Augusta Holmès et la femme compositeur/Texte entier

La bibliothèque libre.
Librairie Fischbacher (p. AT-118).


AUGUSTA HOLMÈS

et

LA FEMME COMPOSITEUR




DU MÊME AUTEUR


Méthode pour enseigner le piano 
 10 fr.



d’après le portrait de Mlle Huet


PAULA BARILLON-BAUCHÉ


Augusta Holmès          
et
     la Femme compositeur


Orné de 6 portraits et gravures




PARIS
LIBRAIRIE FISCHBACHER
(société anonyme)
33, rue de seine, 33

1912
tous droits réservés.

TABLE DES MATIÈRES



  
 7
 11
IX. 
 39
 42
XI. 
 45
 82
 85
XXI. 
 89


PORTRAITS ET DESSINS


  
Augusta Holmès 
  
  
Lucienne Bréval 
 40
  
Albert Alvarez 
 43
  
Décor de la Montagne noire 
 97
  
Mlle Torri et M. Alvarez 
 107
  
Décor de la Montagne noire 
 108

AUGUSTA HOLMÈS
ET LA FEMME COMPOSITEUR



Le génie est une longue patience.

(Buffon.)


PRÉFACE



C’est, d’habitude, inspiré par des sentiments profondément admiratifs qu’on entreprend l’analyse des œuvres ou du caractère d’un personnage célèbre ; je suis loin de cet enthousiasme sans réserve pour parler d’Augusta Holmès, et peut-être l’utilité de le faire, pour blâmer autant que louer, n’existerait-elle pas si mes critiques allaient uniquement à la musicienne, dont les triomphes furent tout au plus viagers. Mais, dans mon esprit, Holmès symbolise la femme compositeur avec son maximum de qualités et ses principales imperfections ; en méditant, d’après son exemple, on doit s’acheminer vers un progrès. Cette raison est une de celles qui m’incitent à l’étude qui va suivre ; malgré les dures vérités qu’on pourra y relever, soit envers Holmès soit envers les musiciennes, on y reconnaîtra, si l’on veut bien ne pas s’en tenir à une attention superficielle, plus de véritable considération, plus d’espoir, plus de confiance, que n’en prouvent les flots d’encens lancés au nez de jeunes artistes, chez lesquelles on provoque, ainsi, une agréable mais dangereuse griserie.

Bien souvent on nous traite comme on traite des enfants irraisonnables, des êtres imperfectibles ou des malades dont on juge l’état désespéré : des gâteries, des approbations, des flatteries exagérées, tel est le régime débilitant auquel on nous abandonne, sans estimer que nous valions la peine d’observations consciencieuses ou de réactifs efficaces ; puis, un jour, l’hiver remplaçant le printemps, on se détourne, avec dédain ou pitié, des faiblesses qu’on a contribué à entretenir[1].

Au sujet d’Augusta Holmès il n’en fut pas tout à fait ainsi, en ce sens qu’elle parut bien réellement intéressante et qu’elle a laissé, chez ceux qui l’approchèrent, le souvenir d’une artiste de grande valeur, libérée de féminité mièvre, originale, remarquablement douée pour tout ce qui se rapportait aux arts ; mais pour le public elle ne compte plus ! Nous sommes sans pitié envers ceux que le succès abandonne, nous n’accordons plus un regard à qui ne se maintient pas au sommet : « Tout ou rien » est notre axiome sans rémission à l’égard des artistes. N’est-ce pas excessif, un peu cruel aussi ?

Bien des choses m’ont choquée dans les compositions d’Holmès ; je ne pourrai m’empêcher de l’exprimer franchement, car ce qui blesse la musique m’est infiniment sensible — tous les musiciens me comprendront. — D’ailleurs l’indulgence est inadmissible lorsque l’art est en jeu. C’est donc sans indulgence que je parlerai d’Augusta Holmès ; elle eût préféré la sévérité à l’indifférence et des critiques partielles à l’oubli.




Préambule


Augusta Holmès… le nom a fière allure et sonne triomphant. Celle qui le porta fut considérée la mieux douée des femmes qui, depuis un siècle, s’occupèrent de composition musicale ; elle atteignit la célébrité et une célébrité de bon aloi, ce qui n’est pas absolument facile ou banal ; elle eut la gloire d’occuper l’affiche entière de notre Académie nationale de musique – fait sans exemple jusqu’à maintenant en faveur d’une femme[2] — et d’être fréquemment interprétée aux concerts de Pasdeloup, de Colonne, du Conservatoire, pour ne citer que ceux qui consacraient les réputations ; enfin, ses mélodies se répandirent un peu partout. Peu d’années se sont écoulées depuis la mort d’Holmès, et voici déjà longtemps que son nom ne figure plus sur les programmes. De son œuvre, pourtant considérable matériellement, rien n’a survécu.

Où se trouve l’erreur ?… Dans l’éclat du passé ou dans les ténèbres du présent ?…




I

Évolution dans l’art musical


De l’examen des compositions d’Augusta Holmès il résulte deux remarques expliquant, je crois, le sort si différent que hier et aujourd’hui accordent à des ouvrages en qui rien n’a changé : c’est d’abord l’évolution, si accentuée en ces derniers temps, dans l’art musical et dans l’appréciation du public pour cet art. Je n’ai pas à commenter les métamorphoses survenues de part et d’autre, progrès souvent, aberration parfois, dont il semble que le principe soit de brûler ce qu’on adora et d’adorer ce que naguère on eût brûlé comme oeuvre d’obscure sorcellerie. Évidemment notre sens de la musique s’est affiné, l’éducation de notre oreille s’est à tel point perfectionnée, que certains musiciens condamnent irrémissiblement toute mélodie accessible au commun des mortels. Jusqu’aux plus fidèles partisans des anciennes formules qui sentent fléchir leurs convictions et branler leur admiration pour Meyerbeer ou Gounod !

On doit se réjouir de ces revirements dénotant une épuration du goût, surtout quand on songe aux déconcertants jugements d’Aristarques d’antan, accusant Beethoven d’obscurité et d’aliénation, tournant en dérision les plus sublimes pages de Wagner, affolant, par leur ignorance, notre génial Berlioz et allant jusqu’à réserver devant l’éblouissante « Carmen » !

À constater ces phénomènes de l’erreur et de l’incompétence humaine, on devient indulgent pour les modernes snobs, donnant tête baissée dans les opinions nouvelles, et croyant affirmer leurs hautes connaissances en accueillant par une moue dédaigneuse la divine simplicité de Mozart, — qui, lui aussi, fut trouvé peu clair par certains de ses contemporains. — Et ma foi, on n’ose plus se montrer ahuri à l’audition de sonorités si confuses et compliquées, qu’il est impossible de distinguer en quel ton, pour quelle mesure et dans quel sens elles furent perpétrées. Après tout, il peut y avoir encore, parmi ceux qui nous semblent peu compréhensibles, un artiste d’avenir ; il serait abominable de le décourager, et qu’importe le présent, nos partialités, nos doutes ou nos convictions ? Seul, le temps rend des jugements stables et, sans se tromper, sépare l’ivraie du bon grain, faisant croître celui-ci et l’érigeant invincible, tandis que celle-là s’étiole et disparaît.

En dépit de livrets absurdes, de mélodies proscrites de nos jours, ou de grands airs bien écrits pour mettre les voix en valeur – de quelle façon bannis chez nos jeunes compositeurs !! — les opéras de Gluck, de Mozart, de Weber, de Haendel, de Rameau, demeurent et demeureront tant qu’il existera un musicien ; il n’y a ni mode, ni cerveaux en mal d’étrangeté, ni esprits arriérés, ni esthétique bornée, capables d’éteindre les flammes du génie, ou d’amoindrir ce qui nous vient des Bach, des Haendel, des Schumann, et de tant de maîtres tenant plus de Dieu que de l’homme.

Combien paraît exacte, en même temps que profonde dans sa modestie, cette phrase de Beethoven « Toute véritable production artistique est indépendante ; elle est plus puissante que l’artiste qui l’a créée, elle retourne à sa source, à la divinité, et n’a d’autre rapport avec l’homme que de témoigner de l’intervention divine en lui. »

On peut ajouter que ces productions sont immortelles, et triomphent de toutes atteintes. Mais justice est également rendue pour les œuvres moins inspirées et châtiées, bientôt disparues, même de nos souvenirs.

C’est ce qu’il advint de la musique d’Augusta Holmès. Holmès, qui très sincèrement s’autorisait de Wagner — symphoniste puissant entre tous — et croyait en suivre l’école, était simplement une mélodiste, à l’imagination féconde et ardente. Son « genre » pouvait encore, il y a vingt ans, convenir au goût du public, mais il ne frayait aucun sentier nouveau, indépendant des routes trop connues dont chaque jour les musiciens raffinés allaient se détourner, avec, de plus en plus, indifférence ou dédain, et, — défaut irrémissible, — il ne se soutenait pas par la pureté de forme ou d’inspiration qui est le côté invulnérable de nos classiques. Aussi dès que l’auteur ne fut plus là pour vivifier ses compositions de sa vie intense, les animer de son âme ardente, de ses habiles doigts de pianiste et de son émouvante voix, elles s’affaissèrent comme des marionnettes que le montreur abandonne, et, maintenant, s’effacent sous le linceul de l’oubli.




II

L’organisation féminine à l’égard de la Musique


Et cependant Augusta Holmès valait mieux que cette flambée jadis et cette cendre aujourd’hui ! Bien réellement elle possédait des dons exceptionnels de musicienne, elle était intelligente, cultivée en littérature, artiste lorsqu’elle interprétait, remplie d’ardeur, d’énergie, de confiance en elle ; mais… mais, elle était femme !… et j’arrive au second argument motivant la défaveur où sont tombées les productions d’Holmès en particulier, et où sombrent toutes les productions musicales féminines.

Que mes sœurs en sainte Cécile me pardonnent ce que je vais écrire, qu’elles ne rejettent pas, avant de les avoir parcourues entièrement, ces pages, dont nulle considération personnelle n’altère la franchise, qu’elles s’assujettissent, exemptes d’irritation, à un impartial examen de conscience… et d’action ; elles reconnaîtront l’exactitude de mes observations et n’attribueront pas à une malveillante sévérité un sentiment provenant, au contraire, de la conviction de ressources non utilisées chez les femmes, qui n’ont jamais donné en musique la mesure de ce dont elles seraient capables, sous certaines conditions.

Il est incontestable que les femmes, en tant d’autres domaines supérieures et originales, demeurent assez ternes ou trop imparfaites dès qu’elles abordent la composition musicale, même quand elles paraissent pourvues des brevets nécessaires pour passer hors ligne. À un degré moindre, cette infériorité se retrouve parmi les simples interprètes. Bien que beaucoup plus nombreuses que les hommes, on n’en voit guère qui puissent rivaliser avec leurs frères transcendants ; je mets à part les cantatrices : celles-ci l’emportent en général sur les chanteurs, mais ce n’est point par le côté essentiellement musical, c’est parce que si la voix féminine fait tant que d’être jolie, elle plaît plus que l’organe masculin, sans doute à cause de la prédilection de l’oreille pour les voix hautes, — les ténors sont préférés aux barytons, ces derniers aux basses, les soprani ont plus de partisans que les contraltos ; c’est aussi parce que la femme, naturellement plus souple, plus comédienne que l’homme, renforce l’expression de son chant par les jeux de physionomie et les attitudes ; enfin parce que son sentiment s’alimente au caractère, aux situations scéniques.

Considérons maintenant « l’instrumentiste » privée d’artifices matériels : rares sont les femmes qui dès leurs jeunes ans ne furent pas juchées sur un tabouret de piano ; beaucoup persévérèrent, les Conservatoires cultivant fort la graine de pianistes, les concerts enflammant leur ambition de gloire, l’espoir de gros cachets, ou plus modestement de leçons alimentaires, stimulant les nécessiteuses, et l’art offrant une nourriture idéale à ses sincères disciples, par la fréquentation d’oeuvres qui sont la gloire de l’humanité.

Non seulement les femmes sont entraînées vers la musique par leur éducation, mais leur nature les prédispose, semble-t-il, d’une façon prépondérante à cet art. Peu d’entre elles y demeurent indifférentes, beaucoup lui vouent un culte, quelques-unes font passer leur adoration par-dessus… (ou en dessous) jusqu’à l’interprète, quand il est prestigieux et masculin ! L’enthousiasme, l’admiration, qui d’habitude sont les meilleurs éducateurs, émanent tout particulièrement de la musique et apparaissent bien des impressions féminines, comme la sensibilité inhérente aux véritables artistes[3]. Malgré tout, quelle exécutante peut prétendre égaler Liszt, Thalberg, Rubinstein au piano, ou au violon, Paganini, Vieuxtemps Joachim, etc., et de nos jours Planté, Pugno, Paderewsky, Sauer, Rosenthal, Isaÿe, Kubelick, etc., etc. ?

Certes, il existe de remarquables « manieuses » de clavier ou d’archet, mais il serait dangereux, pour leur amour-propre et leur renom, de les mettre en parallèle avec les meilleurs interprètes hommes ; on objectera peut-être les avantages musculaires de ces derniers, je réponds : Bien que pour beaucoup de femmes la vigueur ne soit pas la moindre des ressources, leurs moyens physiques, inférieurs à la résistance masculine, ne les favorisent pas en effet dans les manifestations tumultueuses de la musique, et de cela elles sont irresponsables ; restent le sentiment profond, le style exact, la qualité du toucher, qui peuvent prendre plein essor sans sonorités excédant la puissance des femmes de qui d’autres vertus pianistiques devraient encore être l’apanage : la finesse, la grâce, l’élégance, l’originalité, le charme. Naturellement, chacune se croit en possession de tout ce que je viens d’énumérer ; à plus ou moins de degrés, chacune se trompe. Souvent les pianistes prétendant à ces précieux effets, ne réalisent qu’une interprétation maniérée, fausse ; tantôt c’est étriqué par excès de vitesse, tantôt c’est alourdi ou traîné en vue d’accentuations soi-disant pathétiques ou expressives ; à certains moments il y a sécheresse, à d’autres, confusion ; l’exécutante qu’une force virile avantage s’en fait plutôt une arme étourdissante qu’une alliée persuasive ; peu robuste, elle tourne à la mièvrerie. En général on réussit dans la virtuosité, et la difficulté n’existe pas, dirait-on, pour les doigts aussi intrépides qu’aguerris de nos vaillantes jongleuses sur ivoire, mais on ne sait pas exécuter respectueusement une sonate de Beethoven : on joue sans sobriété, ou alors avec froideur ; sans élévation, sans noblesse véritable, sans profondeur d’expression, sans simplicité, sans grandeur. Parfois même l’absolue correction mécanique laisse à désirer ; Beethoven est trop facile pour nos concertistes rompues à tous les sauts d’obstacles, c’est tout au plus si elles prennent la peine de l’étudier !!! Inutile d’assurer qu’aux femmes ne revient pas le monopole de tant d’imperfections, cependant elles y tombent tout particulièrement — sans les racheter par les beaux coups d’ailes de certains maîtres — et demeurent absolument inconscientes de leurs erreurs ; n’est-ce pas une preuve de leur faiblesse en musique ? Ne trouve-t-on pas un autre signe d’impuissance dans le fait que nulle femme n’a pu devenir chef d’orchestre éminent ? Je ne compte pas quelques orchestres falots de dames plus ou moins exotiques, ni de vagues tentatives de-ci de-là, affirmant de bien modestes aptitudes. En ce temps de féminisme à outrance, celle qui dispute à son ex-supérieur, et partage avec lui, non sans brio, l’amphithéâtre, la chaire, la toge, la loge, l’alpenstock, la caravane exploratrice, la bombe nihiliste, le Paradis de Médicis, le moteur aérien et jusqu’au siège de député, ne peut donc s’emparer d’une baguette, tout indiquée, semble-t-il, pour les mains adroites, qui maintes fois tracèrent le geste dominateur et irrésistible ! Pourquoi, mon Dieu ! Pourquoi ? Parce que dans le domaine des sons la femme manque de l’assurance, des connaissances et du sentiment exact par lequel on s’impose à une phalange d’artistes. On ne peut discipliner, animer, unifier des hommes de tempéraments, d’intelligences divers, qu’en s’imposant à leur jugement par une solide science, en leur communiquant l’élan d’une foi robuste, en les dominant par une volonté éclairée, en les maintenant avec une fermeté exempte de caprice ou de nervosité. L’orchestre apparaît un clavier inaccessible aux trop légers doigts féminins ; ce qui manque à la femme pour se diriger elle-même vers les exécutions transcendantes, lui manque encore plus pour diriger autrui, et, insuffisamment armée pour traduire, comment réussirait-elle à créer des œuvres durables ? Tant qu’elle ne pratiquera pas le travail intellectuel, elle ne pourra atteindre à un état mental, répondant aux exigences de la musique, car c’est ce travail qui lui manque, c’est la patience, c’est la clairvoyance, c’est l’habitude d’analyses abstraites, d’études absorbantes mais stimulantes, et susceptibles de développer des facultés négligées ; il lui manque aussi le dédain des succès faciles, la sévérité pour se juger, la volonté de se dépasser, l’application constante vers un idéal supérieur.




