Le Magasin d’antiquités/Tome 1/17

La bibliothèque libre.
Traduction par Alfred Des Essarts.
Hachette (1p. 141-149).



CHAPITRE XVII.


Le soleil matinal brillait à travers l’humble réduit, et la lumière du jour, pure comme l’âme de l’enfant, éveilla ses regards sympathiques.

La vue de ce grenier et des objets inaccoutumés qui s’y trouvaient lui causa une sorte de tressaillement et d’alarme ; elle se demanda d’abord où elle était et comment elle avait pu sortir de sa petite chambre où il lui semblait s’être endormie. Mais un regard qu’elle jeta de nouveau autour d’elle lui remit en mémoire tout ce qui s’était passé dernièrement ; et elle se leva, pleine d’espoir et de confiance.

Il était encore de bonne heure ; le vieillard ne s’était pas éveillé. L’enfant sortit et se rendit au cimetière, foulant la rosée qui scintillait sur le gazon, et souvent se détournant des endroits où l’herbe croissait plus haute et plus épaisse, de peur de marcher sur les tombeaux. Elle éprouvait une sorte de plaisir à errer parmi ces demeures de la mort et à lire les inscriptions funèbres consacrées aux braves gens (il y avait un grand nombre de braves gens enterrés dans ce cimetière de village), et elle passait d’une tombe à l’autre avec un intérêt qui croissait sans cesse.

C’était un lieu rempli de calme et où pouvaient croasser à l’aise les corbeaux qui avaient fait leur nid dans les branches de quelques vieux arbres gigantesques et s’appelaient l’un l’autre du haut des airs. Un premier oiseau, planant au-dessus de sa retraite sauvage et se laissant balancer par le vent, jeta son cri rauque comme au hasard, puis baissa le ton de sa voix comme s’il ne s’adressait qu’à lui-même. Un autre lui répondit, il appela de nouveau, mais plus haut encore. Alors d’autres cria s’élevèrent successivement ; et chaque fois le premier oiseau, animé par ces réponses, déployait plus de force dans ses appels. D’autres voix, silencieuses jusque-là, sortirent des branches en bas, en haut, au milieu, à droite, à gauche, et du sommet des arbres ; d’autres oiseaux, accourant des tours sombres de l’église et des ouvertures du beffroi, joignirent à ce concert leurs clameurs qui tantôt montaient, tantôt tombaient, tantôt fortes, tantôt faibles, mais toujours infatigables. Ils faisaient tout ce bruit en butinant çà et là, en sautant légèrement sur les branches, en changeant fréquemment de place : c’était la satire vivante des agitations sans but qui avaient troublé autrefois les âmes qui reposaient maintenant dans leur tombe, sous la mousse et le gazon, et des combats inutiles dans lesquels s’était consumée leur vie.

Souvent Nelly levait les yeux vers les arbres d’où descendaient toutes ces rumeurs, et elle se disait que ce bruit donnait peut-être au cimetière plus de calme que ne lui en eût donné un silence complet. Elle errait de tombe en tombe : tantôt elle s’arrêtait pour relever et remettre en place la ronce qui s’était échappée d’un tertre vert qu’elle était destinée à soutenir ; tantôt, à travers le treillage des fenêtres basses, elle contemplait l’église avec ses livres vermoulus placés sur les pupitres, avec la serge verte, moisie par l’humidité, sur les bancs réservés dont elle laissait voir le bois. Après cela venaient les bancs des pauvres, sièges usés et jaunes comme ceux qui les occupent ; là se trouvaient les humbles fonts baptismaux où les enfants recevaient leurs noms chrétiens, le modeste autel où ils s’agenouillaient pendant leur vie, le tréteau peint en noir sur lequel ils étaient déposés quand ils visitaient pour la dernière fois la vieille église froide et obscure. Tout parlait d’une longue durée et d’un lent dépérissement, jusqu’à la corde de la cloche retombant au milieu du porche, tout amincie et blanchie par la vétusté.

