Les Dieux antiques/Texte entier

La bibliothèque libre.
J. Rothschild, éditeur (p. i-312).



LES DIEUX ANTIQUES


Strasbourg, typographie de G. Fischbach, succr de G. Silbermann.


S. MALLARMÉ
Professeur au Lycée Fontanes
——

LES DIEUX ANTIQUES

NOUVELLE MYTHOLOGIE ILLUSTRÉE
D’APRÈS GEORGE W. COX
ET LES TRAVAUX DE LA SCIENCE MODERNE
À L’USAGE
DES LYCÉES, PENSIONNATS, ÉCOLES ET DES GENS DU MONDE
OUVRAGE ORNÉ DE 200 VIGNETTES
REPRODUISANT
DES STATUES — BAS-RELIEFS — MÉDAILLES — CAMÉES


PARIS
J. ROTHSCHILD, ÉDITEUR
13, RUE DES SAINTS-PÈRES, 13

1880




À M. CHARLES SEIGNOBOS
DÉPUTÉ DE l’ARDÈCHE



Son ami de vieille date

Stéphane Mallarmé




ORPHÉE


« O Dieux, pendant les nuits sereines, anxieux,
J’ai longtemps écouté le bruit qui vient des cieux,
D’où sans cesse le chant des Étoiles s’élance
Si doux, que nous prenons ses voix pour le silence !
Dieux comme vous, mais faits de flamme et de clarté,
Les grands astres épars dans la limpidité
De l’azur, triomphants d’orgueil et de bravoure,
Vivent dans la splendeur blanche qui les entoure.
Héros, nymphes, guerriers, chasseurs, parmi les flots
Des clairs rayons, les uns de leurs blancs javelots
Percent, victorieux, des monstres de lumière ;
Penchés sur des chevaux à l’ardente crinière.
Coursiers de neige ailés au vol terrible et sûr,
D’autres livrent bataille à des hydres d’azur. »


Théodore de Banville.

Les Exilés (La Cithare).




AVANT-PROPOS DE L’ÉDITEUR





La littérature française ne possède, à l’exception de dictionnaires d’une lecture toujours difficile, aucun travail mythologique disposé comme un livre, avec lien et sur un plan d’ensemble.

Quel répertoire intact et riche offrent, cependant, les documents accumulés depuis le commencement du siècle par des savants dont les noms viennent en foule à la pensée : Niebuhr, Grimm, Moir, Walker, H. H. Wilson, Cornwall, Kuhn, Preller, Lewis, Grote, Thirlwall, à l’étranger ; et chez nous, Bréal, Baudry et Louis Ménard !

Les recherches de ces maîtres ont renouvelé, absolument, l’ancienne Mythologie ; la génération actuelle sait même que, depuis ses années de collège, les personnages galants de la fable ont été transformés en phénomènes naturels.

L’absence de tout Traité, contemporain et définitif, vient de ce que les ouvrages composés selon la routine n’osent depuis longtemps se produire. Constatons, d’un autre côté, une hésitation pareille, dans l’apparition d’un recueil résumant les connaissances modernes.

Telle était justement notre pensée, quand M. Mallarmé, professeur d’un des Lycées de Paris, en quête d’ouvrages scientifiques accessibles à la Jeunesse, nous parla avec admiration d’un petit livre anglais, inconnu encore en France et qu’une étude récente faite par lui des œuvres de l’illustre George Cox l’avait amené à feuilleter et à lire.

— Un manuel, renfermé dans quelques centaines de pages, qui résume tous les travaux, parus ou préparés, du savant, impatient de faire jouir du fruit de ses recherches quelques enfants aimés. —

Alors qu’existe une œuvre excellente, fallait-il en tenter une autre à côté, qui manquerait certainement de quelques-unes des qualités de l’original ?

Non.

Pourquoi ne pas rendre au savant anglais qui est, pour la Mythologie, ce qu’est son compatriote Grote pour l’Histoire antique, un hommage dû, en traduisant son œuvre appelée à un succès universel ? Il n’y a point de rivalités devant la science.

Impossible, même dans un travail de traduction, que la présence de l’esprit français ne se fasse remarquer. L’ordonnance toute différente des matières, avec des raccords nombreux et nécessaires, jette une véritable clarté sur l’ouvrage presque métamorphosé.

Qui comparerait avec l’original cette libre adaptation reconnaîtrait de nombreux points de divergence dans le groupement, en tête du volume, des mythes congénères, Hindous, Perses, Norses, qui ne sont point classiques, et dans la mise hors page, comme appendice, des théogonies égyptienne et assyrienne, étrangères à la race aryaque. Dieux grecs et latins sont ici juxtaposés, selon l’analogie connue.

Le volume qui, dans l’Anglais, était un questionnaire, offre maintenant un texte suivi : autre remaniement fondamental, mais qui ne va jusqu’à faire perdre au style de l’auteur toute une bonhomie exquise d’intonations et de discours.

Délivrer de leur apparence personnelle les divinités, et les rendre, comme volatilisées par une chimie intellectuelle, à leur état primitif de phénomènes naturels, couchers de soleil, aurores, etc., voilà le but de la Mythologie moderne.

Des reproductions de l’Antique ne peuvent toutefois qu’ajouter puissamment à l’attrait de l’ouvrage : elles sont même nécessaires pour fixer un instant en l’esprit la figure des dieux avant leur évanouissement. Ainsi se fait bien sentir, dans les gravures et le texte, la différence entre les mythes incarnés par l’art et les mythes expliqués par la science.

Pour y arriver, il a suffi de ne point mettre notre illustration, puisée aux sources les plus pures, en contradiction avec l’esprit du texte ; c’est-à-dire de la placer à propos.

Laissant au texte toute sa valeur, nous employons les dessins non comme venant à l’appui de la doctrine qu’ils nient jusqu’à un certain point, mais comme ajoutant, par leur choix, à l’intérêt et à la beauté du livre.

L’illustration traitée ainsi d’une façon toute décorative et ornementale, par fleurons et culs-de-lampe, semble demeurer un peu en dehors de l’écrit, tout en se mêlant à l’architecture même de l’ouvrage.

Pas une de ces figures qui ne soit la reproduction stricte d’une des grandes œuvres de la sculpture antique. Statues, bas-reliefs célèbres, qu’il sied à tout lettré de connaître aujourd’hui, ou médailles rares et camées, ont été recherchés scrupuleusement, à cause du commentaire artistique qu’ils apportent à notre œuvre.

Embelli et d’accord avec ses propres principes, le livre ainsi gagne doublement, aux yeux de l’amateur et de l’étudiant.

Non moins précieuses, pour l’intelligence moderne de la Fable, sont les citations de quelques-uns d’entre leurs plus beaux vers mythologiques, qu’ont bien voulu nous permettre de faire, à la fin de cet ouvrage, deux maîtres de la poésie contemporaine, MM. Leconte de Liste et Théodore de Banville. Nous les remercions de cette faveur, au nom de la jeunesse studieuse.

On peut avec assurance présenter ce nouveau volume au public comme le seul traité scolaire de Mythologie existant aujourd’hui en France.

Sérieux et simple, il passera, dans la famille, des mains des parents, qui y surprendront avec charme la rénovation d’une étude un peu surannée dans leur temps, aux mains de l’enfant ravi d’apprendre quelque chose de vivant et qui ne soit point abstrait.

L’étude de la Mythologie, trop fréquemment, trop continuellement nécessaire pour qu’on l’assigne à un âge spécial, n’est point prescrite pour tel trimestre ou telle année de l’enseignement classique. Un traité bien fait de cette science est un ouvrage que l’écolier doit garder sous la main (avant qu’il ne l’ait dans la mémoire) tout le temps qu’il met à connaître les chefs-d’œuvre de l’Antiquité, c’est-à-dire des premières années jusqu’au dernières de son éducation. C’est autant un livre de lecture qu’un livre de classe ; autant qu’un maître, un ami.

Il y a lieu de nous féliciter que cet ouvrage ait été mis en avant par un professeur de l’Université, et nous acceptons de ce fait l’augure que la Mythologie nouvelle reçue dans les distributions de prix ou empruntée à la bibliothèque de l’étude, deviendra un des livres ordinaires des Lycées et des Collèges, des Pensionnats et des Écoles.








Pages.
Dédicace v
Avant-propos de l’Éditeur vii
Table des Matières xiii
Origine et développement de la Mythologie 1
MYTHOLOGIE DES ARYAS 13
MYTHES HINDOUS, PERSES ET NORSES 17
Mythes hindous ou Védiques 19
Mythes Perses 27
Mythes Norses 30
MYTHES GRECS ET LATINS OU CLASSIQUES 41
L’Olympe et ses douze dieux 44
Les DieuxLe Zeus grec et le Jupiter latin 47
Le Poséidon grec et le Neptune latin 58
L’Hadès grec et le Pluton latin 58
L’Héré grecque ou la Junon latine 67
L’Hestia grecque ou la Vesta latine 70
La Déméter grecque ou la Cérès latine 73
L’Athéné grecque ou la Minerve latine 79
L’Arès grec ou le Mars latin 83
L’Aphrodite grecque et la Vénus latine 89
L’Héphaïstos grec ou la Vulcain latin 95
Phoïbos ou Phœbus Apollon 99
[Phaéton] 107
L’Artémis grecque ou la Diane latine 110
Pages.
L’Hermès grec et le Mercure latin 115
La Dionysos grec du le Bacchus latin 123
L’Héraclès grec ou l’Hercule latin 129
Io avec Prométhée 142
Épiméthée avec Pandore 147
Asclépios ou Esculape 150
Deucalion 153
Admète 156
Tantale 157
Ixion 160
Briarée ou Égéon 163
Les Héros.Persée 164
Niobé 173
Thésée 175
Œdipe 180
Procris 188
Orphée 191
Europe 193
Méléagre 196
Lycaon, Callisto 200
Dédale 202
Bellérophon 204
Scylla 207
Iam 209
Amphiaréos ou Amphiaraus 211
Aréthuse 213
Turo ou Tyro 215
Narcisse 216
Le Pays de l’Immortalité 218

L’Hadès.

L’Achéron.

Le Cocyte.

Le Styx.

Le Phlégéthon ou Pyriphlégéthon.

Le Léthé.

L’Axe.

Le passeur Caron fils de l’Érèbe.

Minos, Éaque et Rhadamanthe, les trois juges.

L’Averne latin.

Le Tartare et l’Élysée.

Pages.
Mythes Inférieurs grecs et Mythes Latins non identifiés avec les Mythes grecs.Mythes Inférieurs grecs 222

Les Hamadriades.

Les Hyades.

Les Héliades.

Les Géants.

Les Aloades.

Les Miolones.

Érato

Thalie.

Melpomène.

Terpsichore.

Polymnie.

Uranie.

Calliope.

Orion.

Le dieu Pan et la nymphe Syrinx.

Les Pléiades.

Pallas surnom d’Athéné.

Éros.

Protée.

Priape.

Psyché.

Borée.

Érèbe.

Enyo.

Les Harpies

Les Muses

Clio.

Euterpe.

Zagréos.

Hespéros.

Castor et Pollux ou les Dioscures.

Les Cabires

Les Corybantes et les Dactyles.

Iris.

Zéphyre.

Ganymèdes.

Silène.

Les Satyres.

Les Nymphes.

Cécrops.

Hersé.

Mythes latins non identifiés avec les Mythes grecs. 236

Les Lares.

Les Pénates.

Les Mânes.

Les Larnes.

Les Sémures.

Les Palici.

Les Parques.

Les Fates.

Les Génies.

Les dii Indigétès.

Les dii Contentès.

Bellone, ou Fauna, avec Faunus

Les Camnæ, ou les Carmentès

Égérie.

Laverna.

Pilumnus, Picumnus, Semo-Sancus

Pomone.

Sylvain.

Picus.

Vertumne.

Anna Perenna.

Consus.

Gradivus.

Mulciber.

Favonius.

L’Aurore.

Tithon.

LES GRANDES ÉPOPÉES 245
Les Argonautes 248

Le bélier Phrixos.

Hellé.

Athamas.

Tiphys.

Jason.

Médée.

Pélias.

Ioléos.

Glaucé.

La Nef Argo.

Pages.
Le Conte de Troie.La Guerre 254

Pâris.

Hécube.

Œnone.

Éris.

Ménélas.

Hélène.

Nestor.

Ajax.

Ascalaphe et Ialmène.

Diomède.

Achille.

Odysseus.

Calchas.

Iphigénie.

Énée

Pandaréos.

Sarpédon.

Glaucos.

Agamemnon.

Até.

Clytemnestre.

Egisthe.

Patrocle.

Memnon.

Briséis.

Chryséis.

Phœnix.

Le Cheval Xanthos.

Priam.

Hector.

Andromaque.

Le Retour 270

Circé.

Calypso.

Nausicaa.

Alkinoos.

Arètè.

Pénélope.

Télémaque.

Eumée.

Antolycos.

Le Chien Argos.

APPENDICE 281
[Mythes égyptiens et assyriens] 283
Note sur la Transcription des Noms de la Mythologie classique et Répertoire Alphabétique 293
Poésies modernes ayant trait à la Mythologie 305
Table alphabétique des Matières et des Figures 313
ACROPOLE.




LES DIEUX ANTIQUES




ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT
DE LA MYTHOLOGIE [1]


Un vaste assemblage de mythes, de fables, de légendes, voilà ce qu’offre à notre étude la Mythologie, quelque nom que nous donnions à ses éléments : les uns existant en tant que contes d’enfants, d’autres renfermant en germe les poèmes épiques des grands âges ; certains (ils sont plus rares) ne représentent rien de plus que des formes proverbiales. Dieux, héros, démons, et d’autres êtres dont l’appellation est conservée par la croyance populaire, composent l’ensemble des personnages mythologiques [2]. Chaque nation a eu sa mythologie ; et quelques-unes gardent encore leur vieille foi en ces histoires. (C’est ainsi que nous possédons la mythologie non-seulement de la Grèce et de Rome, mais de l’Inde, de la Perse, de la Norvège et d’autres pays. Longtemps avant que l’Europe fût le séjour d’aucune des nations qui l’habitent, et alors que tout était neuf et étrange pour les peuples vivant sur la terre, nos ancêtres parlaient de ce qu’ils voyaient et entendaient d’une façon tout autre que nous ne le faisons aujourd’hui. Ne sachant presque rien d’eux-mêmes et rien des objets qu’ils percevaient autour d’eux et dans le monde entier, ils s’imaginaient que toute chose était douée d’une vie pareille à la leur [3]. C’est ainsi que chacun crut que le soleil et les étoiles, les fleuves et les cours d’eau pouvaient voir, sentir et penser, brillaient ou se mouvaient à leur guise.

Une particularité qui s’impose spécialement à notre attention, quand nous comparons les légendes des différents pays, c’est la ressemblance entre leurs traits les plus importants, qui n’en est parfois même que la répétition.

Quelle est la conclusion à tirer de ce fait, sinon que les légendes de toutes ces nations ont une seule source commune ? Et quelle est cette source ? Les mots et les phrases usités par les anciennes tribus pour parler de ce qu’elles voyaient, entendaient ou sentaient dans le monde situé autour d’elles. Si ces paroles avaient trait au décor ou au jeu de la vie de chaque jour, peut-être se demandera-t-on comment elles ont pu donner naissance à des histoires de géants et de nymphes ou d’autres êtres non réels. Voici : comme le temps marcha, et que les peuples se séparèrent, le vieux sens s’oblitéra, totalement ou partiellement. Je le répète : tant que ces antiques peuplades demeurèrent au même lieu, il n’y eut pas à craindre que les termes qu’elles employaient pour parler entre elles, fussent mal compris ; mais le temps alla, les tribus se dispersèrent. Quelques-unes errèrent au sud, d’autres au nord et à l’ouest ; et il arriva que toutes gardèrent les noms donnés jadis au soleil et aux nuages et à toute chose, alors que la signification de ces noms était presque perdue [4].

Pour résumer ce qui précède, je dirai que la Mythologie est simplement le recueil des on-dit par lesquels les hommes d’autrefois se contèrent tout ce qu’ils voyaient ou entendaient dans les pays où ils vécurent. Cette explication ou clef, qui nous a ouvert presque tous les arcanes de la Mythologie, n’est placée entre nos mains, par la science, que depuis quelques années. Nous percevons donc, nous autres modernes, mieux que ne le firent les peuples classiques, combien, dans leur forme primitive, ces on-dit étaient naturels en même temps que dotés d’une beauté et d’une vérité merveilleuses [5].

Maintenant passons aux preuves.

Toutes se résument en ce fait que beaucoup de noms qui en grec et en latin n’ont aucune signification, sont parfaitement intelligibles dans d’autres langues, qui les conservent plus voisins de leur origine. Que d’exemples ! c’est en foule qu’ils viennent à la mémoire de qui a étudié les auteurs classiques. Ces noms, Argynnis, Phoronée et Érinnys, sont, en grec, des mots qui ne présentent aucun sens. Or ils s’expliquent dans la vieille mythologie de l’Inde, et l’on y voit qu’Érinnys est l’aurore lorsqu’elle « rampe dans le ciel » ; Argynnis, un nom du matin, désignant ce qu’il a de brillant ; Phoronée, c’est le dieu du feu, Bhuranyn. Tel cas même se présente où la vieille signification des mots n’est point totalement effacée. Voyez l’histoire d’Endymion ; Séléné, qui le visite, y est encore la lune : tout ce que l’on avait oublié, c’est qu’Endymion était le nom du soleil quand il plonge dans la mer, si bien qu’on prit celui-ci pour un jeune homme que la lune avait regardé complaisamment. Beaucoup de noms, dans la mythologie grecque notamment, s’expliquent de cette façon : peut-être le plus grand nombre. Ainsi Phoibos veut dire seigneur de « la lumière » ou de « la vie » ; et Délos, où est né le dieu, veut dire « la terre brillante » ; c’est de là qu’il est aussi appelé Lykégénès, issu de la lumière. Sa mère est Léto (Latona), qui veut dire « la nuit d’où semble surgir le soleil ». Ainsi encore Endymion, dont nous avons tout à l’heure entrevu la signification, soleil couchant, dort en Latmos, « la terre de l’oubli ». Un détail à noter, c’est que les mêmes noms, ou des noms tout semblables entre eux, appartiennent à la fois, dans ces contes, aux hommes et aux femmes. Je cite. La mère de Cadmos et d’Europe est Téléphassa, qui veut dire « celle qui brille de loin », ou simplement une autre forme du nom de Téléphos, qui est aussi enfant d’Augé, « la lumière ». Toujours de même, les noms d’Europa et d’Eurytos, d’Eurymédon, Euryanassa, Euryphassa, et nombre d’autres, désignent une lumière « répandue au large », comme celle de l’aurore quand elle s’élance par le ciel. Les incidents enfin se ressemblent entre eux aussi étroitement que les noms. Exemple : dans un très-grand nombre de légendes, maints parents, avertis que leur fils les détruira, exposent cet enfant, qui est sauvé par une bête sauvage et élevé par un berger. Les enfants grandissent toujours beaux, braves, forts et généreux ; mais, à leur insu ou contre leur volonté, ils accomplissent la prédiction faite avant leur naissance et sont les meurtriers de leurs parents. Qui ne se rappelle plusieurs contes ayant en commun ce trait ! Persée, Œdipe, Kuros (nommé à tort, en français, d’après le latin exclusivement : Cyrus), Pâris, Romulus, sont tous exposés, petits enfants ; tous sauvés de la mort et découverts à cause de la splendeur de leur physionomie et de la dignité de leur port. Ou consciemment ou inconsciemment Persée tue Acrisios, Œdipe tue Laios, Kuros égorge Astiage, Romulus tue Amulius, ainsi que Pâris cause la mort de Priam et la ruine de Troie. Cherchons d’autres traits communs présentés par ces histoires. Les héros ont généralement une vie courte, mais brillante, et ils doivent travailler pour autrui, non pour eux-mêmes. Ainsi Héraclès (appelé à tort, en français, d’après le latin exclusivement : Hercule) est l’esclave d’Eurysthée, Achille va à Troie pour une querelle qui n’est pas la sienne, Persée se donne du mal aux ordres du roi Polyclète. Tous, ils sont tueurs de monstres et par mille moyens secourables aux hommes. C’est Bellérophon qui tue Belléros et la Chimère, c’est Persée qui détruit la gorgone Méduse ; puis Thésée extermine le Minotaure, Œdype frappe le Sphinx, et Phoibos Apollon met à mort le serpent Python.

Sortons de la mythologie classique : le fait se répète en la légende de tous pays. Indra, aux contes indiens, tue le dragon Vitra, et Sigurd, dans la vieille histoire norse, tue le grand reptile Fafnir. Rustem, montré par les récits perses, est aussi brave et aussi puissant qu’Héraclès, et ses exploits sont de même genre. Tous ont des lances et des épées invincibles, et ne peuvent être blessés qu’à un endroit de leur corps ou que par une espèce particulière d’arme. Partout ces héros se ressemblent de figure et de caractère, aussi bien que par le cours général de leur vie. Tous ont de beaux visages, et des boucles d’or leur flottent aux épaules. Ils sacrifient leurs aises au bien des autres, et pas un cependant qui ne soit tenté d’abandonner ou d’oublier les fiancées de sa jeunesse et ne le fasse. C’est ainsi qu’Héraclès se sépare d’Iole et que Pâris quitte Œnone ; Thésée laisse Ariane, et Sigurd fuit loin de Brunehilde. Sujets aussi à l’étrange accès d’une tristesse noire et soudaine, ils partent ; mais voici que tout devient obscur ou morne, en leur absence du banquet et de la bataille. Mais ils surgissent à la fin dans toute leur gloire première, et ont le pardon des femmes que blessa leur abandon.

Tirons ceci de ces ressemblances, qu’elles ne peuvent être accidentelles ; et comme nous savons que les Grecs, et les Romains, et les Hindous, et les Perses et les Norses n’ont pu copier pareilles fables les uns sur les autres, il y a trois ou quatre mille ans, force est d’en suivre la trace jusqu’à une source commune : quand les ancêtres de toutes ces tribus vivaient, comme nous l’avons dit, dans le même lieu. Où donc est la racine, où donc le germe de toutes ces histoires ? Toujours dans ces mots, toujours dans ces phrases, qui peignirent d’abord les événements ou les scènes du monde extérieur. Exemple : dans les plus vieux hymnes hindous, on dit que le Soleil aime l’Aurore, et que le Soleil tue la Rosée en la regardant ; or les Grecs disaient que Phoibos aimait Daphné, et que Procris fut tuée par Céphale. Toutes ces histoires enfin sont réellement les mêmes, parce que des mots comme Procris, Daphné, Briséis, Hermès, les Charites et Échidna, qui n’ont pas de signification claire en grec, représentent dans les anciennes langues de l’Inde simplement des noms communs signifiant la rosée et le soleil, le matin avec ses beaux nuages et ses douces brises, les chevaux luisants du soleil, et le serpent étouffeur que sont les ténèbres.

La conséquence de cet oubli de la signification première des mots, c’est que beaucoup de récits ont été dénaturés et que certains devinrent même choquants. Ainsi les hommes ayant dit du Soleil, au temps de la sécheresse, qu’il tuait les fruits de la Terre, qui était sa fiancée, les Grecs racontèrent que Tantale, roi d’Orient, tua et fit cuire son propre enfant. Et encore : on avait trouvé jadis que le Soleil, après avoir exterminé toutes choses nuisibles et réjoui de sa clarté la Terre, s’unit, le soir, à l’Aurore, par lui laissée le matin. Mais quand les Grecs eurent oublié ce que signifiait le nom d’Œdipe, ils dirent de ce personnage qu’après avoir frappé le Sphinx, il se maria avec sa propre mère, et que des maux terribles s’ensuivirent.

Rien de tout cela n’a été fait à dessein, et nul ne s’est jamais mis à l’œuvre pour présenter les dieux et les héros comme passant leur temps à accomplir des actes dont la pensée seule implique une honte. Il ne peut y avoir d’erreur plus grande que de croire à des nations entières soudain saisies d’une folie étrange qui les pousse à inventer toutes sortes de contes ridicules et tristes, et que chaque nation eut, à son tour, son heure de cette démence. Comment lancer une telle accusation contre des peuples qui nous ont laissé des légendes aussi belles que celles de Déméter, de Niobé, de Cadmos, et d’Hélène et d’Œnone, de Persée et de Sarpédon ? Peut-être est-il fort absurde de dire que Cronos (le père de Zeus ou Jupiter) dévora ses propres enfants ; mais nous savons qu’il ne l’est point de dire que le Temps dévore les jours issus de lui. Or la vieille phrase ne voulait dire que cela et rien de plus ; seulement les peuples, avant de fouler la Grèce, avaient oublié déjà sa signification. Règle générale, ces antiques tableaux que nous offre la Mythologie, sont la Mythologie véritable, c’est-à-dire qu’il faut d’abord apprendre sa formation ; il restera à connaître plus tard ses transformations capricieuses, celles que lui font subir les fables des poètes [6]. Étudiée selon ce mode nouveau, la Mythologie jette une vive lumière sur l’histoire primitive des nations européennes.

L’époque où l’on se mit à régler la Mythologie, c’est quand l’évolution en était déjà complètement faite ; le hasard qui se mêlait aux mythes dans l’esprit des Grecs (car c’était une condensation libre d’images vaporeuses et naturelles) incita ce peuple harmonieux à trouver une ordonnance qui n’existait pas essentiellement. On serait étonné si l’on voyait des tables généalogiques montrer la liberté avec laquelle plusieurs États grecs ou des villes traitaient leur fonds commun de contes légendaires ; car ce que j’appellerai la « vitalité mythique », demeura encore quelque temps après que les Aryas furent fixés en leurs terres helléniques. Mainte table, facile à faire d’après les auteurs, présente les mêmes noms dans des rapports tout à fait différents ; impossible de les faire s’accorder historiquement, mais ils s’accordent strictement avec les phrases mythiques qui furent les racines de ces généalogies, où dieux, héros, hommes sont inextricablement mêlés. N’imitons pas, nous, ces efforts postérieurs, mais apprenons maint symbole.

Nous devons tout regarder ici comme des contes parfaitement beaux et inoffensifs, graduellement défigurés en dehors de la volonté ou même de la conscience des interpolateurs. Bien entendu — c’est le détail le plus important à tirer de la digression ouverte par les quelques réflexions présentes — que les peuples anciens ne s’appliquèrent en rien à disposer leurs dieux ou leurs héros en groupes et en classes. L’ordre dans lequel on range quelquefois ces mythes est l’œuvre d’un âge très-postérieur, et cet ordre, si nous y arrêtons notre esprit, nuira plus qu’il ne servira à l’effort fait par nous pour comprendre les légendes [7].

Cette science intéressante, la Mythologie, nous montre que les ancêtres des Germains ou des Norvégiens, des peuples latins ou des Grecs, subissaient, tous, les mêmes impressions, les mêmes espoirs et les mêmes craintes que nous aujourd’hui, malgré des différences inévitables ; et, somme toute, telle qu’elle était, chacune était belle et vraie. Au fond, je les vois, ces pensées, les mêmes qui inspirent le langage des poètes de tous les temps et de tous les pays. Oui, maintenant comme autrefois, les poètes ne font autre chose qu’attribuer la vie à ce qu’ils voient et à ce qu’ils entendent autour d’eux. Qu’importe l’image elle-même ? Tout au moins elle revêt, dans l’étude des mythes du passé, un charme historique qui est à la fois curieux et touchant. Qu’est le Soleil ? Un fiancé qui sort de sa chambre ou un héros qui se réjouit de parcourir sa route. Telle est l’idée qui fait le fond des légendes d’Héraclès, de Persée, de Thésée, d’Achille et de Bellérophon, et de beaucoup d’autres ; et tous les hommes d’à présent dont le cœur ou l’esprit sont ouverts à la beauté du ciel et de la terre, sentiront la séduction, spéciale et permanente à la fois, que comporte la Fable.

Passons maintenant à un point de vue très-différent et qu’il ne faut pas négliger. Grave question, la Mythologie est-elle la religion des anciens ? Oui : en tant qu’une religion peut ne pas fournir certaines impressions religieuses nécessaires et que seront obligés de puiser autre part ses adeptes, soit dans les maximes des poètes, des philosophes, ayant sur la vie l’influence morale et sacrée que n’a pas, en principe, la théogonie grecque. Il se formera, avec l’aide de la conscience humaine, de cette façon, deux courants idéals distincts : l’un, situé entre la religion et la fable, est le mythologique proprement dit ; un autre serait celui qu’aujourd’hui nous appellerions simplement le religieux. Que tous deux se présentent sous le couvert des mêmes paroles anciennes, bien que restant totalement différents, cela est abondamment prouvé par la littérature grecque, non moins que par la littérature hindoue. Ne point croire que, dans les temps antiques, un homme qui prononçait fréquemment le nom de Zeus, fît une allusion continuelle à un personnage unique ; non : il parlait comme deux langues très-distinctes. Zeus existait double au fond de son âme : le Zeus embrassant les noms et les actes des phénomènes par ce dieu personnifiés, et le Zeus père universel, imploré dans le malheur et remercié dans la joie, qui voit tout et que personne ne vit jamais. Le Paganisme empruntait, inconsciemment, à la religion unique, latente, certaines de ses inspirations les plus pures, comme cette dernière, dans sa phase moderne, qui est le Christianisme, a emprunté aux vieux rites plusieurs manifestations extérieures de son culte [8].

Si l’élément poétique l’emporta décidément, dans la Mythologie, sur l’élément purement religieux, quelle est donc l’idée, chère au poète, qui pourrait, selon la science moderne, ordonner en un système le groupe épars des dieux et des héros ? Nous parlons aujourd’hui du Soleil qui se couche et se lève avec la certitude de voir ce fait arriver ; mais, eux, les peuples primitifs, n’en savaient pas assez pour être sûrs d’une telle régularité ; et quand venait le soir, ils disaient : « Notre ami le Soleil est mort, reviendra-t-il ? » Quand ils le revoyaient dans l’Est, ils se réjouissaient parce que l’astre rapportait avec lui et sa lumière et leur vie.

Tel est, avec le changement des Saisons, la naissance de la Nature au printemps, sa plénitude estivale de vie et sa mort en automne, enfin sa disparition totale pendant l’hiver (phases qui correspondent au lever, à midi, au coucher, à la nuit), le grand et perpétuel sujet de la Mythologie : la double évolution solaire, quotidienne et annuelle. Rapprochés par leur ressemblance et souvent confondus pour la plupart dans un seul des traits principaux qui retracent la lutte de la lumière et de l’ombre, les dieux et les héros deviennent tous, pour la science, les acteurs de ce grand et pur spectacle, dans la grandeur et la pureté duquel ils s’évanouissent bientôt à nos yeux, lequel est : La Tragédie de la Nature [9].






MYTHOLOGIE DES ARYAS

I. — MYTHES HINDOUS, NORSES ET PERSES




MYTHOLOGIE DES ARYAS [10]





Cette mythologie forme un système religieux particulier, et, à lui seul, ce système est à proprement parler ce qu’on appelle la Mythologie. Les Aryas, vous le savez tous, jeunes gens, sont une des grandes races humaines que l’on distingue particulièrement de la race des Sémites (la même origine sémitique relie entre eux les anciens Juifs et les Arabes). Indiquons les peuples qui appartiennent certainement à la race aryaque : presque tous ceux qui, aussi loin que va l’histoire, habitèrent l’Europe, et, dans l’Asie, la Perse et l’Inde. Quant à un berceau mystérieux, toutes les conclusions scientifiques s’accordent à le placer à peu près au centre de la Grande-Asie, dans les vallées de l’Oxus. L’Arya se répandit dans toute l’Europe et dans une grande partie de l’Asie, par migrations successives de tribus, allant devant elles chercher des régions inconnues et libres. Nomades qui rencontraient, dans le pays choisi pour s’y fixer, les descendants de tribus congénères des leurs peuplant déjà ces terres ; une seconde couche aryaque se formait alors dans ces lieux. Pour assigner un ordre probable à ces migrations successives, j’ajoute que la première fut, peut-être, celle à qui l’on donne le nom de migration germanique et slave ; puis une autre se dirigea vers la Perse et vers l’Inde, pendant qu’une dernière trouvait lentement le chemin des contrées plus tard appelées la Grèce et l’Italie, ainsi que des vastes terres qui devinrent le sol celtique.