III

Procédés féminins à l’égard de la composition


Pour échapper au côté trop impressionnable de sa nature, contre-balancer maintes influences frivoles, soutenir un cerveau moins équilibré que celui de l’homme, la femme aurait absolument besoin de points d’appui inébranlables, tirés du plus profond de la science et étayés sur une ferme discipline intellectuelle. Or, tandis que dans les conservatoires, sous une direction éminente, les aspirants compositeurs s’assujettissent à de longues et fortes études d’harmonie, la jeune musicienne, douée de facilité pour l’improvisation, pense que tout le reste lui sera donné par surcroît. Elle s’empresse de noter ses « idées », puis soumet romances et impromptus à un petit cercle d’amis où naturellement on crie au miracle ! Sans peine se rencontre « l’excellent professeur » devant au mieux guider la nouvelle prêtresse d’Apollon. On va vite en besogne : accords de toutes espèces, cadences variées, dispositions vocales, partimenti divers, sont engouffrés et réalisés en grande promptitude ! Ainsi initiée, la néophyte est jugée digne des parties supérieures de la composition, avec l’aide d’un Saint-Saëns ou d’un Massenet ! D’esprit vif, dominée par le prestige du Maître, notre musicienne accomplit des progrès rapides, que le Directeur encourage, tout en exhortant à de continuels efforts. De ces exhortations il n’est guère tenu compte ; en revanche, les encouragements tombent comme rosée magique sur les jeunes pousses mélodiques impatientes de se propager, frêles et superficielles ainsi qu’un gazon fleuri.

Il fallait concentrer ses facultés dans l’étude abstraite, on les évapore en productions inconsistantes ; on pouvait devenir lucide dans le recueillement studieux, on s’aveugle dans l’éblouissement des premiers succès ; au lieu d’amasser des forces, on éparpille… des faiblesses ; et en place de la belle œuvre qu’un labeur sévère édifierait, on jette à tous les vents maintes pages d’une valeur relative.

Un autre grand défaut de la femme consiste à vouloir embrasser plus qu’elle ne peut étreindre, — ou pour présenter son cas sans périphrase – à se contenter de moyens strictement réduits à ce que paraît nécessiter ce qu’elle entreprend. Capable d’écrire quelques pages d’album, elle s’attaque, témérairement, à un symphonie ; assez instruite pour interpréter en connaissance de cause, elle se lance dans la composition, et ne daigne traduire Beethoven ou Schumann que lorsque ses études théoriques n’ont pas dépassé le solfège !

Du côté « exécution », elle s’acquitte allègrement et quotidiennement de dix heures d’exercices en faveur de l’assouplissement des doigts, mais n’accorde pas une heure à l’étude mentale d’une fugue de Bach, considérée au point de vue du style, du développement et de la science harmonique.

Ces procédés nous laissent presque toujours au-dessous de la tâche entreprise, car pour réussir « le moins » il faut pouvoir le « plus », et en pratique musicale, nous avons l’air d’avoir compris le contraire.

Aussi, faute d’auxiliaires possibles à conquérir, des dons précieux chez quelques privilégiées n’aboutissent qu’à des réussites limitées et temporaires.




IV

L’Éducation d’Augusta Holmès


Augusta Holmès est née à Paris, en 1847, d’un père irlandais et d’une mère écossaise qui, chose étrange, ne pouvait souffrir la musique ; elle mourut quand Holmès était tout enfant.

Le poète Alfred de Vigny avait en grande affection la petite Augusta et s’occupa assidûment de son éducation. De cette direction, de cette intimité, naquirent certainement le goût d’Holmes pour les poèmes, et sa facilité pour la versification. Pour l’emporter sur la littérature ainsi accessible, il fallait les dispositions musicales les plus vivaces, les mieux formées ; Holmès mit à leur service le fruit de son instruction poétique, et on doit supposer que dans ce jeune cerveau toute poésie évoqua la musique.

Alfred de Vigny vit avec mécontentement ces dispositions pour les choses artistiques, il s’efforça de détourner sa pupille de la voie musicale et ne réussit qu’à éloigner de lui l’enfant chérie comme sa fille, car, dès qu’Augusta devint grande fillette, une rupture se produisit entre elle et l’éducateur qui voulait contrarier une irréductible vocation. Peut-être par la suite, elle ignora la maladie et la cruelle agonie de celui qui dirigea son enfance ; elle ne le revit jamais et avait environ seize ans quand il mourut. À un ami d’Alfred de Vigny qui, plus tard, lui parlait de l’isolement final de l’auteur de Chatterton, Augusta Holmès répondit : « Il a eu le bonheur de mourir seul, tout seul ! comme Beethoven ! » Peut-être une présence amie eût-elle été mieux appréciée du vieux poète qu’un point de comparaison dont il ne dut même pas s’aviser.




V

Maître et Élève


Avec César Franck, Holmès travailla la composition. On est autorisé à penser que dans la hâte de produire, poussée par la tyrannique inspiration, notre jeune impatiente n’approfondit pas ses études ainsi qu’il l’eût fallu. Rien de la science de l’auteur de Rédemption n’apparaît chez l’auteur de la Montagne noire, et Holmès, qui professait un culte pour son maître, n’en subit l’influence ni dans le style ni dans la forme. Il est même curieux de constater que sa musique, en quelques passages inspirés de divers compositeurs, ne contient aucune réminiscence de Franck. Le tempérament de l’élève était d’ailleurs le plus opposé qu’on puisse mettre en regard avec celui de l’illustre Maître belge ; on se demande même si cet écart extrême, entre des tendances naturelles et une direction inspirée de principes tout différents, ne desservit pas Augusta Holmès. À tort on s’imagine réprimer certains défauts en les combattant par le maximum de qualités contraires ; de trop loin on ne peut s’entendre ; d’une discussion entre personnes ne parlant pas la même langue, il ne résulte jamais un accord bien net ; les concessions et éclaircissements ne se produisent que dans le cas où les opinions, non complètement divergentes, sont susceptibles de se fondre un peu et de s’amalgamer l’une avec l’autre.

Sans doute César Franck reconnaissait chez son élève un réel tempérament de musicienne, mais il est difficile de croire qu’il prit au sérieux un talent aux antipodes de ce qu’il cultivait dans ses propres compositions : l’élévation, la sérénité, une écriture et un style aussi savants que châtiés. Il eût fallu, chez Holmès, réglementer l’exubérance, car on ne pouvait la lui ôter ; épurer, sans l’exiger trop éthérée, la passion où Holmès appuyait trop, et modérer un goût extrême pour les gros effets. Cela était encore bien loin de l’idéal de Franck pour qu’il se limitât à ces régions tempérées, où son élève eût trouvé atmosphère à sa convenance.

Augusta Holmès pouvait admirer son maître, elle ne communiait pas avec lui, qu’elle s’en rendît ou non compte. Dans ces conditions elle ne devait rien glaner des gerbes hors de sa portée. Si ce désaccord ne favorisa pas le perfectionnement d’Holmès, elle n’en est pas responsable ; on ne peut l’acquitter de même pour ce qui tient au côté matériel de l’enseignement. Sur ce terrain ferme reposent des règles ne permettant aucune liberté d’interprétation et ne se pliant à aucune considération personnelle ; il est inadmissible que Franck ne les ait pas indiquées à son élève, et si l’élève avait voulu s’y astreindre, elle eût possédé des ressources techniques dont l’absence se fait fréquemment sentir dans ses ouvrages.

Mais allez donc, si César Franck que vous soyez, confiner dans les beautés de la fugue et les charmes du contrepoint, une jeune personne que les voix de l’inspiration sollicitent et qui sont son front nimbé de l’auréole des élus ! L’auteur des Béatitudes se découragea, sans doute, de lutter contre une nature indépendante, et le désintéressement dut suivre à l’égard de la disciple trop impatiente de succès immédiats.




VI

Les erreurs fondamentales d’Augusta Holmès.


Ce qu’on ne s’explique pas de la part d’une artiste intelligente et ambitieuse musicalement comme l’était Augusta Holmès, c’est son imprévoyance. Alors que son tempérament, ses goûts, la portaient vers les grands sujets symphoniques, elle se contenta, pour les aborder, d’une science dont ne devaient s’accommoder qu’en se gênant fort, Symphonies et Opéras. Décidée à un voyage au long cours, elle s’embarqua munie du léger bagage approprié à une brève excursion.

Une autre singularité de la part d’Holmès : Wagner excita chez elle le plus vif enthousiasme, et d’emblée elle se déclara Wagnérienne passionnée. Il est curieux de constater cette faculté, cette spontanéité, pour admirer un novateur — combien discuté ou nié à l’époque ! — de la part d’une femme dont l’œuvre nous paraît si routinière. Le plus extraordinaire, c’est qu’Holmès subissait l’ascendant de Wagner sans bien se rendre compte de l’exacte valeur de ce qu’elle admirait, ni de la véritable cause de l’admiration ressentie. Elle attribuait ce qui provenait d’une source géniale et de la science la plus transcendante, à des procédés facilement assimilables, et s’imaginait marcher dans les pas de l’auteur de la Tétralogie en écrivant, à son exemple, les poèmes de sa musique et en cultivant le « Leit-Motiv » ).

Malheureusement, ces moyens, loin de hausser l’ambitieuse imitatrice jusqu’à son trop colossal modèle, semblent plutôt l’avoir desservie, en détournant une application, dont des parties fondamentales eussent pu bénéficier, au profil d’un système, intéressant, déplaisant ou insignifiant, selon le talent ou la médiocrité de qui l’emploie ; là encore se distingue le défaut de jugement d’Augusta Holmès pour classer chaque chose selon son importance.

Le sens critique de soi-même, l’esprit méthodique, la discipline mentale, la volonté patiente, sont qualités antiféminines, s’y assujettissent moins que tout autres les femmes favorisées par des dispositions artistiques supérieures, éblouies qu’elles sont par les splendeurs de leur but et étourdies par l’orgueil de s’y sentir entraînées[4].

Pourtant, en se laissant subjuguer par Wagner, que tant de soi-disant musiciens bafouaient, Augusta Holmès prouvait une intelligence et un sens très vif de la musique ; elle se trompa en voulant s’assimiler ce qui était inassimilable, surtout pour son imparfaite préparation à pareil aliment, mais son appréciation lui fait honneur.




VII

Les trois Patiences


Les femmes, qui s’égarent tant sur leur propre cause, ont vis-à-vis autrui l’intuition exacte de mille choses dont les hommes ne s’aviseraient pas, à moins d’y arrêter spécialement leur esprit ; elles possèdent une finesse innée leur rendant sensible ce qui est supérieur et, bien mieux que l’homme, elles devinent, pressentent, les sentiments dissimulés, sans passer du temps en analyses, pour lesquelles, d’ailleurs, elles ne montrent que peu d’aptitudes et de patience.

J’entends de claires voix se récrier : « Mais de la patience, nous en usons autrement que nos doux maîtres, dont la mansuétude laisse fort à désirer ! » En effet, comme monnaie courante, la femme dépense plus de patience que l’homme ; mieux que lui, elle supporte d’infinis ennuis et se consacre à des travaux d’aiguille devant lesquels le caractère masculin le mieux trempé sombrerait dans la folie. Elle prouve, à un haut degré, la patience du cœur et la patience des doigts ; il est une troisième patience peu compatible avec la nature féminine ; c’est la patience de l’esprit. Tel un oiseau, leur esprit sautille sans cesse ; penser, c’est, pour beaucoup, agir ou parler ; demeurer inactive, silencieuse, paralyse du même coup leurs facultés intellectuelles. Le recueillement constitue un état anormal pour les agitées que nous sommes ; prolongé, il équivaut à un traitement de malade ! Si nous voulons trop longuement nous absorber sur des points abstraits, ardus, nos idées se révoltent, s’évadent comme sous une insupportable pression. Ainsi qu’un objet fixé avec persistance se déforme aux yeux fatigués, notre attention ne peut se concentrer avec profit au delà d’un temps limité.

Nous subissons sans murmure les épreuves quotidiennes, — indispositions, direction de maison, éducation d’enfants, etc. : — parce que tout cela est divers, mouvementé et, en partie, se relie à nos plus tendres affections ; pendant des heures nous nous immobilisons devant les plus minutieux ouvrages, parce que le travail manuel permet toute liberté à nos pensées, frivoles, sérieuses ou passionnées, constamment mouvantes et changeantes.

Les femmes vouées aux arts ou aux études supérieures, s’affranchissent, bien entendu, des occupations coutumières aux modestes Cendrillons ; quelques-unes s’octroient même le droit de s’affranchir de tout devoir, sous prétexte qu’il entrave leur haute mission, va à l’encontre de leurs aspirations de… « surfemmes », et que des créatures d’élection, telles qu’elles sont, ne sauraient se plier aux servitudes acceptées par de vulgaires gardiennes de foyer !! Ces belles théories, fort pratiquées, ne conduisent pas forcément leurs adeptes à la concentration robuste d’un cerveau masculin, ni à se juger avec sévérité et volonté de perfectionnement, au lieu de s’exagérer la valeur et les raisons d’être des hommages flatteurs qu’on leur décerne. Toujours la présomption, la légèreté, le défaut de jugement, sont les écueils où se brisent des facultés fragiles mais fortifiables. Ces facultés ne peuvent être niées ; on ne peut pas non plus exactement les connaître tant qu’elles n’auront été soumises à une méthode toute différente de celle dont on a coutume, et astreintes à un régime sévère et volontaire, inspiré à la femme même, par la conviction de ses erreurs.

On remarquera que persévérance et dépense intellectuelle sont souvent mises en jeu par les femmes, s’il s’agit de carrières auxquelles on les croirait bien moins aptes qu’à la musique. C’est justement leur facilité pour la musique qui les égare, et le côté séduisant, accessible, de cet art, qui leur fait perdre conscience de ses difficultés fondamentales, au moins égales à celles que présentent les études scientifiques conduisant aux plus graves examens.

Dans l’ignorance absolue d’une puissance qui ne se dévoile que peu à peu et ne livre ses trésors que contre le maximum d’efforts en sa faveur, on est bien forcé d’y donner, sans réserve, ses facultés, de l’étudier dans tous ses détails et d’user de tous les moyens pour la conquérir ou l’approcher.

Au contraire, quand par intuition nous nous sentons naturellement familiarisées avec la conquête souhaitée, nous pensons la faire à peu de frais, et du coup nous réduisons nos peines à la moitié de ce qu’elles devraient être pour nous mener réellement au but.

Si, ambitieuse du grade de compositeur, la femme avait la sagesse et le courage de se mesurer avec les difficultés qu’il comporte et les sacrifices qu’il exige, ou elle se déroberait, ou elle se fortifierait par un travail approprié au but, et saurait se limiter selon les ressources acquises. Alors, en face d’une organisation comme celle d’Augusta Holmès, on n’aurait pas à déplorer des faiblesses techniques trahissant les meilleures intentions, ou des négligences, des fautes de goût, submergeant souvent et amoindrissant presque toujours une inspiration intéressante.




VIII

Les débuts d’Augusta Holmès


Les compositions d’Augusta Holmès dépassent de beaucoup, en nombre et en importance, les habituelles productions musicales féminines[5] : Elles comprennent quatre opéras, trois grandes symphonies dramatiques, sept poèmes ou odes symphoniques, une dizaine de scènes pour chant et orchestre, diverses pièces pour orchestre et cent trente mélodies. Ces œuvres furent conçues et présentées au public durant une période de trente ans environ.

Le critique Arthur Pougin raconte, dans le Ménestrel, que vers 1875 une société s’était formée pour la reconstitution d’un théâtre lyrique au Châtelet ; quantité de compositeurs s’y présentaient, fort alléchés, la partition sous le bras.

« Un jour, écrit Arthur Pougin[6], nous voyons arriver une jeune femme d’une beauté rayonnante, à l’opulente chevelure blonde, au regard clair, perçant et assuré, à l’allure fière et décidée ; c’était Mlle Augusta Holmès — (Holmès avait alors vingt-huit ans) — qui venait demander l’audition d’un drame lyrique, Héro et Léandre, dont elle avait, comme Wagner, écrit les paroles et la musique. Je dois constater, continue plus loin le critique du Ménestrel, que les théories Wagnériennes ne s’étaient guère fait jour dans la musique que nous faisait entendre Mlle Holmès avec son beau talent de pianiste et sa voix chaude et que sa partition me parut tout simplement fort intéressante en me donnant la meilleure impression de son talent. Et je n’étais pas seul à penser ainsi.

Le malheur voulut que l’existence de l’Opéra Populaire fut courte et que les ouvrages reçus n’curent pas le temps de voir le jour. »

Après Héro et Léandre (dont l’exécution n’est relatée nulle part), Holmès écrivit deux autres opéras, Astarté et Lancelot du Lac. Je n’ai pu en découvrir la trace ; ils ne furent certainement pas édités et n’obtinrent pas plus que le premier les honneurs d’une représentation. Mais leur auteur n’était point femme à renoncer à la renommée. Le théâtre ne l’accueillant pas, elle s’adressa au concert.

En 1877 elle débute avec un « Andante pastoral » aux Concerts Populaires fondés par Pasdeloup, et attire l’attention. Un peu plus tard, ayant publié un grand nombre de mélodies, elle présente au grand concours de la Ville de Paris une symphonie dramatique en trois parties, Lutèce, qui est couronnée.

De Ludus pro Patria, ode symphonique en quatre parties, on donne en 1888 deux exécutions aux Concerts du Conservatoire ; l’Ode triomphale est exécutée l’année suivante au Palais de l’Industrie (Exposition de Paris 1889), l’Hymne à la Paix, aux fêtes dantesques de Florence en 1890. Avec les Argonautes, symphonie dramatique, elle concourut une seconde fois pour le prix de la Ville de Paris, mais sans obtenir le succès complet de son premier envoi ; il s’en fallut de peu pourtant, assurent quelques sommaires notices biographiques. À défaut de cette récompense officielle, l’œuvre fut chaleureusement accueillie par le public des grands concerts où elle parut plusieurs fois. Le nombre des mélodies allait toujours croissant et aussi leur succès. Le Noël fut célèbre, il paraît encore agréable, c’est une des très rares inspirations vraiment simples d’Holmès. En revanche, les Griffes d’or et maintes autres romances, acclamées à l’époque de leurs premières auditions, nous semblent maintenant exagérées et sans profondeur d’accent.