Nelly s’était arrêtée devant une tombe dont l’inscription rappelait le souvenir d’un jeune homme mort à l’âge de vingt-trois ans, il y avait de cela cinquante-cinq années. Elle entendit l’approche d’un pas chancelant, et, regardant autour d’elle, elle aperçut une vieille femme courbée sous le poids des années qui, se penchant au pied de ce même tombeau, pria l’enfant de lui lire l’inscription gravée sur la pierre. Nelly s’empressa de le faire. La vieille femme la remercia et lui dit que depuis longues, longues années, elle savait par cœur ces paroles, mais qu’elle ne pouvait plus les voir.

« Étiez-vous sa mère ? demanda Nelly.

— J’étais sa femme, mon cher enfant. »

Elle, la femme d’un jeune homme de vingt-trois ans ! … Il est vrai qu’il y avait cinquante-cinq ans de cela.

« Vous êtes étonnée de ce que je vous dis là, continua la vieille femme en branlant la tête. Ah ! vous n’êtes pas la première. Des gens plus âgés en ont été surpris aussi avant vous. Oui, j’étais sa femme. La mort ne nous change pas plus que ne le fait la vie.

— Venez-vous souvent ici ?

— Je viens très-souvent m’y asseoir pendant l’été. J’y venais autrefois gémir et pleurer, mais il y a bien longtemps, Dieu merci. »

Après un instant de silence, la vieille femme reprit ainsi la parole :

« Je cueille ici les pâquerettes à mesure qu’elles poussent et je les rapporte à mon logis. Je n’aime rien tant que ces fleurs, et depuis cinquante-cinq ans je n’en ai pas eu d’autres. C’est un long temps, et voilà que je me fais bien vieille ! … »

S’étendant alors avec complaisance, quoique son auditoire ne se composât que d’une enfant, sur son thème favori qui était nouveau pour celle qui l’écoutait, elle lui raconta combien elle avait pleuré et gémi ; combien elle avait invoqué la mort quand ce malheur l’avait frappée ; et comment, lorsqu’elle était venue pour la première fois en ce lieu, toute jeune encore, toute remplie d’amour et de douleur, elle avait espéré que son cœur allait se briser. Mais le temps avait marché ; et bien que la veuve continuât d’être affligée lorsqu’elle visitait le cimetière, elle trouvait cependant la force de s’y rendre ; et enfin il était arrivé que ces visites, au lieu d’être une peine pour elle, étaient devenues un plaisir sérieux, un devoir qu’elle avait fini par aimer. Et maintenant que cinquante-cinq années s’étaient écoulées, elle parlait de son mari décédé comme s’il avait été son fils ou son petit-fils, avec une sorte de pitié pour sa jeunesse qu’elle comparait à sa propre vieillesse, avec de l’admiration pour sa force et sa beauté mâle qu’elle comparait à sa propre faiblesse, à sa propre décrépitude : et cependant elle parlait ; toujours de lui comme s’il était toujours son mari, et se croyait toujours pour lui telle qu’elle avait été autrefois et non telle qu’elle était à présent ; elle s’entretenait de leur réunion dans un autre monde comme s’il était mort de la veille ; et s’oubliant aujourd’hui pour ne plus se revoir que dans le passé, elle songeait au bonheur de la gracieuse jeune femme qu’elle croyait ensevelie avec le jeune époux.

L’enfant la laissa cueillir les fleurs qui croissaient sur le tombeau, et elle s’en alla pensive.

Le vieillard, pendant ce temps, s’était levé et habillé. M. Codlin, toujours condamné à contempler en face les dures réalités de la vie, était en train de serrer dans sa toile les bouts de chandelle qui avaient survécu au spectacle de la veille, tandis que son compagnon recevait dans la cour de l’auberge les compliments de tous les badauds, incapables de le séparer du Polichinelle dans leur pensée, et qui, à ce titre, ne lui accordaient guère moins d’importance qu’au joyeux bandit en personne et ne l’aimaient guère moins. Quand M. Short eut joui de sa popularité, il s’en alla déjeuner, et toute la petite société se trouva réunie à table.

« De quel côté comptez-vous vous diriger aujourd’hui ? demanda le petit homme à Nelly.

— Je ne sais guère… répondit l’enfant ; nous ne sommes pas encore décidés.