Quelqu’un de vous me demandera si toutes ces tribus emportaient avec elles leurs déités. Elles emportaient au moins une langue commune, à laquelle étaient confiés des mythes communs. L’éloignement où vécurent l’une de l’autre les peuplades errantes ou fixées, fit que leur langue se différencia et se refondit en idiomes nouveaux ; et de la même façon les mythes, mêlés intimement à la parole, acquirent une existence nouvelle et isolée. Mais langues et mythes ne se sont jamais si complètement transformés, que deux sciences, celle du Langage et la Mythologie, ne puissent, par leur effort récent, retrouver la parenté originelle des mots et des dieux.






MYTHES HINDOUS, PERSES ET NORSES [11]





Triple mythologie et qui se présente à nous en un groupe unique. Ce n’est pas que les mythes hindous soient plus intimement unis aux mythes perses, ou ceux-ci aux mythes norses, que les mythes norses, perses ou hindous ne le sont aux latins et aux grecs. Non, mais les derniers cités, avec cette particularité, du reste, que les latins ne sont qu’une reproduction presque artificielle des grecs, forment ensemble ce qu’on peut appeler la Mythologie classique, ou celle qui correspond aux deux langues étudiées jusqu’à présent par tous les esprits cultivés. La mythologie des Hindous demeure, malgré que se popularise en Europe la lecture des Védas, la préoccupation presque spéciale de savants versés dans le sanscrit ; il en est de même de la mythologie des Perses, leur langue, le zend, ne comptant encore qu’un petit nombre d’initiés. Quant à la mythologie norse, ceux à qui elle n’est pas totalement étrangère l’ont entrevue dans la traduction des épopées scandinaves ou apprise aux représentations de Drames lyriques allemands. Mais, non plus que les précédentes, elle ne nous est à proprement parler familière ; et c’est pour ce motif seul que l’étude présente, qui jette sur les mythologies mêlées à notre civilisation par l’art et par la poésie les clartés nouvelles de sa méthode scientifique, place les dieux ou les héros de la Grèce et de l’Italie en pleine lumière, tandis qu’elle fait avec les mythes norses, perses et hindous comme le fond lointain et spacieux du panthéon aryaque.

Wishnu et Lakschmil sur le Serpent, et la fleur de lotus d’où sort Brahma.



MYTHES HINDOUS OU VÉDIQUES


Le Véda, le recueil des hymnes, ou les Védas, si l’on parle des hymnes pris en eux-mêmes, nous offre le plus ancien monument de notre race : un ensemble des chants religieux en honneur chez les premiers Aryas émigrant vers l’Indus. Ce livre nous fait assister à la naissance ainsi qu’à la formation des doctrines primitives religieuses qui sont familières à notre esprit. C’est à sa lecture qu’il faut demander l’expression authentique de la mythologie hindoue, qui, de notre temps, doit comme illuminer celle des deux nations classiques. « Les ancêtres ont façonné les formes des dieux comme l’ouvrier façonne le fer, » dit un des poètes védiques.

Quelque chose donne à la mythologie védique ou hindoue primitive une valeur toute spéciale : c’est qu’elle offre la clef de celle des Perses, des Grecs, des Latins et d’autres peuples. Ainsi les noms sous lesquels les Grecs désignaient différents dieux et héros, sont dans les Védas de pures épithètes sur la signification desquelles nul ne saurait se méprendre, et l’on peut suivre les légendes les plus compliquées et en retrouver la racine dans quelque phrase extraite des plus anciens de tous les poèmes, les Védas. Cette phrase, dans ces poèmes, présente simplement un incident ou un phénomène mêlé au cours des choses qui forment le monde extérieur. Je citerai quelques exemples. Dans les Védas, Arjuni, Brisaya, Dahana, Ushas, Sarama et Saranyu sont des noms de la lumière du matin ; pour les Grecs, c’étaient autant d’êtres particuliers qu’ils connaissaient sous la forme d’Argynnis, de Briséis, de Daphné, d’Éos, d’Hélène et d’Érinnys. Les Védas parlaient du Panis, cause par ses tentations de l’infidélité de Sarama ; pour les Grecs, ce texte devient le rapt d’Hélène par Pâris et la légende multiple de la guerre de Troie.

Maintenant il faut distinguer la mythologie hindoue primitive d’avec celle des derniers temps. La mythologie tardive est aussi inextricable que la primitive est simple ; mais la façon dont le système mythique s’est développé dans l’Inde jette la plus vive lumière sur l’évolution semblable qui s’est accomplie dans les autres contrées. Notamment il n’y a pas, dans les très-vieux poèmes, de généalogies ou de mariages réglés entre les dieux. La sœur dans cette légende est la femme, ou la mère dans cette autre ; et l’on parle du même être en différentes occasions comme du fils et du frère à la fois de tel dieu. Les déités principales de ces anciens hymnes, celles qui certainement sont les plus importantes, sont peut-être Varuna, Agni et Indra. Le premier, Varuna, personnifie le vaste ciel qui s’étend sur la terre comme un voile. Mais nombre des hymnes lui sont adressés simplement comme au seul dieu auteur du monde [12]. On retrouve du reste l’instinct monothéiste dans les chants védiques. Un être tout-puissant, à la fois notre père, le maître qui nous enseigne et notre juge : il habita d’abord la terre aryaque. Il est Varumna, quoique Mithra s’y ajoute ; enfin il est Adytta, et le Cronos grec. Varuna se trouve dans la mythologie grecque, en tant qu’Ouranos. Mais, au contraire de Zeus (le Dyaus sanscrit), qui devint, en Grèce, le nom du dieu suprême, Ouranos y perdit son importance et disparut même presque totalement.

Qu’est Agni, le deuxième dieu ? Le feu qui, lorsque le combustible est allumé, « s’avance comme un cheval de guerre, hors de sa prison, laissant derrière lui une trace obscure de fumée. » Agni ne se trouve pas dans la mythologie occidentale, mais on reconnaît son nom dans ce mot latin : ignis, le feu. Indra complète ce groupe ternaire, lui le dieu du ciel clair, et aussi de la lumière, de la chaleur et de la pluie fertile (fig. 6) ; il tire son nom d’une racine du langage qui désigne la fluidité, et répond ainsi au Jupiter fluvius des Latins.

On le représente principalement combattant Vritra, l’ennemi qui, en enfermant la pluie, apporte la sécheresse à la terre ; ce dernier est un grand dragon, tué par la lance d’Indra, de même que Python est percé par celle d’Apollon. Vritra prend d’autres formes dans la mythologie de l’Occident et correspond exactement au Sphinx (en l’histoire d’Œdipe), au dragon de Libye exterminé par Persée, à Fafnir abattu par Sigurd, aussi bien qu’aux nombreux monstres tués par les autres héros. Son nom, du reste, existe dans les légendes grecques : c’est le même que Fig. 6. — Agni.
celui d’Orthros, mythe qui, avec Cerbère, le Parvara védique, garde les portes du Hadès répondant au Yama hindou.

N’oublions pas les Harits, qu’il sied même de nommer tout d’abord : ils sont, dans les hymnes védiques, les chevaux brillants du soleil, et deviennent en Occident de belles femmes, appelées par les Grecs les Charites, par les Latins Gratiæ, ou les Grâces (d’une racine ghar, briller). Vient aussi Trita et Traitana. J’y vois des noms donnés au dieu du ciel clair, lesquels reparaissent dans le grec Triton et Tritogénée. Il y a les Maruts, vents d’orage, dont l’appellation (de mar, moudre) reparaît en celle de l’Arès grec, le Mars latin, et de Mors, la mort, ainsi que dans le teuton Thor Miölnir, « celui qui écrase. »

Vous n’êtes point sans avoir entendu parler des Rishis, sept sages qu’on supposait habiter les sept étoiles de la constellation que nous appelons la Grande Ourse. Ces Fig. 7. — Brahma avec Saraswati.
étoiles s’appelèrent d’abord les sept Arkshas, ou « brillantes », mais, comme Rishi vient de la même racine, on confondit les deux mots, tout comme en Grèce on les convertit en ours, le mot de arctoï, ours, appartenant également à cette racine. Comparaisons diverses : le nom Bhuranyu est le même que le grec Phoronée, tandis que Pramantha répond à Prométhée ; Ushas est un nom de l’Aurore, qui reparaît dans le grec Éos et Fig. 8. — Siva.
Fig. 9. — Wishnu.
le latin Aurora. Voyez enfin dans Arusha un nom du Soleil, quand il commençait sa course à travers les cieux et représenté, comme tel, sous la figure d’un bel enfant : on devine qu’il reparaît dans l’Éros grec, ou dieu de l’amour, qui répond au latin Cupido, Cupidon. Mais Éros à son tour est fils d’Iris, une autre forme du moi, déité appelée la Messagère des dieux, tout comme on dit d’Arusha qu’elle éveille la terre avec ses rayons. Ces rayons deviennent les dards ardents d’Éros et de Cupido, enflammant d’amour les cœurs qu’ils percent.

Passons aux dieux de date plus récente, à Brahma, d’abord (fig. 7) : on le dit fils de Brahm, nom de la grande Cause première de toutes choses. Brahma, Vishnu, Siva, forment à eux trois la Trimurti postérieure, ou Trinité ; Brahma étant le Créateur, Vishnu, celui qui Fig. 10. — Krishna avec Siva et Wishnu.
conserve, Siva, le destructeur. Siva est connu sous un autre nom, on l’appelle fréquemment Mahadeva ou Mahadeo (en grec, Megas Theos), le grand dieu (fig. 8) ; et on le regarde comme le reproducteur, car détruire, selon la philosophie indienne, n’est que reproduire sous une autre forme. Quant à Vishnu (fig. 9), l’Inde honora ses avatars, incarnations du dieu, accomplies par lui pour l’exécution de desseins spéciaux. Le nombre des avatars est fixé à dix ; lorsque le dixième aura lieu, ce sera la destruction du monde, et Brahma recommencera son œuvre de créateur. Krishna (fig. 10), qui complète ma nomenclature succincte, est issu, selon quelques légendes, de l’un des cheveux de Vishnu, et il mit au monde, à son tour, Rudra, le destructeur. Ce dieu acquiert une importance très-considérable dans la mythologie tout à fait postérieure des Hindous. Faut-il dire encore que ce personnage, Savitar, n’est autre chose qu’un nom du soleil, en tant que « dieu à main d’or », à cause de ses rayons ? Oui ; pour ajouter que, le nom plus tard pris à la lettre, l’histoire courut que le soleil, offrant un sacrifice, s’était coupé la main, et que cette main fut remplacée par une d’or. Porte le titre de dieu aussi un sage législateur, fils de Brahma, Manu. C’est le même que le Minos grec, et son nom vient d’une racine commune aux mots mens et homo : l’homme tirant son nom de ce qu’il est « celui qui mesure », soit le penseur.

Trimurti.



MYTHES PERSES





Ce qui rend la mythologie perse particulièrement remarquable, c’est le sens spirituel ou moral qu’elle greffe sur des phrases et des légendes qui n’avaient rapport originairement qu’à des objets matériels ou physiques. La bataille d’Indra et de Vritra, qui dans l’Inde était un conflit entre le dieu du soleil ou du ciel et le dragon supposait le gardien de la pluie, devint en Perse la lutte spirituelle entre le bien moral et le mal moral, de façon qu’un texte, suggéré par un spectacle très-commun du monde extérieur, se trouva être le fondement d’une philosophie connue sous le nom de Dualisme (en d’autres mots, le conflit entre deux dieux, l’un bon, l’autre mauvais). Les vieux noms, ou contemporains des premiers âges de la race en son ensemble, se conservèrent et, dans beaucoup de cas, restent ceux des mythes plus modernes. C’est ainsi que Trita, ou Traitana, devient pour les Perses Thraetana, tandis que Verethragna, ou « exterminateur de Verethra », le Feridun de la poésie épique postérieure, répond au Vritrahan védique ou « exterminateur de Vritra. » Feridun est, à son tour, l’exterminateur de Zohak (nom qui s’écrivait d’abord Azi-dahâka, le serpent qui mord) ou de Ahi, qui nous reporte cette fois à l’Echidna grecque. Le nom de Zohak reparaît dans celui d’Astyage (Asdahag), roi de Médie, qui est défait et détrôné pair son petit-fils Kuros (appelé à tort, en français, d’après le latin exclusivement : Cyrus), comme Laios, roi de Thèbes, est tué par son fils Œdipe.

Le germe de pareille idée morale, je le retrouve aux hymnes védiques : dans une prière déprécatoire que font quelquefois les adorateurs, voulant que Vritra, l’ennemi, n’étende point sur eux son pouvoir. Ce combat du bien et du mal a été désigné sous d’autres noms ; on en parle aussi comme du grand conflit entre Ormuzd et Ahriman. Qu’est-ce qu’Ormuzd ? Le nom du dieu bon. Un mot perse ? Non. On ne peut même l’expliquer par la langue perse, mais le Zendavesta donne ce nom sous la forme Ahurômazdâo, nous reportant ainsi au mot sanscrit Asurômedhas, qui signifie « esprit sage ». Un autre nom d’Ormuzd était Speutô-mainyus, ou « l’esprit saint ». Le nom donné dans les livres anciens au pouvoir opposé à Ahurômazdâo est celui de Drukhs, mot qui signifie simplement « tromperie ».

Qu’est-ce donc que le nom d’Ahriman ? C’est un nom qui veut dire un esprit du mal et qui fut donné, dans une époque postérieure, au pouvoir connu en tant que Vritra et que Drukhs. Dans le Zendavesta, l’esprit saint (Speutô-mainyus, c’est-à-dire Ormuzd) et l’esprit de mal (Ahro-mainyus, c’est-à-dire Ahriman) passent pour avoir créé le monde. Quant aux Devs ou Divs, il faut voir en eux des esprits dont le nom est parent du grec Theos et du latin Deus. Les adeptes de Zoroastre se séparèrent des adorateurs des Dévas, c’est à-dire des déités védiques, et déclarèrent dans leur profession de foi en faveur du Zendavesta : « Je cesse d’être adorateur des Dévas [13]. Je professe l’adoration selon Zoroastre, d’Ahuramazda, et suis l’ennemi des Dévas et dévot à Ahura. »



Chasse céleste, aux brumes du Nord.




MYTHES NORSES


Les systèmes mythiques des tribus de l’Europe du Nord sont en substance les mêmes que ceux des Grecs. Ils prennent tous racine en des mots ou des phrases qui représentaient les spectacles et les bruits du monde matériel ; mais les histoires issues de ces racines ont été, dans chaque contrée, modifiées par les influences du sol et du climat. C’est ainsi que la Mythologie au nord de l’Europe assuma nécessairement un caractère sombre et grave, et que le combat de Phoibos contre Python, ou d’Indra contre Vritra, devint ta lutte constante et de tout pour avoir la vie ou donner la mort. L’histoire où cette lutte est peinte se nomme le Saga Volsunga, ou conte des Volsungs, qui fut, dans la suite, remanié en forme de poème épique appelé le Chant des Nibelungen ou Chant des enfants de la brume. Le héros de ce chant s’appelle Sigurd, fils de Sigmund, fils de Volsung, descendant d’Odin.

Il naquit après la mort de son père et devint le beau-fils de Régin, le forgeron du roi de Danemark, qui le poussa à tuer le dragon Fafnir, gisant enroulé sur la bruyère étincelante. Le dragon périt de l’épée forgée par Régin avec les morceaux brisés de Gram, autre épée qu’Odin lui-même avait enfoncée jusqu’à la garde dans un chêne, afin que celui-là l’y prît qui serait assez fort pour la retirer. Sigemund, père de Sigurd, la retira, et il vainquit de cette arme tout ennemi, jusqu’à l’heure où Odin, sous un déguisement, lui présenta une lance contre laquelle l’épée se brisa en deux morceaux. Fafnir tué, Sigurd devint possesseur de tout le trésor situé dans les puissants replis du monstre, et, mangeant son cœur, il en tira encore une sagesse supérieure à celle des mortels. Le héros, passant son chemin, vînt à une bruyère ; de violentes flammes y entouraient une maison où dormait la belle vierge Brunehilde, Sigurd chevaucha par le feu, et, à son toucher, la vierge s’éveilla. Ils engagèrent mutuellement leur foi, et Sigurd dirigea sa monture vers la demeure de Giuki, le Niflung, qui décida que le héros épouserait sa fille Gudrum, et que Brunehilde serait la femme de son fils Gunnar. Mais Gunnar ne peut pas, au retour, chevaucher dans la flamme, et, par de magiques artifices, Sigurd prend la forme et la voix de Gunnar et s’empare de Brunehilde. Or, découvrant cette trahison, Brunehilde poussa Gunnar à tuer Sigurd ; mais, comme dans le cas de Baldr, lui et ses frères avaient juré de ne pas porter la main sur le héros. Tous demandent en conséquence à Guttorm de faire ce qui leur était, à eux, interdit ; et c’est ainsi que Sigurd est tué pendant son sommeil. Sa mort réveille tout l’amour de Brunehilde, qui expire, le cœur brisé, sur son bûcher funèbre.

Sigurd ressemble à maint autre héros ; plusieurs traits caractéristiques de ce personnage, même presque tous, le rendent analogue à Persée, Achille, Thésée, Phoibos, Phaéton et Odyssès (appelé à tort, en français, d’après le latin exclusivement : Ulysse).

L’épée Gram enfoncée dans le chêne correspond, elle, à l’épée et aux sandales que cache Égée, lequel les place sous une grosse pierre ; Thésée en devient le possesseur lorsqu’il a la force de soulever la pierre ; songez aussi aux armes qu’Héraclès laisse près d’Échidna[14]. N’est-ce pas enfin la même chose que la lance invincible de Phoibos, sans parler des rapports qu’elle présente avec l’armure forgée par Héphaistos pour Achille : toutes armes merveilleuses ? Quelqu’un donne cette épée Gram à Sigurd ; sa mère Hjordis, tout comme Thétis, apporte à son fils Achille l’armure forgée par Héphaistos. Je revois aussi dans le meurtre de Fafnir le même incident que l’extermination de Python, Vritra et du Sphinx, puis du Minotaure et de la Chimère. Comparez la sagesse de Sigurd à celle d’Iam et de Mélampe, qui tous deux également la reçoivent de serpents[15]. Pourquoi ? Parce que le mot « dragon » voulait simplement dire un être qui voit au loin ou doué d’une vue perçante. Cent questions nous viennent aussitôt à l’esprit, suivies d’une réponse aussi prompte. — Qu’est-ce que le sommeil de Brunehilde ? Un sommeil comme celui d’Adonis et d’Osiris, et l’inaction de la vierge (χορή) Perséphone, dans la demeure d’Hadès [16]. — Quest-ce que le moyen de gagner Brunehilde ? Après le meurtre du dragon, tout se passe comme après l’extermination du monstre de Libye ; là Persée gagne Andromède : la mort du Sphinx aboutit aussi au mariage d’Œdipe et de Jocaste. — Quel charme plongea Brunehilde dans son profond sommeil ? Odin la blessa d’une épine, comme agit Isfendigar dans l’épopée perse. Cette épine de la nuit ou de l’hiver répond à la morsure de serpent qui tue Eurydice dans l’histoire d’Orphée [17]. — Que représente l’abandon de Brunehilde ? Simplement une autre forme de l’abandon d’Ariane par Thésée, ou d’Œnone par Pâris, qui répond aussi à la séparation de Pénélope et d’Odyssès (improprement appelé, d’après le latin, Ulysse), quand il la quitte pour aller à Troie. Le retour de Sigurd vers Brunehilde, sous l’aspect de Gunnar, se lie bien au retour de Céphale, déguisé, près de Procris, qu’il avait délaissée [18]. — Gudrun qu’est-elle par rapport à Brunehilde ? Ce qu’est Déjanire par rapport à Iole, et Hélène à Œnone. L’abandon est, dans l’un et l’autre cas, suivi de la vengeance. Sigurd meurt, comme Pâris, dans le repentir de sa faute. La mort du héros ravive, dans l’un et l’autre cas, l’amour de la femme délaissée, et Œnone et Brunehilde expirent chacune sur le bûcher funèbre de son époux. Ce qu’il faut noter aussi, si nous comparons cette histoire avec d’autres légendes teutones [19], c’est que les poètes ne pouvaient apparemment échapper au cercle enchanté dans lequel ils aimaient à reproduire, sous le déguisement de noms, de lieux et d’incidents différents, la grande et touchante Tragédie de la Nature, ainsi que nous l’avons appelée précédemment.

Cela se voit dans l’histoire mythique des descendants de Sigurd. Trait pour trait, tout y est répété pour ce qui est du fils du héros, appelé Ragnar Lodbrog. Comme Sigurd, Ragnar gagna sa première femme Thora parce qu’il la délivra d’un dragon, et, comme Sigurd, il la délaisse. Suivons ce que devient Gudrun dans le conte Volsung : elle épousa Atli, frère de Brunehilde ; mais lorsqu’Atli tua Gunnar et les frères de celui-ci, Gudrun, pour se venger, tua les enfants du meurtrier et ensuite leur père lui-même. Comme il est de plus en plus clair à nos yeux que ces incidents répondent à des mythes grecs ! Ce meurtre des enfants d’Atli se répète dans le meurtre des enfants de Jason par Médée [20].

Mais élargissons le cercle ici tout spécial de nos comparaisons. Les Niflungs ou Nibelungs, ce sont des habitants de Niflheim, la terre ou le site des brumes froides : en d’autres termes, ils répondent à Phrixos et à Hellé, les enfants de Néphélie, la brume, qui s’en alla avec le trésor de la toison d’or tout comme les Niflungs emportent les trésors de l’été. On vénérait Odin : ce dieu répond Fig. 14. — Freya.
au Zeus grec et s’appelle l’Alfadir (l’anglais dirait father of all, père de tous). Sa femme s’appelle Freya ou Friga (fig. 14), et elle est la mère de Thor et de Baldr. Thor, avec son puissant marteau, en tant que Thor Miölnir, le batteur et le broyeur, est parallèle aux Alvada grecques et aux Maruts indiens (fig. 15). Une légende s’offre à nous, reconnaissable : Baldr était le plus beau de tous les habitants du Valhalla ; mais, quoique tous les autres dieux eussent juré de ne pas lui faire de mal, Loki, Fig. 15. — Thor.
lequel n’avait fait aucun serment, « le détruisit à l’aide du gui ». Ce fait répond au meurtre d’Isfendigar tué par une épine et d’Adonis tué par la défense du sanglier. Quant à Loki, déité malveillante, on le dépeint comme le grand serpent qui entoure le monde, père d’Héla, la reine des régions situées sous la terre.

Après les grands dieux, leur séjour : le Valhalla, demeure avant tout d’Odin ; comme Zeus, l’Olympe, il l’habite avec tous les Aésir ou dieux. C’est là que parviennent les âmes des héros mourant sur le champ de bataille, guidées par les belles Valkyries, ou celles qui choisissent les corps des morts : je vois en elles, sous une forme plus haute et plus pure, les houris du paradis mahométan. Les Nornes enfin, trois sœurs, correspondent aux Fates des Latins ou Moires des Grecs : leurs noms sont Urd, Werdand et Skuld (ou Passé, Présent, Futur). Se les représenter comme des êtres doués d’une sombre et touchante beauté.

Tous, vous avez entendu parler du Crépuscule des Dieux, que célèbre aujourd’hui encore le théâtre musical allemand. Ces mots ont été employés pour désigner le temps où, comme on le supposait, le règne d’Odin et des Aésir devait toucher à sa fin. Semblable notion a-t-elle pu se faire jour, si Odin passait pour le grand Créateur de toutes choses ! Peut-être qu’inconsciemment le nom d’Odin fut employé dans plus d’un sens. Ainsi Eschyle parle de Zeus comme du dieu infini et éternel, dont le royaume ne peut avoir de fin ; mais qu’il vienne à nommer le Zeus mythique, fils de Cronos et mari d’Héré, il dit que ce Zeus détrôna son père et sera lui-même dépossédé par un descendant de Prométhée, son ami, à qui il a si gravement fait tort. Héraclès renversant Zeus répond exactement au Crépuscule des dieux norses.






MYTHOLOGIE DES ARYAS

II. — MYTHES GRECS ET LATINS OU CLASSIQUES





MYTHES GRECS ET LATINS
OU CLASSIQUES


À qui demanderait pourquoi, dans cette double mythologie, grecque et latine, les mythes grecs prennent une valeur que n’ont pas les mythes latins, je répondrais : parce que l’on peut dire des seuls mythes grecs, plus anciens, que ce sont des personnifications vivantes de phénomènes naturels. En même temps que l’imagination humaine leur communiquait ses formes heureuses, ils ont reçu d’elle une vie véritable. Les mythes latins ont été presque toujours empruntés à l’Olympe grec, tout entiers, avec leur légende déjà faite. De sorte qu’en supposant même qu’il ne soit pas absurde d’appeler d’un nom unique des déités invoquées dans deux langues différentes, c’est le nom grec qu’il eût convenu de donner sans distinction aux déités helléniques et à celles italiques, et non le nom latin, ainsi qu’on l’a longtemps fait chez nous. Nous reconnaîtrons cependant qu’à la séparation des Pélasges, qui vinrent habiter presque simultanément la Grèce et l’Italie, survécut ici et là un fond commun de traditions, lequel ne s’oblitéra pas totalement en Italie, et, tout au moins, prédisposa les esprits à une juxtaposition aisée des déités grecques, quand celles-ci pénétrèrent dans cette contrée fraternelle.

La prétendue mythologie latine du siècle de Virgile et d’Horace est une pure copie du grec, et à peine peut-on en conséquence la regarder comme latine. Toutefois il y a une mythologie latine qui ne résulte en rien d’un emprunt de ce genre. Avant que les tribus latines aient eu des relations avec les tribus grecques, elles possédaient leurs propres déités et des êtres surnaturels dont le caractère dénota le culte d’un peuple occupé principalement à labourer la terre. Ces déités avaient leur nom, avec certaines qualités ou dispositions qui leur étaient inhérentes, mais il ne se racontait d’elles que peu ou pas de légendes. Aussi, quand les tribus latines se mêlèrent de colons grecs, fut-on tenté d’identifier d’abord les dieux latins avec les dieux grecs, et de transporter de bonne heure chez les déités latines toutes les légendes que les Grecs relataient de leurs propres personnages mythiques. Ce faisant, on introduisit quelques nouveaux traits : fort rarement. On se contentait d’ordinaire d’attribuer toutes les légendes latines aux dieux grecs, avec lesquels, dans bien des cas, ils n’avaient de commun ni le nom ni la qualité. Ainsi les histoires racontées d’Hermès, chacun les rapporta également à propos de Mercure. Mais dans un cas ou deux, le caractère de la déité grecque est altéré en mauvaise part. L’aimable Saranyu, ou l’aurore de l’Inde, par exemple, devint la sombre et sévère Erinnys des Grecs ; de même les Harpies, qui, dans les poèmes d’Hésiode, sont de belles filles de Thaumas et d’Électre, se trouvent, dans Virgile, être de vils oiseaux de proie.



L’Olympe assemblé.




L’OLYMPE ET SES DOUZE DIEUX [21]


Quoique les poèmes homériques possédés par nous, non plus que la théogonie hésiodique, ne présentent le nom du groupe suprême de déités, appelé, particulièrement à Athènes du temps de Périclès, les douze dieux olympiens, nous ne passerons pas sous silence une classification célèbre qui présida à l’exécution de plus d’une œuvre d’art, arme ou joyau. Elle-même est une œuvre d’art inspirée par un goût de la symétrie tel, qu’il caractérise une époque où la « vitalité mythologique » avait, certes, cessé. Tout contredit cette ordonnance dans les temps antérieurs. Au cours du dernier des poèmes que nous avons cités tout à l’heure, Zeus et Poséidon ébranlent bien le sol et la mer, tandis qu’Hadès habite les régions situées sous terre ; mais qu’il y ait eu un triple partage du Cosmos entre les trois frères cronides, c’est un fait dont nous ne possédons aucune mention formelle. La théogonie hésiodique, monument primitif, nous parle de Poséidon, mais pour ne nous rien dire d’autre à son sujet sinon qu’il bâtit les murailles entre lesquelles Briarée garde les Titans : là, aucune différence de rang non plus entre Arès et ses sœurs Hébé et Éileithua, ou encore entre Déméter et Eurynome. Hadès, lui, de ce soi-disant nombre douze, est exclu, tandis que, selon l’Iliade et l’Odyssée, il apparaît à sa guise dans la demeure olympienne de Zeus, et se comporte comme l’égal des dieux assemblés. Il y aurait, dans l’un de ces cas, plus de douze déités ; dans l’autre, il n’y en aurait que onze.

Quant à l’Olympe, qui, même en la mythologie empruntée par les Latins, resta le séjour des dieux grecs, on sait que c’est, dans les montagnes qui séparent la Macédoine de la Thessalie, la portion orientale d’une chaîne formant le versant nord de la vallée fameuse de Tempé, Un printemps éternel dans le fond, des neiges éternelles au sommet : tel est le site. Les poètes homériques représentent les dieux comme possesseurs de palais nombreux sur la haute cîme. Dérobés à la vue des hommes par un voile opaque de nuages que gardent les Heures, ils siègent solennellement dans le palais de Zeus, et les plus jeunes d’entre eux dansent sous leurs yeux, obéissant à la voix et à la lyre des Muses. Tel est le tableau traditionnel, et dont il peut être utile de conserver une réminiscence. Les poètes plus récents transportèrent ce séjour à la quatrième voûte du ciel, celle des feux ou des astres, l’Empyrée. Mais ce lieu nouveau, qu’on imagine difficilement comme habitable, a le tort, selon nous, de sembler presque une conception métaphysique : le premier était absolument poétique, comme il convient en pareil sujet.

Ganymède.



LES DIEUX

LE ZEUS GREC OU LE JUPITER LATIN.


Zeus. — Figure suprême dans la mythologie des Grecs, Zeus, avant le temps où l’Iliade et l’Odyssée furent composées, était déjà regardé comme le père de tous les dieux et des hommes. Toutefois il n’a pas toujours été le plus haut des dieux : suivant quelques histoires, un temps fut où Cronos son père régnait, supérieur à lui ; mais Cronos même n’était pas le premier dans l’ordre des dieux.

Quoi ! n’ai-je point, par ces derniers mots, reconnu que les dieux étaient disposés dans quelque ordre fixe ? Antérieurement, non ; mais, dans des temps plus avancés, les poètes comparèrent entre elles les différentes histoires racontées à propos des divers dieux, puis rangèrent ceux-ci en raison du degré de parenté indiqué par chaque histoire. Plusieurs traits diffèrent tant les uns des autres, qu’il est souvent impossible de les faire s’accorder. Pas autre chose à dire ici ou là, sinon que chaque pays ou chaque cité a suivi sa propre version. Tel est précisément le cas des légendes de Zeus et celui qui s’applique aux dieux qui vinrent avant lui. Dans un récit, les premiers êtres sont Chaos et Gê, de qui sortent Ouranos et les Grands-Monts et le Pont ou la mer. Dans Fig. 22. — Cronos ou Saturne.
un autre, Gê (la Terre) est la femme d’Ouranos ; et leurs enfants, Hypérion, Japet, et maints autres, sont nés avant Cronos, père de Zeus. Cet Ouranos est le ciel qui s’étend comme un voile au-dessus de la terre ; bref, le même que le vieux dieu hindou Varuna (dont le nom vient d’une racine var, signifiant voiler ou celer). Pour Cronos, il a sa légende. On dit qu’Ouranos précipita les Cyclopes avec Bronté, Stéropé (le Tonnerre et les Éclairs) et d’autres enfants de Gê (la Terre) dans l’abîme appelé Tartare ; et que Gê, dans son chagrin et sa colère, Fig. 23. — Buste de Cronos ou Saturne.
poussa ses autres enfants à mutiler leur père et à mettre Cronos (fig. 22 et 23) sur le trône, à la place du premier maître.