IX

Au sommet


Ces succès ne pouvaient qu’encourager Mme Holmès à poursuivre son objectif qui était le théâtre, pour lequel elle s’estimait, non sans raison peut-être, tout particulièrement douée. Elle avait écrit un quatrième Opéra, beaucoup plus important que les premiers, et naturellement s’ingéniait à le faire recevoir par une grande scène lyrique. Présentée à l’Opéra-Comique, La Montagne Noire, c’était le titre de l’ouvrage, parut trop développée. Un peu après, la Monnaie de Bruxelles l’accepta, et Augusta Holmès pouvait se croire au comble de ses vœux, quand un changement de Direction vint anéantir ses espérances.

En plusieurs circonstances, des démarches avaient été faites en vue de la réception de la partition à notre Opéra, elles étaient restées sans résultat auprès de Gailhard, alors Directeur. Mais un beau jour — surtout pour l’auteur du drame lyrique en question – la Direction échut à Campo-Casso qui, plus propice à l’ouvrage d’Holmès, le reçut. Il paraît qu’en ce temps-là, ainsi qu’aujourd’hui, la politique sévissait là où elle ne devrait jamais posséder la moindre influence, et amenait, à l’Opéra, de fréquentes fluctuations dans les destinées directoriales. Campo-Casso bascula, Gailhard revint au pouvoir, qu’il partagea de nouveau avec Bertrand demeuré stable à son poste. Trouvant la Montagne Noire acceptée, il ratifia, non sans faire un peu la grimace, l’engagement contracté en son absence, et il monta l’œuvre, dont la première représentation eut lieu le 8 février 1895. Il la monta superbement d’ailleurs, lui octroyant une distribution qu’actuellement notre Académie nationale de musique n’offre plus à son public.

Tous les rôles étaient tenus par des artistes hors ligne : c’étaient, au premier plan, Alvarez, encore nouveau pensionnaire à l’Opéra, mais qui déjà avait conquis la place exceptionnelle que lui méritaient sa voix en tout point merveilleuse et son beau sentiment dramatique ; Renaud, dans tout l’éclat de son talent ; Lucienne Bréval, notre si émouvante tragédienne lyrique. Les rôles secondaires incombaient à Mlle Berthet, qui abandonna trop tôt le théâtre, à Mme Héglon, mettant en relief les rares apparitions d’une mère patriote, et à l’excellent Gresse. Du reste, la Montagne Noire n’était pas opéra à se passer de véritables chanteurs, j’entends de chanteurs pourvus de voix puissantes et séduisantes, de chanteurs payant comptant en monnaie brillante et bien sonnante. Aujourd’hui, la plupart de nos œuvres modernes, par la prépondérance de la symphonie et la suppression systématique de la mélodie chantée, font la partie belle aux ex-pratiquants du « bel canto » ou à ceux qui, imitant le renard de la
Lucienne Bréval
dans le rôle de Yamina (La Montagne Noire.)
                                        (Cliché Benque).
fable, affectent de dédaigner ce à quoi il leur est bien interdit de prétendre, car si beaucoup d’instrumentistes jouent sans âme, trop nombreux sont les artistes lyriques qui chantent sans voix. Est-ce chanter ? Devant les approbations enthousiastes dont on encourage ces singuliers représentants de la musique au théâtre, on peut espérer voir bientôt à l’Opéra-Comique ou à l’Opéra notre pathétique Mounet-Sully. Il lui serait facile de discipliner ses syllabes sur certaines notes d’accompagnement, à l’occasion il rugirait plus bruyamment que maints artistes détaillant la partition en mots saccadés puis lançant soudain d’indistinctes et chevrotantes clameurs, et la supériorité en déclamation du célèbre doyen de la Comédie-Française, comme l’harmonie de ses altitudes, ne sauraient être mises en doute ! Pourtant, dût la réprobation de subtils connaisseurs me foudroyer, je m’obstinerai à mieux gouter les œuvres musicales servies avec quelques raffinements de mimique en moins et quelques richesses purement vocales en plus, la musique devant arriver à notre âme en passant par nos oreilles et non par nos yeux.

Au temps où la Montagne Noire vit les feux de la rampe, le prestige des belles voix et de l’art du chant l’emportait, sans exception, sur la pantomime ; l’opéra d’Holmès eut donc l’interprétation qui lui convenait et qu’il pouvait le plus ambitieusement souhaiter.

À l’orchestre, Taffanel conduisait ; la mise en scène et les décors confirmaient la somptuosité habituelle à notre Académie nationale de musique.




X

Au déclin


Si propices que fussent les conditions dans lesquelles l’ouvrage se produisit, elles ne pouvaient le transformer, et si ces brillantes représentations marquent le point culminant de la carrière d’Augusta Holmès, elles semblent aussi donner le signal du déclin et de l’écroulement.

En effet la Montagne Noire ne répondit pas à ce qu’on espérait de son audition à la scène, surtout à ce qu’en espérait Holmès. Elle avait édifié tant de châteaux en Espagne sur son plus important travail ! elle avait si grande confiance dans son mérite ! confiance qu’elle faisait partager à ses interprètes quand, de son jeu coloré au piano, de son chant vibrant et de sa mimique expressive et ardente, elle parait brillamment son œuvre[7].

Au théâtre, à l’orchestre, l’impression fut tout autre ; écrite depuis quinze ans au moment où elle fut représentée, et écrite selon l’ancienne formule aggravée d’imitations wagnériennes, la partition parut déjà démodée, vieillie, avec des prétentions. Puis ces quatre actes formaient un spectacle bien lourd étant donné leur peu d’intérêt et leurs défauts. « Intelligemment allégé », me disait un des plus admirables interprètes de la Montagne Noire, « et réduit de manière à permettre un ballet en complément de spectacle, — ce qui à l’époque répondait au goût du public — l’ouvrage se serait maintenu avec un sort meilleur ; mais quand on parla de « coupures » à Holmès, elle se cabra, inflexible ; quelques insinuations fort sages, sur l’opportunité de s’aider pour son instrumentation des conseils d’un Maître, ne furent pas mieux accueillies… »

L’orgueil l’aveuglait, elle comptait sur un triomphe, et des amis trop empressés lui assuraient sa promotion dans la Légion d’honneur.

Donc la Montagne Noire tomba, on peut dire que sa chute écrasa son auteur, qui ne voulut voir dans ce cruel insuccès que malveillance et parti pris. Pourtant, plusieurs années après, en 1902, abattue par de douloureuses épreuves, comprenant peut-être quelques-unes de ses erreurs, Holmès devait se résoudre aux coupures si fièrement refusées naguère, et dans l’espoir de faire accepter la Montagne Noire à l’Opéra de New-York où, étant engagé M. Alvarez la proposait, elle autorisait, par un écrit daté du 30 octobre 1902, son illustre interprète à réduire, ainsi qu’il le jugeait à propos, les proportions de l’ouvrage qu’il avait créé sept ans auparavant. Cette autorisation arriva trop tard, les représentations d’Alvarez touchant à leur fin. De plus, New-York se méfiait d’une partition froidement accueillie à Paris ; le projet n’aboutit pas, et la Montagne Noire ne fut jamais plus jouée sur aucune scène.

(Ce dut être un des derniers espoirs et une des dernières déceptions d’Holmès, puisque sa mort survint moins de trois mois après l’écrit cité plus haut.)




XI

La fin


Augusta Holmès ne devait pas se relever du triste sort fait à son opéra, dont la mauvaise fortune sembla s’étendre à tout ce qui portait la même signature ; c’est à dater de ce moment que la vogue d’Holmès déclina.

Déjà frappée durement par des chagrins intimes, la pauvre musicienne avait attendu de son art une revanche sur les cruautés de la vie et sur les trahisons humaines ; mais l’art, dont elle s’était faite si ardemment la prêtresse, la dédaignait ; le succès dont elle avait connu l’enivrement, tournait en indifférence. Et ces revers survenaient alors qu’aux années remplies de sève généreuse, succédait l’infertile automne, si douloureux pour une femme que la nature avait faite séduisante, que l’ambition et la gloire avaient soulevée et qui, sentant le piédestal se dérober, comprenait en même temps le déclin de son énergie et l’impossibilité de ressaisir ce qu’une artiste considère plus que la vie : sa réputation, ses succès. Coup sur coup, elle perdit tout ce qu’elle avait possédé : l’invincible ardeur, les victoires artistiques, la jeunesse, l’amour, la fortune. En dernier travail, elle eut à demander ses moyens d’existence au professorat, si pénible lorsque, inaccoutumé, il s’impose comme unique palliatif à l’adversité.

Dans la composition, Augusta Holmès ne semble pas avoir tenté de nouveaux efforts ; aucune œuvre importante ne surgit dans la période de huit années qui suivit l’échec de sa Montagne Noire et précéda sa mort. La femme même s’abandonna. En deux ou trois ans, constate un de ses familiers, on la vit vieillir de quinze années, au point de devenir méconnaissable ! Son caractère également se métamorphosa et perdit sa vaillance, sa gaieté, son exubérance cordiale.

Elle crut ou voulut croire à l’injustice du public et de la critique ; peut-être douta-t-elle de son talent ! Elle dut sentir qu’elle était vaincue, blessée à mort, et bientôt sombra dans le définitif repos. Elle avait cinquante-six ans quand, à la fin de janvier 1903, elle mourut. La presse enregistra sa perte en manifestant de vifs regrets et une réelle estime pour l’artiste qui disparaissait ; quelques revues reproduisirent son portrait, quelques anecdotes à son sujet se faufilèrent dans les échos, puis le silence, l’oubli recouvrirent son œuvre plus lourdement que la pierre tombale n’ensevelissait son corps.

En prévision de sa fin, Holmès avait fait un testament par lequel elle demandait à reposer à Versailles (où elle passa son enfance et qu’elle avait toujours beaucoup aimée) et léguait à la bibliothèque, sa musique et ses livres exempts de dédicaces. L’autre partie était destinée à la bibliothèque du Conservatoire.

Ces dons faillirent ne pas être acceptés, la minime succession pécuniaire laissant les légataires perplexes sur la possibilité d’acquitter les droits de l’État ; mais il se produisit un fait assez bizarre : un Anglais, qui mourut un peu après Holmès, lui laissait vingt mille francs par un testament qui mentionnait que, dans le cas du décès de Mme Holmès précédant le sien, la somme reviendrait au nom de la musicienne et ferait partie de sa succession ; cet héritage posthume permit l’exécution des dernières volontés de la pauvre grande artiste.




XII

Imperfectibilité de la femme.
Antoine Rubinstein


Les compositions d’Augusta Holmès ne portant pas de numéros d’œuvres, il m’est impossible de les classer suivant leur ordre chronologique, et je n’ai pas eu la ressource de me documenter par des écrits biographiques, personne n’ayant consacré de notes détaillées à notre plus brillante femme compositeur. Je l’ai dit, je n’ai pu trouver trace de ses premiers ouvrages ; au sujet de ceux qui sont publiés, connus, et qui furent joués, les extraits de naissance sont également absents, et les dates d’auditions de ces oeuvres n’élucident rien : telle production postérieure pouvant avoir devancé pour l’exécution telle autre antérieurement conçue : d’ailleurs la chose n’offre pas ici beaucoup d’importance, le style et la manière de l’auteur n’ayant aucunement évolué.

C’est là encore un trait caractéristique chez les femmes et commun entre elles : de la composition du début à la dernière, défauts, qualités, idéal, procédés, restent identiques. L’ouvrage peut croître en dimension, en ambition, on n’y reconnait ni un
Albert Alvarez
dans le rôle de Mirko (la Montagne Noire)
                                        (Cliché Benque).
perfectionnement très sensible, ni une orientation différente indiquant abondance de ressources, besoin de se renouveler, ou inquiétude de recherches.

Chez les hommes au contraire, l’effort vers une forme plus raffinée apparaît souvent quand ils furent simples en commençant, et, par un naturel mouvement opposé, certains de nos modernes, ayant d’abord sacrifié outre mesure aux raffinements excessifs, ont des chances de revenir à la source intarissable de beautés simples et pures. Comparez entre elles-mêmes des œuvres échelonnées de Beethoven, de Wagner, de Verdi, de Liszt, pour ne citer que ceux dont les diverses « manières » sont universellement classées. J’ai remarqué, très accentuées aussi, ces tendances au perfectionnement dans l’œuvre d’un compositeur à qui on peut reprocher, comme à Augusta Holmès, d’avoir trop agi sous l’empire de son exceptionnelle facilité, insouciant de négligences fatales ou de condensabilité précieuse : je parle d’Antoine Rubinstein.

Malgré ses imperfections et le tort impardonnable de n’être pas « national », ce fut bien un artiste de génie. Organisation hors ligne, cerveau puissant, caractère personnel, sont les termes qualificatifs les mieux justifiés par le grand pianiste russe que, de plus en plus, on semble vouloir annuler comme compositeur. Dernièrement on lui déniait toute originalité en relevant dans certains passages de sa musique des ressemblances fugitives avec tel autre auteur. Mais où n’en trouverait-on pas si on voulait rechercher les petites bêtes de ce genre ! Si je faisais de Rubinstein le sujet de cette étude, je relaterais, à son exemple, les réminiscences à l’état le plus frappant dans des pages de Brahms, de Wagner, de Bizet, de Hændel et de tant de maîtres dont l’originalité est reconnue, incontestablement éclatante[8].

J’ai vu Rubinstein porté en triomphe à l’issue de la première de son Néron à l’Opéra de Saint-Pétersbourg[9], je l’ai vu en qualité de virtuose au faîte d’un prestige incomparable, on le traitait littéralement comme un Dieu sur terre. Je l’ai entendu souvent, j’étais bien jeune et lui à l’apogée du talent, presqu’à la fin de son éblouissante carrière[10] ; la puissance, la grandeur, la poésie, la fascination qui se dégageaient des interprétations de ce prodigieux pianiste atteignaient à un tel degré d’intensité, que mon esprit en reçut une empreinte ineffaçable qui, après plus de vingt années écoulées, demeure nette et précise. Parmi des musiciens qui, bien plus âgés que moi en ce temps reculé, entendirent Rubinstein, j’ai retrouvé des impressions, des appréciations en tous points conformes aux miennes ; aussi avec une sorte de mélancolie un peu indignée, pressens-je parfois l’intention d’amoindrir ce magnifique artiste, – même comme interprète, — par des comparaisons, que certains partisans, ou courtisans, de nos glorieux virtuoses actuels veulent toutes en faveur de leur idole[11] !

Chez Rubinstein le traducteur l’emportait sur le compositeur, mais ce dernier, — qui servait merveilleusement l’interprète, — possédait un véritable tempérament de créateur : parfois un lyrisme superbe, parfois des trouvailles délicieuses, en général la franchise dans l’allure et la simplicité expressive et sincère dans la mélodie qui se retrouvent avec tous les maîtres. Malheureusement, comme les femmes, et c’est ce point de ressemblance qui me le fait évoquer ici, il éparpilla ses dons, trop généreux, trop grand seigneur peut-être pour en tirer soigneusement parti. À des admirateurs clamant ses louanges au sujet de ses concerts, il répondait un jour : « avec les notes que j’ai laissées un autre pianiste donnerait un concert. » On pourrait continuer : Et avec tous les motifs à peine ébauchés de ses ouvrages un autre compositeur eût écrit un opéra riche en mélodies.

Mais s’il ne sut pas toujours se résumer ou s’il n’en prit pas la peine, s’il jeta au vent plus qu’il ne devait récolter, il y avait en lui une puissance, une abondance d’inspiration qui ne permettent plus le parallèle avec les « compositrices » ; son écriture, souvent hâtive ou en longueur, relève d’une science tout autre que l’indigente éducation féminine ; enfin, entre ses œuvres de jeunesse et celles de sa maturité, il existe un changement considérable, un acheminement ferme vers un style plus élevé, vers une esthétique plus sévère, vers des recherches harmoniques d’un intérêt bien supérieur à celui de ses premières compositions. Son opéra Néron, malgré des longueurs, est fort beau et porte la griffe du lion. On en peut dire autant du Concerto en ré mineur pour piano, de la quatrième sonate de piano, qui ont vraiment grande allure, et d’infiniment de compositions de genre divers ; mais il faut faire un choix dans l’œuvre colossale et inégalement intéressante (se surpassant beaucoup vers la fin).

En considérant les ouvrages d’Augusta Holmès et d’après leurs dates d’avènement, on dirait plutôt que leur auteur s’observa davantage, écrivit plus soigneusement à ses débuts. Lutèce, un de ses premiers poèmes symphoniques, est le plus correct, et le plus longuement soutenu par une heureuse inspiration.




XIII

La lyre d’Augusta Holmès.
La Musique.
Son influence sur les Compositeurs.


Holmès avait trois cordes à sa lyre, estimant sans doute suffisant ce nombre favori des sorciers et de Cadet Roussel. C’étaient la corde passionnée, la corde patriotique, et la corde chrétienne, cette dernière moins développée que les deux autres. Certes, l’amour, le courage, la religion sont de puissants moteurs, ils sont loin de satisfaire à tout ce que la musique peut réaliser pour notre enchantement.

La Musique éveille des impressions si nombreuses, se confond avec tant de sentiments, s’identifie à tant de sensibilités, évoque tant de pensées, de souvenirs, d’aspirations, d’émotions, que les adjectifs et noms au complet du vocabulaire ne réussiraient pas à l’étiqueter clairement. Non seulement elle répond à tous les états de l’âme, mais elle crée des états précieux pour l’âme, que dis-je ! elle crée une âme, âme d’élite ou âme d’élu chez qui la goûte pleinement et s’y voue.