— Nous allons aux courses. Si c’est votre chemin et si notre compagnie vous convient, nous pouvons faire route ensemble. Si vous préférez marcher seuls, vous n’avez qu’un mot à dire, et vous verrez que nous ne vous gênerons pas.

— Nous irons avec vous, s’écria le vieillard. Nell, avec eux, avec eux ! »

L’enfant réfléchit un moment, et, songeant qu’avant peu il lui faudrait mendier, et qu’elle ne pourrait pour cela trouver un lieu plus convenable que celui où se réunissaient de riches dames et des gentlemen attirés par l’attrait du plaisir et les agréments d’une fête, elle se détermina à s’y rendre dans leur compagnie. Elle remercia donc M. Short de son offre et dit, en regardant timidement M. Codlin :

« S’il n’y a pas d’objection à ce que nous vous accompagnions jusqu’à la ville où se feront les courses ? …

— Une objection ! répéta M. Short. Allons, Tommy, montrez-vous gracieux une fois en votre vie, et dites que vous désirez qu’ils viennent avec nous. Je sais que vous le désirez. Soyez gracieux, Tommy.

— Trotters, répondit M. Codlin, qui parlait lentement, mais qui mangeait goulûment, ce qui n’est pas rare chez les philosophes et les misanthropes, vous êtes trop inconsidéré.

— Plaît-il ? quel mal y a-t-il à cela ? répliqua l’autre.

— Il n’y en a pas du tout dans le cas actuel, dit M. Codlin ; mais le principe est dangereux, et, je vous le répète, vous êtes trop inconsidéré.

— Eh bien ! viendront-ils avec nous, ou ne viendront-ils pas ?

— Oui, ils viendront, dit brusquement M. Codlin ; mais vous auriez pu leur faire envisager cela comme une faveur, peut-être. »

Le nom réel du petit homme était Harris ; mais, peu à peu, ce nom était devenu, par un changement peu euphonique, celui de Trotters, qui, avec l’épithète préliminaire de Short[1], lui avait été conféré en raison de l’excessive exiguïté de ses jambes. Short Trotters, cependant, étant un nom composé hors d’usage dans le dialogue familier, le gentleman auquel on l’avait attribué était connu, parmi ses intimes, sous le nom de Shorto ou sous celui de Trotters ; rarement l’appelait-on Short-Trotters, excepté dans les conversations en règle et les jours de grande cérémonie.

Short donc, ou Trotters, comme le lecteur voudra, répondit à la remontrance de son ami M. Thomas Codlin par quelque plaisanterie destinée à calmer son mécontentement ; et, se jetant avec ardeur sur le bouilli froid, le thé, le pain et le beurre, il démontra, de la façon la plus éloquente, à ses compagnons, qu’ils n’avaient rien de mieux à faire que de l’imiter. M. Codlin n’avait pas besoin, il est vrai, de cet avis, car il avait mangé à gogo, et, maintenant, il humectait l’argile desséchée de son gosier en buvant de forte ale à larges et fréquentes reprises avec un plaisir silencieux et sans en offrir à personne, donnant encore par là une nouvelle preuve de sa tournure d’esprit misanthropique.

Enfin, le déjeuner étant terminé, M. Codlin demanda la carte à payer ; et, ayant mis l’ale au compte de toute la compagnie, procédé qui sentait aussi la misanthropie, il divisa le total en deux parties exactement égales : la moitié pour lui et son ami, l’autre pour Nelly et son grand-père. Tout étant bien et dûment réglé, et les préparatifs du départ terminés, ils prirent congé de l’hôte et de l’hôtesse et se remirent en route.

C’est ici qu’apparut au grand jour la fausse position de M. Codlin dans la société, et l’effet qu’elle devait produire sur son esprit ulcéré ; car, tandis que, la veille au soir, il avait été salué par Polichinelle du nom de « mon maître, » titre bourgeois qui pouvait faire croire à l’assemblée qu’il entretenait ce personnage à son compte pour sa satisfaction personnelle, maintenant il lui fallait marcher péniblement sous le poids du théâtre de ce même personnage, et le porter corporellement sur ses épaules par une chaleur étouffante, le long d’une route couverte de poussière. Ce brillant Polichinelle, au lieu d’amuser son patron par un feu roulant d’esprit ou par un déluge de coups de bâton assenés sur la tête de ses parents et connaissances, était maintenant éreinté, plié en deux, flasque et mou, étendu dans une boîte fermée, ses jambes relevées autour de son cou en forme de cravate, entièrement dénué de ces qualités sociales qui font le charme de son caractère.