L’acte de Cronos, devenu roi, est célèbre et étrange : on dit qu’il avala ses enfants aussitôt après la naissance de chacun. Comment cela se doit-il expliquer ? En tant qu’une image de l’action du temps, lequel engloutit. chacun à son tour, les jours qui viennent. Un lien s’établit entre l’acte de Cronos et l’histoire de Zeus. Rhée, femme de Cronos et mère de Zeus, anxieuse de sauver l’un de ses enfants, donna une pierre à avaler à son mari : Zeus naissait et était nourri dans la caverne de Dicté ou sur l’Ida. Expliquons ce nom de Zeus ; il se trouve dans la mythologie hindoue. Zeus y est Dyaus, le dieu du ciel brillant ou du ciel spirituel, d’un mot qui signifie briller. Les contes d’autres nations admettent cette divinité. Comme les Hindous parlaient de Dyaus-pitar, et les Grecs de Zeus-pater, ainsi les Latins et les Romains l’appelaient Jupiter, qui signifie « père Zeus ». Les vieux Hauts-Allemands le connaissaient sous le nom de Zio. Quant au sens primitif du nom, le voici : le ciel bleu pur, la demeure de la lumière située loin et au-dessus des nuages ou de tout ce qui peut en ternir la pureté. Étymologie qui explique la fable grecque, car elle nous montre pourquoi Jupiter est né dans la caverne de Dicté, un de ces mots désignant l’approche de la lumière, tout comme la Délos, où naquit Phoibos, est la terre brillante. Revenons à l’histoire du dieu : les actes attribués à Zeus, quand il fut en possession de toute sa force, sont nombreux. Il délivra les Cyclopes du Tartare, puis obtint la coopération des géants aux cent mains dans sa guerre contre les Titans (fig. 24). Selon l’histoire suivie par Eschyle, il fut aidé aussi par Prométhée, fils de Deucalion, avec le secours de qui il détrôna Cronos ; mais, fâché plus tard contre son allié, qui enseigna l’usage du feu aux hommes, il l’enchaîna sur les rocs déchirés du Caucase. L’empire de Cronos fut divisé. Quelques histoires veulent que les Cyclopes aient donné à Zeus la foudre, et à ses frères Hadès et Poséidon le casque et le trident ; les trois dieux, ayant reçu ces dons, tirèrent au sort, et la souveraineté du ciel échut en partage à Zeus (fig. 25), celle de la mer à Poséidon, et celle des régions inférieures à Hadès, Qui étudie le caractère de Zeus dans les poèmes homériques, l’y voit dépeint çà et là de façons si différentes, qu’il croira certes à deux Fig. 24. — Jupiter combat les Titans, camée.
mythes appelés de ce nom. Quelquefois représenté comme partial, injuste, ami du plaisir et de l’oisiveté, changeant dans ses affections et infidèle dans son amour, glouton, sensuel et impur, le dieu, en des heures de peine réelle et de chagrin, apparaît à Achille et à d’autres Achéens qui l’implorent et le prient, plein non-seulement d’une puissance irrésistible, mais encore de justice et de droiture. Si l’on compare les diverses mythologies, il n’est pas impossible de se rendre compte de ce contraste. Voyons : le mot indien Dyaus semble avoir été originairement le nom de l’unique être sacré, et les Grecs et Fig. 25. — Statue de Zeus.
d’autres peuples apparentés le gardèrent pour exprimer tout ce qu’ils ressentaient à l’égard de la divinité. Mais comme le mot signifiait encore le Ciel visible avec ses nuages et ses vapeurs, quelques-unes des phrases qui parlaient des variations du firmament, en vinrent à indiquer, quand leur signification s’oblitéra, des actions viles ou honteuses. Exemple : on avait présenté la Terre comme la fiancée du Ciel, et dit du Ciel qu’il couvait la Terre de son amour dans tout pays ; or tout ceci, désignant par la suite une déité à passions et à forme humaines, s’accrut des faits étranges d’une licence effrenée. Cette conclusion est justifiée par la poésie grecque de temps avancés, et y puise une force nouvelle. Par cela même que, dans Hésiode, la descente des dieux sur terre, leurs amours terrestres et leurs actes grossiers acquièrent un relief plus grand, le poète peut se détourner de telles hontes, plus vivement, vers la pensée de ce Zeus pur et sacré qui regarde du haut des cieux pour voir si les hommes pratiquent la justice et s’inquiètent de la divinité. Les chantres et les philosophes d’un âge plus avancé ont bien senti ce contraste. Aux yeux de quelques-uns, la pensée que les dieux doivent être bons semblait une raison suffisante pour ne pas croire toutes ces histoires qui en discréditaient la sainteté ; chez d’autres, pareils contes servaient à réfuter la divinité des dieux, ainsi que dit Euripide : « Si les dieux ne font rien d’inconvenant, c’est alors qu’ils ne sont plus dieux du tout. »

Mais plusieurs chez les anciens demeurèrent satisfaits de savoir que Zeus était un pur nom, à la faveur de quoi il leur fût possible de parler de la divinité, inscrite au fond de notre être ; nom incapable absolument d’en exprimer (comme l’était l’esprit de la concevoir) l’infinie perfection. Zeus (fig. 26) était pour eux le représentant de la divinité. Le nom de Zeus a passé par plus d’une autre forme, car il est dérivé de la même racine que le Fig. 26. — Buste de Zeus.
grec theos et le latin deus, qui tous les deux signifient un dieu ou le Dieu.

À l’histoire de Zeus maintenant, souvent interrompue par d’utiles digressions ! Ce père a pour enfants Apollon et Artémise, dont la mère s’appelait Léto (selon le latin Latone) ; Arès, Hermès et Athéné, qui, avec Poséidon, Héra, Héphaistos, Hestia, Déméter, Aphrodite et Zeus lui-même, formaient le corps divin adoré aux jours de Thucydide comme « les douze dieux » de l’Olympe. Se bien rappeler que plusieurs des déités ne sont pas, dans les poèmes homériques, à beaucoup près si importantes qu’elles le deviendront dans les âges postérieurs, tandis que le caractère d’autres s’amoindrit dans les traditions avec le temps. À ces épopées il faut joindre les chants qui décrivent principalement la naissance et les attributs des dieux ; on les appelle théogonies, les plus connues étant la théogonie d’Hésiode et celle qui reçut son nom d’Orphée.

Les temples, après les livres : les sanctuaires de Zeus les plus célèbres dans l’ancienne Hellas ou la Grèce étaient : le temple bâti sur le Mont-Lycée (mot qui désigne simplement l’éclat) en Arcadie ; celui de Dodone, qui d’abord fut en Thessalie et dans la suite en Épire ; et celui d’Olympie, en Élis, où les grands jeux Olympiques se célébraient à la fin de tous les quatre ans. L’importance mythologique de ces lieux d’adoration, c’est que de plusieurs d’entre eux le dieu tire une appellation nouvelle. Le nombre des surnoms se trouve si grand, qu’il est inutile de les énumérer tous : le Dodonéen ou le Pélasgique, et Zeus Crétois.

Toutefois c’est comme source de l’ordre, de la justice, de la loi et de l’équité que Zeus était le plus communément invoqué, en dehors de toute allusion tirée du culte. Héphestios, il présidait à la vie de famille ; Horkios, il veillait aux contrats, et Xénios protégea les étrangers. Chacune de ces invocations spéciales ne fait qu’exprimer une ou plusieurs de ces belles qualités que l’on sentait bien devoir accompagner la nature, non pas de Zeus, fils de Cronos, mais de la divinité pure, noble et paternelle.

Jupiter. — Jupiter, ce nom qui correspond exactement au Zeus-pater du grec et au Dyaus-pitar de l’hindou, désigne le Dieu suprême ; mais pour les premiers Latins il n’évoquait aucun conte mythique pareil à ceux de la mythologie grecque. Le mot garda du reste pour les Latins sa signification originelle de Ciel ou de firmament visible : on parlait d’être « sous le frais et clair Jupiter » ; et le nom osque Lucerius ou Lucesius (parent de Lycégène, appellation de Phoibos) désigne le firmament brillant et lumineux. Quant au dieu même, on l’invoquait à la faveur de différentes épithètes, suivant le motif qui faisait désirer son aide. Ainsi, en tant qu’appelant la foudre sur la terre, il était Jupiter Élicius ; en tant que donnant la pluie, Jupiter Pluvius ; en tant que protégeant les bornes des territoires ou des propriétés, Jupiter Terminus (le Zeus Horios des Grecs).

J’ai parlé de Cronos à propos de Zeus, de même à propos de Jupiter je parlerai de Saturne. Toutefois ce dieu latin, qu’on a identifié au dieu grec, n’a pas avec lui de trait vraiment commun. Le nom de Saturnus désigne quelqu’un qui sème le grain, répondant ainsi entièrement au Triptolème des Grecs. La femme du dieu, Ops, déesse de la richesse et de la fertilité, a été, sans plus de fondement, identifiée à Rhéa. Saturne passa pour s’être évanoui des régions de la terre après avoir accompli son œuvre ; et l’on crut que le pays du Latium tira ce nom de ce qu’il était le lieu de retraite du dieu. L’origine vraie du mot de Latium n’est pas là : il faut voir en ce pays la contrée des Latins ou Lavini, dont Neebuhr a, dans son Histoire de Rome, identifié le nom avec celui des Daunii et des Danaï, Danaens, qui suivent Agamemnon à Troie.

Zeus.
Triton, fils de Poséidon.



LE POSÉIDON GREC ET LE NEPTUNE LATIN.


Poséidon. — Fils de Cronos et de Rhée, Poséidon est en conséquence frère de Zeus et de Hadès.

Quand fut tirée au sort la souveraineté des cieux, de la terre et des régions souterraines, celle de la mer échut en partage à Poséidon, qui prit un trident pour emblème de son pouvoir. Notez cependant que c’est comme ayant le contrôle des forces qui affectent les mouvements des eaux, plutôt que comme habitant lui-même les eaux, que Poséidon règne sur l’humide élément. Il y a un dieu dont la demeure réelle est la mer : Nérée (fig. 29), qui habite les profondeurs des flots, se trouvant vis-à-vis de Poséidon dans le même rapport qu’Hélios, habitant le soleil, vis-à-vis de Phoibos, seigneur de la lumière. La signification du nom de Poséidon, on ne la connaît pas d’une façon certaine. Mais les légendes offrent plus d’un Fig. 29. — Néréides, bas-relief.
trait propre à jeter quelque clarté sur cette appellation obscure. Poséidon, dans l’Iliade et dans l’Odyssée, est représenté comme égal à Zeus en dignité et inférieur à lui seulement en puissance. Il a le pouvoir de créer, car, suivant une histoire, il est l’auteur du cheval. Il s’appelle Gaiêochos, gardien de la terre, et Énésichos, qui ébranle le monde ; et en dernier lieu il dispute à Héré, Hélios et Athéné, la souveraineté de certaines cités grecques. D’où rien d’invraisemblable que ce nom ait originairement exprimé simplement l’idée de seigneurie ou de pouvoir, et ne soit pas sans quelque attache avec des mots tels que « potentat » et « despote », Héré, femme de Zeus, s’appelant aussi Potnia ou la puissante. Quelle conduite envers Zeus assigne-t-on à Poséidon ? On le représente généralement comme fidèle et soumis au souverain de l’Olympe ; mais une fois il complota (avons-nous dit plus haut), avec Héré et Pallas Athéné, la mise aux fers de Zeus, et fut déjoué par Thétis (fig. 30). Sur l’avertissement de cette dernière, Zeus plaça le Briarée aux cent bras près de son trône, pour effrayer les conspirateurs.

Les légendes de Poséidon diffèrent très-spécialement de celles de Zeus. Lui, Zeus, n’est jamais dépeint comme assujetti à la volonté d’autrui, ou forcé d’achever des Fig. 30. — Thétis, camée.
tâches serviles. Mais on fait bâtir à Poséidon, de concert avec Héraclès, les murs de Troie pour Laomédon ; tout comme Phoibos Apollo est contraint à se faire serviteur dans la maison d’Admète. La récompense promise à Poséidon en échange de ce service est le prix qui, d’ordinaire, manque à ces dieux et à ces héros de qui l’on dit, ainsi que du soleil, qu’ils se donnent du mal pour le bien de l’homme. Laomédon refusa de payer le salaire par lui offert, tout comme Achille eut à se plaindre de n’avoir de la guerre que les peines et point la récompense.

Conséquence de cette trahison : Poséidon fut du côté d’Agamemnon et de Ménélas quand ces guerriers vinrent à Troie tirer vengeance de Pâris. Rappelez-vous (je l’ai dit) à l’honneur de Poséidon qu’il créa le cheval. À Athènes, lors d’une dispute qu’il y eut entre Athéné et lui pour nommer la cité, Zeus décida qu’elle serait nommée d’après la déité qui ferait à l’humanité le plus beau don. Athéné produisit l’olivier, et Poséidon le cheval ; Fig. 31. — Poséidon avec Athéné, médaille.
Fig. 32. — Statue de Poséidon armé Trident.
et la victoire fut adjugée à Athéné, l’olive étant un signe de paix et de prospérité, et le cheval un emblème de guerre et de maux (fig. 31). Mais dans l’Iliade, Achille dit une tout autre histoire : il raconte que Poséidon créa le cheval en Thessalie, et donna les coursiers immortels Xanthos et Balios (le doré et le tacheté) à Pélée, père du héros.

Au nombre des faits qui se rattachent à ce dieu, on cite d’autres rivalités que celle qu’il eut avec Athéné : la légende est qu’il réclama la souveraineté de Corinthe contre Hélios (le soleil), de Naxos contre Dionysos, et d’Ægine contre Zeus lui-même. Trois contestations. Ce qui ressort de tels récits, le voici : originairement Poséidon fut regardé simplement comme régulateur ou roi (fig. 32), et son pouvoir, à mesure que vint le temps, se limita au contrôle de la mer.

La femme de Poséidon était Amphitrite (fig. 33), nom qui ne peut s’expliquer par aucun mot de la langue grecque ; mais dans les vieilles légendes hindoues nous trouvons une déité, Trita, qui règne sur l’air et l’eau. Ce nom Trita, que certains ont rattaché à celui d’Amphitrite, se montre encore visiblement dans Tritopator, une appellation des vents ; et dans Tritogeneia, épithète appliquée à Athéné, aussi bien que dans Triton, fils de Poséidon. Je le rencontre enfin dans les légendes d’un autre peuple que les Grecs et les Fig. 33. — Amphitrite et Poséidon, bas-relief.
Hindous : dans les vieilles histoires perses, le Trita ou Traitana de l’Inde réapparaît comme Thrætana, le tueur du serpent Zohak ; ce monstre répond au dragon Python tué par Phoibos, et à Fafnir tué par Sigurd.

Le palais de Poséidon était situé dans les eaux profondes, près d’Égée, aux rives de l’Eubée ; le dieu gardait là ses chevaux à crinières d’or, répondant aux Harits hindous ou chevaux étincelants du Soleil, qui le mènent avec des bonds puissants sur la mer. Fig. 34. — Buste de Poséidon ou Neptune.

Neptune. — Les Romains d’une époque avancée identifièrent leur Neptune avec le Poséidon grec (fig. 34) ; mais, par son caractère, le mythe latin répond plus particulièrement à Nérée. C’est le dieu qui habite sur les eaux, et son nom se rattache à un certain nombre de mots qui veulent dire se baigner ou nager.



Hadès et Proserpine reçoivent de Hermès les âmes des morts.





L’HADÈS GREC ET LE PLUTON LATIN.


Hadès. — Hadès, comme Poséidon, est fils de Cronos et de Rhée et frère de Zeus. Roi des résidences obscures, sous la terre (car une vieille croyance faisait considérer la terre comme une surface plate) : tel était le grand titre de ce dieu. Son nom exprime du reste cette idée qu’il règne sur les lieux invisibles : on a d’autres formes du mot, telles qu’Aïdès et Aïdonéos, qui paraissent désigner ce qui est invisible ; enfin, le casque que les Cyclopes donnent au dieu a le pouvoir de rendre invisible. Tout cela nous le savons, parce que Persée, à qui l’on voit porter ce casque, se cache aux regards aussi longtemps qu’il l’a sur la tête, et se laisse voir quand il le tient à la main. (Bref, c’est le « bonnet merveilleux » des Nibelungen et de tant de récits d’aïeules.) Femme de Hadès : Perséphone ou Perséphassa, fille de Déméter. La fable est qu’il la saisit, en train de cueillir des fleurs dans les cliamps d’Enna, et l’emporta en sa sombre résidence sur un char traîné par quatre chevaux noirs comme le charbon. Le sombre palais était gardé par les chiens monstrueux Orthros et Cerbère, ce dernier à trois têtes. Remarquez qu’il est fait mention de ces monstres dans les traditions de quelques autres peuples : ils reparaissent comme Vritra et Sarvara, noms appliqués aux puissances de l’ombre dans l’ancienne tradition des Hindous.

Hadès (fig. 36) était connu sous d’autres noms : on l’appelait Plouton, d’où le Pluton latin, soit le gardien de tous ces trésors minéraux de la terre, que surveille Andvari, le nain, dans l’histoire teutonique de Sigurd. Le nom Polygdémon (ou le roi qui « reçoit beaucoup » d’êtres dans sa demeure invisible) lui était encore attribué ; et il n’y a qu’une légère variante de ce nom à celui de Polydecte, roi de Sériphos, qui persécute Danaé, mère de Persée. Le mot, toutefois, arriva à désigner non plus le prince seulement du monde invisible, mais le monde invisible lui-même.

Hadès a été considéré comme le Zeus des séjours inférieurs, et ainsi les trois noms Zeus, Hadès et Poséidon semblent avoir désigné simplement les idées de souveraineté et de pouvoir, avant qu’on les assignât aux dominateurs spéciaux du ciel, de la mer et des séjours inférieurs. Comment se fait-il, me dira-t-on, que Hadès, étant, comme Zeus, fils de Cronos, ne comptât pas au nombre des douze dieux réglementaires de l’Olympe ? Simplement parce que son empire gisait sous terre. On ne connaît pas cette distinction dans les poèmes homériques : il y a le pouvoir d’aller à l’Olympe quand bon lui semble ; et il le fait, blessé par Héraclès. Que de couches superposées de concepts ou d’interprétations nous Fig. 36. — Buste de Hadès ou Pluton.
montre un traité mythologique contenant toute la fable, expliquée et telle qu’elle se présente à nos yeux de modernes !

Pluton. — Simplement un nom grec de Hadès, ainsi que nous venons de le voir dans le chapitre de ce dieu, regardé comme gardien des trésors cachés de la terre ! Une autre appellation lui fut donnée par les Latins ; c’est Dis, qui passa pour une forme plus brève de Dives, riche, mais se rattache probablement à Deus, Divus le Theos grec, et le Dyaus indien. Le nom de la femme de Pluton, Proserpine, dont il a été dit un mot et dont il sera parlé en temps et lieu, n’est qu’une autre forme du grec Perséphone.






LA HÉRÉ GRECQUE OU LA JUNON LATINE.





Héré. — Héré est fille de Cronos et de Rhée ; par suite, une sœur de Zeus et de Poséidon, avant tout la femme de Zeus (fig. 38). Son nom, probablement dérivé de la même racine que celle d’où vient le sanscrit Svar, le ciel brillant, et Surya, le soleil (aussi bien que le grec Hélios), semble avoir, dans l’origine, signifié la couche céleste, épouse de Zeus, qui est, lui, l’éclat céleste.

Les histoirees mythiques viennent à l’appui de cette explication : le sens de celle d’Ixion, spécialement, s’accorde avec le sens de la présente. La déesse apparaît dans les poèmes homériques comme l’épouse de Zeus, révérée par les dieux non moins que son mari, envers qui elle se montre de tout point soumise. Toutefois il y a quelques exceptions à cette grande soumission. Ainsi, en dehors de son opposition à Zeus dans la guerre de Troie, elle participa au complot ourdi, entre Poséidon et Athéné, d’enchaîner le Fig. 38. — Statue de Héré ou Junon.
dieu. Ce qui lui fit prendre parti contre les Troyens, dans la guerre faite par les Achéens au peuple de Troie ou Ilion, est le jugement de Pâris, devant qui Aphrodite et Athéné parurent, avec elle, pour réclamer la pomme d’or offerte à la plus belle des trois. La pomme échut à Aphrodite, et dès lors Héré et Athéné haïrent la cité de Priam.

Les histoires varient tellement à propos du lieu de naissance et relativement au mariage de cette déesse, qu’il est impossible d’en tirer quelque chose ou de les harmoniser. Déité d’une grande importance, au reste, sans qu’aucune légende détermine bien la nature de la fonction remplie par la déesse, la Fable nous montre presque toujours Héré comme la reine du ciel pur. On trouve cette idée manifestée spécialement par la légende d’Ixion (le soleil qui tourne) : ce personnage, après avoir été purifié du crime de sang versé, cherche à gagner l’amour de Héré ; mais il est déçu par Zeus, qui fait prendre à un Fig. 39. — Tête de Héré ou Junon.
nuage la forme de la déesse. Le nombre de ses enfants est certain, trois : Arès, Hébé et Héphaistos.

Junon. — La femme de Jupiter s’appelle Junon (fig. 39), un nom qui répondrait à la forme grecque Zénon, prise au féminin ; mais il n’existe pas d’histoires latines sur la déesse, celles que racontent d’elles des poètes de temps avancés ayant été empruntées au grec. Comme Jupiter, on invoquait Junon sous plusieurs noms : en tant que rein- des cieux, elle était Junon Reine ; présidant au mariage, Junon Jugalis, et gardant l’argent et les trésors, Junon Moneta (cette appellation probablement vient de la même racine que Minerve). Exceptionnellement dans notre étude comparative latine et grecque, Junon et Héré sont la même divinité ! Quoique les mythes latins correspondent le plus souvent de nom seulement avec ceux des Grecs, l’identité est, dans le cas présent, suffisamment prouvée.


LA HESTIA GRECQUE OU LA VESTA LATINE.





Hestia. — Hestia est l’aîné des enfants de Cronos et de Rhée. Sa fonction : déesse du foyer domestique ou plutôt du feu qui brûle sur le foyer. Tous les hommes étaient, selon la vieille coutume païenne, regardés comme ennemis, à moins que, par un pacte spécial, ils ne fussent devenus amis ; et Hestia (fig, 41) présidait spécialement au commerce loyal et vrai qui s’établissait entre eux. La maison est le centre de toute bonne affection, et la déesse du logis était toujours représentée comme pure et non souillée. Hestia livre peu d’elle-même à la légende : ce fait seul, peut-être, que Poséidon chercha à en faire sa femme et qu’elle refusa. À qui demande comment il se fait qu’on ne dise presque rien de Hestia, je répondrai que cela vient uniquement de ce que son nom était un de ces mots qui n’avaient pas perdu leur signification. Hestia continua jusqu’à la fin d’être ce qu’elle avait été dès le commencement : Fig. 41. — Statue de Hestia ou Vesta.
l’autel de la maison, le sanctuaire de la paix et de l’équité, et la source de tout bonheur et de toute richesse.

Son influence se fit peut-être sentir plus profondément et accomplit plus de bien que celle de tout autre personnage de l’Olympe ; l’honneur que lui rendait chacun impliquant des devoirs directs et pratiques. Hestia ne pouvait être servie en rien par des hommes qui tenaient mal la parole engagée ou agissaient traîtreusement à l’égard de ceux qu’ils avaient reçus à leur foyer. Le culte de cette déesse devint la source d’un bien presque sans mélange, à la fois dans les intérieurs et pour l’État ; aussi était-elle honorée par les cités aussi bien que dans la vie privée de la maison ! Chaque ville avait son Prytanéion, où les prytanes, qui sont les anciens, tenaient leurs réunions. On ne souffrait pas que le feu sacré, brûlant sur le foyer public, s’y éteignît jamais. Si parfois il venait à s’éteindre, soit par négligence, soit par accident, le devoir était de le restaurer avec du feu obtenu par le frottement de morceaux de bois entre eux, enflammés quelquefois encore au moyen d’un verre ardent : avec du feu ordinaire, jamais. Quand une cité envoyait de ses hommes établir une colonie, on maintenait le pacte qui unissait cette colonie et la mère patrie à la faveur du feu sacré de Hestia, dont le colon emportait au loin une portion, pour la garder vive à jamais sur la terre nouvelle. Aussi longtemps que le feu continuait à brûler, ce groupe sentait qu’un intérêt commun le rattachait aux citoyens du sol antique et natal. Voyons encore jusqu’où s’élargit la fonction de Hestia, qui n’est point limitée aux âtres de la maison et à la cité, ni même aux bornes de la patrie, car on supposait qu’au centre de la terre il existe un foyer répondant lui-même au foyer placé au centre de l’univers total. La déesse y préside.

Vesta. — La Vesta des Latins semble une déité par son nom, de même que par son caractère, identique à la Hestia grecque. Probablement un vestige de l’héritage commun apporté de là par les ancêtres des tribus grecques et latines, patrie où elles avaient vécu autrefois ensemble. Vesta, pour les Romains, représenta toutefois une déesse d’une bien autre importance que Hestia chez les Grecs. Le feu de son autel était gardé par les vierges Vestales, consacrées à ce seul soin ; on sait que si l’une d’elles venait à le laisser éteindre, elle subissait ce supplice horrible d’être enterrée vivante. Déméter ou Cérès.



LA DÉMETER GRECQUE OU LU CÉRÈS LATINE.


Déméter. — Déméter, fille de Cronos et de Rhée et sœur de Zeus, Poséidon, Hadès, Hestia et Héré, est connue, principalement dans les contes mythiques, comme la mère navrée de la perte de sa fille Perséphoné.

Zeus avait, à l’insu de Déméter, promis à Hadès que Perséphoné serait sa femme. Pendant que la jeune fille était à cueillir des fleurs dans les champs d’Enna, la terre s’ouvrit, et Hadès, apparaissant dans un chariot traîné par des chevaux noirs comme le charbon, emporta l’innocente vers ses sombres demeures (fig. 43). Déméter ne put supporter cette perte ; elle mit une robe couleur de deuil et, refusant toute consolation, erra, une torche à la main, pendant neuf jours et neuf nuits, cherchant sa Fig. 43. — Enlèvement de Perséphone ou Proserphine (bas-relief).
fille, quand elle reçut du secours dans sa poursuite désespérée ! Le dixième jour, en effet, ayant rencontré Hécate, qui ne put lui dire où était la vierge (car cette déité n’avait fait que l’entendre crier lorsque Hadès la ravissait). Déméter alla vers Hélios, lequel voit toutes choses. « Perséphone », ainsi qu’elle l’apprit de lui, « était maintenant reine du sombre royaume de dessous terre ». Cette mère triste et que pareille nouvelle ne satisfit point, refusa de visiter Olympos, et erra par la terre dans la douleur et pleurant son enfant. L’effet de son égarement et de sa colère fut terrible ! Les laboureurs se donnèrent un mal vain : pas une semence ne leva hors du sol, pas une fleur ne se montra sur les arbres, et il sembla que toute chose mortelle dût bientôt mourir. Vaguant devant elle dans cette agonie, elle vint, enfin, à Éleusis et s’assit près d’une fontaine, où elle fut saluée avec bonté par les filles du roi Kéléos, alors que celles-ci s’apprêtaient à tirer de l’eau, et, sur leur prière, élut domicile dans leur maison. Son mal ne se modéra pas. Pendant un séjour d’une année à Éleusis, la terre partagea encore le chagrin de Déméter, et ne donna aucun fruit, Cette mère affligée récompensa du moins les bontés qu’elle reçut dans la maison de Kéléos, et on raconte à ce sujet plus d’une histoire. L’une veut que la déesse ait nourri Démophoon, fils de Kéléos ; l’enfant, par ses soins, devint d’une beauté glorieuse, baigne chaque jour dans le feu pour le rendre immortel. Sa mère, Métanéira, le voyant dans le bain de flammes, cria de peur ; et Déméter lui dit que, sans ses cris, ce fils n’aurait connu ni la vieillesse ni la mort, tandis que maintenant il devait vieillir et mourir comme les autres hommes. Autre conte ou nouvelle version : il paraîtrait que, lors du cri d’alarme que jeta Métanéira, Déméter permit que les flammes consumassent l’enfant Démophoon ; mais qu’en compensation elle donna au frère de la victime, Triptolème, un chariot traîné par des dragons ailés et lui apprît à labourer la terre et à semer le froment. Continuons à suivre la voyageuse dans sa course. La sécheresse terrible et la famine causées par la colère de Déméter convainquirent Zeus que tout mourrait sur terre s’il ne calmait la peine de la déesse. Celle-ci ne voulait entendre aucune prière que sa fille ne lui fût rendue ; et Zeus envoya enfin Hermès, qui revint de chez Hadès avec Perséphone. La rencontre eut lieu à Éleusis et, le chagrin de Déméter changé maintenant Fig. 44. — Statue de Déméter ou Cérès.
en une joie plus profonde encore, la terre et tout ce qui y naît partagea ce contentement : la paix et l’abondance revinrent partout. Perséphone, toutefois, ne resta pas avec Déméter : Hadès avait fait manger à la jeune femme, avant qu’elle fût enlevée par Hermès, quelques pépins de grenade, et elle fut par cela contrainte à retourner aux domaines lugubres du roi. Obligée d’y consentir et ne pouvant pas garder toujours sa fille avec elle, Déméter convint que Perséphone passerait un certain nombre de mois de chaque année (les uns disent quatre, d’autres six) avec Hadès. Souvenir de sa présence à Éleusis : elle ordonna à Kéléos de bâtir un temple de son culte, et initia ce prince, ainsi que le peuple, aux grands mystères éleusiniens qui se célébrèrent régulièrement en son honneur dans ce lieu. Cette légende, pour les gens d’Éleusis, impliquait des événements qu’ils croyaient réellement arrivés dans le pays ; mais l’origine en est tout autre : elle dérive de phrases anciennes, ayant d’abord désigné le retour différent de l’été et de l’hiver.

Qu’est-ce donc que Déméter (fig. 44) ? C’est la terre, qu’on appelait « la mère de toutes choses » et plus particulièrement la mère des « vierges » (Korè) : invocations qui préparaient son fondement à la Fable racontée.