Shakespeare a écrit : « L’homme qui n’a pas de musique en lui-même est capable d’intrigue, de brigandage et de trahison ! ne vous fiez pas à cet « homme[12] ! ». Cette opinion peut passer pour une boutade vis-à-vis de qui n’aime pas la musique ; ses fervents en jugent autrement, et sans charger de tous les péchés du monde le barbare philistin impénétrable au plus captivant, au plus répandu des Arts, il faut bien reconnaître que cet homme-là est un inférieur, soit par l’intelligence, soit par le cœur, à coup sûr par les satisfactions qui lui sont permises puisque celles que procure la musique n’existent pas pour lui.

Dans le camp opposé je ne prétends pas attribuer l’absolue perfection à la totalité des musiciens. Mais d’abord ce titre est fréquemment usurpé sans justification. Il existe une foule de gens nuls, en quête d’une apparence de raison d’être. « Amateur de musique » ne se met pas encore sur les cartes de visite, mais ça tient lieu de nom et de profession. « Musicien » atteint à une allure noble dans la simplicité, « Artiste » a du prestige, « Dilettante » est excessivement select, et la qualité de Mécène confère à qui peut s’en prévaloir des mérites surnaturels !!

En faisant servir un culte à de mesquines prétentions on le diminue forcément aux regards superficiels et on déplaît aux plus perspicaces ; cependant si on le tire un peu à soi, on se hausse aussi un peu à lui et, en somme, pour déplaisants qu’apparaissent ceux qui se posent en dignitaires de l’art sonore, ils eussent, sans musique, été pires. Ce qui les aggrave, c’est l’importance que, par intérêt ou par sottise et snobisme, on accorde à tous ceux qui portent le nom d’artiste ; le jour où public, et surtout journalistes, ne flatteront plus à outrance de ternes représentants de notre grand art, les « imitations » disparaîtront comme des mouches à qui on enlève toute pâture, et les « vrais » bénéficieront d’une sympathie sans arrière-pensée et de la franche admiration dont ils sont dignes entre tous. Oh ! je sais que la culture d’un art, quel qu’il soit, et les dispositions y correspondant, dénotent quelque supériorité dont la musique n’a pas le monopole. La science recrute aussi des adeptes. Comparez pourtant l’ensemble des artistes musiciens avec la généralité d’écrivains, de comédiens, de peintres ; à moins d’exception ou de raisons partiales opposées à ma thèse, vous reconnaîtrez que les musiciens l’emportent en tenue, en dignité, en valeur morale, parce que l’art qui les guide est l’art le plus pur.

Tandis que la littérature recèle si souvent un foyer de corruption pour l’écrivain et pour le lecteur ou l’auditeur, quelle que soit la valeur de l’œuvre, souvent même à cause de sa valeur ; tandis qu’avec une excuse analogue mais plus sincère, la peinture ne tient aucun compte de la décence ou, pour échapper à la banalité, tombe facilement dans un réalisme brutal laissant une impression toute contraire de réconfortante, la musique prédispose uniquement aux aspirations élevées et nous charme sans servir aucun mauvais penchant. Je ne sais comment on l’a parfois traitée d’art « sensuel », c’est le plus chaste, c’est le plus sain, s’il n’est pas déformé par l’adjonction de paroles, de situations scéniques, de mimiques d’une suggestion trop recherchée, malheureusement, d’un certain public. Prenez le morceau le plus évocateur, semble-t-il, dans cet ordre d’idée, mais sans rien savoir du sujet qu’il illustre, et ce morceau, réduit strictement à sa forme symphonique, n’offrira à l’esprit rien de grossier ou de dangereusement démoralisant.

Que la musique éveille, stimule l’enthousiasme, la tendresse, la poésie latentes en nous, je ne songe pas à le nier, mais qu’y a-t-il de répréhensible à cela ! Ce ne sont pas ces sortes de sentiments qui amènent la déchéance et qu’il faut prohiber ; on peut en revenir déçu, on ne s’en trouve pas diminué ; on peut en souffrir, ce sont des souffrances que l’on ne voudrait immoler à aucune joie ; on peut en abréger ses jours, on en a vécu plus que par un siècle d’apathie, et Berlioz a dit justement : « La musique et l’amour sont les deux ailes de l’âme ! »

Si nous observons la mentalité, la conduite des musiciens célèbres, nous sommes frappés de leur supériorité. Beethoven était un saint, Schumann possédait la plus belle, la plus attachante nature, sa vie fut tout en labeur, en tendresse, en fière indépendance, vouée jusqu’à la plus complète abnégation à l’art qui devait le conduire à la folie, mais à la divinité, à la mort, mais à l’immortalité. Vaillance prodigieuse, courage, désintéressement, dignité, bonté, sont qualités communes aux Bach, aux Hændel, aux Weber, et à presque tous les maîtres de la musique. Plus près de nous, César Franck semble un apôtre ; Berlioz, malgré une irritation douloureuse provenant d’une extrême sensibilité exaspérée par de cruelles injustices, ne s’abaisse jamais et nous émeut comme un sympathique héros. Chopin, guetté par la mort et martyrisé par la vie, demeure une figure da tendresse, de charme et de poésie, qui, pas une fois, ne nous attriste par une faiblesse, ainsi que le fit notre adorable Musset. Il faudrait en nommer beaucoup d’autres ! Je cite encore Antoine Rubinstein, dont tout à l’heure j’évoquais le souvenir. Nul n’était plus joueur que lui, et l’argent, qu’il gagnait à profusion, s’évanouissait sur les tapis verts ; du jour où il se maria, il ne toucha les cartes qu’en partie d’amis sans un centime d’enjeu. Mais sa charité ne se dérobait jamais. Lors d’une série de concerts lui rapportant cinq cent mille francs, il laissait cent mille francs pour les pauvres ; un jour il fit cette réponse typique à son secrétaire lui signalant une foule de demandes d’aumônes en l’engageant à n’en point tenir compte : « Si, si, donnez à tous, et pas trop peu ».

Avec Wagner il faut un peu séparer l’homme de l’artiste, mais quelle admirable intelligence, quelle énergie, quelle organisation, quel véritable surhomme ! D’ailleurs, en général, les musiciens sont supérieurs, non seulement moralement mais intellectuellement, et leurs connaissances, leurs aptitudes, en dehors du don musical, s’affirment remarquables. Beaucoup écrivent à faire pâlir les meilleures pages de professionnels de la plume ; Berlioz se montre hors ligne, on a de lui des écrits plus émouvants, poignants, colorés que n’importe quel récit d’auteur célèbre[13] ; il fut aussi critique de grande valeur. Schumann également, dans une revue qu’il avait fondée[14], combattit toute sa vie pour la bonne cause artistique avec le style le plus expressif, l’esprit le plus aiguisé, le jugement le plus élevé. On a encore de lui des lettres qu’un littérateur ne désavouerait pas.

Liszt, à qui on peut reprocher sa vie trop accidentée et surtout un caractère enclin à une pose grandiose, écrivait avec un lyrisme et un éclat assorti à son jeu dont Berlioz a donné une frappante idée quand il s’exprime, en parlant du célèbre Hongrois, de la façon suivante : « Au piano il brille comme l’éclair, éclate comme la foudre et laisse après lui une odeur de soufre ! » Beethoven a laissé des lettres où la beauté des pensées, la délicatesse des sentiments, la noblesse du caractère se manifestent par les expressions les plus heureuses et une simplicité charmante. L’œuvre littéraire de Wagner est considérable, de ses sujets mythiques se dégage une philosophie très profonde et souvent très humaine.

De nos jours, Saint-Saëns manie le vers et la prose avec autant d’élégance et de clarté qu’il traite un poème symphonique ou qu’il varie un thème de Gluck ; les articles de Xavier Leroux ne prouvent pas moins de netteté dans le jugement et dans l’expression que de zèle pour la bonne cause musicale, et on ne compte plus les musiciens dont la signature suit les critiques les plus appréciées, ni les compositeurs s’acquittant remarquablement de leurs libretti.

Holmès fut parmi les premiers à se passer d’un librettiste ; elle suivait l’exemple de Wagner, ne se montrant pas maladroite, et ses poèmes, ses vers ne sont pas sans mérite.

Quels sont les poètes qui mettent leurs poésies en musique, Opéra ou Romance ? Jean-Jacques Rousseau se présente peut-être, lesté du Devin du Village ! Ah ! le beau bagage à placer dans la balance en contrepoids de l’œuvre littéraire de Wagner ou de Schumann, des admirables lettres de Beethoven ou des sublimes pages de Berlioz ! Non, monsieur Jean-Jacques ! à aucun titre vous n’êtes digne d’approcher de ces hommes d’honneur et de génie ! vous êtes l’auteur de la Nouvelle Héloïse et d’Émile, votre influence fut pernicieuse, votre exemple honteux, vous n’honorez ni les littérateurs, ni la musique, comment oseriez-vous frayer avec nos loyaux défenseurs d’idéal et de beautés[15] ?

En résumé l’écrivain semble incapable de se doubler d’un véritable musicien ; chez le musicien on trouve presque toujours une surabondance de facultés, développées, sans doute, par la musique et qui se déversent sur la littérature, prose, vers, philosophie, critique.




XIV

La Musique.
— Son influence sur les auditeurs.


J’ai essayé d’indiquer la valeur de ceux que la Musique drape d’un manteau étoilé qui jamais ne traîne dans la fange ; comment décrire son influence, son action sur le public ?

Généralement ignorant de toute théorie, incapable en pratique, le peuple se montre excessivement sensible à la musique, même à la musique savante si elle est bien exécutée. Les Musées ouvrant gratuitement leurs portes, attirent un public moins nombreux et moins intelligent dans son ensemble que les salles où il faut payer pour ouïr des instruments ou des voix.

Théophile Gautier, comme Victor Hugo[16] assez dédaigneux des musiciens, se trompa pitoyablement malgré son grand talent, s’il eut l’aberration de déclarer que la « Musique était le plus cher de tous les bruits », en donnant au terme « cher » la signification de « coûteux » ; il pouvait employer le mot à condition de lui attribuer son véritable sens qui est « précieux » et « aimé ».

Aux grands concerts symphoniques, aux théâtres lyriques, ce sont les habitués de petites places qui témoignent le plus d’enthousiasme et parfois de jugement. Ce public-là, en payant cinquante centimes ou un franc d’entrée, en s’assujétissant à d’interminables stationnements pour obtenir une place compatible avec ses ressources, s’impose d’autres sacrifices et affirme un goût autrement sincère que l’auditeur « chic » payant dix ou quinze francs l’occasion de se montrer et qui, muni de son coupon, juge du meilleur ton d’arriver bien après le lever du rideau ou au milieu du concert, puis, ayant consciencieusement lorgné de toutes parts, formule, du bout des lèvres, une opinion relative au spectacle, comme il applaudit du bout des doigts après avoir écouté… du bout de l’oreille.

En revanche, examinez l’ouvrier casé au dernier recoin du Paradis. Il est tout yeux, tout oreilles, écoute religieusement, s’efforce de comprendre pleinement ce dont il subit l’irrésistible attrait. En lui, quelque chose de beau s’infiltre ; ce n’est pas l’« empoignement » causé par le jeu émouvant d’un comédien ou par une situation tragique, c’est une chose indéfinie, une lueur pénétrant dans son âme obscure, une chaleur se répandant en ses veines comme un sang purifié, un parfum qui l’imprègne intérieurement et qui persistera bien au delà de l’instant où le charme s’est produit.

Évidemment, il existe des réfractaires à la musique, mais pour une quantité innombrable, elle répond à un besoin inné, elle porte un peu de joie et d’idéal à une fraction de l’humanité, d’autant plus intéressante qu’elle est sevrée d’agréments raffinés, exposée à la déchéance morale, et pourtant susceptible de perfectionnement intellectuel.

J’ajoute encore que cet art splendide et humain représente la langue universellement et complètement comprise par seule intuition. Alors que même avec connaissance d’un dialecte étranger nous nous assimilons mal certains tours d’esprit des autres peuples, la musique exprimant le sentiment national, qu’il soit russe, hongrois ou scandinave, garde toute sa saveur, en acquiert plutôt pour l’habitant d’une contrée différente, serait-il ignorant de toute musique, car la musique est le langage des âmes.

Enfin la musique est en nous : l’homme chanta avant de parler, il inventa des instruments de musique dès qu’il fut capable d’invention, et cela non par besoin matériel, mais par besoin spirituel, car la musique exalte l’esprit.

Sans instruction, sans secours d’aucune sorte, notre voix suffit à reproduire la phrase mélodique entendue en passant et qui revient à notre esprit, s’impose à notre pensée, chante en nous comme un oiseau en cage, car la musique est un oiseau pour l’âme.

Il existe des voix tellement séduisantes et belles que, non moins que les instruments, elles servent la musique, la rendant, le plus qu’on puisse souhaiter, délicieusement accessible ; ceux que la nature a ainsi doués, et aussi nos grands compositeurs et nos grands virtuoses, rivalisent avec les puissants de la terre, dont ils reçoivent maints hommages, car la musique est un charme pour l’intelligence.

Rien plus qu’elle n’est évocateur : un air, un chant réentendu ou retrouvé après plusieurs années, nous fait revivre tout un passé, ressuscite d’infimes détails ; s’il y a corrélation avec une heure grave ou précieuse de notre existence, le présent s’abolit devant le souvenir, la réalité s’efface devant l’ombre, ce qui n’est plus anéantit momentanément ce qui est. Des parfums retrouvés, fleurs ou essences, possèdent assez cette puissance d’évocation, et la musique est un parfum pour l’âme[17].

Accessible à presque tous, ennoblissante, stimulatrice, passionnante et pure, la musique est aux autres arts et à la science ce que le Christianisme est aux autres religions. Je voudrais qu’aux enfants qui la cultivent on fît réciter cette prière : « Belle musique, pénètre-moi, soutiens-moi, je me confie à toi, car tu es divine et je t’adore ! » Ce qui n’enlèverait rien de notre adoration pour Dieu ; l’adoration, quoi qu’on en dise, peut très bien ne pas être unique ; qui est susceptible d’adorer profondément ne se limite guère à un seul sujet ; sans enthousiasme ni ardeur il n’existerait que de bien tièdes chrétiens ou plutôt il n’existerait pas de religion ; mais alors, il devient bien difficile à une âme soulevée par l’idéal, de ne pas se laisser transporter vers les grandes beautés qui s’offrent à elle en ces régions éthérées. D’ailleurs, la véritable adoration ne risque pas de s’étendre beaucoup, fort peu de choses en étant digne, mais aucune, sauf Dieu, plus que la musique, sans laquelle on ne comprend pas le ciel !




XV

L’œuvre d’Augusta Holmès.
Ses Mélodies.


C’est en comprenant toutes les ressources d’un art, toutes ses forces, qu’on peut juger les œuvres s’y rapportant, les devoirs qu’il impose à qui s’y consacre, les exigences qu’il autorise ; la preuve s’en trouve dans le fait que des musiciens, admirés lorsque nous étions moins instruits sur les mérites de la musique, ne comptent plus aujourd’hui que notre éducation nous rend capables d’appréciations exactes. Ce sont ces appréciations qui furent funestes à Holmès et qui vont m’obliger à des critiques que mes convictions m’imposent mais qui du moins laisseront toute leur valeur aux éloges y succédant avec la même sincérité.

J’ai compté cent vingt-huit mélodies ; elles sont bien écrites pour la voix, de lecture facile et, à de rares exceptions près, chantent l’amour ardent, le patriotisme héroïque, les légendes chrétiennes. Forcément ces compositions manquent de variété. La manière d’Holmès s’y montre en couleurs criardes, en tons violents. Notre musicienne ignorait les demi-teintes, l’infinie gradation des nuances, les coloris indéfinis, les discrètes grisailles, les ombres mystérieuses, les clartés étranges, les doux effacements, les estompages savants, les idéales lueurs, les tonalités chatoyantes, les sombres profondeurs mettant en relief des touches lumineuses, la sobre somptuosité des draperies. Ni l’émouvante simplicité des grands classiques, ni la séduction délicate de l’ancienne école italienne, ni la poésie enchanteresse de Schumann, ni la grâce pathétique de Schubert ne trouvent un écho dans les mélodies d’Augusta Holmès ; tout y est en dehors, tout est pavoisé ; les sentiments s’extériorisent sans rien laisser à deviner, les phrases se déploient sans rien laisser à découvrir et les accompagnements, en général homophones et plus soucieux d’effets faciles que de fines recherches ou d’intéressantes variantes, suivent, sous trois couplets uniformes presque toujours pour la musique.

En considération du nombre de ces pièces de chant, il faut y apprécier de la facilité, de l’abondance dans l’inspiration, de l’élan, des moments d’enthousiasme un peu gros, mais sincère, et quelque agrément pour l’oreille, une oreille un peu complaisante.

On pourrait faire un choix et retenir une vingtaine de mélodies intéressantes ; « Le Chevalier Belle Étoile » offre des strophes variées d’une envolée un peu supérieure, la poésie dépeint une légende assez mouvementée, l’accompagnement n’y demeure pas indifférent ; une partie, dont l’allure est juvénile, élancée comme le fier et pur Chevalier, semble inspiré par le 6/8 si caractéristiquement rythmé qui soutient la deuxième phrase du Scherzo du Concerto en sol mineur de Saint-Saëns. Malgré ce détail la mélodie est originale, fort jolie également.