M. Codlin s’avançait péniblement, échangeant de temps à autre un mot ou deux avec Short, et s’arrêtant pour se reposer et murmurer par occasion. Short ouvrait la marche avec la boîte plate, son bagage particulier arrangé en paquet (le paquet n’était pas très-gros), et une trompette de cuivre pendue sur son dos. Nell et son grand-père venaient après lui se donnant la main, et Thomas Codlin fermait la marche.

Lorsqu’ils arrivaient à un bourg ou à quelque village, ou même près d’une maison isolée de bonne apparence, Short soufflait dans sa trompette et jouait un fragment de fanfare sur ce ton grotesque tout particulier à Polichinelle et compagnie. Si l’on se montrait aux fenêtres, M. Codlin dressait le théâtre : il dépliait à la hâte les draperies, en couvrait Short, préludait avec chaleur sur la flûte de Pan, et jouait un air. Alors le spectacle commençait le plus tôt possible. À M. Codlin il appartenait de décider de la durée de la représentation, et d’allonger ou de rapprocher le moment où le héros devait finalement triompher de l’ennemi de l’humanité, selon qu’il jugeait que la récolte des gros sous serait abondante ou chétive. Quand tout était ramassé jusqu’au dernier liard, notre homme reprenait son fardeau, et l’on se remettait en chemin.

Parfois il leur arrivait de jouer pour acquitter le péage, soit sur un pont, soit sur un bac. Une fois, entre autres, ils firent leur exhibition devant un tourniquet pour obéir au désir particulier du collecteur, qui, s’étant enivré dans sa solitude, n’offrit rien moins qu’un schelling afin d’avoir une représentation à lui tout seul. Il y eut un petit endroit d’assez flatteuse apparence où leurs espérances éprouvèrent un triste échec, parce qu’un petit bonhomme de bois, représentant un de leurs personnages favoris avec des galons dorés sur son habit, fut considéré comme une critique injurieuse dirigée contre le bedeau, et, pour ce motif, les autorités locales forcèrent acteurs et directeurs, l’un portant l’autre, à faire prompte retraite. Heureusement, ce n’était pas l’ordinaire ; en général, ils étaient bien reçus, et rarement quittaient-ils une ville sans entraîner sur leurs talons une troupe de gamins déguenillés qui couraient après eux avec des cris d’admiration.

Ils avaient fait une bonne course malgré ces haltes, et se trouvaient encore sur la route au moment où la lune commença à briller dans le ciel. Short trompait le temps avec des chansons et des plaisanteries, et voyait tout par le meilleur côté. Quant à M. Codlin, il maudissait son sort et toutes les misères de ce monde, mais Polichinelle avant tout, et s’en allait en boitant, le théâtre sur le dos, en proie au plus amer chagrin.

Ils s’étaient arrêtés pour prendre quelque repos dans un carrefour où aboutissaient quatre routes. M. Codlin, plus que jamais en humeur misanthropique, avait laissé tomber le rideau et s’était assis au fond du théâtre, invisible aux yeux des mortels et dédaignant la société de ses compagnons, lorsque deux ombres prodigieuses leur apparurent, venant vers eux par un tournant qui débouchait sur la route qu’ils avaient suivie. L’enfant fut d’abord presque terrifiée à l’aspect de ces géants démesurés ; car il fallait bien que ce fussent des géants, à voir leurs grandes enjambées sous l’ombre projetée par les arbres. Mais Short, disant à Nelly qu’il n’y avait rien à craindre, tira de sa trompette quelques sons auxquels répondirent des cris d’allégresse.

« C’est la troupe de Grinder, n’est-ce pas ? dit M. Short prenant le ton le plus élevé.

— Oui, répondirent deux voix aiguës.