Exemple : les hommes avaient dit autrefois, quand venait l’heure du printemps, que « voici revenir la fille de la Terre dans toute sa beauté » ; et quand se flétrit l’été devant l’hiver, que « la belle enfant avait été dérobée à sa mère par de sombres êtres qui la tenaient prisonnière sous le sol ». Ainsi le chagrin de Déméter n’est autre chose que l’obscurité qui tombe sur la terre pendant les tristes mois de l’hiver. Cette histoire se trouve au nombre des légendes d’autres nations, et présente même beaucoup de variantes, spécialement dans les chants des contrées septentrionales. Perséphone y est une belle vierge qui, pendant que la terre est morte et froide au dehors, gît enveloppée de sommeil et cachée à tous les yeux mortels. Autre ressemblance avec la légende grecque : comme Déméter est la terre, pleine des trésors minéraux et des semences fruitières, l’idée de santé s’attacha à son nom ; et la perte de Perséphone fut la disparition de ces richesses. Ainsi dans les contes norses, les Niflungs (ou les enfants de la brume) cachent les trésors de la terre jusqu’au moment où il leur faut les céder et se soumettre, comme le fait Hadès sur l’ordre de Hermès. Si maintenant nous revenons à ces lieux, Enna et Éleusis, il y a certes une Enna en Sicile et une Éleusis en Attique ; mais l’Enna et l’Éleusis de la légende sont des noms de même sorte que Délos, Lycie et Ortygie, la terre de lumière où naquit Phoibos Apollon. Le mot Éleusis signifie une venue ou une approche ; il s’appliqua naturellement et au retour du printemps et au lieu où l’on pouvait supposer que la mère avait rencontré son enfant.

Cérès. — Voyez dans Cérès un nom qu’on appliquait à la terre, en tant que productrice des fruits : d’où la déesse s’identifiait par cela même à la Déméter grecque. Quelques-uns ont regardé ce mot comme signifiant « celle qui fait » ; d’autres y trouvent seulement une forme du grec Kora ou Korè (la vierge), appellation de Perséphone. Somme toute, il est probablement dérivé de la racine qui donne au sanscrit sarad, automne (v. Sri ou srî, faire cuire, faire mûrir).






L’ATHÉNÉ GRECQUE OU LA MINERVE LATINE.


Athéné. — Athéné est la fille de Zeus, qui surgit toute cuirassée du front de son père, ouvert, selon quelques poètes, par un coup de la hache de Héphaistos. Comment expliquer ce conte étrange ? Par la comparaison du conte grec avec celui de l’Inde qui en donne la forme antérieure, elle nous enseigne qu’Athéné est un nom de l’Aurore, appelée dans les poèmes indiens Ahanâ et Dahanâ. Voici maintenant comment se produit chez la déesse l’acte extraordinaire de surgir du front de son père : Zeus était un nom à la fois du Ciel visible et du Ciel spirituel, et l’on disait que l’Aurore s’élance du front du Ciel, en d’autres mots, de l’Est. Reste la hache de Héphaistos. Cette particularité de l’histoire provient d’une expression disant simplement que la lumière du matin ouvre, c’est-à-dire illumine, la face ou le front obscur du ciel. Tel est le sens d’une fable qui valut à Athéné différents surnoms : on l’appela, dans quelques États grecs, Coryphasia (de Koryphê, tête, et Acria, haut sommet) ; chez les Romains, Capta (de caput, tête) (fig. 48). Quant à l’appellation de Tritogénéia, quelques-uns crurent y voir, que la déesse naquit le troisième jour, de trita, troisième (mais pareil commentaire n’a aucun sens) ; d’autres ont songé au mot Trito, qui dans un dialecte grec voulait dire tête ; il en est enfin pour qui Tritogénéia ne signifie que « née sur les bords du lac libyen Tritônis ou de la rivière Triton ». Toutefois nulle de ces explications n’est suffisante ; Fig. 48. — Athéné ou Minerve (camée).
il existait beaucoup de rivières appelées Triton, et ce fait même nous engage à rechercher ce que signifie le mot Triton. Voyons ! Dans les plus vieux hymnes hindousou sanscrits nous lisons qu’il y a un dieu appelé Trita, qui règne sur les airs et les eaux. Ce Trita est en réalité le même dieu que Dyu ou Zeus, le Ciel ; et Tritogénéia est la fille du ciel, ou en d’autres termes, le matin. Ainsi l’étude d’une étymologie nous apprend combien est ancienne l’origine du mythe d’Athéné. Sa fonction primitive fut d’éveiller les hommes de leur sommeil : de là, à côté du hibou, le coq, l’oiseau du matin, qui lui est consacré. Athéné est aussi la déesse de la sagesse (fig. 49). Car dans les anciennes langues de l’Inde le mot qui signifie « s’éveiller » désigne encore « savoir » ; et l’on prit la déesse, qui faisait s’éveiller les hommes, pour la déesse qui fait que les hommes savent quelque chose. Variantes à la légende d’Athéné : selon quelques-uns, elle est l’enfent, non de Zeus, mais du géant ailé Pallas, ou de Poséidon, ou de Héphaistos. Fig. 49. — Statue de Pallas Athéné on Minerve.
Tandis que plusieurs parlent d’elle enfin comme de celle qui est toujours vierge, d’autres disent qu’Apollon est son fils (fig. 50). Cela vient toujours de source antique : Apollon, parce qu’il suit l’aurore, peut être appelé le fils d’Athéné ; mais si on le considère en tant que s’élançant de Fig. 50. — Statue d’Athéné mère.
la nuit, il est le fils de Léto (appelée à tort, en français, d’après le latin exclusivement : Latone). Athéné vis-à-vis de Zeus se tient généralement sur le pied d’une harmonie et d’une soumission parfaites. Comme chez Héré, il y a des interruptions dans cette attitude : la déesse prit part à la conspiration de Héré précisément et de Poséidon, pour détrôner ou emprisonner Zeus ; et elle aida Prométhée à voler au ciel le feu, contre la volonté du dieu souverain ; par suite d’un amour passionné qu’elle éprouva pour Prométhée, disent les uns ; tandis qu’on la dépeint le plus souvent insensible à pareil sentiment. Tout le long de l’Iliade, Athéné apparaît comme la déesse qui connaît le plus profondément l’esprit de Zeus, et comme le guide et l’aide d’Achille, d’Odyssée (l’Ulysse latin) et d’autres héros. Les légendes qui la montrent agissant selon des motifs indignes ou mauvais sont rares ; mais, dans le conte de Pandore, elle prit part au complot dont le résultat est d’accroître la misère des hommes.

Une cité porte le nom de cette déesse, Athènes, que l’on dit avoir été nommée d’après Athéné, quand celle-ci produisit l’olivier : don meilleur pour l’homme que le cheval créé par Poséidon, qui désirait que la cité s’appelât Poséidonia.

Athéné est représentée comme une beauté aux yeux brillants ou Glaukopis, ayant sur son égide ou manteau la face de la Gorgone Méduse, qui changeait en pierre tous ceux qui y portaient les yeux. Sa figure sereine se trouve reproduite devant le temple célèbre qui lui fut dédié, le Parthénon, situé sur l’Acropole d’Athènes. Cette statue colossale fut faite d’or et d’ivoire par le grand sculpteur Phidias, ami de Périclès, qui vécut au cinquième siècle avant Jésus-Christ.

Minerve. — Athéné n’était point connue des Romains et des Latins sous ce nom, mais la déesse Minerve lui ressemble de si près, que toutes deux peuvent être regardées comme la même déité. Différence entre Athéné et Minerve : l’idée de la déité latine est bien plus élevée que celle de la grecque. Tandis que le nom d’Athéné comporte simplement une notion de splendeur extérieure, et non pas mentale, celui de Minerve, comme le latin mens, le grec menos, indique la « pensée » ou la « sagesse » ; il se rattache, à vrai dire, aussi au latin mane, le matin, et matuta, l’aurore. Antérieurement, dès les hymnes védiques, on parle de l’Aurore qui éveille chaque mort et le fait marcher, et reçoit les louanges de tout « penseur ». Comme telle, c’est strictement parlant la Moneta, nom que les Latins donnaient à Junon.






L’ARÈS GREC ET LE MARS LATIN.


Arès. — Arès, fils, selon certains contes, de Zeus et de Héré, est le dieu du bruit et du tumulte des combats, plutôt que de la guerre elle-même, à moins qu’on ne regarde la guerre simplement comme le désir de combattre, car il n’entre pas d’idée plus haute dans la notion générale d’Arès. Ce dieu change capricieusement de camp, et prend même plaisir à infester les hommes de maux et d’épidémies. La figure d’Arès ne nous apparaît pas d’une vraie hauteur dans la tradition grecque ; non : Arès a fréquemment le dessous et, quand il est blessé, sa clameur est aussi vaste que celle de neuf ou dix mille guerriers. Sa stature physique est donc énorme, et il possède une grande dimension corporelle : abattu sur le champ de bataille, son corps couvre, dit-on, de nombreux arpents de terrain (fig. 54).

Étudions comme toujours le nom du dieu : il vient de la même racine que le mot latin Mars et que les Maruts de la mythologie indienne, et signifie « moudre » ou « écraser ». À quoi ce nom s’appliqua-t-il d’abord ? Aux orages qui jettent la confusion dans les cieux et la terre ; et c’est de là que l’idée d’Arès se limite au simple désordre et au tumulte. Le nom d’Arès est principalement lié au nom d’une déesse, Aphrodite, de qui l’on dit qu’il Fig. 54. — Statues d’Arès ou Mars.
obtint l’amour (fig. 55). Mais celle-ci semblant favoriser Adonis, jaloux, il se changea, selon quelques versions, en un sanglier qui meurtrit le malheureux jeune homme. Un tribunal à Athènes portait le nom d’Arès : celui de l’Aréopage, parce qu’il était bâti sur la colline elle-même qui portait le nom de ce dieu (fig. 56). La légende veut en effet qu’Arès, meurtrier de Halirrhothios, fils de Poséidon, ait été accusé par ce dernier devant les dieux olympiens. Le guerrier céleste se vit acquitté, et le tribunal reçut son nom. Fig. 55. — Mars et Vénus.


Mars. — Mars, lui, est le dieu latin de la guerre ; mais bien qu’on l’identifie avec l’Arès grec et bien que le nom appartienne à la même racine, l’idée du Mars latin est de beaucoup la plus noble et la plus haute en dignité. Détails : les Osques et les Sabins l’appelaient Mamers, et la forme romaine de Mars est une contraction de Mavors ou Mavers. Une légende a trait à ce dieu : on parle de lui comme du père de Romulus et de Rémuss, fils jumeaux de la vestale Ilia ; mais ne voyez là que deux noms qui sont des formes différentes du même mot. Les fables relatives à ces frères illustres s’accordent particulièrement avec celles qu’on Fig. 56. — Buste d’Arès ou Mars.
raconte d’Œdipe, de Télèphe et d’autres héros. Quoi ! Romulus et Rémus n’auraient point existé réellement. Nous n’avons aucune raison de penser qu’il y ait dans leur fait quoi que ce soit d’historique : c’est simplement l’Éponyme de Rome ; en d’autres termes, un être, double ici, inventé pour justifier le nom d’une cité, tout comme Pélasge, Lélex, Sparte, Orchomène et une légion d’autres, le furent par les Grecs. Semblable à Héraclès et à d’autres héros, ce couple s’évanouit dans le tonnerre et les éclairs de l’orage, et pour cela, dit-on, il fut adoré sous le nom de Quirinus.

Mars pacifique (camée).



L’APHRODITE GRECQUE ET LA VÉNUS LATINE.
(Grec : Aphroditè.)


Aphrodite [22]. — On dit qu’elle jaillit de la brillante écume de la mer, et fut, en conséquence, appelée Aphrodite (aphros, mousse) et Anadyomène (celle qui se lève). Toutefois une autre naissance, plus humaine, lui a été assignée : selon certains contes, elle était l’enfant d’Ouranos (les cieux) et de Héméra (le jour) ; mais dans l’Iliade on l’appelle la fille de Zeus et de Dioné. Qu’est-elle originairement ? Un nom de l’aurore, qui se lève de la mer, à l’Est ; et comme l’aurore est le plus charmant spectacle de la nature, Aphrodite devint naturellement pour les Grecs la déesse de la beauté et de l’amour. Rien là qui ne s’accorde avec les légendes d’autres pays ; car dans les plus vieux hymnes védiques des Hindous, le matin s’appelle Duhitâ Divah, la fille de Dyaus, exactement comme Aphrodite est la fille de Zeus. Un autre nom désigne aussi l’heure du matin dans ces hymnes : Arjunô, la « brillante » ou l’ « étincelante », qui se retrouve dans la mythologie grecque sous la forme d’Argynnis, ayant trait à une jeune femme aimée d’Agamemnon. Nouvelle histoire produite simplement parce qu’on avait oublié la signification réelle du Fig. 60 et 61. — Triomphe d’Éros.
nom de cette Argynnis, et qu’on s’était souvenu seulement de la notion de sa beauté. Argynnis fut donc vis-à-vis d’Agamemnon, ce qu’était Hélène vis-à-vis de Ménélas. Revenons à Aphrodite. Les Horaï, ou les Heures latines, et, plus spécialement, les Charites, ou les Grâces latines, formaient sa suite charmante. Ces Charites on les retrouve dans d’autres légendes que les grecques : dans les hymnes védiques il est parlé d’elles comme des Harits, chevaux de l’Aurore. Harit, ce nom signifie l’éclat luisant que prend un corps oint de graisse ou d’huile : d’où l’idée de splendeur. Très-étrangement, il se trouva que les chevaux de l’Aurore devinrent, dans l’esprit des Grecs, les suivantes aimables d’Aphrodite. Quant à la déesse elle-même, voici quelques-uns de ses autres noms : Énolia et Pontia, signifiant l’un et l’autre qu’elle appartenait à la mer ; puis Urania et Pandémos, ou la déesse de l’amour pur aussi bien que sensuel. Ainsi le charme du matin suggéra l’idée de tendresse et d’amour, qui passa par mille formes, selon l’âme des nations auxquelles arrivèrent ces traditions. Le culte d’Aphrodite était général (fig. 62, 63, 64) ; on le trouve partout ; mais ses temples les plus célèbres s’élevaient à Cythère et à Cypre, à Gnide, Paphos et Corinthe, Divinité grecque, elle se rattache au conte de Troie. À la fête donnée pour les noces de Thétis et de Pélée, Éris (la dispute) jeta une pomme d’or, offerte à la plus charmante des déesses. Le prix fut réclamé par Héré, Athéné et Aphrodite ; et Zeus décréta que le juge serait Pâris, fils de Priam. Pâris donna la pomme à Aphrodite, qui lui suggéra la tentation d’enlever Hélène à Sparte ; et cette insulte faite à Ménélas, le mari d’Hélène, causa la guerre de Troie. Cette scène, esquissée déjà dans l’histoire d’Athéné, s’appelle, dans la Mythologie, le Jugement de Pâris. Si nous continuons à étudier Aphrodite dans les poèmes homériques, nous l’y voyons femme d’Héphaïstos ; ceci ayant pour signification ancienne que l’aurore est l’épousée de la lumière. La déesse eut de nombreux adorateurs et des enfants nombreux, dont les noms, dans la plupart des cas, s’expliquent d’eux-mêmes. Comme se levant de Fig. 62. Aphrodite ou Vénus.
Fig. 63. Vénus Anadyomène.
Fig. 64. Aphrodite ou Vénus.
la mer, elle se vit aimée de Poséidon, et d’Arès comme suscitant un tumulte passionné dans le cœur ; et fut la mère de Déimos, Harmonia et Éros (la Peur, l’Harmonie et l’Amour), Bien des contes circulent à son sujet : on dit qu’elle agréa Anchise et donna le jour à Énée, l’ancêtre de Romulus ; mais peut-être voit-on plus particulièrement en elle celle qui aima Adonis, Le nom de ce dernier personnage n’appartient pas à la mythologie grecque : c’est un mot syrien ou hébraïque, signifiant Seigneur, quoique le dieu fût adoré en Syrie sous l’invocation de Tammuz [23]. Voici l’histoire d’Adonis. Sa grande beauté charma Aphrodite, mais il ne paya pas cette passion de retour ; et au printemps encore de son adolescence, l’éphèbe mourut déchiré par un sanglier sauvage [24]. Ce conte ressemble à un grand nombre d’autres, où le héros meurt jeune, est blessé par les défenses d’une bête, par la lance, par une épine, une flèche. Ainsi dans la fable perse, Isfendiyar périt d’une épine que Rustem lui enfonce en l’œil ; et dans la légende norse, Sigurd est percé par une lance, comme dans la légende grecque, Pâris, par les flèches empoisonnées d’Hercule. Une signification bien connue de nous déjà se cache sous le conte d’Aphrodite et d’Adonis, n’est-ce pas ? Aphrodite pleurant Adonis, c’est le chagrin de Déméter, lors de la perte de Perséphone [25].

La terre, dans le dernier cas, est en deuil du départ de l’été ; dans le premier, l’aurore ou le crépuscule se désole de la mort du trop bref soleil. Toutefois des fables relatives à Aphrodite ne se dégage pas une idée qu’incarne pleinement la déesse : on la représente en effet de façons multiples, quelquefois pure, parfois douce et aimante, d’autres fois forte et véhémente, tantôt indolente et distraite, et tantôt respirant la victoire. Aux temples de Sparte, elle apparaissait comme une déesse conquérante et revêtue d’une armure, juste comme les derniers poètes dirent Éros (l’Amour) (fig. 60 et 61) invincible dans la bataille.

Vénus. — Vénus est la déesse latine de la beauté et de l’amour, sur le compte de laquelle on mit toutes les histoires relatives à l’Aphrodite grecque. Cette dernière passant pour mère d’Énée, ancêtre de Romulus, on supposa que Vénus était la protectrice spéciale de l’État de Rome.

Le nom dérive d’une racine qui signifie « faveur », trouvée dans le mot latin venia, grâce ou pardon, aussi bien que dans notre mot vénéré. La Vénus latine ne représente donc pas autre chose qu’une simple appellation ; ses adorateurs peuvent l’invoquer tour à tour en tant que Vénus, Myrta, Cloacina ou Purificatrix, Barbata, Militaris, Equestris, etc. [26]

Amour dompteur.



L’HÉPHAISTOS GREC OU LE VULCAIN LATIN.





Héphaistos. — Ce dieu nous apparaît comme l’artisan qui forge des armes irrésistibles, mais est laid et boiteux (fig. 67). Pourquoi ? Parce que Héphaistos est strictement « l’éclat de la flamme » ; et comme la flamme provient d’une petite étincelle, on représenta le dieu chétif et difforme à sa naissance, mais fort et puissant, une fois grand. La légende est belle. Fils de Zeus et de Héré, voilà l’enfant ; et quelquefois de Héré seulement. Sa laideur déplut tant à sa mère, qu’elle pensa le rejeter de l’Olympe ; et c’est plus tard, quand il prit le parti de la déesse dans une querelle, que Zeus le précipita du ciel. Il tomba, blessé et estropié, à Lemnos, où les Sintiens le traitèrent avec bonté. Tout en forgeant, il resta le porte-coupe des dieux, et il faisait des cuirasses et des armes. Quand Hector eut dépouillé de l’armure d’Achille le corps de Patrocle, Héphaïstos, à la prière de Thétis, fit un nouvel habit de guerre, brillant comme un soleil et Fig. 67. — Statue d’Héphaïstos ou Vulcain.
ravissant le héros comme le ferait l’aile d’un oiseau. Cent œuvres d’art nous montrent, épouse du rude forgeron, Aphrodite elle-même ; mais certaines légendes donnent ce titre à Charis, et d’autres à Aglaïa ; trois leçons voulant dire une seule et même chose, à savoir que la flamme du feu est apparentée à l’éclat de la lumière du soleil.

Héphaistos se retrouve dans des traditions étrangères à celles des Grecs, mais point sous ce nom. Des Latins et Fig. 68. — Buste de Vulcain.
des Romains d’époque avancée, il était connu en tant que Vulcain (fig. 68). Dans les poèmes védiques il s’appelle Agni, le même mot qu’en latin Ignis, le feu. Les Latins semblent, dans cette légende et dans d’autres, avoir emprunté un grand nombre de notions grecques ; mais les poètes hindous insistaient plutôt sur la force de la flamme nouvellement allumée que sur son aspect chétif. Au lieu de dire, comme nous, que le feu brûle et que le bois fume, je les entends chanter : « Hennissant d’ardeur à se nourrir, il s’avance hors de sa forte prison ; puis le vent, après cette explosion, souffle, et le sentier d’Agni (le feu) est tout de suite obscur. » La même idée se rencontre dans la mythologie du nord de l’Europe.

Rappelez-vous l’histoire de Sigurd, qui est l’Achille ou le Persée des légendes norses ; Régin, l’artisan de Hialprek, roi de Danemark, répond exactement à Héphaistos, et, pareil à lui, forge des armes auxquelles nul ennemi ne peut résister.

Vulcain. — Vulcain est donc le dieu latin du feu, qu’on identifiait avec l’Héphaistos grec. Aussi le dit-on l’époux de Vénus, nom apparenté au vieux mot sanscrit ulkâ, un « brandon de feu », un « météore ».

Vulcain.



PHOÏBOS OU PHŒBUS APOLLON, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Phoïbos-Apollon.)


Ce mythe est un fils de Zeus et de Léto (la Latone latine) nommé ainsi : Phoïbos ou Phœbus, comme étant le dieu de la lumière, et Apollon, à cause du sens de « destructeur » que plusieurs donnent à ce mot, les rayons du soleil pouvant, après l’avoir développée, détruire la vie des animaux et des plantes. Phoïbos ou Phœbus n’est donc qu’un nom du soleil, rien de plus d’abord ; mais à des époques postérieures on regarda le dieu comme celui de la lumière, et il ne fut pas confiné à son habitacle, le soleil. (Cette situation solaire, on la réserve spécialement à Hélios (fig. 73), qui demeure vis-à-vis de Phœbus dans la situation de Nérée vis-à-vis de Poséidon.) Et Phoïbos, le mythe ici vivant et point le simple nom, est fils de Zeus, parce que le soleil, comme Athéné ou l’aurore, s’élance, le matin, du ciel ; et fils de Léto, parce qu’on peut regarder la nuit, qui en précède le lever, comme la mère de cet astre. Le nom de Léto ou Latone reparaît, du reste, sous quelque autre forme. C’est le même mot que Léthé, le fleuve qui faisait oublier aux hommes le passé, et Latmos, la terre des ombres, dans laquelle dort Endymion. La même racine se montre aussi dans le nom de Léda, la mère des jumeaux Dioscures. Un beau conte, celui de la naissance du dieu : écoutez. Létô (ou Latone), par mainte terre, cherchait en vain un lieu de repos (fig. 74) ; elle vint à Délos et dit que, si elle y pouvait trouver abri, l’endroit deviendrait glorieux comme lieu de naissance de Phoïbos ou Phœbus ; Fig. 73. — Quadrige d’Hélios (bas-relief).
les hommes arriveraient des différents pays, enrichissant de leurs présents son temple sacré. C’est donc là que naquit Phoïbos ou Phœbus ; et, à sa naissance, rit la terre et sourirent les cieux. Délos, quoique de soi terre dure et pierreuse, se couvrit de fleurs d’or. Les nymphes enveloppèrent l’enfant d’une robe sans tache et Thémis le nourrit de nectar et d’ambroisie ; il prit en mains la harpe et proclama sa fonction, qui est de dire aux hommes la volonté de Zeus. Tout cela parce que Délos signifie « la terre brillante ». Cependant toutes les légendes ne s’accordent pas à dire le dieu né à Délos : non ; il s’appelle Lukègénès, comme étant né en Lycie ; et, par quelques versions, Ortygie est mentionnée comme le lieu de naissance à la fois de Phoïbos et de sa sœur Arlémis. Où sont la Lycie et Ortygie ? Il y avait une Lycie en Asie, et une Ortygie près d’Éphèse, aussi bien qu’en Sicile ; mais il faut chercher la Lycie et l’Ortygie de ces légendes dans le beau pays des nuages. Sachons la signification de Fig. 74. — Latona ou Léto et ses enfants Apollon et Artémis (bas-relief).
ces noms. Lycia est un mot qui, comme Délos, signifie la terre de lumière, et reparaît dans les mots latins lux, la lumière, luceo, je brille, et Lucna ou Luna, la lune. Ortygia est la terre de la caille, que l’on dit être le premier oiseau du printemps : la terre de la caille devint un des noms de l’Est, où le soleil se lève. Je continue. Un changement se fit bientôt après la naissance de Phoïbos. L’enfant fut emmailloté d’abord dans des bandelettes d’or, ce qui désigne la douce et aimable lumière du soleil nouvellement levé ; mais voici qu’il devint le Chrysaor, ou dieu à l’épée d’or, et son carquois se remplit de flèches qui ne manquent jamais leur but. Armes irrésistibles que celles-là, données à des dieux multiples : Persée, Thésée, Bellérophon, Héraclès, Philoctète, Achille, Odyssée (l’Ulysse latin), Méléagre, Sigurd, Rustem, à beaucoup d’autres, Phoïbos ou Phœbus ne resta pas longtemps à Délos : il quitta bientôt cette terre pour faire route vers l’Ouest, vers Pytho ou Delphes. Vous comprenez ? C’est parce que le soleil ne peut pas s’attarder dans l’Est quand il s’est levé. Oui, et c’est pourquoi les poètes ont dit comment Apollon alla de terre en terre, et comment il aimait les grandes falaises et tout promontoire saillant, ainsi que les fleuves qui hâtent leur course vers la vaste mer : quoique le dieu revînt avec un charme toujours nouveau à sa Délos natale, de même que le soleil reparaît de matin en matin, glorieux comme toujours, à l’Est. Plusieurs incidents marquent le voyage d’Apollon vers le Python occidental. Il vint, passant par des terres nombreuses, à la fontaine de Telphusa, où il voulut se construire une demeure ; mais Telphusa dit que sa vaste plaine ne pouvait lui donner un asile paisible, et le força à continuer son voyage vers la terre plus favorisée de Crisa. Phoïbos continua son voyage, et arrivé à Crisa, se bâtit un temple au pied du mont Parnasse ; il y tua le Python qui gardait Typhaon, l’enfant d’Héré. Quel est ce Python ? Le grand dragon ou serpent qui paraît dans toutes les légendes solaires. C’est le Vitra du conte indien, l’Échidna dans l’histoire d’Hercule, le Sphinx dans celle d’Œdlpe, et le dragon Fafnir de la bruyère étincelante qu’on voit au conte de Sigurd. Telle est la légende ; mais revenons au temple que l’on dit avoir été élevé par Phoïbos, à Delphes. Chacun sait qu’il devint célèbre en des temps postérieurs : le plus grand de tous les oracles de Grèce y résidait, et sa renommée s’étendait par tous les pays. Quand Xerxès envahit la Grèce, les armées qu’envoya ce prince pour piller le sanctuaire de Delphes auraient été écrasées par Phoïbos-Apollon, qui précipita dessus plusieurs grands rochers arrachés au sommet même du Parnasse. Les prêtres de ce temple passent pour des Crétois, dont Apollon guida, sous la forme d’un dauphin étincelant, le vaisseau autour du Péloponèse et vers le rivage de Crisa ; puis le dieu sortit de la mer comme une étoile, et remplit les cieux de la splendeur de sa gloire. Le feu immortel allumé par lui sur son autel, il enseigna aux Crétois les rites sacrés d’un culte, enjoignant aux habitants de se comporter avec loyauté et droiture à l’égard de tous ceux qui viendraient, chargés d’offrandes, à son sanctuaire.

La légende de Phoïbos ou Phœbus est multiple ; on dit notamment qu’il fut épris de Daphné, et que celle-ci, pour échapper à sa poursuite, plongea dans les eaux du Pénée, son père. Signification de ce conte : Phoïbos, comme dieu-soleil, est un amant de l’Aurore, appelée de façons variées : Ahanâ, Dahanâ, Athéné et Daphné. L’évanouissement de Daphné dans le courant est la disparition d’Eurydice, quand Orphée se retourne trop tôt pour la regarder. Voici une autre histoire du même genre : Apollon obtint l’amour de Coronis, devenue mère d’Asclépios (l’Esculape latin) et l’abandonna, comme Héraclès quitte Iole, et Pâris et Sigurd délaissent Œnone et Brunehilde. Ces abandons, vous savez comment il faut les expliquer : le soleil, qui ne peut s’attarder dans son voyage, paraît oublier l’aurore aimable et belle pour le brillant et fastueux midi, et tous les dieux et les héros, dont les noms furent d’abord simplement des noms du Fig. 75. — Triple Hécata.
soleil, se présentent à nous comme délaissant celle à qui ils avaient donné leur foi première.

Autant qu’Héraclès, Persée et Bellérophon, Apollon est forcé de se donner du mal pour d’autres, sans obtenir de récompense (c’est toujours pour les enfants des hommes) : ainsi il doit servir, pendant une année, dans la maison du roi Admète. Détail particulier enfin à cette légende : le dieu est regardé comme le père d’Asclépios ou d’Esculape, parce que la chaleur du soleil peut nous préserver de maladies ou amoindrir peine et souffrance, aussi bien qu’infliger ces maux.

Maintenant on connaît Apollon sous maints autres noms, notamment Hécatos et Hécaèrgos, dénominations qui signifient l’action des rayons du soleil à distance du soleil lui-même. Hécate (fig. 75), la lune, autre déité de ce nom, répond à Hécatos, juste comme Téléphassa répond à Téléphos. Les qualités du dieu sont nombreuses : Fig. 76. — Statue d’Apollon joueur da Lyre.
il est le maître des prophéties et de la sagesse. Les rayons de Hélios pénètrent, en effet, l’espace et épient toute chose cachée, bientôt mise par eux au grand jour ; aussi l’idée de savoir s’allia de bonne heure au nom du dieu-soleil. Apollon passa encore pour lire en l’esprit de Zeus plus intimement qu’aucun dieu ; et quoiqu’il puisse vous faire part de maints secrets, il en existe certains qu’il ne doit jamais révéler. Ne l’appelle-t-on pas aussi le dieu du chant et de la musique ? sang doute (fig. 76) ; mais la leçon la plus primitive de la légende veut qu’il ait acquis ces dons d’Hermès, à qui ils appartenaient par droit de naissance.

Le culte d’Apollon fut en Grèce de tous le plus largement répandu, et eut la plus grande influence sur la formation du caractère grec. Le Conseil des Amphictions, la grande association religieuse des Grecs, tint ses réunions à l’ombre du temple du dieu, dans la ville de Delphes ; et l’on dit des réponses données par les prêtresses delphiennes, qu’elles ont plus d’une fois changé le cours de l’histoire grecque.

Apollon ou Phœbus-Apollon n’est pas un dieu latin. Ce nom est emprunté aux Grecs et tout ce qu’on rapporté du personnage est grec également. Rappelons-nous que le nom de sa mère Latone n’est qu’une forme latine du grec Léto, lequel, à son tour, est simplement une forme du nom de Léda, la mère des deux Dioscures. L’idée du dieu de la lumière est exprimée par le mot Lucérios ou Lucessius, le vieux nom osque de Jupiter.






PHAÉTON, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Phaéton.)





Phaéton est un fils d’Hélios et de Clymène. Hélios, ce mot a la même origine que le latin Sol et est un nom du soleil, le mythe se tenant vis-à-vis de Phoïbos dans le même rapport que Nérée, de Poséidon. Quant au personnage, on le représente vivant dans un palais d’or, conduisant journellement à travers les cieux son char traîné par des chevaux resplendissants (fig. 78) ; et ayant des troupeaux vastes de gros bétail, qui ne sont autres que les nuages brillants que Hermès mène par le firmament. Aux temps postérieurs, quand la signification d’anciennes paroles était partiellement oubliée, on supposait que c’étaient des vaches nourries dans l’île de Trinacrie. Il ne se présente que peu de cas où la signification d’un conte mythologique soit plus claire ; car ces vaches sont dirigées quotidiennement vers leurs pâturages par Phaétuse et Lampétie, les filles « brillantes » et « étincelantes » de Nérée, la première aube. Vous rappelez-vous, dans l’Odyssée, que des compagnons du héros tuèrent et mangèrent quelques bêtes de ces troupeaux ? Pour les punir, Hélios les fit mourir. La vénération avec laquelle le poète homérique parle de ces vaches n’indique pas, toutefois, que les compatriotes du rhapsode se livrassent à l’adoration d’animaux, mais seulement qu’il fallait regarder le bétail du soleil paissant notre terre comme chose Fig. 78. — Phaéton.
que ne doit profaner un contact vulgaire. Voyez là un reste de l’origine symbolique : dans les premiers poèmes hindous, les chevaux d’Hélios sont les Harits, que la Grèce changea en de belles femmes appelées Charites, les Grâces latines.