Dans « l’Heure Rose » l’effet de la voix égrenant ses syllabes par une même note sur l’accompagnement où se forme la mélodie, ne manque pas de charme, c’est expressif et d’un sentiment plus simplement passionné que de coutume avec Holmès, qui ne pratique guère la passion simple ou concentrée. Son « Noël », très connu, bénéficie, texte et musique, d’un caractère populaire naïf et gracieux. « Sous les orangers » est une caressante mélodie qui s’unit au piano par un harmonieux enlacement. « Noël d’Irlande » présente un bon échantillon du style grave d’Holmès. « L’opprimée » (l’Irlande encore, en qui l’auteur chérissait sa patrie d’origine) vibre douloureuse et sincère. « La Chanson des gars d’Irlande » rythme avec éclat une généreuse revendication pour un peuple vaincu.

En d’autres pages encore on rencontre des phrases animées, on sent un tempérament, insuffisamment averti et équilibré, mais plein de sève. Enfin un troisième stock, et le plus important, ne permet que des regrets pour le temps qui lui fut sacrifié.

En dehors de ces mélodies avec piano, une dizaine de morceaux de chant, solis et chœurs avec accompagnement d’orchestre, sont publiés. Les qualités et les défauts déjà signalés y existent dans les mêmes proportions. Du côté de l’orchestration on ne remarque ni beaucoup d’ingéniosité ni beaucoup d’aisance. Certes, Holmès accorda à cette partie de la composition une assez forte dose de travail, mais là aussi, croyant avoir atteint le but, elle s’arrêta prématurément ; là aussi, elle semble par moment en possession de moyens assez appréciables ; d’autres fois elle demeure sensiblement au-dessous de ce qu’on était en droit d’attendre de sa part.




XVI

« Pologne » — « Irlande »


Ne pouvant classer chaque ouvrage d’après l’époque où il fut composé — l’absence d’indication à ce sujet est déjà mentionnée — j’ai, en dehors des mélodies, divisé en deux parts les compositions d’Holmès : les bonnes, dont je m’occuperai tout à l’heure, et les… médiocres, par lesquelles je commence.

Dans le domaine purement symphonique, Augusta Holmes a donné « Andante Pastoral » — son œuvre de début, chez Pasdeloup, en 1877, que je n’ai pu retrouver[18]Pologne et Irlande. Ces deux dernières rentrent dans la catégorie des morceaux à programme et, par conséquent, s’efforcent de caractériser des sentiments définis et de s’adapter à des situations déterminées. Elles feraient supposer que la privation des voix et des paroles gênait l’auteur. Il y a des personnes qui ne pensent qu’en parlant ; évidemment Holmès poète inspirait Holmès musicienne. À défaut d’un libretto, elle s’appuya sur un canevas en prose, mais les broderies sonores ne le recouvrent que bien imparfaitement et pauvrement.

Comme Irlande, Pologne ne dépasse pas les proportions d’un premier temps de symphonie, mais se divise en divers mouvements : Introduction pompeuse, Allegro, Adagio et Allegro final, le tout s’enchaînant sans interruption ; ce morceau accuse durement la plus mauvaise manière d’Holmès : indigence harmonique, négligence de goût, banalité dans la construction, abus du gros effet.

Irlande ne vaut guère mieux : ce poème symphonique dénote également une âme plus sensible aux malheurs des nations opprimées qu’aux délicatesses musicales, aussi indignée envers l’oppresseur qu’indulgente pour la façon d’exprimer son indignation, et soucieuse d’orienter l’auditeur vers ces louables sentiments, plus que de le satisfaire par une audition conforme aux lois de l’esthétique. Un cor évoque la méditation d’un pâtre ; ses souvenirs, d’abord mélancoliques, s’animent bientôt et le rapportent à un passé d’allégresse et d’insouciance, symbolisé par une gigue si vulgaire, qu’on se réjouit de voir succéder à cette gaîté de mauvaise compagnie une marche funèbre. Cette marche, appropriée au deuil de la cousine pauvre de l’Angleterre, est intéressante comme rythme et développement ; c’est la seule page de valeur, car l’allegro, annonçant ensuite la révolte du peuple asservi, et, pour conclure, la marche chargée de nous faire assister à la résurrection des héros vengeurs, nous déconcertent à force de négligences et de trivialités. Pour comble, une instrumentation déplorable et un déchaînement de trompettes qui ne redresserait peut-être pas les morts mais grâce auquel les moribonds trouveraient la force de fuir.




XVII

« Au pays bleu »
Deux contemporaines d’Holmès


Au pays bleu est une suite symphonique pour voix et orchestre, elle est dédiée à Édouard Colonne et comprend trois parties intitulées : Oraison d’aurore, En mer, Fête à Sorrente[19]. Ces pièces sont agréables, elles évoquent une Italie plus conventionnelle qu’originale mais colorée, mélodique, sans les lourdes erreurs de Pologne et d’Irlande. « En mer » surtout rend bien l’allure cadencée de la barcarolle ; le chant a de la souplesse, de la séduction, il se meut caressant sur un dessin persistant à l’accompagnement dont la monotonie berce doucement.

« Oraison d’Aurore » met en contraste un chant pieux et un hymne païen ; l’effet est heureux, le phrases ont de l’élan, de la sincérité et se combinent harmonieusement ; on regrette que l’orchestre ne soutienne pas d’une façon plus symphonique et plus variée. Avec « Sorrente » nous tombons dans la tarentelle bruyante et commune que ne relève ni la science harmonique, ni l’ingéniosité dans la forme. Vers la fin, la Barcarolle se rappelle à notre bon souvenir ; cette attention n’est pas maladroite, mais ne peut nous dédommager du manque d’éducation rencontré tout le long de cette tarentelle en tenue par trop « peuple ».

Pourtant toutes ces compositions furent jouées jadis dans nos plus sérieux concerts, elles reçurent un accueil chaleureux du public et attirèrent l’attention sur leur auteur qui, par la suite, devait atteindre à la plus brillante notoriété. En 1902, une revue, Les Annales, proposa à ses lecteurs un plébiscite pour établir une sorte d’académie féminine en désignant les quarante femmes les plus appréciées du public et choisies parmi les femmes de bien, les reines, les littératrices, les savantes, les artistes. Augusta Holmès obtint les plus nombreux suffrages comme musicienne et se trouva, de toutes les femmes, une des plus nommées : 3.996 voix lui échurent, alors que Sarah Bernhardt, classée première des artistes dramatiques et lyriques, en eut 4.010, et Madeleine Lemaire, l’emportant sur toutes, 4.122.

Certes, nos idées actuelles ne seraient pas aussi avantageuses pour une « compositrice » identique à Holmès, mais il y a aussi lieu de supposer que dans l’atmosphère présente, un tempérament tel que celui de l’ardente musicienne se développerait tout autrement. À son époque on ne s’ingéniait pas à bouleverser de fond en comble l’architecture musicale, la moindre dissonance semblait bien osée et la mélodie facile à retenir régnait encore.

Deux contemporaines de l’auteur des Argonautes coulaient, également sereines et talentueuses, leur inspiration dans le moule en usage ; c’étaient Cécile Chaminade et la comtesse de Grandval ; cette dernière, élève de Flotow et de Saint-Saëns, n’aurait dû, d’après sa situation et son état de fortune, compter que comme « amateur » ; cependant ses facultés et une puissance de production assez rare, surtout pour une femme, lui méritèrent le titre d’artiste auquel elle tenait fort. En dix ans, de 1859 à 1869, elle fit représenter, sur divers théâtres lyriques, cinq opéras, dont un, Piccolino, en trois actes ; et bien plus tard, en 1892, au grand théâtre de Bordeaux, son œuvre capitale, Mazeppa, opéra en cinq actes. Dans l’intervalle elle avait obtenu le prix Rossini avec une cantate, la Fille de Jaïre, et donné aux Concerts des poèmes lyriques, un grand nombre de mélodies, des morceaux d’ensemble, des pièces pour piano. Enfin elle avait traité la musique religieuse avec un oratorio, deux messes, des motets, un Stabat Mater. Mme de Grandval, musicienne vaillante et bien douée, est morte en janvier 1907 à Paris ; elle avait soixante-dix-sept ans.

Cécile Chaminade, qui était à son printemps lorsque pour Mme de Grandval l’hiver commençait, nous reste, et sa musique de chant et de piano est encore interprétée. Cette délicieuse artiste eut un vogue énorme ; elle a écrit un nombre considérable de morceaux pour le chant et pour le piano ; un trio, un Concert-Stuck pour deux pianos, des chœurs, une symphonie lyrique, les Amazones ; un Ballet-symphonie, Callirhoë ; deux pièces pour orchestre, le Matin et le Soir, d’un joli sentiment poétique ; etc. Au concert, au salon, toutes ces œuvres remportèrent les plus vifs succès.

Chaminade visait moins haut, moins grand qu’Holmès, elle n’avait pas son envergure et ne s’imposait pas aussi brillamment ; en revanche, ses qualités plus féminines, l’allure spirituelle, gracieuse et légère de ses compositions, la laissent plus intacte et d’une fréquentation aimable et agréable.




XVIII

« Hymne à Apollon » — « Andromède[20] »


Encore deux poèmes symphoniques où l’auteur ne se montre pas heureusement inspirée. Les sujets grandioses sont rendus par boursouflures plus que par fermes reliefs. Cet « Apollon » de l’Hymne, — solo, chœurs et orchestre — c’est Phébus, dieu du jour et du soleil. Holmès clame sa splendeur, et son triomphe sur les haïssables ténèbres, au moyen d’un verbe chargé de r sonores comme tonnerre dans les gosiers des chanteurs ; les chants font cliqueter des armes de fer-blanc et s’agiter panaches et étendards multicolores ; les accompagnements roulent en surabondance des trémolos, ces r de la musique, et mettent en branle un assortiment complet d’effets imitatifs ou descriptifs. Certes, la musique descriptive se prête à d’intéressantes combinaisons symphoniques pour qui sait en tirer parti intelligemment en usant d’infinies ressources harmoniques. Exemples entre mille : Le mouvement onduleux et passionné à l’orchestre sur lequel Isolde déploie son écharpe pour donner à Tristan le signal du rendez-vous, et les lourdes basses, rythmant formidablement les pas des géants dans l’Or du Rhin ; mais réduire la foudre à un trémolo, le bruissement des flots à des arpèges ininterrompus, l’éclair à une fusée de notes hautes perchées, l’éblouissement d’un lever d’aurore à un patinage de gammes diatoniques ou le courroux d’une mer démontée à une ruée de chromatiques, est aussi enfantin et à côté de l’effet cherché que, dans une narration, des onomatopées telles que « brououm ! » « patapoumpoum ! » « houhouhou ! » employés par un narrateur mal inspiré en s’imaginant nous mieux représenter ainsi ce dont il nous entretient : tonnerre, tempête, rugissements.

De tant d’erreurs, il faut séparer les phrases du baryton, surtout la première ; un récitatif imité de Gluck, et le dernier morceau dépeignant le calme victorieux de la Lumière : Une voix et le chœur dialoguent dans un style entraînant et animé souvent rencontré chez Holmès.

La poésie d’Andromède ne manque ni d’intérêt, ni de flamme ; la musique la trahit un peu. Quantité d’accompagnements ont juste la valeur d’un exercice des cinq doigts, on trouve des répétitions, absolument insignifiantes en principe, poussées jusqu’à exaspérer l’auditeur également poursuivi par la recherche de « l’effet » qu’Holmès n’oublie presque jamais ! Son excuse c’est qu’elle était de la meilleure foi du monde et croyait ainsi porter au plus haut point l’expression dramatique, faire un tableau frappant des souffrances d’Andromède, décrire avec éclat l’arrivée libératrice de Persée, puis l’ivresse des amants et leur apothéose.

La conception, les plans sont bons, certaines phrases jaillissent vives et brillantes, le contrôle sur leur distinction manque toujours, ainsi que le tact et le jugement, qui pouvaient éviter des imperfections d’autant plus irritantes que supériorité de l’artiste qui s’en rendit coupable est incontestable.

Malgré des faiblesses inhérentes à sa nature et à ses procédés harmoniques, Holmès a donné des œuvres beaucoup moins imparfaites et infiniment plus intéressantes que celles dont il vient d’être question ; ce sont : Les Argonautes, Ludus pro Patria, Lutèce, et même d’assez importants fragments de sa peu triomphante Montagne Noire.

À côté de ces volumineux édifices, je signale une simple fleur, un lys, peut-être le seul parmi les coquelicots pourpres, les tubéreuses, les gros bleuets, les voyants tournesols, les lourds dahlias, dominant dans la gerbe d’Holmès : c’est un court prélude pour piano[21] intitulé : « Ce qu’on entendit dans la nuit de Noël », il s’inspire du texte suivant :

« Les bergers, s’étant éveillés, virent dans les cieux les anges se dirigeant vers Bethléem ;

« Les airs s’emplirent de leurs chants, puis ils s’éloignèrent…

« Alors les bergers ayant connu que le Seigneur était né, se rendormirent heureux… »

Une petite phrase naïve et gracieuse, d’un caractère pastoral, passe par des modulations délicieuses : c’est bien la nuit sacrée, pure et mystérieuse, des clochettes cristallines tintent doucement, des voix angéliques planent en un chant lointain… de grandes ailes lumineuses glissent sous la voûte sombre où leurs calmes battements avivent les étoiles… Les simples de la terre se prosternent inondés de joie, puis repris de sommeil, prolongent en rêve la miraculeuse réalité.

Pas d’arpèges ! pas « d’effet » ! pas de bruit!… Quel dommage qu’Holmès n’ait pas cultivé cette gracieuse plante…




XIX

« Les Argonautes »


Les Argonautes, symphonie dramatique en quatre parties, s’inspirent de l’aventure de Jason, conduisant les Argonautes en Colchide, afin de conquérir la Toison d’or. Pour revenir victorieux, il devra subir diverses épreuves et résister aux séductions de l’Amour. C’est pourtant l’amour qui décide Médée à trahir son père et ses dieux en faveur de Jason, dont elle s’éprend subitement ; elle le met en possession du Trésor, espérant ainsi se faire aimer, mais l’ingrat ambitieux, insensible aux plus véhémentes supplications, repousse et abandonne la magicienne.

La partition colore ce sujet avec éclat et agrément. L’ensemble a du mouvement, de la vie ; l’entrée de Jason est fière, brillante ; sa phrase évoquant la Toison d’Or se déploie, non sans grandeur, sur un accompagnement bien gradué en de chatoyantes modulations.

La deuxième partie débute par un bon prélude symphonique, mieux alimenté, mieux étayé que d’habitude les intermèdes d’Holmès. On regrette d’y relever un écho affaibli de quelques pages de Wagner et de Reyer. Ce prélude dépeint le voyage en mer des Argonautes, hantés par la vision merveilleuse et stimulés par l’entraînant Jason. Le chœur des Sirènes qui, ensuite, s’efforcent d’amollir le courage des guerriers et de les détourner de leur projet, est séduisant ; son effet pouvait s’augmenter des interruptions indignées de Jason, rappelant ses compagnons à leur mission, et leur faisant honte de leurs tentations devant les caressants appels des Sirènes. Le contraste, heureux comme idée, n’est pas assez fortement indiqué ; les phrases du fils d’Eson, trop brèves, ne tranchent pas assez sur le caractère voluptueux du chœur ; elles ramènent néanmoins la troupe un moment ébranlée, et bientôt la terre promise apparaît ! Un chœur agréable célèbre l’arrivée triomphante des Argonautes.

La troisième partie se déroule dans le bois sacré, où les prêtresses d’Hécate se livrent, sous les yeux de Médée, à des danses magiques. Présentées d’abord en prélude, ces danses offrent un joli effet de rythme, d’une originalité qu’on aimerait à trouver plus souvent ; le chœur qui bientôt s’y mêle, répétant le dessin de l’orchestre, complète heureusement ce morceau. Mais Jason paraît et la passion soudaine de Médée provoque, dans la partition, des écarts de voix dont l’auteur abuse dès qu’elle veut traduire les sentiments violents de l’âme ; — sans doute ce procédé lui semble un symbole des écarts auxquels la passion entraîne ses victimes ! — Le duo entre Jason et la fille du roi de Colchide est terne ; quelques passages bien inspirés, puis des banalités, du vide, du remplissage, de médiocres commentaires à l’orchestre ; d’ailleurs, sauf le début, cette partie est la moins bonne de l’ouvrage. Avec la dernière, nous profitons d’un long récit de Jason, récit mouvementé et soutenu par un accompagnement varié et indépendant de la voix, particularité assez rare chez Holmès en général fervente de l’homophonie.

Les pathétiques supplications de Médée nous toucheraient plus qu’elles ne touchent celui qui en est l’objet, si elles ne s’entravaient pas dans toute une défroque de trémolos ; enfin l’œuvre s’achève par le retour du motif du début, caractérisant la Toison d’Or et glorifiant la splendeur du prestigieux métal.




XX

« Ludus pro Patria »


Ludus pro Patria, ode symphonique en quatre parties, diffère des Argonautes par les strophes dont un récitant fait précéder chacune des parties.

Ces Jeux pour la Patrie sont forcément des jeux guerriers. Le poème célèbre les devoirs que l’amour de la patrie dicte à ses enfants ; c’est un appel véhément au courage, une enthousiaste invocation aux héros disparus. Augusta Holmès était très patriote !

