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du roi de Castille. Vincent Ferrier, l’apôtre populaire, le missionnaire intrépide, est dignement honoré dans sa patrie. Peut-être serait-il temps que son frère, Boniface Ferrier, général des chartreux, reçût aussi les honneurs qui sont dus au premier traducteur catalan de la Bible. Il n’est jamais trop tard pour rendre justice au mérite.


II. — LES ÎLES.

Valence serait l’égale de Barcelone et de Carthagène si elle avait un port de mer. En attendant qu’on le lui donne, elle doit se contenter de celui du Grao, gracieuse petite ville qui est comme un de ses faubourgs. C’est de là que part le bateau à vapeur chargé du service des postes, et qui partait d’Alicante avant le choléra. À cause de l’épidémie, ce courrier maritime est tenu en observation à une assez grande distance du port, et soumis à la même surveillance dans la baie de Palma. Quarantaine à l’aller et au retour, au point de départ et au point d’arrivée. Pour le même motif, il ne peut toucher à Iviça. Défense absolue de débarquer aucun passager. Il reste à l’ancre pendant trois heures, le temps d’échanger les correspondances et de recevoir à bord quelques prévenus, escortés de gendarmes.

L’étranger qui arrive aux Baléares par le midi, pourrait se faire la plus triste idée des mœurs des insulaires, s’il s’en rapportait purement et simplement à ce qu’il voit et entend dire des habitans de ce premier groupe. Formentera et Iviça, séparées par un étroit canal, représentent les Pityuses, que les géographes anciens distinguaient expressément des Gymnuses ou Baléares proprement dites. Ce n’est pas que la terre et le climat diffèrent beaucoup, la latitude étant à peu près la même, comme les propriétés du sol, la faune et la flore. Ce qui diffère profondément, ce sont les mœurs, les traditions, les usages et les coutumes. Sauf une petite ville du même nom (Ebussus dans l’antiquité), Iviça ne compte que des villages formés de maisons éparses à proximité d’une église dont ces hameaux prennent le nom. Toutes les habitations se trouvent isolées et à une assez grande distance les unes des autres. Les habitans, peu sociables, sont soupçonneux, défians, un peu sauvages et parfois cruels. On ne compte plus les percepteurs, receveurs, inspecteurs et autres représentons du fisc qu’ils ont torturés, empalés, fait périr dans les supplices. Ils ne sont pas plus humains entre eux. Jamais ils ne s’aventurent un peu loin sans leur couteau de chasse et leur carabine. Au salut qu’on leur adresse dans les chemins ou à travers champs, le soleil couché, ils répondent par des coups de feu. On dirait que, parqués sous la tente, en camp volant, ils ont conservé les habitudes du désert. Ce n’est pas seulement en