Tous ces détails élucidés, arrivons à l’histoire de Phaéton.

On dit que, dans un instant de malheur, il demanda à son père de le laisser conduire son char une seule journée. Hélios, bien à contre-cœur, lui permit de prendre les rênes. Après s’être un peu élevés dans les cieux, les chevaux, conscients de la faiblesse de leur cocher, plongèrent sur terre ; et le sol, avec tous ses fruits, ses cours d’eau, sa verdure, fut desséché et brûlé. Zeus, voyant cela et comprenant que, si rien n’arrêtait cette course, toute vie ici-bas périrait bientôt, frappa Phaéton de sa foudre ; et les filles d’Hespéros lui bâtirent un sépulcre au rivage où il était tombé. Si vous voulez étudier cette légende, demandez-vous d’abord ce que signifie le nom de Phaéton : or il veut dire l’éclatant ou le brillant, et répond à Phaétusa, comme Téléphos à Téléphassa. Phaéton, en effet, possède une partie de l’éclat de son père, toutefois sans le même pouvoir, et, sous ce rapport, ressemble à tel autre héros. L’analogie qu’il présente, c’est avec Patrocle, que l’Iliade peint vêtu de l’armure d’Achille et monté sur son char, traîné aussi par des chevaux immortels du nom de Xanthos et Balios, le « doré » et le « tacheté ». Patrocle, comme Phaéton, reçoit des instructions auxquelles il néglige d’obéir, et, comme Phaéton, il est exterminé. Dans l’Odyssée, Télémaque est à Ulysse ce que Patrocle, dans l’Iliade, est à Achille, et ce qu’est Phaéton à Hélios.

Origine, enfin, de toute cette histoire : elle est issue de phrases qui parlaient de la sécheresse causée par le char d’Hélios, si quelqu’un le mène qui ne sait pas guider les chevaux du dieu ; et Phaéton frappé par les tonnerres de Zeus, c’est le temps de la sécheresse finissant par un orage survenant à l’improviste.






L’ARTÉMIS GRECQUE OU LA DIANE LATINE.


Artémis. — Artémis est la sœur de Phoïbos-Apollon, selon quelques légendes la sœur jumelle, tandis que, d’après d’autres, elle naquit avant lui. Possédant presque tous les pouvoirs de son frère et en montrant toutes les qualités, c’est ainsi qu’on la dépeint : comme lui, elle guérit des maladies et envoie les fléaux et, comme lui, darde des flèches qui ne manquent jamais leur but (fig. 82).

Mille impressions poétiques, qui se résument toutes en celle d’une pureté farouche convenant à une habitante des bois sacrés, environnent cette figure (fig. 83), dont la mythologie récente a fait la patronne de la chasse.

À proprement parler, Artémis n’a pas d’histoire mythique, bien qu’elle soit mêlée à beaucoup de ce qui arrive aux autres dieux. Ainsi elle donne à Procris son levrier avec sa lance irrésistible et guérit Énée, blessé dans la guerre de Troie. C’est elle encore qui envoie le sanglier de Calydon en retour d’un affront qui lui est fait ; et, pour un motif semblable, insiste sur le sacrifice d’Iphigénie, fille d’Agamemnon. La particularité qui se dégage de ces contes, la voici : Atalante, la vierge qui frappe la première le sanglier de Calydon, est un dédoublement de la vierge déesse elle-même ; Iphigénie, enfin, sauvée du jugement Fig. 82. — Statue d’Artémis ou Diane chasseresse.
d’Artémis, devint la prêtresse de l’un de ses temples, et fut, dans quelques lieux, adorée pour elle.

Le lieu de naissance d’Artémis est Délos, dans quelques histoires ; dans d’autres, Ortygie, noms qui entrent dans la légende de Phoïbos. Quant à l’idée qui s’attacha au Fig. 83. — Char d’Artémis ou Diane (bas-relief).
Fig. 84. — Diane.
Fig. 85. — Janus (camée).
nom d’Artémis, elle n’a point été partout la même. L’Artémis grecque, par exemple, diffère de celle présentée par l’Artémis éphésienne, autant que l’Adonis syrien diffère de l’Achille grec.

Diane. — Qu’est-ce que Diane ? La forme féminine du nom Dianus, ou Janus, qui, à son tour, est apparenté à Juno : elle vient du grec Zeus et du sanscrit Dyaus, le ciel. On l’identifia avec l’Artémis grecque, et c’est pourquoi on l’appela en latin sœur d’Apollon, Janus ou Dianus, lui, fut représenté par les Romains avec deux visages, regardant de deux côtés différents (fig. 85) — interprétation issue de ce que le peuple confondit à tort ce mot avec dis, duo, deux, dénotant : divisions. Qui ne sait qu’on tenait la porte de Janus, à Rome, ouverte en temps de guerre et fermée en temps de paix, et qu’elle ne fut fermée que six fois dans l’espace de huit cents ans ?

Statue d’Artémis ou Diane.



L’HERMÈS GREC ET LE MERCURE LATIN.


Hermès. — Hermès, fils de Zeus et de Maïa (fig. 89), naquit de grand matin, dans une caverne de la colline Cyllénienne, et sommeilla paisiblement dans son berceau pendant deux ou trois heures. Sortant de la caverne, il trouva une tortue, la tua et de son écaille se fit une lyre, en fixant transversalement les cordes prises aux entrailles d’un mouton.

Son premier exploit, quand il eut fait sa lyre, fut d’aller, à l’heure où se couchait le soleil, aux collines pierriennes ; là paissait le troupeau de Phoïbos et il se prépara à emmener les bêtes à Cyllène, Craignant que leurs traces sur le sable ne trahissent son rapt, il les conduisit par des sentiers tortueux, de façon à ce qu’elles parussent retourner vaguement au lieu d’où il les ravissait ; ses propres pas, il les couvrit de feuilles de myrte et de tamaris. Un jour, rencontrant un pauvre vieillard travaillant dans une vigne près d’Onchestos, ce malin lui chuchota à l’oreille l’avertissement « de prendre garde de trop se rappeler ce qu’il venait de voir ». Hermès atteignit, quand se montra l’aube suivante, le fleuve Alphée ; et là, réunissant des morceaux de bois, il les frotta jusqu’à ce qu’une flamme éclatât. Ce fut le premier feu allumé sur terre, et c’est pourquoi on appelle le dieu « celui qui donna le feu aux mortels ». Le jeune voyageur prit ensuite deux des bêtes du troupeau et coupa leur viande en douze parts, mais ne mangea pas cette chair rôtie, bien que pressé cruellement Fig. 89. — Statue de Hermès.
par la faim. Il éteignit le feu, foula de toute sa force les cendres et, se hâtant vers Cyllène, pénétra dans la caverne par le trou de la serrure, doucement et légèrement ainsi qu’une brise d’été. Il se coucha comme un petit enfant, jouant d’une main avec ses drapeaux, pendant que sa droite y tenait cachée la lyre d’écaille. Le vol fut découvert. Phoïbos, quand vint à poindre le matin, arrivant à Onchestos, vit qu’on lui avait volé ses troupeaux ; retrouvant à son tour le vieillard à l’ouvrage dans sa vigne, il lui demanda s’il savait qui les avait pris : mais celui-ci se rappela l’avertissement d’Hermès, et ne put se remémorer autre chose, sinon qu’il avait vu le bétail en marche et un petit enfant à côté. Que fait Phoïbos entendant cela ? drapé d’une brume de pourpre, il va vers le beau Pylos, sur les traces confuses du bétail qu’il suivit à la caverne de Maïa. En y entrant, il aperçoit l’enfant Hermès endormi ; et, l’éveillant rudement, demande le bétail. L’enfant plaide son jeune âge. Un enfant d’un jour ne peut voler un troupeau ni même savoir ce que c’est que des vaches. Hermès, en faisant cette réponse, cligna malicieusement de l’œil et fit entendre un rire pareil à un doux et long sifflement, tout comme si les paroles de Phoïbos l’avaient puissamment amusé. Phoïbos n’accepta pas cette excuse, il saisit l’enfant dans ses bras ; mais Hermès fit un si grand vacarme, qu’il le laissa vivement choir. Phoïbos voyant dans ce fait un signe qu’il retrouverait ses vaches, dit à Hermès d’ouvrir la marche. Hermès, se levant de peur, tira les drapeaux par dessus ses oreilles, et reprocha à Apollon sa dureté. « Je ne sais rien d’une vache, dit-il, que son nom. Zeus doit, dans cette querelle, décider entre nous. » Voici le jugement de Zeus. Quand le dieu souverain eut entendu la plainte d’Apollon et écouté Hermès, lequel, clignant toujours des yeux et haussant les draps à ses épaules, protestait qu’il ne savait point faire un mensonge, et ne savait que jouer, comme les autres petits enfants, dans son berceau, Zeus rit et ordonna à Phoïbos et au nouveau-né de rester amis : et le dieu souverain inclina la tête. À ce signe Hermès n’osa désobéir ; mais courant vers les bords de l’Alphée, il ramena le bétail du clos où il l’avait parqué. La querelle ne finit pas là, non. Phoïbos vit le lieu où avait été allumé le feu, et les peaux et les os des bêtes mises à mort ; s’émerveillant qu’un bambin pût écorcher des vaches entières, il saisit de nouveau celui-ci et le lia de bandelettes de saute, que l’enfant brisa autour de son corps comme du chanvre. Hermès, dans sa terreur, pensa à sa lyre d’écaille, et en fit jaillir une musique si suave et pleine de paix, qu’Apollon, oubliant sa colère, le supplia de lui enseigner cet art prodigieux. Hermès y consentit, lui qui aussi enviait la sagesse et le savoir cachés d’Apollon, car Phoïbos voit tout jusqu’aux abîmes les plus profonds de la verte mer ; il promit de donner la lyre, en retour de cette sagesse qui peut suavement discourir de toutes choses et bannir tout mal et tout souci. « Prenez la lyre, dit-il, car vous saurez vous en servir ; mais à ceux qui y touchent, sans savoir en tirer le langage qui convient, elle est capable de faire débiter d’étranges non-sens, divaguant alors ou n’exhalant que des gémissements incertains. » Cet échange ne se fit qu’en partie. Il n’était pas au pouvoir de Phoïbos de révéler le secret célé des ans, mais tout ce qu’il put donner à Hermès, il le donna. Il lui mit dans les mains une verge étincelante ; et, lui attribuant la haute charge de garder les troupeaux et le grand bétail, ordonna qu’il visitât, dans leurs vallons cachés et dans leurs cavernes, les Thriaï aux têtes chenues, qui lui enseigneraient des secrets soustraits à tous les mortels. Hermès, en retour, promit de ne jamais endommager le temple de Phoïbos à Delphes. Comment expliquer cette étrange histoire ! Voici : nous trouvons, la comparant à de vieux contes hindous ou védiques, que le nom d’Hermès appartient à la même racine que celui de Saramâ, et que celui de Saramâ est l’aurore lorsqu’elle rampe par le ciel, regardant partout avec curiosité si elle ne voit pas les vaches brillantes (ou nuages), volées par la nuit et par elle cachées dans ses cavernes secrètes. Ce nom de Saramâ se retrouve enfin sous une autre forme : il est prouvé que c’est le même nom qu’Hélène, ravie par Pâris de Sparte. Le mot vient de la racine sar, qui veut dire ramper, et reparaît dans les noms d’Érinnys (la Saranyu védique) et de Sarpédon, fils de Zeus, ainsi que dans notre mot " « serpent »", ce qui rampe. Maintenant comment l’idée de Saramâ, ou l’Aurore, nous conduit-elle à celle du Hermès grec ? Dans les hymnes, Saramâ, cherchant les vaches, traverse, dit-on, le ciel avec une brise légère. Elle représente le matin et la douce haleine des vents d’été, chuchotant çà et là, tandis qu’elle se meut, puis avance. Dans l’esprit des Grecs, cette idée de la brise remplaça graduellement l’idée du matin, et c’est ainsi qu’Hermès vint à représenter le vent ou l’air en mouvement. Ne voyez-vous pas que cela explique l’histoire d’Hermès jusque dans ses moindres traits ? Le vent, qui chuchote doucement lors de ses premiers commencements, peut fraîchir en brise de mer, avant d’être âgé d’une heure, et balayer devant lui les nuages gros d’une pluie qui renouvellera la terre. Il fouille, invisible, dans les trous et les fissures, il tournoie dans les coins obscurs, il plonge dans les antres et les cavernes ; et quand les gens sortent pour voir quels méfaits il a commis, ils entendent son rire moqueur, alors il se hâte par voies et par chemins. L’esprit et l’humour de ce conte sont fort anciens : il se trouva, si l’on veut, tout fait entre les mains des poètes grecs (mais on peut en dire autant de tout ce que l’homme a jamais inventé). Nous découvrons simplement ce qui existe : encore faut-il chercher patiemment et sincèrement. Or le charme du conte d’Hermès ressort de l’examen, fait avec soin par les poètes, de l’action variable du vent.

Quelqu’un, dans la légende antique, mérite également qu’on dise de lui qu’il a, le premier, donné le feu aux hommes, Prométhée, et aussi Phoronée {mais Phoronée, le Bhuranyu indien, n’est qu’un simple nom du feu). Quant à l’histoire de Prométhée, elle se rapporte à la flamme apportée du ciel, tandis que le feu allumé par Hermès est l’ignition produite dans les forêts par le frottement, au grand vent, de leurs branches.

Étudions chacun des détails fournis par le récit fait plus haut : tous sont de quelque intérêt. Ainsi Hermès ne mangea pas de la viande rôtie par le feu qu’il avait allumé, parce que, quoique le vent produise la flamme, il ne peut, lui-même, consumer ce que dévore le feu. Le retour d’Hermès à la caverne où il est né n’est autre chose que l’apaisement de l’orage, avant qu’il s’endorme enfin dans les bruits charmants. Il faut voir en la défense que Hermès présente à Zeus de sa cause, ce semblant d’abandon montré par la douce brise, incapable de se faire ouragan. Le bruit fait par Hermès, quand Apollon le saisit entre ses bras, expliquez-le par la mélodie des vents, capable d’éveiller des sentiments de joie ou de tristesse, de regret ou de désir, de crainte ou d’espoir, d’aise véhémente ou de suprême désespoir. Si Phoïbos refuse de faire part de sa sagesse à Hermès, c’est que les rayons du soleil peuvent descendre au-dessous de la surface de la mer et de la darder leur éclat à travers le pur espace du ciel, lieu où l’haleine du vent ne peut se faire sentir. Phoïbos confie à Hermès en retour de sa lyre certains pouvoirs : il le fait gardien des coursiers du soleil ; l’enfant reçoit aussi une verge pour les conduire. Les nuages brillants doivent, en d’autres termes, se mouvoir à travers le ciel quand le vent les conduit. La musique d’Hermès réjouit enfin et calme les enfants des hommes, et son souffle élève les esprits des morts à leur demeure invisible. Hermès possède, en sa qualité de guide des morts à la terre d’Hadès, un titre spécial : il est le Psychopompe ou conducteur des âmes. Une autre charge qui lui incombe est d’être le messager des dieux, et principalement de Zeus (fig. 90). S’il reçoit l’ordre d’aller aux Fig. 90. — Statue de Hermès ou Mercure aux pieds ailés.
Thriaï pour avoir la sagesse, la cause en est qu’on peut parler du vent, quand les souffles pénètrent dans les antres et les cavernes et dans tous les lieux secrets, comme de quelqu’un qui cherche à découvrir les trésors cachés de la terre et à gagner un savoir auquel jamais l’homme n’atteindra, Hermès cependant n’est point toujours l’ami de l’homme : non ! Le poète termine les hymnes homériques en disant que la bonté du dieu pour les hommes n’est pas l’égale de son amour pour le Soleil, et qu’il a sa façon de commettre, à leur égard, des méfaits pendant qu’ils dorment. Explication : les tempêtes soudaines qui se lèvent pendant la nuit ; et comme le méfait commis là à l’égard des hommes l’est contre leur vœu, on appelle Hermès voleur et prince des voleurs ; et Apollon prévoit qu’il fera irruption dans plus d’une maison et sera cause que plus d’un pasteur souffrira dans ses troupeaux. Un dernier mot : on représente ordinairement Hermès un bâton à la main, comme le messager des dieux et le guide des morts, et avec des sandales d’or qui le portent aussi promptement qu’un oiseau dans les cieux. Ces sandales étaient aussi aux pieds de Persée, quand il se mit en voyage pour tuer la gorgone Méduse. Hermès ou Mercure.
Fig. 92. — Statue de Mercure coiffé du pétase et portant le caducée.


Mercure. — Mercure est un dieu latin du trafic et du gain (merx, commerce) (fig. 92). On l’a identifié avec l’Hermès grec, avec lequel il n’a aucune ressemblance, et les Fétiaux romains ou hérauts refusaient d’admettre que tous deux fussent le même dieu.






LE DIONYSOS GREC OU LE BACCHUS LATIN.


Dionysos. — Dionysos est le dieu de la vigne et des fruits de cette plante (fig, 95), Chaque incident qui se rattache à l’histoire de ce mythe comporte un nombre presque infini de versions. Quelques auteurs le disent fils de Zeus et de Déméter, d’Io ou de Dioné ; d’autres en font l’enfant d’Ammon et d’Amalthé, chèvre-nourrice de Zeus dans la caverne de Dicté. Mais la version la plus populaire est celle qui veut qu’il soit né de Zeus et de Sémélé, fille de Cadmos, le Cadmus latin, roi de Thèbes ; il y a plus d’une histoire encore relative à sa naissance. Un conte rapporte que Cadmos ou Cadmus, apprenant que sa fille était mère de Dionysos, la mit, avec son enfant, dans un coffre, que la mer jeta aux rives de Brasies. Sémélé fut retirée morte ; l’enfant sauvé et nourri par Ino : incident qui se répète dans l’histoire de Persée (Perseus) et de Danaé. Autre récit : Héré, jalouse de Sémélé, tente sa ruine. Sémélé, pressée par les mauvais desseins de la déesse, demande à Jupiter de la visiter dans sa splendeur de dieu olympien, et, comme il approche, elle est brûlée par les éclairs. Dionysos naît au milieu des coups de tonnerre enflammés, et Sémélé part pour un long séjour dans la terre d’Hadès.

Sur l’éducation du jeune homme on est incertain : Fig. 95 et 96. — Statues de Dionysos ou Bacchus.
quelques-uns disent qu’elle se fit à Naxos ; d’autres, au mont Nysa ; mais il y avait plusieurs montagnes de ce nom, comme il y avait plus d’une Ortygie et plus d’un fleuve Triton, où l’on dit que naquirent Phoïbos et Athéné. La carrière du dieu est moins trouble. Comme Fig. 97. — Voyage de Bacchus ou Dionysos (bas-relief).
Héraclès, Persée, Thésée et tous les autres héros, il eut à traverser un temps de labeur pénible et de danger avant d’atteindre au renom et à la gloire. Mais il mena à fin ces dures besognes ; voici comment. Dionysos, dit-on, résolut de quitter Orchomène, lieu où il avait passé une Fig. 98. — Bacchante (bas-relief).
partie de sa jeunesse. Il voyagea du côté de la mer, et se tint sur un roc en saillie ; les boucles noires de ses cheveux se répandaient sur ses épaules, tandis que sa robe de soie frémissait sous la brise. La splendeur de sa forme attira les regards de quelques Tyrrhéniens qui naviguaient (fig. 96). Ils vinrent au roc, quittant leur vaisseaux. Fig. 99. — Dionysos ramène Sémélé des enfers (bas-relief).
saisirent Dionysos et l’enlacèrent de liens très-forts, bruns et gris, tombant autour de lui comme les feuilles d’un arbre en automne. En vain le timonnier les avertit de n’avoir rien de commun avec quelqu’un appartenant à la race des dieux immortels : quand l’équipage s’éloignait à la voile avec Dionysos, voici que coula soudain sur le pont un flot pourpre de vin et qu’un parfum de bouquet céleste remplit l’air. Une vigne grimpa par dessus les mâts et les vergues : autour des agrès, des masses confuses de lierre se mêlèrent à des grappes étincelantes, une splendide guirlande se suspendant comme un joyau à chaque coup de rame. À la vue de ces merveilles, les marins, frappés de peur, entouraient le timonnier, quand un grand rugissement se fit entendre et un lion fauve avec un ours se tinrent en face d’eux. Les hommes sautent par dessus bord, changés en dauphins ; Dionysos, reprenant alors sa forme humaine, remercie le timonnier de sa bonté, et fait souffler un vent du nord, qui conduit le vaisseau aux rivages d’Égypte, dont Protée était roi. Le Dieu ne resta pas longtemps en Égypte : il voyagea par des terres nombreuses, par l’Éthiopie et l’Inde, et d’autres contrées, suivi partout d’une foule de femmes, qui l’adoraient avec des cris farouches et des chants (fig. 97). Revenu enfin à Thèbes, où Cadmos avait fait roi son fils Penthée, il fut mal vu par Penthée, qui le tint en grande suspicion relativement aux rites étranges dont il instruisait les femmes et à la frénésie qu’il leur inspirait ; mais le prince ne réussit pas à conjurer cette folie. Grimpant dans un arbre pour voir l’orgie des Bacchantes (fig. 98), il fut découvert et déchiré par elles, sa mère Agavé, la première, portant la main sur le profane.

Traits omis de l’histoire de Dionysos : il ramena Sémélé d’Hadès, et la conduisit à l’Olympe, où on la connut sous le nom de Thyoné (fig. 99).

Bacchus. — Bacchus est le même mythe que le dieu grec Dionysos, appelé aussi Iacchos ou Bacchos, peut-être (comme plusieurs l’ont pensé) à cause des clameurs et des cris avec lesquels on l’adorait.






L’HÉRACLÈS GREC OU L’HERCULE LATIN.


Héraclès. — Héraclès est le fils de Zeus et d’Alcmène. Sa vie, considérée d’une façon générale, apparaît comme une longue servitude aux ordres d’un maître vil et faible, ainsi qu’un sacrifice continuel de soi-même au bien des autres : trait commun à plusieurs mythes. Une force corporelle irrésistible, qu’il emploie toujours à aider les souffrants et les faibles et à la destruction de toute chose nuisible, caractérise ce dieu. Notez enfin la signification du nom d’Héraclès, qui désigne, comme celui d’Héré, une déité solaire. Zeus se vanta à Héré, le jour de la naissance d’Héraclès, que l’enfant qui sortirait de la famille de Persée serait, par sa volonté, le plus puissant des hommes. Ce que sachant, Héré fit naître Eurysthée avant Héraclès. L’origine de ce détail remonte à de très-anciennes phrases parlant du soleil comme s’il se donnait du mal pour une créature aussi pauvre et aussi faible que l’homme. La vie d’Héraclès sera en effet un sommaire de la marche quotidienne et annuelle du soleil : fort simplement, chaque trait des nombreuses légendes attachées à son nom peut être ramené à des dictons montrant l’astre né pour une vie de labeur, débutant en ses tâches pénibles à la suite d’une courte mais heureuse enfance ; et se plongeant finalement dans le repos, après une rude bataille contre les nuages qui l’empêchèrent dans sa marche. Les travaux d’Héraclès ont commencé pour lui au berceau ; on assigne toutefois les labeurs connus sous le nom des Douze Travaux d’Héraclès (fig. 103, 104, 105 et 106) à des périodes postérieures de sa vie. Mais le nombre en a été fixé par les poètes d’un âge relativement avancé, qui recueillirent maintes et maintes traditions locales, quelques-unes basées sur des faits, d’autres purement fictives, et les attribuèrent toutes à Héraclès. Les poètes homériques n’essayent nullement de classifier ses exploits et ses peines.

Enfant donc, comme il était endormi dans son berceau, deux serpents s’enroulèrent autour de lui ; s’ éveillant, il mit ses mains sur leur cou et les dompta, dans une étreinte toujours plus ferme, jusqu’à ce qu’ils tombassent morts sur le sol. Ce sont les serpents de la nuit ou de l’obscurité, sur qui l’on peut dire que le soleil pose les mains quand il se lève, et qu’il tue à mesure qu’il se hausse plus avant dans les cieux. Pays natal, Argos : pourquoi ? parce qu’Argos est un mot qui signifie « splendeur ». Argos est en conséquence la même chose que Délos et Ortygia, le lieu de la naissance de Phoïbos et de sa sœur Artémis, Le précepteur d’Héraclès fut le sage Chiron, un des Centaures ou êtres à buste et tête d’homme avec la croupe d’un cheval (fig. 107). Semblable notion vint apparemment de certaines légendes indiennes, qui parlaient des Gandharvas ou nuages brillants, comme Fig. 103. — Bas-relief des Douze Travaux d’Hercule.
Fig. 104. — Autre bas-relief des Travaux d’Hercule.
Fig. 105. — Autre bas-relief des Travaux d’Hercule.
Fig. 106. — Autre bas-relief des Travaux d’Hercule.
montant à cheval dans les cieux. Le sophiste Prodicos, qui a traité la légende d’Héraclès comme illustrant la victoire de la droiture sur l’iniquité, nous montre le dieu, adolescent, accosté par deux jeunes filles, l’une habillée d’une robe séante et d’un blanc pur, l’autre mesquinement vêtue et la face rougie, les yeux inquiets. Cette dernière, qui s’appelle le Vice, le tente par des offres d’aise et de plaisir ; l’autre, la Vertu, lui commande de travailler Fig. 107. — Centaures.
virilement pour une récompense future et peut-être éloignée. Héraclès suit le conseil de la Vertu, et entreprend d’un cœur brave ses labeurs. À côté de ces figures allégoriques il est une autre jeune fille que l’on dit avoir gagné l’amour juvénile d’Héraclès : Iole, fille d’Eurytos, roi d’Œchalie ; mais il fut bientôt séparé d’elle ! Toujours parce que tous les héros qui représentent le soleil sont séparés de leur premier amour, juste comme le soleil laisse la belle aurore derrière lui quand il s’élève dans les cieux. (Voyez du reste ce que signifie le nom d’Iole : la couleur violette, et il désigne les nuages couleur violet qu’on ne voit qu’au lever ou au coucher. Ce nom apparaît en d’autres légendes sous les formes d’Iamos, d’Iolaos et de Iocaste.)

Vint l’âge des grands exploits, dont je dirai les principaux : le dieu extermina l’hydre aux cent têtes ou serpent d’eau du lac de Lerne, le sanglier sauvage d’Eurymanthe et les harpies des marécages de Stymphale [27].

Toutefois ces exploits ressemblent pleinement à ceux d’autres héros. N’est-ce pas que, pour vous déjà comme pour moi, tant de hauts faits représentent purement le meurtre de Python par Phoïbos, de Fafnir par Sigurd, du Sphinx par Œdipe, du dragon libyen par Persée, du Minotaure par Thésée, et de Vritra par Indra ? Maintenant, les autres actes que conte de lui la légende ! Héraclès cueillit les pommes d’or du jardin des Hespérides, en d’autres mots, les nuages couleur d’or qui se groupent autour du soleil quand il se plonge dans le ciel occidental. Couronnement de ces grands triomphes : il épousa Déjanire, fille d’Œnée, chef de Calydon. Savez-vous ce qu’est Déjanire vis-à-vis d’Iole ? Ce qu’est Hélène vis-à-vis d’Œnone, dans l’histoire de Pâris. Sigurd épouse de la même façon Gudrun, après avoir délaissé Brunehilde ; et Achille, Odyssée (l’Ulysse latin), Thésée (Theseus) et Céphale (Kephalos) sont de la même façon séparés de celles à qui ils avaient engagé leur foi, ou consomment eux-mêmes cet abandon. Aussi Héraclès ne demeura pas avec Déjanire pendant le reste de sa vie. Un jour il tua de sa lance infaillible Eunome, fils d’Œnée ; et rien après ce meurtre ne put l’empêcher de poursuivre sa marche occidentale. Le meurtre d’Eunome n’est lui-même qu’un de ces incidents qu’on retrouve dans divers contes : une autre forme par exemple de l’histoire qui représente Tantale tuant son propre fils.

Déjanire avait quitté sa maison avec son mari et elle alla avec lui aussi loin que Trachis, ayant reçu, sur sa route, du centaure Nessos (le Nessus latin) que tua Héraclès, une coupe remplie du sang de ce personnage. Ce don n’était pas sans objet : « Elle pourrait, avait dit Nessos, en répandant ce sang sur une robe portée par Héraclès, regagner à tout moment son amour, si elle venait à la perdre. » Déjanire eut à craindre ce malheur, du moins elle s’en crut menacée ; car, résidant à Trachis, elle entendit parler de la capture faite en Œchalie par le héros et dire qu’il ramenait avec lui l’aimable vierge Iole. Elle lui envoya en conséquence la robe ointe du sang de Nessos (ou Nessus). Le messager le trouva sur le point d’offrir un sacrifice, et Héraclès revêtit la robe, qui lui brûla promptement la chair et fit jaillir son sang en ruisseaux sur le sol. Héraclès ordonna au messager de le porter sur le sommet du mont Œta, et le dieu mourut au milieu du tonnerre et de l’orage, considérant Iole qui se tenait, pleurante, à son côté. Cette scène magnifique a un sens profond : reconnaissez le dernier incident de ce qui a été plus haut appelé la Tragédie de la Nature, — la bataille du Soleil avec les nuages qui se rassemblent autour de lui comme de mortels ennemis, à son coucher. Comme il s’enfonce, les brumes ardentes l’étreignent et les vapeurs de pourpre se jettent par le ciel, ainsi que des ruisseaux de sang qui jaillissent du corps du mythe ; tandis que les nuages violets couleur du soir semblent le consoler dans l’agonie de sa disparition.

Relevons quelques particularités omises dans l’ensemble du récit précédent. À propos des armes d’Héraclès, d’abord : il se sert quelquefois d’une massue, d’autres fois d’une lance, et parfois de flèches empoisonnées. Les Grecs n’employèrent jamais de flèches empoisonnées : il n’y a du moins aucun témoignage qu’ils l’aient jamais fait. Quelle peut être l’origine de ce détail ; est-il quelques héros qui employèrent de semblables armes ? oui, Philoctète et Odyssée (ou Ulysse). Comment donc ces modes inhumains de combattre ont-ils été attribués par les Grecs à leurs héros les plus grands ? Parce que le mot ios, lance, est le même, pour le son, que le mot ios, poison. Les deux idées se confondirent ; et l’on dit que Hélios, Héraclès et plusieurs autres combattirent avec des lances ou des flèches empoisonnées. Autre chose. Les pérégrinations d’Héraclès ne se bornèrent pas à la Grèce : il voyage par tout le monde, mais, comme le soleil, se meut toujours de l’Est à l’Ouest. Étudions enfin si le caractère d’Héraclès est simplement fait de dévouement ou de sacrifice de soi-même. Si l’on parle du soleil comme se donnant du mal pour autrui, on peut en parler aussi comme jouissant, dans chaque terre, des fruits qu’il a mûris. Héraclès devint donc quelqu’un avide de manger et de boire : et lorsqu’il apprend dans la maison d’Admète que son hôte vient de perdre sa femme, il ne regarde pas ceci comme une raison suffisante pour perdre son dîner. Le même esprit bouffon distingue le conflit avec Thanatos (ou la mort), dans lequel Héraclès délivre Alceste de l’étreinte funèbre.