Littérairement l’ode est bien construite, dans le style ardent, flamboyant, plus viril que féminin, dont Holmès a l’habitude. On y rencontre des images assez vives ; la France forge son épée : « Pareils aux battements d’un gigantesque cœur, des coups sourds ébranlent la terre. »

« Les étendards sublimes, teints de l’azur du ciel, de la neige des cimes et du sang vermeil des héros. Donnons-lui — à la Patrie — tout l’amour de nos cœurs, tout le sang de nos veines et l’œuvre de l’esprit plus forte que la mort ! » etc. (Je vous ai dit qu’Holmès faisait une énorme consommation de r et une grande économie de teintes sobres !) Sans analyser ses poésies, puisque c’est de la musique qu’il s’agit, j’ai remarqué que de son œuvre, en mots ou en notes, se dégagent des qualités et des défauts analogues. C’est bien compris, c’est souvent médiocrement exprimé. On est surtout choqué par le manque de distinction, de délicatesse, de finesse. Pourtant à une première lecture, les omissions ne se remarquent pas trop, on est plutôt bien impressionné par l’allure générale, les sentiments passionnés qui s’ennoblissent s’ils se rapportent à la patrie. Ne relisez pas : l’effet, tout d’abord favorable, s’affaiblirait, parce que les idées sont en surface et qu’elles ne recèlent ni pensée profonde ou neuve, ni raffinements de forme, et cela manque aussi dans sa musique. N’y a-t-il pas lieu de soupçonner l’éducation poétique assez superficielle d’Holmès d’une influence fâcheuse sur son écriture musicale qui côtoie fidèlement ses poèmes ? Poussée par une très vive imagination que ses études incomplètes en littérature ne disciplinaient pas, elle se trouva amenée à inspirer ses commentaires musicaux d’un verbe non dépourvu de lyrisme (bien au contraire !), mais négligé sur divers points, et ayant réussi l’accord elle put croire qu’elle avait satisfait à toutes les exigences.

La partition de Ludus pro Patria s’ouvre par un prélude en larges accords d’une allure imposante et de belle sonorité. Le chœur qui suit plaît par son élan, sa franchise ; l’accompagnement en est traité symphoniquement, et un appel aux preux d’antan, caractéristique et d’un rythme hardi, s’accorde bien avec son sujet.

La deuxième partie, intitulée La Nuit et l’Amour, a pour raison d’être l’utilité de former une sorte d’oasis reposante entre deux parties guerrières. Le morceau, présenté d’abord en intermède d’orchestre, a du charme comme phrase — passons sous silence une avalanche d’arpèges et une grêle de trémolos en guise d’accompagnement ! — s’y enchaîne un chœur, d’un joli effet par des redites en appel, reprises à l’orchestre comme un écho dont l’insistance est douce[22]. Certes on pouvait obtenir plus de poésie, et surtout une poésie plus profonde, une teinte plus « clair d’étoiles » et conforme au nocturne ; quelques trilles, alors qu’il est tout le temps question du chant du rossignol, auraient pu jaillir de loin en loin, purs et harmonieux ; on s’étonne qu’Holmès, qui souvent abuse du genre imitatif, ait négligé d’appliquer avec tant de propos son procédé. Peut-être parce que, justement, l’effet s’imposait presque ; voilà un petit dilettantisme mal placé ; mais ne soyons pas trop sévères pour une nuit que la lune inonde de clarté, tandis que des amoureux clament ardemment leur tendresse, et s’époumonent à signaler le chant du rossignol, dont nous ne percevons pas la moindre manifestation.

La troisième partie est la meilleure de Ludus pro Patria et l’une des tout à fait remarquables d’Holmès. Les héroïques forgerons forgent l’épée libératrice de la France : « Pareils aux battements d’un gigantesque cœur, des coups sourds ébranlent la terre. » Le choc des marteaux est rendu avec éclat par des accords, frappant énergiquement, fièrement les trois temps de chaque mesure ; l’intérêt se maintient assez longuement et une accentuation en forme de canon entre la partie haute et la partie basse, semble la répercussion du labeur cyclopéen. Le rythme intrépide et robuste, le caractère franc et enthousiaste du morceau, évoquent excellemment les épées triomphales ou héroïques, et on peut dire de ces pages qu’elles sont forgées par un ouvrier ayant l’étoffe d’un maître.

La dernière partie contient une très bonne phrase religieuse, le reste en est assez insignifiant.

En 1888, — 4 et 11 mars — le Conservatoire, dont l’accès ne fut jamais très facile, donna deux auditions de Ludus pro Patria sous la direction de Jules Garcin ; on comprend que, bien exécutée, l’œuvre parut intéressante ; à présent même on pourrait, en passant, en écouter des fragments, non sans plaisir.




XXI

« Lutèce »


Cette « symphonie dramatique » fut couronnée au concours de la Ville de Paris ; elle comprend trois parties pour soli ; chœurs et orchestre. C’est, à mon avis, la plus correcte et agréable composition de longue haleine à l’actif d’Augusta d’Holmès.

1re partie. « L’aube naît, les grands bois s’emplissent de murmures — Entre les durs roseaux de la brume émergeant — Le fleuve gris strié de sillages d’argent — Jette à l’ombre qui fuit comme un reflet d’armure : C’est la Seine et voilà Lutèce ! les voilà les huttes à la porte unique étroite et basse, les filets suspendus et les épieux de chasse. — Éveille-toi, voici le jour ; les bois, les champs vont retentir de cris, de rires et de chants ! Car le soleil jaillit ! »

Ce tableau est exposé par le récitant, il a été précédé, à l’orchestre, d’appels belliqueux de trompettes. Au cours de tout l’ouvrage, on retrouvera ces appels, et aussi l’espèce de réponse lugubre, s’opposant, impressionnante comme un glas, au fiévreux entrain des batailles. À ce bref prélude et au récit, succède un chœur plein de fraîcheur et de grâce. De courtes phrases, annonçant l’aurore, se posent sur une harmonieuse symphonie, d’un caractère calme, pastoral, un peu mystérieux, comme légèrement voilé de brume matinale. C’est une véritable oasis dans l’œuvre plutôt violente d’Holmès. Une idylle se place gracieusement dans ce cadre : Un Gaulois, une Gauloise, l’homme brave, loyal, amoureux, la femme tendre, fidèle, dévouée à celui qu’elle aime et dont elle partage le zèle ardent pour la Patrie et pour la gloire. Un duo entre les fiancés s’imposait : la phrase du Gaulois est bien frappée et bien enguirlandée par l’orchestre ; celle de la Gauloise a du charme, de la sincérité ; ce n’est pas mièvre, ce n’est pas banal, ce n’est pas forcé, on respire le bon air musical. Mais l’appel aux armes retentit ! c’est la guerre ! adieu à l’amour, à la joie du foyer !… En des pages expressives, la Gauloise cède à la Patrie l’époux prochain, qui, non moins stoïque, sacrifie son bonheur à son devoir. Il y a là, musicalement exprimé, un sentiment de regrets contenus et de chaste tendresse qu’il faut d’autant plus apprécier, qu’on ne le rencontre presque en nul autre ouvrage d’Holmes.

Deuxième partie : « Le champ de Bataille ». Un long morceau pour l’orchestre, bien traité et développé, dépeint le combat sans merci entre les Gaulois et les Romains. Les motifs guerriers du début se combinent, se heurtent haletants parmi le déchaînement de la bataille, et quand celle-ci atteint au dernier degré du carnage, les lourdes basses du prélude annoncent le deuil. Les Gaulois ont lutté jusqu’à la mort, maintenant ils gisent sans vie ou expirants.

Et voici les Romains vainqueurs ! ils avancent sur une fière marche, défilent, aigles déployées, boucliers étincelants, s’éloignent et disparaissent, laissant derrière eux le champ désolé.

Les sonneries des trompettes gauloises, si entraînantes, si ardentes dans la première partie, sont devenues sinistres, elles forment une sorte de marche funèbre qui accompagne sourdement la déclamation tragique du récitant : « La plaine est rouge ! En vain ils ont lutté cent contre mille, les beaux enfants morts ou enchaînés pour la Patrie ! Et le bruit de leurs chaînes, le râle de leurs poitrines, sert d’accompagnement aux chants d’allégresse des Romains. » Le contraste entre les deux marches est dramatique ; la marche triomphante est vraiment évocatrice, sans banalité ni effet forcé, on peut seulement lui reprocher de faire songer à la troisième Polonaise de Chopin. Puis s’élèvent les plaintes des mourants hantés par de poignants souvenirs : leur espoir de victoire, la calme douceur de leurs champs, maintenant perdus pour eux, le défilé insultant des vainqueurs ; tout cela est bien traduit musicalement, tramé solidement par l’orchestre sous les lamentations en récitatif des mourants ; puis, peu à peu, les plaintes s’éteignent dans un égouttement de notes : derniers regards, dernières pensées, dernières gouttes de sang.

Troisième partie : Après la défaite. Le récitant — « C’est le soir du combat ! verse des pleurs, ô mère douloureuse ! Ils dorment des pâleurs de la mort couronnés ! Ils sont morts tous la face vers les cieux ! Et voici que dans l’ombre en lente théorie, les femmes, les vieillards et les petits enfants viennent, le cœur gonflé de sanglots étouffants chercher parmi les morts une tête chérie. »

Sur un monotone dessin, l’orchestre se lamente et semble exhaler de douloureux soupirs, que suit exactement le chœur par de déchirants

     Hé- la-as !              hé-la-as !

Par intervalles d’autres voix exaltent les vertus des trépassés, et après chaque éloge, le chœur répond : hélas, hélas !! L’effet est juste, sans exagération ; véhéments, les regrets montent vers le ciel, les gémissements ont l’exaspération, puis l’accablement des grandes douleurs.

Voulant conclure dans un sens plus réconfortant, Augusta d’Holmès a chargé la fiancée du Gaulois vaincu d’exhortations à la joie en l’honneur du glorieux trépas de celui qui devait être son époux, et de ses compagnons. « La mort pour la Patrie c’est l’immortalité ! Le sang des héros fertilise les champs et fait lever le germe de la gloire ! Le souvenir impérissable pour ceux qui viennent de périr et la revanche des fils, seront conséquence des désastres présents ! Réjouissez-vous, réjouissez-vous ! »

Convaincus sans plus de frais, les désespérés de tout à l’heure changent de ton et clament un hymne enthousiaste aux victimes et aux futurs vengeurs.

Au lieu de me consoler, cette conclusion me navre, car elle déraille de l’excellente voie jusque-là suivie. Pour faire accepter un brusque et conventionnel revirement, il fallait un beau jaillissement musical ; au contraire, l’inspiration se dérobe soudain et abandonne l’auteur qui semble s’être battu les flancs pour trouver une faible réminiscence de l’Hymne triomphal du Prophète : « Roi du ciel et des Anges ». Ainsi finit cette Lutèce, dont on regrette de ne pouvoir annuler les vingt dernières pages, qui affaiblissent un ouvrage vraiment intéressant au double point de vue de l’inspiration et de l’exécution. Sans que la science s’y montre transcendante, on n’en constate pas l’insuffisance comme dans d’autres compositions d’Holmès ; elle répond simplement, mais correctement et expressivement, aux exigences du sujet ; il y a tout à la fois indépendance et accord entre les voix et l’orchestre, tout cela de façon soutenue, sauf pour une fraction assez minime comparativement. En outre, le style, beaucoup plus simple et contenu que de coutume avec notre exubérante musicienne, est exempt des abus de gros effets, des vulgarités et des négligences dans le goût rencontrés plus ou moins à travers les partitions d’Augusta Holmès.




XXII

« La Montagne noire » — Le libretto


La Montagne Noire, plus que les trois poèmes symphoniques précédents, prête le flanc à la critique ; néanmoins cet opéra, dont les représentations sur notre première scène lyrique font foi de l’estime en laquelle était tenue son auteur, prouve une capacité de travail non dépourvue d’envergure et de souffle ; de plus il montre nettement ce que produit, même avec un bon appareil, un cliché brutal, sans retouche, sans précaution, et nous rend très sensible le résultat d’un labeur en surface sous une direction peu clairvoyante.

Scénario et musique observent, dans la Montagne noire, la coupe traditionnelle : chœurs d’entrée et de fin d’actes, morceaux développés pour les principaux personnages, ballet, duos, trios, déploiement de mise en scène et hécatombe finale. Un beau ténor amoureux, un sévère baryton, une basse sacerdotale, une soprano enchanteresse, une austère contralto et, comme sujet supplémentaire, une deuxième soprano, sacrifiée celle-là, la pauvre, à son irrésistible rivale !

L’idée première du poème de la Montagne noire dut être suggérée à l’auteur par une coutume en honneur chez certaines peuplades à demi-sauvages de l’Orient, et qui était celle-ci. Quand, à la suite de victoires communes ou de dévouements réciproques, deux jeunes hommes échangeaient un serment de fraternité, rendu sacré aux yeux de tous par un rite, variant selon les contrées, ils devaient marcher au même but sans jamais s’écarter l’un de l’autre, demeurant solidaires dans l’honneur ou l’opprobre, dans la gloire ou la défaite, et résolus, chacun de son côté, à sacrifier, s’il le fallait, sa vie pour le frère choisi, accepté, sous ces conditions, en toute liberté. Ce serment à peine prononcé par les deux frères d’armes, Mirko et Aslar, guerriers monténégrins qui viennent de vaincre les Turcs envahisseurs, une jeune Turque, Yamina, poursuivie par les Montagnards prêts à la mettre à mort, fait irruption en demandant grâce. Mirko, pourtant fiancé à Héléna, subit le charme de l’étrangère et use en sa faveur du droit de sauver une ennemie en la gardant prisonnière sous son toit. Héléna, puis Aslar, s’aperçoivent du trouble où l’aspect de Yamina plonge Mirko, et Aslar déclare : « Frère, il eût mieux valu la tuer tout à l’heure ! » Le fait est que cette dévorante passion ne représente pas une sinécure pour le pauvre ami, qui tout le long de l’ouvrage va s’efforcer d’arracher Mirko à la fatale séduction. C’est l’éternelle lutte entre le bien et le mal, le devoir et l’amour, l’ange et le démon. Augusta Holmes a doublé l’une des parties adverses au moyen d’Aslar et d’Héléna, — personnifiant la Patrie et la Fidélité, — liguées, contre la féline Yamina. Naturellement ce renfort ne peut contrebalancer la Passion Toute-Puissante, et Aslar se voit dans la triste nécessité de poignarder son frère pour ne pas l’abandonner à l’ignominie. Divers épisodes relient le point de départ à la conclusion, et quelques fluctuations se produisent avec l’intention de maintenir l’auditeur indécis sur le résultat final. Ce but n’est pas atteint : Dès l’entrée de Yamina nous savons que Mirko lui sacrifiera tout ; les semblants d’indécision du jeune homme, la timide tentative d’Héléna pour reconquérir son fiancé, les grandes phrases rééditées à tout moment par Aslar, nous laissent l’impression d’être de simples prétextes pour prolonger le spectacle et permettre à l’opéra de dérouler tous ses morceaux et tous ses effets ; donc l’intérêt languit ou est nul.

Ce défaut provient moins des situations elles-mêmes, elles sont soutenables, que de la façon dont elles sont traitées et dont sont traités les personnages qu’il eût fallu moins conventionnels pour nous attacher. Nous ne comprenons pas l’esclave turque, principale héroïne ; d’emblée, elle pense à séduire Mirko pour se soustraire à la captivité, soit ; mais ensuite, sa liberté reconquise, pourquoi s’obstine-t-elle à retenir le fiancé d’Héléna et à le rendre parjure envers tous ? L’aime-t-elle ? Veut-elle en faire un allié pour ses compatriotes les Turcs ? Ou agit-elle par perversité, uniquement ? Rien ne nous instruit sur la version à adopter.

Héléna apparaît aussi bien flou, bien peu énergique pour défendre son bonheur ; une seule fois elle s’approche de son fiancé, lui rappelle sa tendresse et les
La Montagne Noire (3e acte)
Un village dans le montagne
                                        (Décor de M. Jambon. — Cliché Laffargue).
promesses échangées, puis, l’ayant décidé à chanter avec elle une prière en duo, s’éloigne, toute tranquille, laissant Mirko aux prises avec Yamina, qui, elle, traite des sujets infiniment plus capiteux qu’une invocation à la Vierge.

Après cela, nous ne savons plus trop ce que devient la douce sacrifiée qui reparaît juste pour voir fuir son promis et Yamina tendrement enlacés, pousse des cris perçants, — auxquels accourent Aslar et compagnie, — dénonce la félonie de Mirko et s’abat, évanouie ou morte.

Et Mirko, tiraillé en tous sens ? Mon Dieu, il se prête assez volontiers à ces exercices d’élasticité, ce qui est très humain et surtout très masculin ! Cependant, ayant vu son frère d’armes poignardé par Yamina — rassurez-vous, le coup n’est pas mortel, nous ne sommes qu’au troisième acte et il y a en a quatre ! — il a laissé fuir sa maîtresse, pour se lamenter et se faire tuer près de son ami ; puis cet ami ressuscitant, Mirko lui rejure soumission et tendresse à toute épreuve. Et voici qu’à l’acte suivant, sans que nous ayons rien vu ou entendu de nature à motiver ce regrettable revirement, nous retrouvons le versatile Mirko irrémédiablement traître envers les siens, et livré à la belle courtisane Turque, dont il partage la vie voluptueuse. L’arrivée d’Aslar, en ce lieu de débauche, est dramatique, mais son dernier stratagème, consistant à tuer Mirko pour lui garder au moins sa réputation sauve, ne nous touche pas, car il ne s’immole pas lui-même pour le bien de son frère, et s’il tombe aussitôt, frappé à mort, c’est au hasard d’une balle de ses propres soldats venant mettre à feu et à sang le palais de l’ennemie.

