Zoloé et ses deux acolythes/8

La bibliothèque libre.
De l’imprimerie de l’auteur (p. 75-80).

Bal.


Les scênes qui avaient suivi les calomnies mises en circulation avaient été trop violentes, elles pouvaient exciter à des enquêtes trop sérieuses pour qu’on ne s’empressât pas de les faire oublier. Aussi Lauréda la première proposa de donner un bal dans sa maison du Faubourg, et d’y inviter ce que la ville offrait de plus élégant et de plus distingué. Quelqu’événement naîtrait de cette nombreuse réunion des deux sexes ; et une anecdote ferait perdre le souvenir de l’autre.

Une décade entière fut employée aux préparatifs de la fête ; les salons furent ornés avec une somptuosité et un goût exquis. Le jardin offrait aux amans des retraites charmantes. On n’avait illuminé qu’autant qu’il le fallait pour guider leurs pas dans les berceaux de jasmins et de roses. Des lits d’un gazon frais invitaient à s’y reposer. On avait ménagé à droite et à gauche une petite issue couverte par une contre-allée, au moyen de la quelle on pouvait s’échapper dans les sinuosités, et tromper la curiosité des importuns. On rencontrait ça et là, des amusemens propres à distraire les contemplateurs ; c’était ici un jeu de bague, là une balançoire ; plus loin des courses à pied, à cheval. Des baladins faisaient rire par leurs tours de souplesse ; et dans le centre d’un bosquet bien éclairé, se trouvait nombre de petites boutiques charmantes ; elles n’étalaient d’autres marchandises que des nœuds de rubans à tous les usages, des bonbons, des pâtisseries délicieuses etc. : mais les marchandes étaient mises avec une propreté, elles avaient tant de graces et d’esprit, que plus d’un chalan s’offrit de bon cœur d’entrer de moitié dans leur commerce.

Après quelques tours de danse, et avoir fait admirer la richesse, le bon goût de leur costume et leur graces, Zoloé, Volsange et Lauréda prirent aussi possession d’un comptoir. Ce fut dans ce déguisement que Zoloé fit la conquête d’un capitaine Italien, Lauréda celle d’un colonel Espagnol, et Volsange, d’un milord Anglais. Le désœuvrement avait porté à la fête ces messieurs fraîchement débarqués de l’Italie d’où ils étaient venus ensemble. Ils se persuadèrent qu’ils pouvaient sérieusement mettre leur enchère sur toutes les babioles qu’on offrait à leurs yeux. Mais c’était bien moins les joujoux et autres bagatelles dont ils enviaient l’acquisition, que les charmes des aimables personnes qui les vendaient. À peine permîrent-ils à d’autres amateurs de les mettre à prix. Ils firent rafle sur tout ; et il leur fallut payer le dos de commissionnaires pour emporter leurs achats. Les boutiques se trouvant vides, il était naturel de proposer à ces dames un tour de promenade, elle fut acceptée. Si la chaleur de ces étrangers dans leurs emplettes les avait amusées, elles le furent bien plus de leur conversation. Ils écorchaient péniblement le français, et n’en étaient que plus ardens à parler. Ils voulaient plaire et séduire. Cela ne se fait pas sans des paroles.

Les trois fausses marchandes pouvaient s’exprimer aisément dans la langue de leurs adorateurs, mais les rusées trouvaient quelque chose de très-piquant dans les tournures singulières de leurs phrases et dans leurs manières. La nuance qui établit une différence dans le caractère national était trop tranchante pour ne pas produire un contraste très-plaisant. Mais ce qui aiguillonait le plus la curiosité de ces dames, c’était de savoir à quoi ces empressemens les conduiraient. L’Italien lorgnait quiconque paraissait remarquer sa compagne ; l’Espagnol formait un duo de paroles et de soupirs ; l’Anglais plus franc, moins accoutumé à se contraindre, en deux mots fit ses conditions à Volsange. Elles étaient magnifiques. La belle refusa de s’expliquer ; la recette est infaillible pour irriter les desirs. Les soupirans de Zoloé et Lauréda n’avaient pas fait le tiers de chemin, quoique plus enflammés mille fois que le noble lord. Le jour allait paraître ; ces dames annoncèrent leur retour, les cavaliers offrirent leur voiture. Quelle fut leur surprise d’entendre ces marchandes appeler leurs gens, et de voir accourir de magnifiques officieux avec de superbes équipages !

Lauréda part avec Zoloé pour sa maison du boulevard. On s’empresse en vain de demander la permission de leur rendre des hommages : les belles ne répondent que par un salut extrêmement affectueux, et ordonnent qu’on accélère leur retour.