Je n’ai rien dit de l’aventure d’Héraclès et d’Échidna, voulant la traiter à part en raison de son importance générale. Le dieu errait en Scythie, quand il rencontra Échidna, qui le garda dans sa caverne quelque temps, avant de vouloir le laisser partir. Histoire n’ayant pas de trait qui lui soit particulier : Héraclès vient à la demeure d’Échidna, cherchant son bétail qui lui a été volé, juste comme Phoïbos cherche les vaches dérobées par Hermès, ou comme Indra se met en quête des vaches ravies par le Panis. La terre obscure qu’habite Échidna est simplement le pays lugubre des Grées, où va Persée quand il recherche Méduse. La détention d’Héraclès dans la caverne dénote simplement le temps qui se passe entre le coucher et le lever du soleil. Quand ce héros quitte Échidna, il lui donne des armes qu’elle ne doit céder qu’à celui-là seul qui est capable de s’en servir, incident que répètent précisément les légendes de Thésée et de Sigurd. Avant de finir il nous reste à déterminer ceci : Héraclès est-il un héros particulier à la mythologie grecque ? Point. Sous le même nom et sous d’autres noms, nous trouvons un héros d’espèce semblable dans les légendes mythiques de presque chaque contrée, et, dans toutes, nous avons un groupe analogue d’incidents qui toujours nous fait remonter à de très-anciennes légendes, disant la marche du soleil de son lever à son coucher.

Hercule. — Qu’est-ce qu’Hercule (fig. 138) ? Comme Fig. 108. — Statue d’Héraclès ou Hercule.
dieu latin, il semble se rapporter aux bornes des territoires et propriétés ou palissades, ainsi que Jupiter Terminus, le Zeus Hokios des Grecs ; et comme tel, son nom était probablement Herclus ou Herculus. La similitude du nom simplement amena les Romains à identifier leur Hercule avec l’Héraclès grec. Cette façon de voir acquit une nouvelle force de ce fait qu’un héros, nommé Garanus ou Recaramus, passait pour avoir tué un grand voleur nommé Cacus, et que ce héros ressemblait non-seulement à Héraclès, mais à Persée, Thésée, Œdipe, et à tous les autres destructeurs de monstres et de malfaiteurs. L’histoire de ce Cacus est racontée de diverses façons ; mais la version la plus populaire dit que quand Hercule atteignit les bords du Tibre, Cacus, fils à trois têtes de Vulcain, vola de son bétail, et pour qu’on ne le découvrît pas, tira les bêtes par derrière jusque dans sa caverne. Mais leurs mugissements parvinrent aux oreilles d’Hercule, qui, se frayant par la force un chemin vers l’antre du voleur, y recouvra non-seulement son troupeau, mais tous les trésors ravis qui y avaient été amassés. Cacus vomit des flammes et de la fumée sur son ennemi, qui le tua bientôt de ses traits infaillibles. Personne qui ne puisse se rendre compte de la formation de cette histoire : c’est simplement une autre version des fables nombreuses qui disent le conflit des cieux et du soleil avec les puissances de la nuit et des ténèbres, Récaranus qui tue le monstre, comme Sancus, dont le nom était inscrit également sur l’Ara maxima ou le grand autel d’Hercule, n’est autre chose que Jupiter, appelé ainsi parce qu’il était le faiseur ou le créateur : le mot de Récaranus se rattache enfin, ainsi que l’ont pensé plusieurs mythographes, à Cérès. Qu’est-ce alors que Cacus ? Comme monstre à trois tétes, il répond exactement au Géryon et au Cerbère grecs ou Sarvara indien. Volant les vaches d’Hercule, c’est Vritra qui enferme la pluie dans la nue d’orage, puis est percée par la lance d’Indra. Il se montre encore dans le Panis qui dérobe les vaches d’Indra. Les flammes par lui lancées de sa caverne sont les éclairs précédant cette averse de pluie que désignent les vaches reprises à Cacus. À Fig. 109. — Cœculus.
tort l’on rattacherait le nom de Cacus au mot grec, kakos, mauvais : la quantité de la première syllabe, qui est longue, se refuse à cette étymologie. D’autres formes existent de ce nom, Cakias et Cœculus (fig. 109), qui, dans la mythologie de Præneste, ville voisine de Rome, était fils de Vulcain, et, de plus, un voleur vomissant le feu. Maintenant Aristote parle d’un vent appelé Caikias, qui a le pouvoir d’attirer les nuages, et il cite le proverbe : « que les hommes attirent à eux les malheurs comme Caikias attire les nuages ». Partout au moins, les nuages ce sont les vaches ou le bétail d’Indra, d’Hélios, de Phoïbos et d’Héraclès, et au proverbe succéderait un conte ayant sa racine dans la phrase « Cœculus volant les vaches d’Hercule ». Le combat est la lutte d’Indra et de Vritra, qui finit par la victoire des puissances de la lumière.

Hercule.
La génisse Io.



IO AVEC PROMÉTHÉE, DÉITÉS GRECQUES ET LATINES.
(Grec : Io, Prometheus.)


Io passe pour la fille d’Inachos, roi du territoire d’Argos ; on dit qu’elle fut aimée de Jupiter, qui la changea en génisse pour la protéger contre la jalousie d’Héré. Io, cependant, tomba au pouvoir d’Héré : cette déesse obtint de Zeus qu’il céderait à toute demande faite par elle ; or elle donna Io à garder à Argos Panoptès, « celui qui voit tout », l’Argus latin. Personne n’avait pu surprendre Argos, dont les yeux ne se fermaient jamais, avant que Hermès, le messager de Zeus, s’approchât avec une douce musique endormante et le tuât, prêt à céder enfin au sommeil. Héré, pour venger ce meurtre, envoya un taon, qui piqua la génisse Io et pourchassa son agonie de terre en terre par Thèbes et la Thrace ; la malheureuse atteignit les hauteurs du Caucase, où le titan Prométhée pendait enchaîné à un roc, un vautour lui rongeant le foie. Qu’était-ce que ce Prométhée ? L’être puissant qui aida Zeus dans sa guerre contre Cronos et qui enseigna aux hommes à bâtir des maisons et à obéir à la loi, puis leur rapporta du ciel le feu. Cet acte éveilla le courroux de Zeus, qui, oublieux de toute reconnaissance, fit enchaîner Prométhée aux rocs, bornés par les glaces, du Caucase. Le grand supplicié apprit à Io qu’elle avait à peine commencé d’errer ; qu’elle devait aller du lieu de leur rencontre à la terre des Amazones (fig. 112) par delà le détroit qui, d’après Fig. 112. — Reine des Amazones.
elle, s’appellerait le Bospore (Bosporos) ; en Asie enfin, et de là dans la terre d’Éthiopie, où elle deviendrait mère d’Épaphos, dont naîtrait, par la suite, Héraclès ; et que par Héraclès, lui, Prométhée, serait enfin ravi à son terrible châtiment : prédictions qui s’accomplirent, d’après les légendes accréditées généralement.

Les Grecs regardaient ce conte comme dénotant un lien entre la Grèce et l’Égypte : Io identifiée à Isis, et Épaphos au bœuf-dieu Apis. Mais cette notion n’est, dans le cas présent et dans celui du Sphinx, qu’imagination d’un Fig. 113. — Amazone à l’Arc.
Fig. 114. — Statue d’Amazone au repos.
âge postérieur. Détails : Hermès, en tant que tueur d’Argos, s’appela Argéiphontès, juste comme Hipponoüs s’appela Bellérophon ou Bellérophontès, parce qu’il extermina Belléros. Quant aux Amazones (fig. 113), c’était une tribu de femmes guerrières qu’on supposait vivre sur les rivages du Thermodon, ne souffrant qu’aucun homme y habitât. Leur nom vint, selon une croyance répandue, de la coutume de se couper le sein droit afin d’acquérir une liberté plus grande de manier l’arc (fig. 114). Cette explication n’est pas correcte : pareille histoire se fit jour simplement parce que la signification du mot avait été oubliée comme dans le cas de Lycaon, d’Arctos, d’Œdipe, et dans bien d’autres.

Revenons à Prométhée, ainsi qu’à l’errante Io. Le nom de Prométhée se retrouve dans quelques autres traditions ; c’est (nous l’avons dit déjà) le Pramantha des Hindous, qui servait encore à désigner le morceau de bois, pareil au manche de la baratte, qu’on tournait vivement pour allumer des fragments de bois sec. Très-différemment, enfin, Hérodote nous conte l’histoire d’Io : il dit qu’un vaisseau marchand venant à Argos, elle alla à bord choisir des objets et les acheter ; que le capitaine du vaisseau l’emmena, contre son gré ou point, et que cette offense poussa les Grecs par représailles à enlever Medée de Colchis. Cette version n’a aucune ressemblance avec la première : le seul point d’analogie qui existe entre elles, c’est qu’on mena Io en Asie. Le narrateur grec parla cependant de la même Io, car il l’appelle fille d’Inachos. Voici comment il faut entendre la leçon postérieure. Quand les incidents merveilleux des vieilles légendes vinrent à paraître incroyables, Hérodote et d’autres écrivains s’imaginèrent pouvoir tout arranger en écartant ce qu’il y avait de merveilleux dans chaque histoire et en continuant à la tenir pour la même. C’est ainsi que, selon lui, Io ne fut pas changée en génisse et ne parla jamais à Prométhée. L’historien Thucydide fait de la même façon un récit très-plausible de la guerre de Troie, en laissant de côté tout ce qu’il est dit d’Hector, d’Hélène, d’Achille et des autres personnages de l’époque. Cette méthode n’est ni plus ni moins digne de foi que le serait un nouveau conte, qui affirmerait que « la Belle au bois dormant » n’a pas dormi cent ans, parce qu’il est difficile que l’on dorme cent ans ; et que quant au pouvoir de la fée de Mataquin, qui versa cet enchantement, il n’y faut certainement pas croire, le royaume de Mataquin n’existant ni dans les traités d’histoire, ni dans les atlas de géographie. — « Toutefois, continuerait le conte moderne, il est plus que probable (et rien là qui ne rentre dans l’ordre de faits pouvant se passer encore journellement sous nos yeux) que le jeune prince a réveillé la charmante princesse attardée dans un château qu’entoure un bois domanial ; c’est même le sujet du récit offert à l’attention du lecteur, etc. »

Acceptons avec leur merveilleux les fables anciennes, ou rejetons-les tout entières.

Pandore et Athéné.



ÉPIMÉTHÉE AVEC PANDORE, DÉITÉS GRECQUES ET LATINES.
(Grec ; Epimetheus, Pandora.)




Epiméthée est le frère de Prométhée. C’est, selon la signification du nom, « Celui qui forme la pensée d’après les événements, » tandis que Prométhée (Prometheus) est « celui qui considère toutes choses à l’avance ». Avant qu’eût été réglée la partie de chaque victime sacrifiée qu’on donnerait aux dieux, Prométhée tua un bœuf, et, plaçant les entrailles et la viande sous la peau, mit les os sous la graisse, et dit à Zeus de prendre ce qui lui plaisait. Zeus mit la main sur le mauvais morceau et fut courroucé de s’apercevoir que sa part n’était que graisse et os. Quand Prométhée s’en fut allé, le maître souverain résolut de punir Épiméthée, que son frère avait prévenu de ne recevoir des dieux aucun don. Épiméthée se laissa tenter par le dieu et négligea l’avertissement fraternel. Zeus commanda à Héphaistos de prendre de la terre et de la modeler en forme de femme (fig. 117), Cette image d’argile, Athéné l’habilla d’une belle robe, tandis qu’Hermès lui donna le pouvoir de proférer des paroles et un esprit fait pour jouer et décevoir l’humanité. Zeus conduisit ensuite Pandore (elle fut ainsi nommée) à Epiméthée, qui la reçut dans sa maison. Pandore vit un grand coffre sur Fig. 117. — Pandore.
le seuil et souleva le couvercle : la Dispute et la Guerre, la Peste et la Maladie en sortirent, ainsi que tous les autres maux. Elle laissa, dans sa frayeur, retomber le couvercle sur le coffre, de sorte que les hommes n’eurent rien pour rendre supportable leur misère. Toutefois il est différents commentaires de l’histoire de la boîte de Pandore. Quelques-uns pensent que l’Espoir y fut enfermé par miséricorde à l’égard des hommes et pour ne pas aggraver leurs maux. Mais telle n’est pas la signification de l’histoire d’Hésiode, car Pandore ne porte pas le coffre avec elle, mais le trouve dans la maison d’Épiméthée. Or les souffrance et les misères ne peuvent faire de mal avant qu’on les ait lâchées ; et l’Espérance, enfermée là, ne rend les choses que pires et non meilleures.

Une autre légende existe, avec laquelle ne s’accorde pas l’histoire de Prométhée, mais qui la contredit entièrement : c’est l’histoire hésiodique des cinq Âges — d’or, d’argent, de bronze, l’héroïque et celui de fer. Dans cette tradition on suppose que les hommes vivaient d’abord libres de tous besoins et de la douleur, de la maladie, avant que Pandore vînt à lâcher tous les maux.

La fable de Prométhée, elle, donne à supposer que l’état très-primitif de l’homme était une misère excessive, et sa vie, celle des bêtes brutes, jusqu’à ce que ce héros lui donnât les maisons et le feu et le fît vivre dans l’ordre et avec décence. Cette notion se rencontre aussi dans l’histoire de Phoronée.



Esculape et le Centaure Chiron.





ASCLÉPIOS OU ESCULAPE, DIEU GREC OU LATIN.


Asclépios ou Esculape, dans Homère, apparaît en tant que fils ou descendant de Païéon (le guérisseur) ; mais, dans l’histoire communément reçue, c’était le fils d’Apollon et de la nymphe Coronis, une fille de Phlégyas, qui habitait les bords du lac Bœbéis. Esculape n’est pas une divinité d’origine latine parallèle : ce nom, une simple forme d’Asclépios, a été, avec le caractère et l’histoire mythique du dieu, importé tout entier de la mythologie grecque.

Une fable grecque a trait à la naissance du personnage. Avant que l’enfant vînt au jour, Apollon quitta son amante, la suppliant de lui demeurer fidèle ; mais lorsqu’il fut parti, un bel étranger nommé Ischys arriva d’Arcadie et obtint l’amour de la jeune femme. La nouvelle en fut apportée à Apollon, dont la sœur, Artémis, frappa Coronis de sa lance infaillible. Mais Phoïbos sauva le petit enfant Asclépios, et le confia aux soins du centaure Chiron, qui le fit savant dans l’art de guérir et dans le secret des vertus possédées par les herbes. La suite de ce conte est : qu’Asclépios plus tard gagna une renommée aussi vaste que le monde et l’amour de tous, en tant que guérisseur de douleurs et de maux. Mais le pouvoir qu’avait le sage de ressusciter les morts éveilla la fureur d’Hadès, qui se plaignit à Zeus que son royaume serait bientôt dépeuplé, si Asclépios continuait à rendre les êtres au monde supérieur. Zeus frappa Asclépios de sa foudre, et cela provoqua la colère d’Apollon au point de lui faire tuer le géant Cyclope. Zeus, pour cette offense, bannit le jeune dieu dans la terre strygienne ; mais sur la prière de Léto ou Latone, sa mère, ce châtiment fut changé en un an de service dans la maison d’ Admète, qui régnait à Phères. Plusieurs racontent différemment l’histoire d’Asclépios, et, suivant leurs versions, Coronis elle-même, peu après la naissance de son enfant, l’exposa sur le flanc d’une colline, répétant ainsi le conte de Pâris, de Télèphe, d’Œdipe et d’autres héros. L’enfant fut nourri par une chèvre, comme Kuros (notre Cyrus latin) le fut par un chien, et Romulus par un loup. Un berger le trouva, que guidait vers le lieu la clarté d’une lumière entourant l’enfant. Asclépios fut de là appelé Aglaer, « celui qui brille », nom simplement soleil.

Quant à Coronis, je vois en elle un être qui, par sa vie et sa mort, ressemble de près à Procris. Comme cette dernière, la jeune femme est charmée par un étranger qui vient, vêtu d’une beauté pareille à Phoïbos, de la terre arcadienne ou « brillante », de même aussi qu’Apollon de Délos ; et toujours comme Procris, elle périt de la lance d’Artémis. Le châtiment d’Apollon : voyez là une autre forme de l’idée qui représente Héraclès et Poséidon peinant au service d’êtres plus faibles qu’eux-mêmes. La notion de ce pouvoir de guérir attribué à Asclépios se trouve en germe dans beaucoup de légendes. On regardait naturellement le soleil comme « celui qui restaure toute vie végétale » après le long sommeil de l’hiver, et, comme tel, il est doué d’un pouvoir s’étendant à la guérison des souffrances humaines, et finalement à la vie elle-même réparatrice de la mort.

Asclépios ou Esculape.



DEUCALION, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Deucalion.)





A l’époque de Deucalion, chef de Phthia, et fils de Prométhée et de Clymène, Zeus résolut de punir la méchanceté des hommes, l’iniquité de Lycaon et de ses fils y ayant mis le comble. Il envoya donc un déluge à la terre, et, comme les eaux s’élevaient, Deucalion ordonna à sa femme Pyrrha d’apprêter l’arche qu’il avait construite sur l’avertissement de son père Prométhée. Or y entrant, lui et sa femme, ils furent portés sur les eaux pendant huit jours, et le neuvième, l’arche demeura sur les hauteurs du Parnasse. Ils laissèrent cette nef sur la cime, et offrirent un sacrifice à Zeus, lequel envoya Hermès pour exaucer toute prière faite par Deucalion. Le juste demanda la restauration de la race humaine ; Hermès dit que lui et sa femme avaient à se couvrir la face de leurs manteaux, et à jeter derrière eux les os de leur mère sur le chemin. La sagesse qui venait à ce géant de son père Prométhée lui enseigna que sa mère, c’était la terre ; il fallait donc jeter simplement des pierres derrière soi pendant la descente du Parnasse. Les cailloux ainsi semés devinrent des hommes et des femmes, et commencèrent aussitôt cette dure vie de labeurs, qui est depuis le lot de l’humanité.

Quand eut lieu ce déluge ? Quelques-uns le fixent au règne d’Ogygas, roi mythique d’Athènes, mais il y a maintes variantes à ce conte : telle disant que tous les hommes périrent ; une autre, que ceux de Delphes échappèrent. Ainsi, dans l’histoire babylonienne de Xisuthros, le déluge épargne les mortels qui sont pieux. Dans quelques leçons du conte indien, Manu entre en l’arche ainsi que les sept sages ou Rishis, qui restent avec lui jusqu’à l’atterrissement sur un pic appelé Naubandhana (des liens du vaisseau). Les noms de cette légende se peuvent expliquer : donc, lecteurs, à l’œuvre ! Le nom de Deucalion d’abord n’est pas sans se rattacher à celui de Polydéikès ou le Pollux latin, le fils « brillant » de Léda (autre forme de Léto). Sa femme Pyrrha, la rouge (en tant que désignant peut-être la terre rouge), appartient à cette même classe, ainsi qu’Iole, Iocaste, Iam « de couleur violette », et Phœnix « pourpre ». Reliez enfin ce conte à beaucoup d’autres. La légende de Prométhée se rattache à celle d’Io et d’Héraclès, d’Épiméthée, de Pandore, d’Athéné et à plus d’une encore. Deucalion est aussi le père de Minos, le Manu indien « le penseur, ou l’homme » ; et Minos, père d’Ariane, que Thésée conduit à Naxos après avoir tué le Minotaure, est de plus apparenté avec Nisos et Skulla, en latin Nisus et Scylla.

D’autres enfants passent pour issus de Deucalion : on appelle ce géant le père d’Hellène (de qui l’on dit que descendirent les Hellènes), et de Protogénéia « le grand matin », enfant premier-né du soleil. Légendes qui procèdent du même esprit. Protogénéia, l’aube, devient mère d’Aéthlios, le soleil peinant et s’efforçant, qui, comme Héraclès et Achille, travaille pour d’autres, non pour soi : et Aéthlios est le père d’Endymion le beau, qui s’enfonce, pour y dormir, dans la caverne de Latmos comme le soleil plonge dans la mer occidentale. Toujours l’acte solaire.

Ajoutons que l’histoire de Deucalion a été conservée par la tradition d’un autre peuple. Les Indiens Macusi de l’Amérique du Sud racontent, dit-on, que le dernier homme qui survécut au déluge repeupla la terre en changeant des pierres en hommes. Selon les Tamanaks d’Orinoko, ce fut un couple d’êtres humains qui jeta derrière lui le fruit de certain palmier, et du noyau naquirent des hommes et des femmes.






ADMÈTE, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Admètos.)






Admète, ce chef de Phères, était l’heureux époux d’Alceste. Le jour de son mariage il avait, hélas ! courroucé Artémis, la négligeant dans un sacrifice. La déesse promit cependant que, l’heure de la mort arrivant, il échapperait à toute condamnation, si son père, sa mère ou sa femme mourait pour lui. Alceste y consentit, et fut conduite au Hadès ; mais Héraclès trouva Thanatos (la mort) sur son chemin vers la terre invisible, et, après une longue lutte, délivra la jeune femme et la ramena. Songez un instant à cette histoire et vous verrez qu’elle n’est point sans jeter quelque lumière sur celle d’Asclépios : elle montre Héraclès ramenant les morts, après la dispute terrible avec Thanatos ou la mort. Mais l’idée de la sagesse de Phoïbos-Apollon, qui apparaît dans la légende d’Hermès, présente aisément cette suggestion que lui ou son fils savaient rendre les malades à la santé, ou rappeler les morts à la vie, sans ces violents combats.


TANTALE, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Tantalos.)





Tantale était un roi de Lydie, qui avait un palais flamboyant d’or, sous le Xipylos, mont où les larmes de Niobé changèrent en pierre cette mère malheureuse, Il était aussi connu pour sa sagesse et son pouvoir, que sa femme Euryanassé l’était pour sa beauté. Oui, Tantale était admis à participer aux conseils secrets de Zeus ; et, de la sorte, il acquit un savoir supérieur au degré atteint par les meilleurs des mortels. Mais dans le cours des temps il vola quelque peu de la nourriture et du breuvage des dieux, et les donna à son peuple. Il refusa aussi d’abandonner le chien Pandarée, qui avait gardé Zeus dans la caverne de Dicté. Zeus et tous les dieux venant festoyer dans la salle du banquet, il découpa enfin son propre fils Pélops, un enfant, et en plaça les membres rôtis devant eux comme un mets d’un repas. Zeus rendit Pélops à la vie, et condamna Tantale à contempler de beaux fruits auxquels il ne pouvait pas toucher, et des eaux claires qu’il ne pouvait goûter : s’il avançait la main pour prendre le fruit, les branches s’évanouissaient, et un vaste rocher paraissant au-dessus de sa tête, menaçait de l’écraser et de le réduire en poussière. Voilà une des légendes grecques les plus transparentes. Le palais de Tantale n’est autre chose que la maison d’or d’Hélios, d’où s’élance aussi Phaéthon, dans sa course infortunée. Sa sagesse est la sagesse de Phoïbos, d’Œdipe et d’Odyssée (l’Ulysse latin). Les rapports fréquents avec Zeus représentent les visites d’Hélios aux hauteurs du ciel. Le vol du nectar et de l’ambroisie répond au vol du feu par Prométhée, et l’abondance dont Tantale comble le peuple est la richesse que la chaleur du soleil fait sortir de la terre. Comme le soleil, sa chaleur devenue trop forte, brûle les fruits, et les hommes, dans le mal de la sécheresse, dirent : « Tantale tue et rôtit son propre enfant ». Pélops rendu à la vie, voilà l’action de la vertu puissante qui rend à la terre la fraîcheur après des temps arides : elle se trouve aux mains d’Asclépios et de Médée. La sentence édictée contre Tantale se rapporte parfaitement à la même idée : quand l’infortuné se penche pour boire l’eau et manger les fruits qui l’environnent, c’est la dessiccation des cours d’eau et les herbages flétris sous les violents rayons du soleil. Le rocher qui va écraser le dieu représente la sombre nuit d’orage qui s’appesantit comme le sphinx au-dessus de la terre, ou la menace à la façon de Polyphème et d’Odyssée. Et comme la terre est brûlée à proportion que le soleil semble s’y abaisser, l’expression « souffrir comme Tantale » s’applique à tous les désappointements éprouvés lorsque la récompense qu’on désire semble tout près de notre étreinte. Euryanassé signifie le jour qui règne au loin — nom qui correspond à Euryméduse, Euryphassa, Europe, et à tous les noms du matin de la journée.






IXION, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec ; Ixiôn.)





Ixion, que quelques-uns disent fils de Phlégyas (l’enflammé), épousa Dia, fille d’Hésionée, à qui il promit de riches présents ; mais il refusa de les lui envoyer après son mariage. Hésionée prit mal ce refus ; il vola les chevaux immortels qui emportaient le char brillant d’Ixion. L’époux dit donc de venir chercher les dons, s’il les voulait avoir, à ce père, qui vint en conséquence : or, tandis qu’il accentuait sa revendication devant le logis renfermant l’amas des présents, Ixion ouvrit la porte, et Hésionée tomba dans une fosse pleine de feu. Ce meurtre fut suivi d’un temps de sécheresse et de misère, jusqu’à la purification du coupable, décrétée par Zeus, Ixion reconnut cette bonté, devinez comment ? par l’offre de son amour à Héré, la reine du ciel, Zeus fit face à ce nouveau danger en faisant prendre à un nuage l’apparence d’Héré, décevant ainsi Ixion, qui devint le père des centaures. Pour le punir davantage enfin, il le lia à une roue à quatre jantes qui roule avec lui à tout jamais (fig. 124). Ce conte, comme celui de Tantale, illustre quelque phase de l’action du soleil dans sa course à travers le ciel. Voir en Dia un être qui représente la belle Aurore, et qui répond à Dahanâ, Daphné, Iole, Jocaste et Eurydice. Comme Héraclès abandonne Iole, et Sigurd Fig. 124. — Sisyphe, Ixion et Tantale.
quitte Brunehilde ; comme Œdipe et Orphée sont séparés de Jocaste et d’Eurydice, et comme Thésée délaisse Ariane : ainsi Ixion quitte Dia, et est épris des charmes d’Héré. Le père, Hésionée, c’est l’obscurité d’où jaillit Dia, l’aurore. Quant au logis et au trésor d’Ixion, j’y reconnais, et vous aussi, le palais d’Hélios et de Tantale, l’abîme de splendeur où la nuit se consume. La seconde partie du conte n’est pas moins explicable : par exemple ce fait qu’Ixion aime, entre toutes, l’illustre Héré. Tout vient, n’est-ce pas ? de ce que le soleil, quand il s’élève dans le ciel, semble courtiser le ciel bleu, ou la demeure spéciale d’Héré et de Zeus. Le séjour d’Ixion dans la maison de Zeus représente alors la longue pause que semble faire l’astre au haut des cieux, à midi. Fantôme qui se joue d’Ixion, un beau nuage repose sur l’azur bleu et profond : et, les Centaures (fig. 125), Gandharvas hindous, ce sont ses enfants, vapeurs que répand ce nuage, en temps de pluie, sur les terres de l’Est. Reste la roue à quatre jantes d’Ixion. C’est la croix de feu, Fig. 125. — Centaures.
les rayons transversaux et vibrants que voient, dans le ciel, ceux qui regardent le soleil, à midi. Le nom d’Ixion peut enfin s’expliquer, quoique dans ce cas nous finissions (au lieu de commencer) par demander aide à la science étymologique ; mais rien de très-frappant ne s’impose à notre recherche. Voici : certains ont identifié ce nom avec le mot sanscrit Akshanah, lequel désigne quelqu’un qui est attaché à une roue ; le vocable Ixion étant de la sorte regardé comme apparenté au grec axôn et au latin axis. Les vieux poèmes contiennent le germe de l’histoire d’Ixion, si on sait l’y retrouver. Dyaus (le ciel) lutta pour arracher la roue du soleil à l’étreinte de la nuit. De phrases semblables vint aussi la notion des obscures Gorgones, poursuivant Persée qui se hâte vers les jardins hyperboréens.


BRIARÉE, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Briaréos.)





Briarée est le fils aux cent mains d’Ouranos et de Gée ; autrement appelé Ægœon. Lorsqu’Héré, Poséidon et Athéné allaient charger de liens Zeus, voici que Thétis avertit du danger le souverain des dieux ; qui, appelant à ses côtés Briarée, effraya les conspirateurs, prompts à abandonner leur tentative.



Gorgones.





LES HÉROS
ET
LE PAYS DE L’IMMORTALITÉ

PERSÉE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Perseus.)


Persée est le grand héros d’Argos et le fondateur mystique de la dynastie des Perséides ou enfants de Persée. Héraclès appartenait à la famille de Persée : on nous présente sa mère Alcmène comme la petite-fille du héros.

L’histoire d’Héraclès a été, cependant, racontée avant celle de Persée, parce qu’Héraclès n’est le descendant de Persée que dans la seule mythologie d’Argos. Chaque État ou chaque cité avait son propre fonds de traditions, dont aucune ne s’accordait de tous points avec celles des autres États ou des autres cités, et les légendes d’Héraclès se connaissaient au loin plus que celles de Persée ; elles servirent de fondement à l’histoire non seulement de ce dernier, mais de beaucoup d’autres héros. Vous voici donc prévenus que le conte de Persée est véritablement la répétition du conte d’Héraclès (fig. 128), quoique le peuple d’Argos, jadis, n’ait point eu vent de cela. Des différences dans les noms des personnes et des lieux mentionnés obscurcirent les points de contact suffisamment pour faire paraître ces contes très-différents aux yeux de gens que rien ne portait à les examiner avec minutie ou plutôt avec un esprit critique. Héros particuliers à chaque cité, qui les honorèrent comme leur défenseur, Thésée à Athènes et Œdipe à Thèbes répondaient à Fig. 128. — Héraclès.
Persée d’Argos. Les hommes de Thèbes, d’Argos et d’Athènes regardaient leurs légendes héroïques comme des histoires distinctes véritablement. Le sont-elles ? Point. Mais simplement la répétition du même conte, les noms des lieux et des personnes changés, et quelques-uns des accidents altérés.

Revenons à Persée, et d’abord à la fable de sa naissance. Acrisios, roi d’Argos, fut averti, par l’oracle de Delphes, que si sa fille Danaé avait un fils, il serait, lui, tué par cet enfant. Aussi enferma-t-il Danaé dans une tour, mais Zeus y entra sous forme de pluie d’or ; et Danaé devint mère de Persée. Acrisios plaça Danaé et son nouveau-né dans un coffre que les vagues de la mer portèrent à l’île de Sériphos. La jeune femme et l’enfant, sauvés, furent traités avec bonté par Dictys, frère de Polydccte, roi de l’île. Persée grandit, doué d’une beauté et d’une force plus qu’humaines. Ses yeux étincelants et ses cheveux d’or le faisaient pareil à Phoïbos, seigneur de la lumière. La destinée qui échut à Persée fut toutefois un lot de dur labeur, de peine et de danger, terrible enfin ; mais que devait suivre une grande récompense. Voici. Le cruel Polydecte chercha à gagner l’amour de Danaé ; et comme Danaé refusait, ce roi mit à son tour la princesse en prison, disant qu’elle n’en sortirait pas, à Fig. 129. — Tête de Méduse.
moins que Persée n’apportât la tête de la gorgone Méduse, l’une des trois filles de Phorcos et de Célo (fig. 129). Ses sœurs, Stheino et Euryale, étaient immortelles : mais, elle, était mortelle. La légende est belle : on dit que Méduse vivait, avec ses sœurs, dans l’Ouest lointain, bien au-delà des jardins des Hespérides, où le soleil ne brillait jamais : rien de vivant ne s’y faisait voir. Altérée d’amour humain et de sympathie, elle visita ses parentes les Grées, qui ne voulurent l’aider. Aussi quand Athéné vint du pays libyen, implora-t-elle son aide ; mais la déesse la lui refusa, alléguant que les hommes reculeraient devant la sombre mine de la Gorgone. Méduse avait dit qu’à la lumière du soleil sa face pouvait être aussi belle que celle d’Athéné ; et la déesse, dans sa colère, répliqua que tout mortel qui regarderait ce visage serait changé en pierre. C’est ainsi que l’aspect de la malheureuse devint autre, et que ses cheveux furent des serpents qui s’enroulèrent et s’enlacèrent autour de ses tempes. Persée parvint à trouver le refuge de Méduse et plus tard à la tuer : pour cela les dieux l’aidèrent.

