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l’université Valentine, Gaspar Gil Polo, qui donna une digne suite à ce roman pastoral, mêlé de vers et de prose, et qui chanta les gloires poétiques de la ville que baigne le Turia ; c’est lui qui acclimata en Espagne le genre littéraire que Sannazar, lui-même d’origine espagnole, avait créé en Italie. Dès la fin du XVe siècle, la poésie castillane avait détrôné la poésie catalane, illustrée par Ausias March, Jaume Roix, Gaçull, Fenollar et tant d’autres dont les noms sont bien connus.

Reconquise par deux fois sur les Maures, d’abord par le Cid, ensuite par Jacques Ier d’Aragon, Valence se détacha insensiblement de la Catalogne et opta pour la Castille. Le dialecte valencien, d’une harmonie si douce, tient infiniment plus du castillan que du catalan. À l’entendre parler, on dirait des Castillans s’essayant à prononcer la rude langue de la Catalogne. Ce joli dialecte n’est depuis longtemps qu’un patois assez agréable, mais peu propre à servir d’organe à la prose et à la poésie. Il se meurt, littérairement parlant, et nul ne songe à le rajeunir, à le renouveler. Il n’est pas même bien sûr que les vieux poètes valenciens soient bien entendus de leurs compatriotes contemporains, s’il faut en juger par la dernière édition des vers d’Ausias March, publiée à Barcelone en 1884, sous les auspices de la société littéraire le lo Rat penat (la Chauve-souris), par un de ses membres. L’impression pourrait passer à la rigueur ; mais le texte est extrêmement incorrect ; il aurait besoin d’un bon commentaire. Il y a là un grave symptôme de décadence ou d’incurie. Chez les libraires, pas un seul ouvrage du cru qui mérite l’attention.

À Barcelone du moins, il est possible de suivre le mouvement de la renaissance catalane rien qu’en parcourant le catalogue spécial de l’éditeur Verdaguer. Ici, rien de pareil. Pas un dictionnaire, pas une grammaire ; aucun ouvrage qui rappelle la gloire passée, sauf une plaquette ridicule d’un savant du XVIIe siècle, où il est prouvé que le dialecte de Valence, en tant qu’il émane directement du latin, est bien supérieur au castillan, né de la corruption du latin. Voilà les pauvretés qu’on imprime dans une ville dont les presses rivalisaient autrefois avec celles de Madrid, et qui a vu naître les plus célèbres bibliographes de l’Espagne, après l’incomparable Nicolas Antonio, à savoir : Rodriguez, Ximeno, Fuster, pour ne rien dire de deux autres Valenciens qui ont bien mérité des lettres espagnoles par leurs doctes travaux de bibliographie et d’histoire littéraire, Mayans y Siscar et Perez Bayer.

Si Valence a oublié, ou peu s’en faut, le catalan, elle n’oublie point ce qu’elle doit à la Catalogne, un piédestal magnifique attend la statue colossale de Jacques le Conquérant, ce grand roi qui, après avoir joint à la couronne d’Aragon les îles Baléares et le royaume de Valence, conquit encore le royaume de Murcie pour le compte