de Fessinot. — Quoi ! je vous trouve ici, mesdames ! et c’est vous-mêmes qui osez être les prôneuses d’une infamie qui vous couvre de honte ! l’impudence ne fut jamais moins permise ; et si vous croyez qu’en payant d’audace, vous arrêterez ma vengeance, vous vous abusez. Mais je respecte l’aimable société qui embellit ce cercle. Chaque chose aura son tems. — Est-il fou, s’écrie à son tour la marquise étouffant de colère ? qu’ai-je à démêler avec cet homme ? se sont ils tous conjurés ici pour me vexer ? que signifient ces menaces, ces regards obliques, ces chuchotemens qu’on se permet depuis mon arrivée ? Madame, en s’adressant à la maîtresse du logis, on se comporte chez-vous avec la dernière indécence, vous eûssiez dû y mettre bon ordre. Adieu, madame, de ma vie, je vous le jure, je ne m’exposerai à de pareils afronts. Gelna ne pouvait se contenir, elle prenait un plaisir infinie à décontenancer la marquise, qui allait exhaler au dehors son épouvantable humeur, lorsque le vicomte la pria de l’entendre. — Permettez-moi, madame, de vous arrêter un moment et d’éclaircir un quiproquo dont les auteurs, en lançant un coup d’œil détourné à Zoloé et à Volsange, devraient rougir. Ce n’est pas vous seule qui avez lieu d’être surprise de l’air de mystère, des plaisanteries qu’a occasionné votre présence. Je partage avec vous ce déluge d’invectives, et je suis tout aussi innocent. Madame, en montrant Gelna, a voulu s’amuser en vous apostrophant. On a eu l’indignité de l’accuser, vous, moi et d’autres qu’il est inutile de nommer, d’avoir participé à la débauche la plus effrénée. Nous pouvons tous donner un démenti solemnel à cette calomnie, inventée pour dérober à une juste censure des personnages que le tems dévoilera un jour. Dans ces méprises, le seul à plaindre est Fessinot, car il a été le jouet du libertinage. Il vous doit des excuses ; et vous lui devez de l’indulgence. Après ces mots prononcés vivement, le vicomte de Sabar offrit la main à la marquise, salua et sortit avec Fessinot, laissant un vaste champ aux entretiens, pour ou contre ce qu’il venait d’affirmer.