Mais n’anticipons point. Persée dormait encore sur le sol argien qu’Athéné se tint devant lui et lui donna un miroir dans lequel il vit, réfléchie, la face de Méduse ; ainsi il était possible au héros de la reconnaître, car, Méduse elle-même, il ne pouvait la contempler et vivre. Quand il s’éveilla, il trouva le miroir à son côté, et sut que ce n’était pas un songe. Il voyagea vers l’Ouest avec bon espoir et, la nuit suivante, reconnut, dans son sommeil, Hermès, le messager céleste, qui lui donna l’épée tuant tout mortel qu’elle frappe : le dieu lui ordonna en outre d’obtenir le secours des Grées dans sa recherche ultérieure. Quand il s’éveilla, il prit avec lui l’épée et alla à la terre des Grées, où Atlas supporte les piliers des hauts cieux : là, dans une caverne, il trouva les trois sœurs qui avaient un œil à elles trois, qu’elles se passaient l’une à l’autre. Cet œil, Persée le saisit ; et par ce fait obligea les Grées à le guider vers la demeure de Méduse. Sur leur avis, il alla jusqu’au bord du fleuve océan coulant autour de la terre entière : où les nymphes lui donnèrent le casque d’Hadès, qui accorde à qui le porte le pouvoir d’aller invisible, et un sac où mettre la tête de Méduse ; puis les sandales d’or d’Hermès qui l’emporteraient plus prompt qu’un rêve sur la trace des sœurs Gorgones. Armé de la sorte, Persée s’approcha de la demeure de la Gorgone ; et pendant le sommeil des trois sœurs, l’épée infaillible frappa et acheva la funeste vie de Méduse. Quand les immortelles Gorgones s’éveillèrent et virent l’une d’elles assassinée, elles s’élancèrent, dans une poursuite folle, après Persée ; mais avec la coiffure d’Hadès, il voyagea invisible ; et les sandales d’or le portèrent comme un oiseau par les airs. Il alla devant lui jusqu’à ce qu’il entendît une voix lui demander s’il avait apporté la tête de Méduse. C’était la voix du vieillard Atlas, supportant de ses épaules les piliers des cieux, à qui il tardait d’être soulagé de son terrible labeur. À sa prière, Persée lui montra la face de la Gorgone ; et les membres rudes du vieillard se raidirent aussitôt, comme les arêtes aux flancs d’une colline ; sa chevelure éparse ressembla à la neige qui couvre un sommet de montagne. Persée se dirigea vers la terre des Hyperboréens, qui ne connaissent ni jour ni nuit, ni orage, ni sécheresse, ni la mort ; mais vivent joyeusement parmi de beaux jardins, où les fleurs ne se fanent et ne disparaissent jamais. Le héros ne séjourna pas longtemps dans cette terre heureuse ; il se rappela sa mère Danaé, en prison à Sériphos, et, une fois de plus, avec ses sandales ailées, fuit aux bords libyens. Sur un roc, il vit une belle jeune fille enchaînée, un grand dragon s’approchant pour la dévorer. Mais avant que le monstre saisît sa proie, l’infaillible épée l’abattit ; et, ôtant sa coiffure, Persée se tint devant Andromède (fig. 130). On célébra bientôt après des noces, où siégeait la jeune fille, épouse de Persée : mais un accident marqua cette fête. Phinéas, qui avait souhaité d’épouser Andromède, injuria Persée ; le fiancé, dévoilant la face de la Gorgone, changea Phinéas et tous ses compagnons Fig. 130. — Andromède et Persée (bas-relief).
en pierre. Persée ne demeura point en Libye. Céphée, père d’Andromède, le supplia de rester ; mais il fit hâte vers Sériphos et délivra sa mère Danaé de la prison ; avec la face de la Gorgone il changea encore en pierre le tyran Polydecte. Ainsi se termina l’œuvre ; et Persée rendit à Hermès le casque d’Hadès, et les sandales et l’épée. Athéné prit la tête de la Gorgone et la plaça sur son égide. Si l’on se souvient, il reste à faire s’accomplir l’avertissement donné par l’oracle de Delphes au roi Acrisios. Quand Persée retourna avec Danaé à Argos, Acrisios, qui avait grand’ peur, s’enfuit à Larisse, où il fut reçu par le chef Teutamidas. Persée y vint aussi, pour participer aux jeux célèbres qui devaient se donner en la plaine, devant la cité. D’un bout à l’autre il triompha ; mais pendant qu’il jetait ses disques, l’un d’eux dévia et tua Acrisios. Certaines légendes veulent que le chagrin de cette mort qu’il avait causée involontairement l’ait amené à céder à son parent Mégapenthès la souveraineté d’Argos ; il aurait alors été mourir dans la cité de Tiryns, entourée par lui d’énormes murailles.

Voyez-vous à quelles histoires cette légende ressemble surtout ? À celles d’Héraclès, nous l’avons dit ; puis à d’autres que nous verrons : exploits de Thésée, de Bellérophon, de Céphale et d’Œdipe. L’avertissement donné à Acrisios se trouve dans plus d’un conte : Laios est averti, à Thèbes, qu’il sera tué par son fils ; Priam, dans Troie, est averti que son enfant causera la ruine de cette ville. Même prophétie est aussi faite aux parents de Télèphe, de Kuros (le Cyrus des Latins), de Romulus, et de bien d’autres.

Suites ordinaires de cet avertissement : les enfants sont exposés, quelques-uns sur le flanc d’une colline, tels qu’Œdipe, Pâris et Télèphe ; plusieurs sur la mer, tels que Dionysos et Persée ; ou dans un berceau sur le bord d’une rivière, comme Romulus. Dans les différents cas, ils sont sauvés ; et l’époque de leur croissance, jusqu’à l’âge d’homme, est généralement décrite avec les mêmes traits. Revenons maintenant aux détails premiers de la légende. Qu’est-ce que la pluie d’or dans la prison de Danaé ? La lumière du matin qui coule sur les ténèbres de la nuit. Que montre l’assujettissement de Persée à Polydecte ? Une autre forme de l’assujettissement d’Héraclès à Eurysthée, de Poséidon à Laomédon, et d’Apollon Fig. 131. — Vase montrant les Grées.
à Admète. Qu’est Polydecte ? La même chose que Polydegmon, ou Hadès, roi de la terre obscure, lequel saisit gloutonnement tout ce qui se met à sa portée. Enfin Méduse et ses sœurs ? Méduse est la nuit étoilée, solennelle dans sa beauté, et condamnée à mourir quand vient le soleil ; ses sœurs représentent les ténèbres absolues que l’on supposait impénétrables au soleil. Voir dans le voyage de Persée à la terre des Grées la contre-partie du voyage d’ Héraclès à la terre des Hespérides. Les Grées personnifient le crépuscule ou l’obscurité, la région des ombres douteuses et des obscurs brouillards (fig. 131). Comparez aussi le dragon libyen tué par Persée avec ses autres formes en tant que Python, Fafnir, Vritra, le Sphinx et la Chimère. Le mariage d’Andromède ressemble, du reste, à ceux d’autres héroïnes mythiques : il suit le meurtre d’un monstre, comme celui d’Ariane, de Brunehilde, de Déjanire, de Médée, de Jocaste et de toutes. Le retour de Danaé à Argos, c’est la restitution d’Iole à Héraclès, de Briséis à Achille, d’Antigone à Œdipe, et de Brunehilde à Sigurd. Qui n’a reconnu en l’épée que porte Persée les rayons perçants du soleil qui est invincible dans sa force ? Bien d’autres êtres mythiques sont en possession de ces armes irrésistibles, n’est-ce pas ? Tous ces héros dont la vie, au fond, ressemble à celle d’Héraclès et de Phoïbos. Ainsi nul autre ne peut manier la lance d’Achille ou l’arc d’Odyssée (l’Ulysse latin) ; et les flèches d’Héraclès et de Philoctète portent la mort en leurs plumes.

La signification du nom de Persée est typique : il veut dire le Destructeur. Nombre de héros ont des noms qui viennent des monstres qu’ils tuent, tel que Bellérophontès ou Bellérophon, le tueur de Belléros, et Arguéiphontès, le tueur d’Argos Panoptès « qui voit tout ».

Par cette première légende relative à un Héros nous apprenons qu’il en sera de même que dans le cas des Dieux. Persée, Bellérophon, Héraclès, Thésée, Achille, Apollon, Odyssée, Sigurd, Rustem, et une légion d’autres, ne sont que des formes différentes d’une seule et même personne ; et l’idée de cette personne est issue de phrases qui décrivaient originairement la marche du soleil dans son orbe annuel et quotidien.






NIOBÉ, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Niobé.)





Presque chaque incident de l’histoire de Niobé se raconte de diverses façons. C’est ainsi que certains auteurs disent cette déité mère de Phoronée et femme d’Inachos ; tandis que la version la plus populaire en fait une fille de Tantale et la femme d’Amphion, roi de Thèbes. Niobé compara le nombre de ses six fils et de ses six filles aux deux seuls enfants dont Léto, la Latone latine, était mère ; et elle éveilla le courroux de cette déesse qui commanda à Phoïbos et à Artémis de venger son affront. À eux deux ils tuèrent en conséquence tous les enfants de Niobé (fig. 133) avec les flèches qui ne manquent jamais leur but ; et Niobé, allant à la montagne de Lipylos, y pleura jusqu’à se changer en pierre.

Étudions cette histoire. La rivalité entre Niobé et Léto ou Latone se reproduit dans celle qui existe entre Méduse et Athéné, et les nombreux enfants de Niobé sont les nombreux enfants de la brume : en d’autres termes des Fig. 133. — Niobédes.
nuages qui, bien qu’aussi beaux que Phoïbos et Artémis, sont desséchés par les rayons brûlants du soleil. Tandis que Niobé elle-même se dissout en une pluie de larmes, durcie bientôt en glace sur le sommet de la montagne.






THÉSÉE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Théseus.)





Thésée est le grand héros d’Athènes, correspondant (nous l’avons vu) à Persée d’Argos et à Œdipe de Thèbes. Son père est Œgée et sa mère est Ætra, l’air pur. Adolescent, il vécut à Trézènes, où il dut rester jusqu’à ce qu’il fût capable de soulever une grosse pierre : dessous, Œgée avait placé son épée et ses sandales. Vous reconnaissez en ces sandales celles d’Hermès ; l’épée est l’arme d’Apollon Chrysaor, et correspond aux flèches de Phoïbos et d’Odyssée et à la lance d’Achille. La manière dont Thésée les doit gagner se retrouve dans plusieurs autres histoires : en le conte d’Héraclès et d’Échidna, et dans la légende qui, plus tard, devint le Lai des Nibelungen ou enfants de la brume (le Nibelungenlied). Odin, enfonçant jusqu’à la poignée dans un tronc de chêne l’épée Gram, la laisse à l’homme qui pourra l’en retirer : c’est Sigmund qui l’en retire ; et plus tard, lorsqu’elle est cassée, Régin, l’artisan, qui correspond à Héphaïstos, le Vulcain latin, la forge de nouveau pour Sigurd.

Cette épée gagnée par lui et par nous reconnue, suivons les exploits qu’accomplit Thésée : il tue le géant Périphètes (fig. 135), le voleur Sinnis, la truie de Crommyon ; et le cruel Procuste, qui torturait ses victimes en étirant Fig. 135. — Thésée tue Périphètes.
leurs membres jusqu’à ce que mort s’ensuivît. Tant de hauts faits ne servirent pas à exempter ce héros de labeurs ultérieurs. Comme Persée et Héraclès, Thésée est voué à une vie de peines ; et d’Athènes il fut envoyé pour tuer le monstre, avec le vaisseau qui portait au Minotaure un tribut d’enfants à dévorer. Cette bête chimérique avait la forme d’un taureau, qu’on disait né de Pasiphaé, la femme de Minos. Explication simple : le nom de Pasiphaé désigne « quelqu’un qui donne la lumière à tous » ; et le taureau, dans les hymnes védiques les plus vieux, est toujours mentionné conjointement avec le soleil et le char d’Indra et de Dahana. Europe aussi est née en mer sur un taureau sans tache et blanc. La déviation de l’idée a sa cause dans l’oubli de ceci, que Pasiphaé, comme Téléphassa et Argynnis, était simplement un nom pour : le Matin. Fig. 136. — Thésée et le Minotaure, bas-relief.
Le Minotaure avait sa demeure dans le labyrinthe de Crête, Qu’est-ce que ce labyrinthe ? Le même lieu que la chambre nuptiale qu’Odyssée a, de ses mains, faite pour Pénélope : il reparaît aussi dans le méandre des jardins hyperboréens, que le Soleil dispose pour sa fiancée, l’Aurore. Avec l’aide d’Ariane, fille de Minos, le héros enfin tua le Minotaure, tout juste comme avec l’aide de Médée, Jason tua les taureaux soufflant des flammes de Colchide (fig. 136). Sachons ce qu’il advint d’Ariane. Thésée l’emmena avec lui dans la lointaine Naxos, et la délaissa (fig. 137). Mais Dionysos vint, en fit sa femme et plaça sa demeure dans la constellation qui s’appelle la Chevelure d’Ariane. Médée, de son côté, fut, elle aussi, délaissée comme Ariane : Jason la quitta pour épouser Fig. 137. — Ariane.
Glaucé, fille du roi Créon. Toujours, n’est-ce pas ? l’abandon d’Iole par Héraclès, d’Œnone par Pâris et de Brunehilde par Sigurd ; et qui ne veut dire autre chose sinon que le soleil ne peut pas s’attarder dans l’Est avec l’aurore. Mais d’autres accidents attendent Thésée. Comme d’Œdipe et de Persée, on dit de lui qu’il fut la cause involontaire de la mort de son père, en négligeant de descendre la voile noire qui ne devait être déployée que pour le voyage en Crète. Aussi : qu’il prit part à la chasse du sanglier de Calydon et au voyage des Argonautes, et a ramené Perséphone de l’Hadès.

À Athènes on regardait ce héros comme le fondateur de l’État. Thésée passe en effet pour avoir réuni tous les territoires (ou dèmes) de l’Attique en un seul État, avec Athènes pour cité. Mais, de fait, les Athéniens, voyant en lui un homme, firent petit à petit sortir de son existence mythique une vie réelle ou pareille à celle des hommes, laissant de côté toute histoire merveilleuse. Quelques mythographes même dirent que le tueur du Minotaure n’était pas le même que le fondateur de la république athénienne : mais ils n’avaient pas plus de motifs de s’exprimer ainsi, que n’en eurent d’autres de dépouiller l’histoire de Thésée, fils d’Æthra, de tous ses incidents miraculeux.






ŒDIPE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Oïdipous.)





Le grand héros de Thèbes en Béotie est Œdipe, correspondant (nous le savons) à Persée d’Argos et à la Thésée d’Athènes. L’histoire de sa naissance et de sa première enfance dit que son père Laios, en latin Laius, reçut de l’oracle de Delphes le même avertissement qui fut donné à Acrisios. Œdipe fut en conséquence exposé, immédiatement après sa naissance, sur le flanc du mont Cithéron (Kithairon). Ajoutons que, comme Dionysos et Persée, il fut placé dans un coffre, qu’on jeta à la mer. Sauvé comme les deux héros précités, et mené à Corinthe, il y passa pour le fils de Polybe et de Mérope. Mais l’avertissement de l’oracle s’accomplit. Voyageant de Corinthe à Thèbes, Œdipe rencontra sur la route un vieillard dans un char, qui lui ordonna de quitter le chemin ; sur son refus, le vieillard le frappa, et fut immédiatement tué par lui : c’était Laios, son père. Le héros, poursuivant sa carrière, trouva les Thébains en proie à une grande détresse, la sécheresse causée par le Sphinx, qui, assis sur le sommet de la colline dominant la cité, proférait de sombres énigmes, et ne pouvait être vaincu que par celui qui en expliquerait le mystère (fig. 139). Œdipe sauva la cité, en expliquant l’obscur Fig. 139. — Œdipe et le Sphinx.
énoncé du Sphinx, qui se jeta avec un farouche rugissement du haut des falaises ; et le sol brûlé fut rafraîchi par une pluie abondante. Une récompense attendait le jeune homme : on avait proclamé que quiconque délivrerait la ville du monstre épouserait la belle Jocaste, laquelle se trouvait être la mère d’Œdipe. Ce mariage eut lieu : car Œdipe ignorait quels étaient ses parents : mais l’Érinnys, qui tire vengeance du meurtre, lança une peste sur la ville, à cause de la mort de Laios ; et l’oracle de Delphes imposa aux habitants le devoir de se débarrasser du coupable. Quand, après de longues recherches, il se découvrit que c’était Œdipe qui avait tué le vieillard, et qu’il était marié à sa propre mère, ce héros s’arracha les yeux, afin de ne pas voir le malheur par lui perpétré ; et Jocaste mourut dans la chambre nuptiale. Tant de deuil ne mit pas fin à ces maux terribles ; Até, qui punit les fautes des enfants envers leurs parents, n’avait pas encore accompli son œuvre. Œdipe erra hors de Thèbes, misérable exilé, conduit par sa fille Antigone ; puis ses fils Étéocle et Polynice se disputèrent à qui régnerait sur Thèbes, et allumèrent une guerre civile. Se rencontrant dans la lutte, ils se tuèrent l’un l’autre. La destinée effroyable d’Œdipe touchait à son terme. Venu au bosquet des Euménides, près d’Athènes, il reçut de Zeus l’avertissement que sa mort était proche, et envoyant chercher Thésée, lui dit qu’Athènes serait grande et puissante aussi longtemps que personne ne saurait où Œdipe gisait enterré. Aussi, sous le sillon des éclairs et les grondements du tonnerre, le héros se reposa de sa peine et de ses maux, consolé jusqu’au dernier instant par le tendre amour de sa fille Antigone.

Origine de l’histoire. Tout vient de cette idée de labeurs exécutés au bénéfice d’autrui, laquelle distingue les légendes d’Héraclès, de Persée, de Thésée, de Bellérophon, et nombre d’autres ; et de phrases anciennes parlant du soleil comme s’unissant le soir à celle dont il était issu le matin. Le récit dut finir d’abord au mariage d’Œdipe avec Jocaste, juste comme dans les hymnes sanscrits Indra s’appelle le mari de l’Aurore, et quelquefois son fils : parce que l’Aurore vient avant que se lève le Soleil, Indra paraissant l’enfant de Dahana ; mais vu à son côté, il peut aussi passer pour son mari. De fait, toute la nature des dieux transparaît dans ces très-anciens poèmes. « Il n’y a pas de généalogies ou de mariages en règle entre les dieux et les déesses. Le père est quelquefois le fils, le frère est le mari, et celle qui dans un hymne est la mère, est dans l’autre la femme [28]Remarque : la dernière partie de l’histoire d’Œdipe ne s’est pas produite dans l’Inde ; pourquoi ? Parce qu’on n’avait pas oublié la signification réelle de noms tels qu’Œdipe et Jocaste. Mais, chez le Grec voyant en Œdipe et en Jocaste des êtres vivants, l’idée d’un mariage entre eux devint choquante ; et les horreurs qui en résultent sont des inventions ayant une cause très-naturelle. Œdipe se montre comme dominé par une puissance à laquelle il ne peut pas résister. C’est que le Soleil ne peut se reposer dans sa marche : l’astre n’agit pas librement ; et il faut qu’il s’unisse le soir à l’Aurore, de qui il s’est séparé le matin. Cette notion, appliquée à des actions humaines, devint l’idée de la Nécessité, appelée par les Grecs Ananké, ou de la Destinée qu’ils nomment Moïra. Sens de ce dernier mot Moïra : littéralement une portion ; et dans Homère, c’est l’être qui assigne aux hommes leur part de la vie, soumis strictement à Zeus. Aux poèmes postérieurs, ce personnage devient plus puissant que Zeus et tous les dieux ; et, selon quelques versions, il y avait trois sœurs appelées les Moires [29] (en latin, Fates) : nommément Clotho, celle qui file le fil de la vie, Lachésis celle qui le dévide aussi long qu’elle veut, et Athropos, la déité inexorable qui le coupe. Quant à Até, cause des disputes mortelles entre les fils d’Œdipe, son nom signifie « folie malfaisante » ; et dans les poèmes homériques elle n’est rien de plus : comme telle, Zeus la précipite du ciel, pour avoir fait naître Eurysthée avant Héraclès. Dans des temps plus récents, Até devint un sort ou un arrêt demeurant sur une maison, après l’effusion de sang innocent.

Étudions la parenté d’Œdipe. Jocaste, comme Iole et Iam, est un mot qui désigne la couleur violette, et signifia d’abord les teintes délicates des nuages du matin, ou celles du matin lui-même. Laios représente l’obscurité d’où sort le soleil, et répond à Léto ou Latone, mère de Phoïbos. Le mot est le même que le Dasyu indien, ennemi ; nom appliqué fréquemment à Vritra, l’ennemi d’Indra. Le nom d’Œdipe excite des controverses : quelques-uns croyaient qu’il venait du mot signifiant « aux pieds enflés » ; d’autres s’imaginaient qu’il voulait dire « qui sait l’énigme des pieds », parce que l’on raconte que le Sphinx demandait : « Quelle est la créature qui va sur quatre pieds le matin, sur deux pendant le jour, et sur trois le soir ? » Toutefois aucune de ces notions n’est correcte : et l’on ne connaît pas d’une façon certaine l’origine de cette appellation. Elle peut venir des verbes qui veulent dire enfler ou savoir : mais les deux modes d’explication que l’on vient de mentionner sont les fantaisies d’époques récentes. Les faits ici nous guident seuls, comparés aux vieilles croyances. Ainsi cette exposition d’Œdipe dans son bas âge vient d’une phrase disant originairement : « Les rayons du soleil, à sa naissance, reposent au niveau de la terre, ou sur le flanc de la colline. » Pâris de la sorte est exposé sur l’Ida ; mais l’Ida, dans les vieux poèmes védiques, est un nom de la terre, qu’on appelle la femme de Dyaus, le ciel visible. Ida et Dyaus répondent donc à l’Ouranos et à la Gaia grecs. Poursuivons. Le Sphinx est une créature qui emprisonne la pluie dans les nuages et, de cette façon, cause une sécheresse ; et, son nom signifiant « qui attache ferme » (du mot grec sphingo), cet être, en conséquence, répond exactement à Ahi, ou Échidna, le serpent étouffeur des ténèbres. Longtemps la notion en apparut comme importée d’Égypte, et « sphinx », passa même pour un mot égyptien : explication erronée des âges postérieurs. Les Grecs avaient l’idée et le nom du Sphinx (qu’on appelait aussi Phix, d’un mot apparenté au latin figo, fixer), cela des siècles avant que l’Égypte fût ouverte aux marchands et aux voyageurs helléniques. Le Sphinx grec a la tête d’une femme avec le corps d’une bête, les griffes d’un lion, les ailes d’un oiseau et une queue de serpent, et il peut être représenté dans toute attitude. Seulement, quand les Grecs vinrent en Égypte et trouvèrent des figures présentant la tête d’une femme unie au corps d’un lion, ils les appelèrent du même nom et s’imaginèrent dans la suite tenir l’idée même des Égyptiens. La notion de l’énigme du Sphinx fut suggérée par le murmure et le grondement du tonnerre, que les hommes ne peuvent pas comprendre. Œdipe, lui, devait les comprendre, parce qu’il tient de Phoïbos, le dieu de la lumière, cette sagesse qu’Hermès chercha aussi à obtenir. Ne voyez enfin autre chose dans la mort de ce Sphinx que la victoire d’Indra qui tue son ennemi Vritra ; et immédiatement apporte la pluie à la terre altérée : une averse se répand sur Thèbes, aussitôt que le Sphinx se précipite de la falaise. Inutile, étant donnée l’intuition acquise par le lecteur, de citer les formes sous lesquelles le Sphinx apparaît dans d’autres histoires, comme le Python et Fafnir : il se montre aussi en tant que Typhon et Polyphème.

Détails curieux : le lieu où meurt Œdipe est le bois sacré des Euménides. Le nom Euménides signifie littéralement « les êtres bons » : elles sont la même chose que les Erinnyes (Alecto, l’implacable, Mégæra, l’envieuse, et Tisiphone, vengeresse du sang, celles que l’on connaît d’ordinaire comme les Furies (fig. 140), Employée par antiphrase, pareille appellation sert à détourner le courroux de ces êtres mauvais. Quant au nom des Erinnyes, il ne veut cependant point dire Furies ; et c’est l’un de ceux Fig. 140. — Furies.
qu’on ne peut expliquer en grec (à coup sûr le même mot que le Saranyû indien, qui est un nom de l’aurore). Comment se fit-il que l’aimable Saranyû, ou le matin, pût se changer en l’obscur Erinnys des Grecs ? Voici. Aussi longtemps qu’on se rappela la signification du mot, on dit des malfaiteurs « Saranyû découvrira votre péché », voulant dire que la lumière révélerait leur perversité. D’où l’Erinnys fut d’abord l’être qui fait le jour sur les mauvais actes ; on la représenta après sous de sombres et terribles couleurs, comme une personnalité vengeresse.

À la faveur d’explications, multiples et non confuses, dans le méandre desquelles vous ne vous êtes point égarés, proclamons d’un commun accord ce qu’est la mort d’Œdipe ! La mort du soleil, dans les beaux bosquets du Crépuscule (ou jardins des Hyperboréens) représentant le réseau féerique des nuages ; et qui sont les premiers à recevoir et les derniers à perdre la lumière de l’astre, le matin et le soir. Quoique Œdipe expire dans la foudre et l’orage, les Euménides cependant sont bonnes pour lui ; et sa dernière heure est une heure de paix et de tranquillité. Un seul d’entre ses enfants reste jusqu’à la fin avec Œdipe, Antigone, dont le nom désigne la lumière pâle qui naît ou jaillit, à l’opposé du soleil, quand il se couche. Que devint-elle ? Les deux frères s’étant tués l’un l’autre, le corps de Polynice fut rejeté sans sépulture ; et, défiant Créon et ses ordres, Antigone le brûla. Créon ordonna que la jeune fille fût à son tour brûlée vivante ; et quand Hamon, fils de ce prince, la trouva morte, il se tua sur le cadavre virginal.



Éos et Céphale.





PROCRIS, MYTHE GREC ET LATIN.


Procris est la fille d’Érechthée, roi fabuleux d’Athènes, et de Hersé. Cet Érechthée ou Érichtonios (car les deux noms n’en sont qu’un) est regardé comme le fils d’Héphaïstos et de Gê, la terre : il naquit ayant la forme d’un serpent, et Athéné l’éleva. Son enfant, Procris, être d’une beauté merveilleuse, gagna l’amour de Céphale, qui la trouva sur le mont Hymète ; venant, lui, du rivage blanc d’Eubée. Mais Éos fut jalouse de voir Procris mariée à Céphale ; elle tenta Céphale, et le fit douter de la foi de son épouse. Céphale, parti, revint sous un déguisement (comme Sigurd, dans le conte Volsung, revient vers Brunehilde), et gagna l’amour de Procris par ce changement de forme. Procris découvrant la ruse, s’en fut en Crète ; elle y resta dans un profond chagrin, jusqu’à la visite d’Artémis, qui lui donna la lance ne manquant jamais son but et le chien qui toujours dépiste sa proie. Procris, avec cette arme et le limier, revint à Athènes, et sans cesse triompha dans les chasses. Son mari, que ce succès remplit d’envie, demanda la lance et le chien, mais elle refusa de les lui céder autrement qu’en retour de son amour. Céphale lui donna cet amour, et découvrit immédiatement qu’il avait devant lui sa première femme, Procris. Craignant encore la jalousie d’Éos, Procris dans la chasse se tenait près de Céphale, mais la lance de celui-ci la transperça, cachée par un fourré. Le prince, navré de cette mort, quitta Athènes et aida Amphitryon à débarrasser ses terres de bêtes nuisibles : puis, voyageant à l’Ouest, il atteignit le cap Leucade, où sa force l’abandonna, et il tomba dans la mer.

Origine de cette histoire. Elle est issue de trois simples phrases, dont l’une disait « le soleil aime la rosée », tandis que la seconde dit « le matin aime le soleil » ; la troisième ajoutait que « le soleil est la mort de la rosée ». Un détail nous le prouve : on appelle Procris l’enfant d’Hersé, mot qui, même en grec, signifie « rosée » ; et le nom de Procris lui-même vient d’un mot grec signifiant « scintiller ». Éos, encore, est la déesse de l’Est ou du matin ; et Céphale, un mot qui veut dire la «tête » du soleil.

Poursuivons et traduisons. Comme le soleil regarde de grand matin la rosée, Céphale de même gagne l’amour de Procris en sa première jeunesse : cependant l’amour de l’aurore pour le soleil se change en la jalousie qu’Éos ressent de Procris. Mais chaque goutte de rosée réfléchit le soleil ; on disait pour cela de Procris qu’elle accorda son amour à Céphale, restant à travers son changement toujours le même. Elle meurt de la lance d’Artémis qui représente les rayons du soleil quand il gagne de la force et sèche la rosée. Céphale donne cette mort involontairement, tandis que la jeune femme s’attarde dans un fourré (lieu où la rosée persiste longtemps), juste comme Phoïbos ou Phœbus perd Daphné, et comme Orphée est séparé d’Eurydice. Toujours, ayant tué son épousée, Céphale doit voyager à l’occident, comme Héraclès, Persée et d’autres héros. Comme eux il peine pour les autres ; et, comme eux, meurt, au loin, dans l’Ouest, après sa tâche accomplie.



Orphée.





ORPHÉE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Orpheus.)


Orphée passe pour fils du fleuve Éagre et de la muse Calliope. Son histoire est des plus belles. Ce mythe brillant gagna l’amour de la belle Eurydice, qui mourut bientôt après de la morsure d’un serpent. Orphée, malheureux de cette perte, n’eut plus le cœur d’éveiller sur sa lyre d’or la musique, qui faisait que bêtes, arbres et hommes le suivaient avec délices. Il se détermina donc à chercher Eurydice dans la terre des morts ; et, ayant adouci le chien d’Hadès, Cerbère, par son chant, il fut conduit devant Polydegmon et Perséphone, qui lui permirent d’emmener sa femme : à condition qu’il n’en regarderait pas le visage aimé avant qu’elle eût atteint la terre. Orphée, oubliant sa promesse, se retourna trop tôt ; et Eurydice lui fut ravie presque avant qu’il pût la voir. La douleur d’Orphée imposa de nouveau silence à sa musique, cela jusqu’aux temps où il mourut sur les bords de l’Hébre. Son nom est le même, Orpheus, que l’indien Ribhu, appellation qui paraît avoir été, à une époque très-primitive, donnée au soleil. On l’applique, dans les Védas, à de nombreuses déités.