— Par ici, par ici, qu’on vous voie. Je savais bien que c’était vous. »

Sur cette invitation, « la troupe de Grinder » approcha au pas accéléré et ne tarda pas à joindre la petite compagnie. Ce qu’on appelait familièrement la troupe de M. Grinder se composait d’un jeune homme et d’une jeune fille montés tous deux sur des échasses, et de M. Grinder lui-même, qui, pour ses excursions pédestres, ne se servait que de ses jambes naturelles, portant sur son dos un tambour. Le costume que ces jeunes gens avaient en public était celui des highlanders d’Écosse ; mais, comme la nuit était humide et froide, le jeune homme avait endossé par-dessus son kilt une jaquette de marin qui lui tombait jusqu’aux chevilles, et il s’était coiffé d’un chapeau de toile cirée. La jeune fille était emmitouflée dans une vieille pelisse de drap, avec un mouchoir en marmotte sur la tête. M. Grinder avait coiffé son instrument de leurs bonnets écossais ornés de plumes d’un noir de jais.

« Vous allez aux courses, à ce que je vois, dit M. Grinder tout hors d’haleine. Nous aussi. Comment cela va-t-il, Short ? »

Ils se donnèrent une chaude poignée de main. Les deux jeunes gens se trouvant placés un peu trop haut pour pouvoir saluer Short à la manière ordinaire, s’y prirent d’une façon à eux particulière. Le jeune homme leva son échasse de droite et la passa par-dessus l’épaule de Short, et la jeune fille fit retentir son tambourin.

« Est-ce qu’ils s’exercent ? demanda Short, montrant les échasses.

— Non, répondit Grinder ; mais comme il faut qu’ils marchent avec leurs échasses ou qu’ils les portent sur l’épaule, ils aiment mieux marcher comme ça. C’est très-commode pour jouir du paysage. Quel chemin prenez-vous ? Nous, nous prenons le plus court.

— De fait, dit Short, nous suivions le chemin le plus long pour coucher cette nuit à un mille et demi d’ici. Mais trois ou quatre milles de plus ce soir, c’est autant de gagné pour demain ; si vous continuez votre marche, je crois que nous n’avons rien de mieux à faire que de vous accompagner.

— Où est votre associé ? demanda Grinder.

— Le voici, l’associé, » cria Thomas Codlin sortant la tête du proscénium de son théâtre, et présentant une physionomie morose bien différente du caractère enjoué des personnages qui paraissent habituellement en scène ; et puis il ajouta :« On verra l’associé se faire bouillir tout vivant plutôt que de continuer à marcher ce soir !… Voilà la réponse de l’associé.

— Bien, bien, dit Short, ne parlez pas ainsi dans le temple de Momus. Respect à l’association, Tommy, même si vous voulez la rompre brusquement.

— Brusquement ou non, répliqua M. Codlin frappant avec sa main sur la petite galerie où Polichinelle, quand il apparaît tout à coup avec ses jambes en équilibre et ses bas de soie, est accoutumé à exciter l’admiration générale, brusquement ou non, je ne veux pas faire plus d’un mille et demi ce soir. Je couche aux Jolly-Sandboys, et pas ailleurs. Si vous voulez y venir, venez-y. Si vous voulez aller de votre côté, allez de votre côté, et passez-vous de moi si vous pouvez. »

Cela dit, M. Codlin sortit de scène et se montra aussitôt hors du théâtre qu’il chargea vivement sur ses épaules, l’emportant avec une remarquable agilité.

Il n’y avait plus à discuter ; Short fut contraint de quitter M. Grinder et ses élèves pour accompagner son associé qui n’était pas en belle humeur. Après s’être arrêté quelques minutes au carrefour, à voir les échasses gambader au clair de lune, et le porteur de tambour les suivre de son mieux, mais non sans peine, Short sonna une dernière fanfare en signe d’adieu, puis il se hâta de rejoindre M. Codlin. Il donna à Nell celle de ses mains qui était libre ; et exhortant l’enfant à avoir bon courage, puisqu’on touchait au terme du voyage pour ce soir, soutenant aussi le vieillard par la même assurance, il les entraîna d’un pas rapide vers le but auquel il aspirait d’autant plus pour sa part, que la lune s’était cachée et que les nuages annonçaient une pluie prochaine.




  1. Trotte-menu