Autre défaut du livret : Les situations et les personnages s’apparentent à Tannhaüser et à Carmen. De Tannhaüser, c’est le même conflit entre le ciel et l’enfer se disputant une âme. Dans la Montagne noire, Vénus est devenue Yamina ; Elisabeth, Héléna, et Wolfram, Aslar. Mais combien les « sujets » de Wagner, malgré le côté fabuleux de l’aventure, apparaissent humains et vrais de tout temps : Elisabeth, si « jeune fille », tendre et dévouée ; Tannhaüser, si fier et sensible malgré ses erreurs. Quelle émotion nous étreint pendant le défilé des pèlerins absous, parmi lesquels Elisabeth cherche en vain celui qu’elle attend, pour qui elle a tant prié et va offrir sa vie à Dieu ! Combien est poignant, un peu après, le récit de Tannhaüser, apprenant à Wolfram la malédiction éternelle qui l’accable, et quand, par désespoir, il va retourner à Vénus, que l’intervention de son ami est touchante d’après la tendresse devinée pour Elisabeth ! Enfin, le drame wagnérien nous laisse sur une impression pure et consolante ; Tannhaüser est sauvé du Vénusberg par le cher nom d’Elisabeth, et son âme rachetée par la pieuse fille donnant sa vie en expiation des péchés de celui qu’elle adore. Que nous sommes loin de ce mouton devenu enragé, nommé Héléna, dans l’opéra d’Holmès, de ce fâcheux Aslar, et de toutes les marionnettes de la Montagne noire !

Voyons maintenant les similitudes avec la Carmen de Bizet.

Mirko, comme don José, est aimé d’une charmante fille, qu’il aime, et sa vie coulerait heureuse sans une passion soudaine, irrésistible pour une créature perverse. Comme Micaëla, Hélena tâche de ramener à elle son fiancé. Comme don José, Mirko a des remords, mais Yamina, de même que Carmen, survient, elle danse, se montre amoureuse, excitante… toutes les belles résolutions de don José, ou de Mirko, s’évanouissent, la passion néfaste mène jusqu’au crime ou jusqu’à l’ignominie celui qui dans la vertu eût trouvé le bonheur durable.

Seulement, les personnages de Mérimée, si puissamment el profondément rendus par Bizet, sont pleins de vie : nous les voyons, nous les comprenons, nous agirions comme eux. Carmen est la bohémienne indépendante et passionnée, jouant avec la même virtuosité des castagnettes ou du couteau ; fataliste, disputeuse, inconsciente, coquette et sujette à caprices violents ! Le beau brigadier, don José, puis le prestigieux toréador, Escamillo, en bénéficieront. Don José, lui, est un simple et brave garçon, il subit une sorte d’ensorcellement émanant de l’impudente cigarière ; peut-être, néanmoins, finirait-il par lui échapper, s’il n’était point jaloux. Malheureusement, la jalousie le tenaille ; elle l’a armé contre son supérieur ; plus tard elle le retient, plus que l’amour, quand il suppose que sa maîtresse souhaite la liberté pour courir à de nouvelles aventures. À la fin, la pensée que Carmen le repousse afin de rejoindre un autre amant l’affole et le conduit au meurtre.

Tout cela nous émeut parce que nous sentons la souffrance du malheureux envoûté, parce que le drame final est la conséquence fatale des natures et des situations. Nous l’avions pressenti dans la scène des cartes, nous l’avions vu s’approcher à la crise de violence de don José, quand, brutalisant Carmen, il lui dit — et avec quel accent musical ! — : « La chaîne qui nous lie nous liera jusqu’à la mort ! » Et lorsque, après Carmen énamourée au bras d’Escamillo, arrive don José, malgré ses pitoyables supplications, nous savons qu’il est à bout, et, connaissant l’inflexible caractère de la Zingara, nous éprouvons le frisson d’angoisse devant le drame que plus rien ne peut éviter ou repousser.

C’est donc la prévision d’une conclusion tragique qui augmente l’intérêt de Carmen, en la rendant si dramatique ; une conviction analogue enlève au contraire l’intérêt à l’intrigue de la Montagne noire. Cela semble singulier, mais s’explique à la réflexion. Premièrement Holmès, en grandissant et grossissant ses héros, les a déformés ; ensuite ce qui était naturel, pathétique entre des êtres en chair et en os, vibrant aux heurts de la vie, devient invraisemblable et surtout ne nous touche plus de la part d’espèces de fantoches dont nous voyons tirer les ficelles. La menace, dans Carmen, est graduée ; les scènes où l’on sent l’orage s’amonceler, préparant le terrible coup final, sont variées, animées ; celles de la Montagne noire semblent figées : de la première à la dernière, c’est, avec une voix caverneuse : « Le renoncement ou la honte ! le devoir ou la mort !! »


XXIII

« La Montagne noire »
La Musique


Mais si le rapprochement littéraire des admirables opéras de Wagner et de Bizet est si peu favorable à Augusta Holmès, que dire du rapprochement musical ? Et comment la femme intelligente qu’était Holmès ne s’est-elle pas avisée de la maladresse qu’il y avait à provoquer des comparaisons avec de pareils chefs-d’œuvre ? N’en faisons plus ; d’ailleurs dans le domaine des sons, toute similitude a disparu.

Au cours des quatre actes de la Montagne noire, on trouve à profusion les défauts coutumiers à son auteur : Style homophone et pompeux, partie symphonique accusant la négligence, les lacunes en science ; puérilité extrême dans le soin de commenter chaque mot par accompagnements imitatifs, arpèges harpistiques égrenant les plus insignifiants accords, gammes lachées à tort et à travers, trémolos déchaînés pour caractériser une situation menaçante, pour renforcer un crescendo, pour imiter le fracas des batailles, les perturbations atmosphériques, pour activer les entrées intrépides ou les sorties tumultueuses, commencer ou finir un acte, ou, encore, pour sauver la situation quand Holmès ne sait plus trop comment soutenir ses chants. Oh ! ces malheureux trémolos à tout faire !!… il faut déplorer qu’ils ne soient pas proscrits à titre d’infraction grave aux règles de l’harmonie ! sans eux, sans leur secours de pacotille, Holmès, obligée à des efforts d’un ordre supérieur, dont elle était susceptible, se fût doublée en valeur.

Dans son opéra, elle abuse encore des courtes phrases en quatre mesures s’achevant toujours par la cadence parfaite. La monotonie de ce procédé s’aggrave presque toujours d’un effet de voix, précédant l’aboutissement sur la tonique, comme pour solliciter les applaudissements ; et les intervalles de septièmes ascendantes, suivies d’octaves descendantes, se représentant à tout propos, on finit par être excédé de ces coups de gosiers en fusées retombantes.

Une autre grave faiblesse est imputable à l’orchestration qui ne répond nullement à ce que le sujet exigeait ; ni cohésion, ni consistance dans le quatuor ; des éclats de cuivre, de ci de là, en guise de puissance orchestrale. En différentes partitions, Holmès, à défaut de maîtrise complète, fait preuve d’une certaine sûreté de main. Craignit-elle, dans la Montagne noire, de couvrir les voix ? s’acquitta-t-elle trop hâtivement de l’instrumentation ? Sa négligence sur ce point est incompréhensible, et cet orchestre, sans solidité, sans sonorités homogènes et d’un intérêt à peu près nul, eût déparé, déprécié un ouvrage de grande valeur sur tout autres points.

La Montagne noire est construite sur plusieurs leit-motiv, qui l’enguirlandent comme une simple tonnelle. Les deux principaux devaient, dans l’esprit de l’auteur, former une intéressante opposition en personnifiant Yamina et Aslar, c’est-à-dire, d’une part, la séduction, la volupté, de l’autre côté, la loyale rudesse, le devoir ; là l’inexorable amour, ici l’inexorable honneur ! Un troisième leit-motiv symbolise le serment échangé entre les deux frères d’armes ; il a l’allure d’une marche héroïque, se montre consciencieusement à chaque allusion au pacte sacré, et à la fin, après la mort d’Aslar et de Mirko, tourne à la marche funèbre, affirmant ainsi son savoir-vivre de leit-motiv. Une quatrième phrase, d’un caractère populaire assez gracieux, revient à la mélancolique Hélèna.

En principe, je ne vois pas de raison pour être hostile au leit-motiv qui apporte une certaine unité dans les œuvres de longue haleine. Augusta Holmès n’en a pas mal joué dans son opéra, et a échafaudé adroitement son quadrille. À remarquer le trio entre Yamina, Hélèna et Mirko, où le chant de pieuse tendresse des fiancés est accompagné par la phrase voluptueuse de la Turque, semblant se rire des pures promesses et les narguer ; un peu plus loin, le thème d’Hélèna, déformé à l’orchestre en une insolente parodie, tandis que la rivale ennemie exprime sa colère devant les hésitations de Mirko, rend bien la situation, ajoute avec à-propos aux paroles et à l’impression. À la fin, la phrase de Yamina, devenue un accompagnement aux remords de Mirko, produit bien l’effet de l’enlacement fatal auquel l’amoureux monténégrin n’a pu se soustraire.

Malheureusement, ces motifs, si fréquemment entendus et bien combinés en général, ne sont pas heureux, même pour une audition unique. Cette méthode de composition exige, avec beaucoup de tact, une grande aisance technique procurant les moyens de varier, de transformer les thèmes par les modulations, le rythme, la polyphonie vocale et instrumentale. Pour supporter de fréquentes répétitions et même y gagner, des phrases dont la distinction ou la profondeur ne permet la complète pénétration qu’après plusieurs redites, sont les meilleures ; ou alors nous les voulons enchanteresses dans leur géniale simplicité ; je citerai comme modèle de ce genre celle qui personnifie la Salammbô de Reyer ; c’est un chef-d’œuvre de charme poétique, inoubliable autant qu’émouvante : d’emblée elle nous a conquis, nous l’avons nettement saisie, pourtant sans modification, et bien souvent elle peut réapparaître, nous n’éprouvons nulle lassitude, au contraire, chaque retour augmente notre ravissement et le porte jusqu’à une délicieuse extase. Or, Holmès ne se montre pas familière d’exquises simplicités, ou de subtilités savoureuses ; pour comble, sa notion du bon et du mauvais l’a abandonnée dans la Montagne noire, et ce sont les thèmes les moins heureux dont elle fait un usage immodéré. Se figurant créer une atmosphère conforme au sujet, répandre une intéressante couleur locale dans sa partition, notre musicienne a adopté, pour tout ce qui se rapporte à Yamina, l’allure traînante, les harmonies et le rythme monotones de la musique orientale ; elle n’a réalisé qu’une banale contrefaçon mauresque, rappelant ce qu’on entend dans les Concerts tunisiens, où de prétendues Almées miment des danses plus lascives qu’exotiques, tandis que des hommes brunis artificiellement et accroupis dans des écroulements d’étoffes blanchâtres, s’obstinent, du souffle et des doigts, contre des instruments bizarres avec lesquels ils semblent faire corps.

Ainsi traités, à l’encontre de l’originalité, de la saveur capables de répandre un caractère particulier dans la partition, le leit-motiv de la courtisane turque devient de plus en plus déplaisant en se prodiguant, en s’aggravant d’un développement en forme de valse pour souligner les poses provocantes de la belle esclave ; il se glisse partout, pareil à une œillade de mauvais lieu, s’insinue sous tous les chants de Mirko, imite les roucoulements, les miaulements, les pâmoisons, se livre, sur l’échelle chromatique, à une gymnastique littéralement exaspérante, et tourne au burlesque quand il sert à gémir le nom de Yamina :

La phrase d’Aslar, et celle qui illustre le fameux serment, si mal observé par Mirko, sont du genre grave et noble ; elles soulagent bien un peu de l’obsédant motif de l’héroïne, mais ne sont pas d’essence assez pure ou précieuse ; elles sont surtout trop ampoulées pour supporter victorieusement les redites accumulées, se dressant, avec ou sans l’emphatique Aslar, à chaque page, poursuivant, comme un remords acharné, le faible Mirko qui, entre elles et le thème de séduction de Yamina, mérite une profonde pitié.

Holmès s’est trompée foncièrement dans la Montagne noire ; elle a mal choisi son sujet et l’a médiocrement traité. En ce qui concerne la partition, ce sujet lui fut d’autant plus défavorable qu’il autorisa des allures orientales (qu’Holmès, insuffisamment soucieuse de raffinements, traduisit de façon vulgaire) et des crises passionnées dont l’auteur des Griffes d’or ne pouvait guère éviter l’abus et le laisser-aller. Sur un terrain brûlant, l’exacte mesure se perd facilement avec les natures ardentes, et cela sans qu’un contrôle soit possible pour déterminer la ligne distinguant le sublime du mauvais goût ou du ridicule.

Quand le libretto offre d’autres situations, l’inspiration s’améliore infiniment ; ainsi, nous trouvons au second plan, dans un style plus simple et agréable, le rôle d’Hélèna, qui est charmant ; celui de Dara, la mère de Mirko, et du prêtre Sava. Ce ne sont pas les seules bonnes pages de la partition. La scène d’introduction du premier acte ne manque ni de mouvement ni de couleur : pendant qu’au loin la fusillade éclate,
Mlle Torri (Une Almée) et M. Alvarez (Mirko)
Scène du 4e acte de la Montagne Noire
                                        (Cliché Benque).
les femmes prient et se lamentent, sauf Dara farouche et stoïque ; c’est, dans la note vigoureuse, le meilleur morceau d’ensemble. Il faut ensuite remarquer le chant d’entrée d’Aslar et de Mirko, presque constamment réuni et sans accompagnement, il est franc et hardi : l’air de Mirko : « Qu’ai-je donc ? pourquoi suis-je ainsi ? » exprime bien l’anxiété douloureuse et passionnée qui l’agite ; sa phrase : « Que de nuits, que de jours, j’ai supporté l’ineffable martyre ! » est pleine d’ardeur tendre, ainsi que le duo qui s’y enchaine ; au second acte, le Lied de Yamina empreint de mélancolie, sur un rythme persistant et original des bois qui accompagnent ; le duo d’un caractère religieux, entre Hélèna et son volage fiancé. Au quatrième acte, après un divertissement avec chœurs bien réussi dans le genre voluptueux, nous arrivons enfin à une scène émouvante, texte et musique : Pour s’étourdir sur son infamie, car il est tombé dans la pire débauche et a renié tous ses serments, Mirko, excité par Yamina et par d’impudiques Almées, s’enivre ; mais soudain, une voix étrangère réclame aussi : « À boire ! » À la stupéfaction de tous, c’est Aslar qui vient se mêler à l’orgie ! Cette feinte, pour faire jaillir ce qui peut subsister de bons sentiments chez l’amant de Yamina, provoque bien le sursaut espéré ; la déchéance du frère pur et loyal entre tous, bouleverse le frère coupable ! il s’arrache des bras de sa fatale maîtresse, il secoue l’ivresse qui le dominait, et crie avec horreur : « Va-t’en ! ici on se déshonore ! » Et Aslar répond : « Tu t’es déshonoré ! — Va-t’en, » répète Mirko éperdu, « on devient lâche ici ! — Tu l’es bien devenu ! — Moi, je suis perdu, damné ! Mais toi !! va-t’en. — Je me damne avec toi ! — Aslar fuir son pays ? — Ta patrie est la mienne ! — Ta gloire ?… — N’as-tu pas abjuré la tienne ? — Et ton Dieu ?… — Tu n’es plus chrétien ! » Ce duo pathétique est vivement rendu par le chant sobre et énergique, comme l’accompagnement, et Holmès a trouvé de véhéments accents quand Mirko donne à Aslar l’ordre suppliant : « Va-t’en ! va-t’en ! laisse-moi ! »

Un autre morceau parmi les meilleurs de l’opéra est le duo caressant, puis extasié, entre Mirko et Yamina à leur arrivée dans la Montagne. Bien développé, bien conduit sur des phrases tendres et harmonieuses qui se répondent, puis s’enlacent, il est bien accompagné et offre un contre-chant d’un effet très prenant. Chanté par Alvarez et Lucienne Bréval, il bénéficiait de la plus adorable des interprétations et ne pouvait que ravir l’auditoire ; du reste, le succès alla aux pages d’album permettant de jouir du talent des artistes dont, à l’unanimité, la presse loua le mérite et l’ardeur pour défendre une cause qu’il était impossible de faire triompher.

Froidement accueillie dans son ensemble, la partition n’eut que peu de représentations ; dans les coulisses on l’appelait « le Four noir ». Certes, elle comportait des erreurs capitales et ne pouvait fournir une bien longue carrière, cependant elle méritait un sort moins sévère ; des raisons indépendantes de ses faiblesses ne furent pas étrangères à son échec, qui, en tout cas, se trouva accentué par une sorte de cabale, méchamment
La Montagne Noire (4e acte — Ier tableau)
Une ville sur la frontière de Turquie.Le palais de Yamina
                                        (Décor de M. Jambon. — Cliché Laffargue).
organisée contre Holmès. Tout ne se passe pas toujours loyalement dans le monde ! Si les artistes ou les questions artistiques sont en jeu, les vilenies se compliquent d’autant plus, grâce à des sensibilités et susceptibilités toujours à l’état suraigu, transformant les irritations en blessures, et en blessures vite venimeuses, souvent mortelles. Et puis, il faut bien reconnaître que, dans ces régions un peu spéciales, les questions d’amour-propre acquièrent une importance toute particulière et qu’un insuccès équivaut parfois à un arrêt de mort.




XXIV

L’avenir pour la femme compositeur
Adieu à Holmès.


J’abandonne quelques compositions de second plan et de moindre importance, elles n’apporteraient aucune appréciation nouvelle pour ou contre Holmès. En définitive, ce sont ses poèmes symphoniques, Ludus pro Patria, Lutèce, les Argonautes, qui donnent le mieux sa mesure et dépassent le niveau des habituelles compositions féminines. Quand le sujet a la bonne fortune de trouver un filon favorable, quand le sujet lui-même soulève Holmès et la maintient, elle se surpasse, comme dans Lutèce et certains fragments des Argonautes, de Ludus pro Patria, même de la Montagne noire, pour m’en tenir à ses principaux ouvrages ; dans d’autres cas elle s’effondre par défaut de méthode, par négligence de toutes sortes. Tantôt nous sommes étonnés qu’ayant écrit des pages pitoyables elle en réalise d’excellentes, en tout point différentes de celles qui nous déplurent ; tantôt nous demeurons confondus de ce que, susceptibles d’une réelle supériorité, elle se contente, ailleurs, des pires inepties ; mais en dépit d’inégalités, d’erreurs, d’inconséquences, ce fut vraiment une artiste et une artiste bien digne d’attention.

Depuis Augusta Holmès, nos « compositrices » connues n’ont pas donné des preuves très sensibles de valeur transcendante, et leur nombre ne semble pas s’accroître ; faut-il le regretter ou s’en réjouir ? Cependant, il y a effort, manifestation dans la voie du progrès ; dernièrement une jeune fille était admise à concourir pour le prix de Rome, peu s’en fallut qu’elle sortît victorieuse de la loge, et sa réussite incomplète ne signifie pas son indignité de la haute sanction : tant de maîtres ne furent pas prix de Rome ! tant de prix de Rome ne devinrent pas des Maîtres !!

D’une autre femme on annonce qu’un ouvrage important est reçu à l’Opéra[23], le premier depuis la Montagne noire, c’est-à-dire depuis dix-sept ans. Et le goût, les habitudes actuelles ne s’accommodent plus de ce qui pouvait convenir naguère ; des œuvres du genre de celles d’Holmès sont irrémissiblement bannies. On admettrait l’absence totale d’idée, de préférence à l’insuffisance de ce qui peut s’acquérir par l’étude. Raisonnablement, ce choix apparaît fort judicieux : le travail accroît sûrement les qualités naturelles ; sans culture approfondie, ces qualités végètent, s’étiolent ou sombrent, et plus elles sont considérables, plus elles exigent de ressources techniques. Après tout, les dons créateurs s’avéreraient-ils trop faibles, l’étude formerait toujours des musiciennes dont il risquerait de sortir une interprète hors ligne ; une nouvelle Clara Schumann qui, elle, travailla la fugue et le contrepoint, ne serait vraiment pas superflue.

Que sera, dans l’avenir, la femme compositeur ? On n’ose répondre, depuis trop peu de temps les femmes s’orientent sérieusement vers la composition musicale pour en avoir pénétré tous les secrets. En dehors de l’atavisme direct entre parents, il existe un atavisme général, moins défini, bien plus atténué, mais certain. En ce qui concerne les musiciennes, je crois qu’il faut, échelonnées, plusieurs vies consacrées à une sorte d’incubation, pour permettre ensuite à notre esprit d’élaborer toutes les beautés de la musique — en admettant qu’elles nous soient complètement assimilables ! — Sans doute il y aurait témérité à réclamer aux temps futurs une Bach ou une Berlioz ; mais grâce à de fructueux exemples, grâce à l’approfondissement des multiples ressources de la science harmonique, grâce au travail patient, sévère, et plus encore peut-être à l’éducation ferme et disciplinée de la pensée, on peut espérer d’heureuses métamorphoses parmi les musiciennes aspirant à cribler de petits points noirs le papier à musique.

J’imagine qu’une école féministe pourrait éclore ; je l’imagine d’un genre particulier par la délicatesse, le charme, l’imprévu ; un peu capricieuse mais très captivante et poétique, de style spirituel et pur avec d’infinis raffinements de forme, ou, au contraire, de forme purement simple, pour des inspirations mélodiques un peu abstraites. Un peu Mozart, un peu Chopin, un peu Debussy, comme esprit, âme et corps, le tout absolument original, sincère et sincèrement attachant.

Quand viendra le temps dont je rêve, s’il vient jamais, le nom d’Augusta Holmès, malgré son allure souveraine, sera effacé de toutes les mémoires ; qu’importe ! aucune faculté supérieure ne se perd totalement ; — combien d’entre les humains ne sont qu’obscurs mais indispensables outils sous une main formidable régissant mystérieusement les destinées du Beau ou du Progrès ! Holmès a agi pour la bonne cause en apportant, même un peu brute, sa pierre au sublime édifice de l’art musical. En faveur de ce palais enchanté, d’où émane le plus divin langage, d’où se répand la plus délicieuse lumière, agissons selon nos moyens, souvent bien modestes, mais agissons avec toute notre ardeur, sans mesurer nos efforts ou notre labeur ; le travail est la plus belle des actions soutenues, l’art est le plus superbe des travaux, et la Musique est le plus parfait des Arts. Qui lui consacre son intelligence et sa vie a droit à l’hommage d’un souvenir : c’est cette légère branche de laurier, un peu épineuse, hélas ! que je dédie à l’auteur de Lutèce, avec l’espoir d’une forêt d’arbustes, symbolisant la victoire, moissonnée dans l’avenir par les jeunes et patientes sœurs d’Augusta Holmès.

Octobre 1911.



COMPOSITIONS (Paroles et Musique)
d’Augusta Holmès


Opéras

Héro et Léandre.
Astarté.
Lancelot du Lac.

[24]

La Montagne noire.

Symphonies

Andante Pastoral.
Au pays bleu (suite). (Oraison d’aurore — En mer — Sorrente).
Ode triomphale.
Hymne à la paix.
Roland furieux.

Poèmes et Odes symphoniques

Lutèce.
Irlande.
Ludus pro Patria.
Pologne.
Les Argonautes.
Andromède.
Hymne à Apollon.

Chant et Orchestre

La vision de sainte Thérèse (soprano et orchestre).
La chanson de la Caravane (chœur et orchestre).
Retour (chœur à quatre voix).
La vision de la Reine (voix de femme soli et chœur).
Hymne à Vénus.
Danse d’Almées (chœur à quatre voix).
La fleur de Néflier (ténor et chœur).

Duos

Dans les bois.
La Princesse neige.
Le Pays du Rêve.

Chants religieux

In exitu Israël (psaume).
Veni Creator (motet).

Piano seul

Ce qu’on entendit dans la nuit de Noël. Prélude extrait des Contes mystiques de Bordèse.
Au pays bleu (suite). (Oraison d’aurore — En mer — Sorrente.) (Transcription de Messager).
Polonaise.
La Nuit et l’Amour (extrait de Ludus pro Patria).

Piano à quatre mains

Andromède (Poème symphonique). (Transcription par Missa.)
Au pays bleu (suite). Oraison d’aurore — En mer — Sorrente. (Transcription par Messager.)

Piano, Orgue, deux Violons, Alto et Violoncelle

En mer (de la suite Au pays bleu).
La Nuit et l’Amour (extrait de Ludus pro Patria).

Mélodies — Chant et Piano

À celle que j’aime.
L’Amour.
L’Amour qui chante.
À Trianon.
Au bois dormant.
Au delà.
L’Aubépine de saint Patrick.
Au jardin des Dieux.
Aux heureux.
Aubade habanera.
Au pays.
Barcarolle.
Beau batelier de Mitylène.
La Belle au Roi.
La Belle Madeleine.
Berceuse.
Le Brick de l’Espérance.
La Bergère.
La Cerise.
C’est un oiseau du bois sauvage.
Chanson Catalane.
Chant de l’ange Israël.
Chanson de Jean Trouvaire.
Chanson des Gars d’Irlande.
Chanson du Chamelier.
Chanson du Cavalier.
Chanson du Page.
Chanson lointaine.
Chanson persane.
Charme du jour.
Charme du Soir (Sérénade).
La Chatte blanche.
Le Chemin du Ciel.
Le Chevalier Belle-Étoile.
Le Chevalier au lion.
Le Chevalier du Ciel.
Le Clairon fleuri.
Le Château du Rêve.
Coucher de Soleil.
Dans un parc abandonné.
Deux enfants de Rois.
Dieu sauve la France.
Dans les boutons d’or.
Dans mon cœur.
En chemin.
L’Éternelle idole.
Évocation d’amour.
Les Exilés.
Le Fil du cœur.
Fleur de neige.
Garcia Perez.
Les Grilles d’or.
Guerrière.
Les Heures.
L’Heure rose.
L’Heure d’azur.
L’Heure de pourpre.
L’Heure d’or.
Hymne à Eros.
Hymne à Séléné.
Hymne au Soleil.
Invocation.
Journée fleurie.
Kypris (berceuse).
La Lampe merveilleuse.
Les Lavandières.
La Légende de l’Amour.

Le Lys bleu.
Marche gauloise.
Mignonne.
Les Moutons des Anges.
Message d’Amour.
Ne m’oubliez pas.
Nocturne.
Noël.
Noël d’Irlande.
Not Amor.
Nox silentinne.
L’Oiseau bleu.
L’Opprimée.
Olgier le Danois.
Pareil à la mer profonde.
Parmi les Meules.
Prière.
La Princesse.
Plus loin.
Le Prince aux muguets.
Prière Polonaise.
La Princesse sans cœur.
Prière au Drapeau.
Renouveau.
Réponse à Eros.
Le Retour des Paladins.
Le Ruban rose.
Rosa benedicta.
Les sept ivresses.
Les Sérénades.
Sérénade printanière.
Sérénade d’Été.
Sérénade d’Hiver.
Sérénade de toujours.
Sirène.
Soir d’hiver.
La Source enchantée.
Sous les orangers.
Souvenir.
Ton nom ?
T’en souvient-il ?
Thiénodia.
Tirelé.
Toujours elle !
Les Trois pages.
Les Trois serpents.
Un Rêve.
Vengeance.
Viens !
La Voix du Rêve.


Imprimerie E. Aubin. — Ligugé (Vienne).
  1. Il y a plusieurs années, on citait dans un salon les compositions d’une femme des plus réputées ; un jeune musicien ayant émis sur elle un jugement peu flatteur, j’éprouvai le désir de la défendre ; elle ne me semblait pas sans mérite et pour la première fois je l’entendais maltraitée, mais voici que je fus vite à bout d’argument et je ne trouvai plus à opposer à son détracteur que cette piètre phrase : — « Je vous assure que, pour une femme, elle a un certain talent. » – « Ah ! s’écria mon interlocuteur, pour une femme !!… Vous avez bien défini son cas, mais vous lui portez le dernier coup ! » Je restai frappée du peu d’estime qu’en effet je témoignais ainsi à l’égard des musiciennes que sans discuter, tant la chose me paraissait naturelle, je m’étais habituée à classer bien inférieures aux compositeurs hommes. Et une petite mélancolie féminine me vint devant un fait paraissant si irrévocablement établi, si universellement reconnu, si définitivement admis et accepté.
  2. Cet ouvrage a été écrit à la fin de 1911, c’est-à-dire antérieurement à la représentation, à l’Opéra, du Cobzar de Mme Ferrari qui, d’ailleurs, ne comporte que deux actes et fut accompagné d’un Ballet de même importance.
  3. Schumann a écrit justement : « Rien de grand ne s’accomplit sans enthousiasme. »
  4. Un peintre célèbre, en parlant d’exposantes, déclarait dernièrement : « Les femmes ont souvent plus de talent que les hommes ; ce qui leur manque, c’est l’application, le travail, la patience. »
    Les musiciennes ne sont donc pas seules sujettes à certaines lacunes dans l’organisation, ni seules à en pâtir.
  5. La liste des œuvres complètes d’Augusta Holmès se trouve à la fin de l’ouvrage.
  6. Le Ménestrel du 10 février 1896 ; Heugel éditeur.
  7. Les artistes, qui voulurent bien me donner leur appréciation au sujet de la Montagne Noire, conservent la plus favorable impression au sujet du talent d’Holmès, et le plus sympathique souvenir de son caractère loyal et de son intelligence.
  8. L’originalité ne consiste pas à ne point rappeler fugitivement qui que ce soit, mais à posséder un style, une manière, qui impose un nom à notre esprit dès l’audition ou l’aspect d’un ouvrage. Il faut n’avoir jamais étudié Rubinstein pour ne pas le reconnaître sans hésitation dès la première page.
  9. Des jeunes gens avaient dételé les chevaux de la voiture attendant Rubinstein à la sortie du théâtre, et quand, au milieu d’un délire d’enthousiasme, il fut monté, quelques-uns de ses admirateurs portèrent, jusqu’à son hôtel, le maître que des acclamations indescriptibles escortaient.
  10. Sa dernière grande tournée de concerts eut lieu en 1886. Dans chaque capitale il donna, en trois semaines, sept récitals historiques, où les différentes écoles étaient représentées dans leur classement chronologique. Assez récemment à Paris, la pianiste bien connue, Berthe Marx-Goldschmidt, a eu, en souvenir du Maitre Russe, la touchante pensée de reproduire intégralement les sept programmes de Rubinstein. Elle le fit avec une belle vaillance, et c’est, surtout de la part d’une femme, un tour de force et de talent peu banal.
  11. À personne je n’ai entendu réaliser aussi superbement et grandement l’interprétation du concerto en mi bémol de Beethoven, les variations symphoniques du Schumann, la sonate en si bémol mineur de Chopin ; personne ne jouait avec une poésie aussi profonde un Nocturne, une Mazurka de Chopin, ou avec son adorable simplicité un naïf caprice de Haydn ; on se serait agenouillé corps et âme ! En d’autres moments, c’était une fougue irrésistible, entraînante comme un cyclone de flammes.

    Sans un geste inutile, sans qu’un muscle de sa face beethovienne bougeât, ce géant robuste se donnait avec une telle passion à ses exécutions qu’il sortait du piano écrasé de fatigue, la sueur ruisselant de son visage soudain creusé, ravagé comme par une souffrance passionnée. Ses doigts pouvaient manquer des notes, c’était avec son âme qu’il jouait du piano.

  12. « The man that hath no music in himself is fit for treason, stratagems and spoils. No such man be trusted. »
    (Shakespeare.)
  13. Entre autres récits pathétiques Berlioz raconte qu’une nuit le plan, les motifs principaux d’une symphonie se présentèrent à son esprit, avec une précision, une vivacité exceptionnelles. Il se leva et allait noter son inspiration, quand il songea que, s’il entreprenait une œuvre de cette importance, elle l’absorberait pendant des mois et que, pour s’y consacrer comme il le fallait, il négligerait, abandonnerait un travail payé, grâce auquel il possédait l’argent nécessaire à l’existence. Pour lui, il s’en fût passé, n’importe comment, mais sa femme était malade, des soins onéreux s’imposaient pour, au moins, adoucir ses souffrances… Alors il se passa cette chose sublime et monstrueuse : Toute la nuit Berlioz lutta contre l’idée obsédante, la repoussant, s’obstinant dans les ténèbres à ne pas l’écrire, à faire taire, à tuer la voix merveilleuse qui chantait dans son âme ! Vers le matin, brisé par une résistance surhumaine, il tomba dans un sommeil pareil à la mort… et quand il reprit conscience, la divine inspiration s’était envolée…

    On se demande quelle énergie put permettre un pareil sacrifice, on en demeure plus bouleversé que par l’aspect d’un tragique suicide !

  14. Neue Zeitschrift für Musik (Nouvelle Revue Musicale) dont le premier numéro parut le 3 avril 1834.
  15. Pauvre Rousseau ! écrit Berlioz dans ses Mémoires, qui attachait autant d’importance à sa partition du Devin du Village qu’aux chefs-d’œuvre d’éloquence qui ont immortalisé son nom, lui qui croyait fermement avoir écrasé Rameau tout entier, voire le trio des Parques avec les petites chansons, les petits flons-flons, les petits rondeaux, les petits solos, les petites bergeries, les petites drôleries de toute espèce dont se compose son petit intermède !
  16. Peut-être l’écrivain génial cédait-il plus à un sentiment d’obscure jalousie à l’égard d’un art autre que le sien qu’à une véritable conviction ; en tout cas il appelait Beethoven « le grand Allemand ».
  17. Dans ses études philosophiques Balzac a écrit : « La musique seule a la puissance de nous faire rentrer en nous-mêmes, tandis que les autres arts nous donnent des plaisirs définis. »
  18. La musique d’Holmès fut éditée un peu partout, chez Grus, Durand, Enoch, Heugol, Gregh, Maquet, Leduc, Girod, Ricordi, d’autres peut-être. De là, grandes difficultés pour réunir au complet des compositions d’autant plus dispersées, que certains des éditeurs cités ont cédé leur maison à des successeurs ignorant parfois où gisent les œuvres d’Holmès, et celles qui furent éditées chez eux.
  19. Ces trois morceaux sont transcrits pour piano à 2 et à 4 mains par Messager, « En mer » pour piano, orgue, violon et violoncelle.
  20. Ce poème symphonique est transcrit à quatre mains par Missa.
  21. « Ce qu’on entendit dans la nuit de Noël » prélude — piano seul – pour les Contes mystiques, poésie de Stephan Bordèse, édition Durand. C’est la seule pièce (avec une Polonaise… inutile) qu’Holmès ait écrite pour l’instrument si justement favori de nos grands compositeurs.
  22. La Nuit et l’Amour existe pour piano, orgue, deux violons, alto et violoncelle.
  23. J’ai déjà mentionné l’époque de l’achèvement de cette étude en avance sur les représentations du Cobzar à l’Opéra.
  24. Ces trois opéras cités parmi les œuvres d’Holmès ne semblent pas avoir été édités.