Le sens primitif semble avoir marqué l’énergie et le pouvoir créateurs. Orphée représente, dans l’opinion de quelques-uns, les vents qui arrachent les arbres dans leur course prolongée, en chantant une sauvage musique. Aussi faut-il voir comme le mélange de deux notions qui viennent aboutir à la légende d’Orphée : l’idée du matin, avec sa beauté de courte durée, s’y fond comme dans l’histoire d’Hermès, avec l’idée de la brise qui accompagne ordinairement l’aurore. Le nom d’Eurydice vient du mot qui a donné leiir forme aux noms comme Europe, Eurytos, Euryphassa, et beaucoup d’autres : tous dénotant le vaste jaillissement de l’aurore dans le ciel. Alors qu’est-ce que le serpent qui mord Eurydice ? Le serpent des ténèbres, qui tue le beau crépuscule du soir. Le pèlerinage d’Orphée enfin représente le voyage que, pendant les heures de la nuit, le Soleil passait pour accomplir afin de ramener, au matin, l’Aurore, dont il cause la disparition par sa splendeur éblouissante. Réminiscences : voir dans ce départ final d’Eurydice une autre forme de la mort de Daphné et de celle de Procris.


EUROPE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec ; Europè.)


Europe, selon l’histoire connue, est la fille d’Agénor et de Téléphassa, et la sœur de Cadmos (le Cadmus latin) et de Phœnix. Née en Phénicie, elle fut, dans sa première jeunesse, conduite à Delphes, par Zeus, qui avait pris la forme d’un taureau blanc.

Terminons cette histoire. Agénor ordonna à ses fils de partir à la recherche de leur sœur, et Téléphassa, allant avec eux, voyagea à l’Ouest jusqu’en Thessalie. Arrivée là, Théléphassa tomba de faiblesse et mourut ; et Cadmos, continuant, rencontra Phoïbos ou Phœbus. Le dieu lui dit qu’il aurait des nouvelles de sa sœur à Delphes : et qu’après l’avoir trouvée, il suivrait une vache, qui le mènerait en un lieu où il devait bâtir une ville. Il quitta Delphes, ayant trouvé sa sœur ; et comme ils passaient, une vache se leva et alla devant eux, ne se couchant, pour se reposer, que lorsqu’ils atteignirent l’endroit où Cadmos bâtit la ville de Thèbes. Cadmos passa le reste de sa vie, voici à quoi : il tua d’abord un dragon près du puits d’Arès (fig. 144) ; et, après une année Fig. 144. — Cadmos tue le Dragon.
d’autres labeurs, reçut de Zeus pour femme Harmonia. Cadmos et Harmonia donnèrent le jour à Ino, à Sémélé et à Agave ; et, finalement, se virent amenés par Zeus dans l’Élysée, le paradis des bons. Ainsi ce nom d’Europe, comme Euryphassa, Eurynome, et beaucoup d’autres, exprime le vaste jaillissement de l’aurore, laquelle est ravie de l’Est à l’Ouest par Zeus (Dyaus, le ciel), représenté dans les très-vieux poèmes sous la forme d’un taureau. Et les autres noms s’expliquent bien d’eux-mêmes : la Phénicie, où est née Europe, est la terre de pourpre du matin, comme Délos, la Lycie et Ortygie, tous pays où Phœbus et Artémis voient le jour. Phœnix, frère de l’héroïne, est le maître du grand héros Achille, amant de Briséis ; et Téléphassa (celle qui brille de loin) est, comme Télèphe et Télémaque, un nom de la lumière de l’aurore, qui, éclatant à travers le ceel, meurt dans l’Ouest. On a identifié ce nom de Cadmos avec le mot syrien Kédem, l’Est ; et c’est de la sorte un nom du dieu Soleil. Comme Phœbus, Thésée et Œdipe, il extermine les monstres ; et, comme eux, reçoit ensuite en récompense une belle épouse.

Que d’explications éclatent à la fois, pour qui approche des ombres de la légende la clarté étymologique ! Toutefois, moins clairvoyante que nous, l’antiquité finit par considérer ce conte comme fournissant une preuve évidente que la Béotie a été colonisée par la Phénicie syrienne ; mais une telle preuve d’un tel fait est à peine suffisante, et ne peut, dans aucun cas, dériver de la fable.






MÉLÉAGRE, DIEU GREC ET LATIN.
(Grec : Méléagros.)





Méléagre (fig. 146) est le fils d’Œnée, chef de Calydon, et d’Althée. Petit, comme il dormait dans son berceau, les Moires se présentèrent soudain à sa mère ; et, désignant une bûche de bois brûlant dans le foyer, lui dirent qu’aussitôt le brandon consumé, Méléagre mourrait. Le jeune être grandit, fort, brave et beau, comme Œdipe, Persée, Bellérophon, et les autres grands héros. Ainsi qu’eux il accomplit de grands exploits, et fut notamment de l’expédition des Argonautes, entreprise dans le but de recouvrer la toison d’or possédée par la Colchide ; et aussi de la grande chasse de Calydon, tendant à détruire un sanglier monstrueux. Artémis avait envoyé ce fléau pour punir Œnée, lequel avait négligé de donner à la déesse une part dans un sacrifice. À cette chasse du sanglier assistaient encore nombre des héros qui participèrent à l’expédition des Argonautes : le principal fut Atalante, fille de Schœnéos, chef d’Arcadie. Cette belle vierge perça la première le sanglier, qui fut ensuite tué par Méléagre. Le partage de la dépouille venu, Méléagre désirait la tête ; et les Curètes de Pleuron, qui avaient aidé les Calydoniens Fig. 146. — Méléagre et Atlante.
dans leur chasse, ne furent point contents, eux, de n’avoir que la peau ! Une querelle surgit, où Méléagre tua le chef des Curetés, qui était le frère d’Althée. Guerre alors entre les gens de Pleuron et ceux de Calydon : à laquelle, au bout de peu de temps, Méléagre refuse de prendre part, parce qu’Althée, dans le chagrin de la perte de son frère, lui donne sa malédiction. Conséquence de l’inaction de Méléagre : ceux de Calydon perdirent du terrain et furent constamment défaits, jusqu’à ce que la femme de Méléagre, Cléopâtre, le décida à se produire. Aussitôt qu’il apparut, les ennemis se mirent en déroute : mais les hommes de Calydon ne voulurent pas lui donner de prix ; et Méléagre se retira de nouveau dans ses appartements secrets. Althée, que l’humeur taciturne de son fils rendait plus courroucée encore, alla chercher le brandon et le jeta dans le feu. Comme le bois se consumait, la force de Méléagre déclina ; et la dernière étincelle éclatant, il mourut. La mort d’Althée et de Cléopâtre suivit de près celle de ce grand héros.

La vie de Méléagre, c’est la vie du soleil, ou l’existence unie à cette torche du jour ; quand la torche se consume, il meurt. Cette histoire, elle aussi, ressemble à d’autres. Méléagre est identique à Persée, à Phoïbos, à Céphale, etc., en beauté et en force, dans ses actes bienveillants et dans la brièveté de sa vie ; ainsi que par ses accès d’action et d’inaction, il ressemble tout à fait à Achille et à Pâris. Qu’est-ce que cette inaction ? Le temps que le soleil passe derrière le voile des nuages, d’où il surgit soit pour gagner la victoire, comme Achille et Odyssée (l’Ulysse latin), soit pour mourir comme Méléagre et Héraclès. Alors qu’est-ce qu’Atalante ? Un être que l’on peut comparer à Daphné et à Artémis, mythes dont elle porte la lance infaillible : elle vient censé d’Arcadie, parce que, comme Délos, Lycie, Phénicie, et d’autres termes, le nom de cette terre est un mot qui, originairement, désigna éclat et splendeur. Althée, maintenant, pourquoi devait-elle, après avoir retiré le brandon du feu, l’y rejeter ? Les vieilles légendes disant que, de même que le soleil est l’enfant de la nuit (c’est-à-dire de Léto, la Latone latine, ou de Léda, ou d’Althée) c’est aussi des ténèbres qu’il reçoit la mort, quand il a achevé son cours.






LYCAON ET CALLISTO, MYTHES GRECS ET LATINS.
(Grec : Lukaon, Kallisto.)





Lycaon passe pour fils de Pélasge ; et on ajoute qu’il construisit Lycosure, en Arcadie. Voici l’histoire qui se raconte, Zeus vint visiter Lycaon ; lui et ses vingt ou cinquante fils placèrent devant le dieu un mets qui était de la chair humaine. Le dieu souverain, dans le courroux causé par l’offense, changea toute cette famille en loups, Seulement il ne faut interpréter ce récit étrange que comme le résultat d’une tentative faite pour expliquer le nom de Lycaon, dont la signification avait été oubliée ; et qui, autant que Délos, Ortygie, la Phénicie, et la Lycie, veut dire lumière et splendeur. Le personnage est, par suite, un habitant de l’Arcadie, pays dont le nom a pour sens, également, la terre brillante (rappelez-vous). Quelqu’un demande d’où la notion des loups ? Le mot grec Lucos, un loup, est le même, quant au son, que Leucos « blanc ou étincelant » : d’où vinrent les noms de Lycios et Lycogène, pour Phoïbos ; et Lucna, Luna, pour la lune. Mille exemples de semblables confusions, bien communes. Ainsi Callisto « la plus belle » est fille d’Arcas « le brillant » ; mais la racine d’où vient Arcas est la même que la racine du mot Arctos, ours ; et de là naquit l’histoire de Callisto, éveillant le courroux d’Artémis, et changée en ourse. La constellation connue à présent sous le nom latinisé d’Arctus ou d’Arcturus, a tiré ce nom de la racine qui veut dire : briller. Mais pour la même raison que Callisto est changée en ourse, il se dit que ces étoiles étaient, elles, habitées par des ours : et c’est de là que vinrent les noms de la Grande et de la Petite Ourse. Fait curieux : le nom a été changé dans l’Inde aussi, pas de la même façon qu’en Grèce, mais exactement dans le même esprit. La racine ark, briller, y entra, dans le mot Rishi, qui signifie un sage : et de là les sept Arkshas ou « choses brillantes » furent changés en la demeure des sept Rishis ou Sages. Encore : le mot astre veut dire « qui répand la lumière », et ce mot est le même que le mot hindou târâ ; mais on le confondit avec un pareil, qui signifiait le bœuf d’un chariot ; et la constellation s’appela en conséquence « le Chariot ». On dit de la même façon de Phoïbos et d’Héraclès qu’ils combattaient avec des armes empoisonnées, parce que le même son servait à exprimer les notions de flèche et de poison, etc., etc.



Vol de Dédale et Chute d’Icare.





DÉDALE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Daïdalos.)


Les fables que l’on raconte au sujet de Dédale ne s’accordent pas entre elles. La version reçue ordinairement en fait un fils ou un descendant d’Érechthée, père de Procris ; et dit qu’il fut banni à cause du meurtre de Calos, qui le surpassait, comme ouvrier, pour l’habileté apportée à son travail. Dédale alla donc en Crète, où il fit la vache en bois de Pasiphaé, et construisit le labyrinthe du Minotaure. Pour ce faire, Minos le tint captif ; et comme on ne laissa point de vaisseaux sur la côte. Dédale se façonna une paire d’ailes et en fit une autre pour son fils Icare, les assemblant avec de la cire. Dédale s’échappa ainsi en Sicile ; mais Icare monta trop près du soleil et, y fondant la cire de ses aîles, tomba dans la mer et se noya. On ne rapporte pas autre chose de Dédale, si ce n’est qu’il exécuta maints grands travaux d’art dans l’Occident. Que signifie son nom ? Simplement l’ouvrier rusé ou sage : et la même idée se retrouve dans l’épithète palamétis, appliquée constamment à Odyssée (l’Ulysse latin), lequel fit aussi de ses mains une belle chambre nuptiale à sa femme Pénélope. La sagesse de Dédale n’est, de fait, qu’une autre forme de la sagesse de Phoïbos et d’Œdipe. Quant à Icare, voyez en lui un reflet faible de son père, comme Phaéton l’est d’Hélios, et Télémaque, d’Odyssée.

Dédale et Icare.
Bellérophon tue la Chimère (bas-relief).



BELLÉROPHON, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Bellérophôn.)


Le mot Bellérophon veut dire le tueur de Belléros (comme Hermès s’appelle Arguéiphontès, parce qu’il tue Argos) ; et pareil nom fut donné à Hipponoös fils de Glaucos (l’éclatant ou le brillant). Le père de Glaucos c’était Sisyphe, le hautain, dont le châtiment, dans le Tartare, est de rouler vers la cime d’une colline une pierre qui retombe immédiatement : de même que le soleil doit descendre aussitôt qu’il a atteint le plus haut lieu de sa course par les cieux.

La légende de Bellérophon est intéressante. Après avoir tué Belléros, le héros s’enfuit à la cour de Proïtos, dont la femme, Anté, se prit d’amour pour lui : mais il ferma l’oreille à ses insinuations. Anté se plaignit à Proïtos d’une tentative faite par Bellérophon pour la corrompre, et Proïtos envoya le jeune homme à Iobatès, roi de Lydie, avec des lettres chargeant ce prince de mettre le Fig. 151. — Amazones (bas-relief).
porteur à mort. Ce qu’Iobatès ne voulut faire : mais il imposa à Bellérophon maints durs travaux. Bellérophon tua en conséquence la Chimère (Chimiæra) qui avait la tête d’un lion, le corps d’une chèvre et la queue d’un dragon. L’exploit se fit avec l’aide du cheval ailé Pégase, que Bellérophon avait pris buvant à la fontaine de Piréne.

Autres hauts faits : il vainquit les Solymes et les Amazones (fig. 151), et épousa ensuite la fille d’Iobatès, après quoi il essaya de s’élever au ciel sur Pégase ; mais Zeus envoya un taon qui piqua le cheval et lui fit jeter bas son cavalier. Bellérophon ne se tua pas sur-le-champ, mais ses forces furent brisées, et il mourut après avoir erré seul, pendant quelque temps, dans la plaine aléienne. Voyons ! se souvient-on de quelque autre histoire à laquelle ressemble celle-ci ? Les tâches imposées à Bellérophon répondent exactement aux travaux d’Héraclès, de Persée, de Thésée, et à ceux d’autres héros. L’amour d’Anté qu’il repousse, c’est le délaissement de Brunehilde par Sigurd, ou d’Œnone par Pâris. Après avoir tué la Chimère, il gagne son épouse, comme Œdipe gagne Jocaste après avoir conquis le Sphinx, et Persée se marie à Andromède après avoir tué le dragon libyen. La tentative de voler au ciel est la tentative faite par Phaéton de conduire le char d’Hélios, et celle faite par Ixion de posséder Héré. Le taon qui pique Pégase reparaît dans l’histoire d’Io. La chute de Bellérophon est la descente rapide du soleil vers le soir ; et la plaine aléienne représente cette vaste diffusion de lumière sombre à travers laquelle on voit quelquefois voyager le soleil, taciturne et solitaire, à son coucher.

Les détails abondent en la mémoire du lecteur et se relient tous en son esprit, au point où nous en sommes de notre étude générale ; cela, on le voit, à propos du moindre cas, le présent, par exemple.


SCYLLA, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Skulla.)





Scylla passe pour fille de Nisos, roi de Mégare. Ce qu’on raconte d’elle, le voici. Elle s’éprit d’amour pour Minos, alors qu’il vint tirer vengeance de la mort de son fils Androgée. Minos échoua dans tous ses efforts pour prendre la cité ; et Scylla coupa sur la tête de Nisos les boucles vermeilles de cheveux, d’où dépendait la sécurité de la cité. Aussitôt que Minos eut les boucles en sa possession, Mégare fut prise ; mais loin de payer de retour l’amour de la jeune femme, Minos la noya dans la mer ; selon une autre histoire, elle fut changée en un poisson, que Nisos, changé en aigle, poursuivit aussitôt. Parlons de Minos : c’est un fils d’Europe et de Zeus, qui, dit-on, a été roi de Crète. Après sa mort, il devint avec Éaque et Radamanthe l’un des juges des morts. Le même que le Manu indien, fils de Brahma Pour la boucle magique de Nisos ou Nisus, elle représente les rayons d’or de Phœbus, le dieu-soleil, qu’on appelle Akersékcomès, ou l’être dont la tête n’a pas été touchée par le rasoir.

Scylla.



IAM.
(Grec : Iamos.)





Iam est un fils de Phoïbos et d’Évadné, lequel vit le jour sur les bords de l’Alphée.

À la naissance d’Iam, Évadné, craignant le courroux de son père Æpyptos, chef de Phaïsana, s’enfuit ; et Phoïbos envoya deux serpents qui le gardèrent et le nourrirent de miel. Æpyptos trouva, après de longues recherches, ce nourrisson couché sur un lit de violettes ; et l’enfant se montra bientôt possesseur d’une merveilleuse sagesse : car, Phoïbos lui touchant les oreilles, il put comprendre le chant des oiseaux. Sous les eaux de l’Alphée, Iam avait acquis le savoir de choses cachées à l’esprit de l’homme. Sa descendance, les Iamides, furent les voyants ou prophètes fameux à Olympie.

Cette légende ressemble à d’autres par plus d’un trait, n’est-ce pas ? L’exposition d’Iam, petit, est la même que celle d’Œdipe, de Persée, de Télèphe, et d’autres héros. Les serpents sont ici, tout comme autre part, les serpents de la nuit ; mais, dans les phrases anciennes, la nuit apparaissait tantôt obscure et assombrie, tantôt aimable et charmante : et c’est ainsi que les reptiles, qui cherchent à piquer Héraclès, sont représentés nourrissant Iam. La signification du nom d’Iam a été parfaitement conservée dans l’histoire du personnage ; comme Iole, Jocaste et d’autres, ce mot indique les teintes violettes du matin. Quant à la sagesse du héros, c’est la sagesse de Phoïbos, dont ce dieu fit don à son fils Asclépios et, d’une façon restreinte, à Hermès ; Médée en a sa part également.






AMPHIARAOS OU AMPHIARAUS, MYTHE GREC ET LATIN.





Amphiaraos ou Amphiaraus est un descendant du sage voyant Mélampe, dont les oreilles, purifiées par des serpents, furent à même de saisir le langage des oiseaux. Ce pouvoir a-t-il été accordé à quelque autre ? Oui, à Iam ; nous l’avons vu à la page précédente.

Exploits attribués au héros : il prit part à la chasse du sanglier de Calydon et à l’expédition des Argonautes, enfin à la guerre fraternelle faite, dans Thèbes, par Polynice à Étéocle (fig. 156). Amphiaraos voulait n’avoir rien à faire dans cette dispute ; mais sa femme Ériphyle, gagnée par le collier que Cadmos donna à Harmonia, trahit la retraite de son mari. Au combat suivant la mort des fils d’Œdipe, Amphiaraos se trouva pressé de près, et invoqua Zeus ; la terre s’ouvrit et dévora son char. Ériphyle, terrible châtiment de sa trahison, fut tuée par son fils Alcméon, qui, après de longs détours, trouva le repos dans des îles à l’embouchure du fleuve Achéloüs. L’histoire veut qu’Alcméon ait auparavant Fig. 156. — Combat d’Étéocle et Polynice (bas-relief).
mené les Épigones (les fils des chefs qui s’étaient battus dans la guerre susdite) à l’attaque de Thèbes, qui ne finit qu’avec la destruction de la cité.






ARÉTHUSE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Arèthouça.)





Aréthuse est une des Néréides, ou filles de Nérée ; elle tient vis-à-vis de Zeus la situation d’Hélios vis-à-vis de Phoïbos.

L’histoire qu’on raconte à son sujet est charmante. Le chasseur Alphée la poursuivit, comme Apollon, Daphné ; et, ainsi que Daphné, Aréthuse, pour échapper, se jeta dans le courant, les nymphes de la mer la portant jusqu’aux rives d’Ortygie. Alphée l’y suivit ; et poussée au désespoir, Aréthuse plongea dans la fontaine qui porte son nom. Alphée, impuissant à supporter cette perte, plongea aussi dans les eaux, au fond desquelles il obtint cet amour que la nymphe lui avait refusé pendant sa vie. Ce conte n’est pas sans quelque signification, ni sans rapport avec un autre. Voyez-y la séparation d’Héraclès et d’Iole, laquelle retrouve le dieu seulement quand ses labeurs sont finis. Le rivage où se rencontrent Aréthuse et Alphée est la terre des crépuscules du matin et du soir.






TURO OU TYRO, MYTHE GREC ET LATIN.





Tyro est la fiancée du fleuve Énipée et la mère de Pélias et de Nélée. Légende de Tyro : quand naquirent ses enfants, son père Salmonée, qui avait épousé Sidéro au cœur de fer, ordonna qu’on les tuât ; ils furent en conséquence exposés sur les bords du fleuve, où un berger les secourut. Devenus grands, ils mirent à mort Sidéro, et délivrèrent Tyro du donjon où elle était emprisonnée par Salmoné, pour avoir refusé d’être la femme de Créthée. Ne voyez là qu’une autre forme de la légende de Danaé. Pélias, Nélée, sont exposés comme Persée, et secourus de la même façon que Kuros (notre Cyrus), Romulus et Rémus. Comme Danaé refuse d’épouser Polydecte, de même Tyro repousse la main de Créthée ; et comme Persée ramène Danaé à Argos, après l’avoir vengée de ses persécuteurs, de même Pélias et Nélée délivrent leur mère, après avoir tué son bourreau Sidéro. Comparaisons aisées maintenant pour nous.


NARCISSE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Narkissos.)




Fig. 160. — Narcisse.


Narcisse, ce fils du fleuve Céphise, fut aimé de la nymphe Écho, qui ne put obtenir son amour à lui et mourut de chagrin. Némésis (fig. 160), pour le punir, le fit tomber amoureux de sa propre image ; et le jeune homme, à son tour, languit dans une attente vaine. Sur le lieu de sa mort, naquit la fleur qui s’appelle de son nom. Des versions postérieures disent qu’il fut changé en narcisse : comme elles disent encore que Daphné fut changée en laurier. L’amour d’Écho pour Narcisse est seulement une autre version de l’amour de Séléné pour Endymion, le soleil, alors qu’il plonge dans la mer. Comme Endymion dort dans Latmos, la terre de l’oubli, de même le nom de Narcisse signifie le mutisme ou la surdité du profond sommeil, et exprime l’idée que représente déjà la légende d’Endymion.

Séléné (bas-relief).



LES PAYS DE L’IMMORTALITÉ [30].


Nous avons, aux premières pages, présenté une description de l’Olympe, habité par les dieux et les déesses. L’étude serait incomplète si, à la fin du livre qui décrit les héros, nous ne parlions des Pays de l’Immortalité, fortunés ou mauvais, habités par les ombres des êtres qui ne vivent plus. La déité qui règne sur ce monde spécial est, on se le rappelle, Hadès ; et ce régent des lieux infernaux s’identifiait avec son royaume au point que maître et états portèrent le même nom. Des fleuves fameux arrosaient l’Hadès : le Styx, qui l’enveloppait de sept replis ; puis l’Achéron, le Cocyte, le Phlégéthon ou Pyriphlégéthon, et le Léthé. Aucun de ces noms qui n’ait sa signification. Achéron, comme l’Achéloüs, l’Axios, l’Axé, l’Exe, l’Usk, et maint autre courant, signifie simplement l’Eau. Le Cocyte est le fleuve des gémissements et des larmes ; le Styx, le fleuve haïssable ; le Phlégéthon ou Pyriphlégéthon, celui du feu : et le Léthé appartient comme Léto, la Latone latine, et Léda, à la terre de Latmos ou celle de l’oubli et de la mort. Le seul détail poétique relatif à ces cours d’eau funèbres, c’est que les ombres les traversaient dans la barque du sombre passeur Charon (fig. 163), fils d’Érèbe et de la Nuit : pour se rendre vers la demeure souterraine à la porte de laquelle veillent les deux chiens, l’un Orthros, et l’autre Cerbère aux trois têtes. À tout jamais on entrait là, sur le verdict des trois juges Minos, Éaque, Radamanthe.

Où commence, où finit ici la légende : point curieux à discerner. Ces rivières n’étaient pas imaginaires : non loin de l’Épire existait le fleuve Achéron, avec son affluent le Cocyte ; on fit, de toute antiquité, sur leurs bords, des sacrifices pour les morts. Il y a donc, on le voit, quelque-chose d’historique mêlé à ces fables. Exemple encore : l’Averne ; ce nom appartenant à un lac italien près de Naples, que l’on supposait donner accès aux régions infernales : et la sybille de Cumes habitait une caverne sur ses bords. Ce n’était pas toutefois un nom d’origine latine, mais une forme latinisée du grec Aornos, qui indique un lieu sans oiseaux : on croyait qu’aucune aile ne pouvait le traverser, à cause des vapeurs mortelles qui s’élevaient à sa surface. Quant à la valeur morale de lieux comme le Tartare, noir gouffre des méchants, situé sous l’Hadès, à une profondeur pareille à la distance qui sépare du ciel la mer ; ou l’Élysée, loin dans l’Ouest, hors Fig. 163. — Charon et les Âmes.
des bornes de la terre et là où descend le soleil, archipel qu’Éos égayé en y versant les teintes violettes à la chute du jour : ni ces îles des bienheureux, où ceux-là seuls sont admis qui comptèrent au rang des héros et des nobles de l’humanité, ni l’abîme désespéré des ténèbres, ne dépendent, à proprement parler, de la Mythologie, car ils expriment surtout des idées morales et des concepts empruntés à une théologie.

La mythologie du Tartare comme lieu de tourments, et de l’Élysée comme repos fortuné des sages parmi les asphodèles (les Latins le placèrent cependant sous la terre), est artificielle à l’égal de la fable évoquant de la mer les nymphes néréides et les nymphes océanides. Ce que nous devons retenir d’un regard jeté sur ces sites, dénués de tout sens allégorique apparenté à la Nature, c’est l’idée même qui nécessite leur création : à savoir celle d’un châtiment pour le mal et d’une récompense réservée au bien.

Cerbère.
Les Heures (bas-relief).



MYTHES INFÉRIEURS GRECS


Les noms mentionnés précédemment ne forment pas la liste complète des personnages connus de la Mythologie des Grecs. Outre ceux des dieux olympiens et des héros dynastiques des cités grecques, il y a un grand nombre d’appellations qu’on peut parfois grouper ensemble, quoiqu’il soit impossible de les rattacher à aucune histoire mythique.

Pour mentionner quelques êtres de cette sorte, voici les Hamadryades, nymphes que l’on supposait vivre et mourir avec les arbres dont elles étaient les déités ; et les Oréades ou nymphes des montagnes. Qui ne connaît les Hyades ? ces filles d’Atlas et d’Æthra, qui est aussi la mère de Thésée ? Elles pleurèrent jusqu’à mourir, dit-on, et forment un groupe d’étoiles, qui présage la pluie. Les Pléiades, leurs sœurs, inconsolables de cette perte, eurent un sort pareil. Ainsi les Héliades, filles d’Hélios, versèrent des larmes d’ambre sur la mort de leur frère Phaéton.
Fig. 166. — Géants (bas-relief).

Arrivons aux Géants (fig. 166). Dans les poèmes homériques, ce sont les Cyclopes qui habitent en Trinacrie ; dans Hésiode, ce sont des êtres produits par le sang d’Ouranos, le ciel tombant sur Gê, la terre. Ils répondent aux Trolls, aux géants des gelées, dans les mythologies du Nord. Deux géants, Otos et Éphialtès, fils de Poséidon, s’appelaient du nom d’Aloades (aloê, aire), en tant que possédant la force de meules à moulins. Connaissez-vous ce nom : les Miolones, signifiant « ceux qui s’occupent à moudre » ? il a été donné à Euryton et Actor, fils de Poséidon, qui répondent, par leur caractère, au Thor Miölnir de la mythologie des Norses.

Qu’était-ce que Borée (fig. 167) ? le fils d’Astraïos et d’Éos, connu comme le dieu du Vent du Nord. Sa femme Fig. 167. — Borée.
Fig. 168. — Clio.
était Oreithya, fille d’Érechthée et sœur de Procris.

Érèbe, rejeton du Chaos, habitait l’espace obscur à travers lequel les âmes vont vers l’Hadés.

Ényo était, dans la théogonie d’Hésiode, l’une des Grées. Tels la donnent pour la déesse qui accompagne Arès et se réjouit du carnage et du sang versé.

Les Harpies sont les vents d’orage. Elles sont présentées comme les belles-filles de Thaumas et d’Électre, par Hésiode ; mais décrites comme des êtres odieux ou repoussants, par Virgile. Fig. 169. — Euterpe.
Fig. 170. — Érato.

Les Muses représentent les déesses de la musique, de la poésie, de l’art et de la science. Elles semblent avoir d’abord été au nombre de trois, qui s’est ensuite accru jusqu’à neuf. On les appelait encore Piérides, de Piérie, près d’Olympe ; mais une autre légende dit que les Piérides étaient des filles de Piéros, roi d’Émathie, et que, venant à lutter avec les Muses, elles furent battues par elles et changées en oiseaux. Les noms des neuf Muses sont : Clio ou Cléio (fig. 168) « le héraut ». Muse de l’histoire ; Euterpe (fig. 169) « la charmeuse ». Muse de la poésie lyrique ; Érato (fig. 170) « l’aimable », Muse de la poésie aimable et de l’art mimique ; Thalie (fig. 171) « la joyeuse », Muse de la comédie et de la poésie idyllique ; Melpomène (fig. 172) la « chanteuse », Muse de la tragédie ; Terpsichore (fig. 173) « qui se réjouit dans Fig. 171. — Thalie.
Fig. 172. — Melpomène.
les danses », Muse de la danse mêlée au chant ; Polymnie (fig. 174) « qui aime les chants ». Muse des hymnes sublimes ; Uranie (fig. 175) « la céleste », Muse de l’astronomie, et Calliope (fig. 176) « à la belle voix », Muse de la poésie épique. On représentait ces neuf Muses, assises ou debout, chacune avec quelque attribut différent.

Un grand chasseur, aimé d’Artémis et d’Éos et placé après sa mort au nombre des étoiles, s’appelle Orion.

Pan est une déité qui présidait aux troupeaux de petit Fig. 173. — Terpsihore.
Fig. 174. — Polymnie.
Fig. 175. — Uranie.
Fig. 176. — Calliope.
et de gros bétail ; quelques auteurs en ont fait le fils d’Hermès, né en Arcadie. On le représente avec la tête et la poitrine d’un homme et les membres inférieurs d’un Fig. 177. — Pan (bas-relief).
Fig. 178. — Pan (camée).
bouc (fig. 177 et 178). On dit qu’il voyagea dans l’Inde avec Dionysos ; et qu’une fois, entouré et captif, il fut délivré par la clameur de ses hommes qui dispersèrent l’ennemi (c’est de là que le mot panique indique une soudaine et vague terreur). Le nom de Pan est parent du mot sanscrit le vent, Pavana, et probablement du latin Pavonius. Syrinx, la nymphe aimée du dieu, nom de flûte, est elle-même le vent dans les roseaux [31].

Le dieu Pan a acquis, dans les temps modernes, une grande importance : il représente souvent à notre pensée le paganisme tout entier dans son crépuscule. On connaît l’histoire de ces mariniers latins qui aux dernières heures du monde impérial entendirent, une fois, par l’air, ces paroles considérables : « Pan est mort ! » [32].

Éros (fig. 179) est le dieu de l’amour. Hésiode en fait une des puissances primitives, avec le Chaos, Gaia et le Tartare. Les poètes postérieurs le disent fils d’Hermès ou d’Arès, d’Artémis ou d’Aphrodite.

L’Odyssée montre Protée comme un vieillard qui Fig. 179. — Statue d’Éros.
accompagne les phoques de Poséidon et sort de la mer à midi pour dormir sur le rivage. Il avait le pouvoir de se changer en quelque forme que ce fût, comme le « fermier Weathersky » dans les contes des Norses.

Priape (fig. 180) est fils de Dionysos et d’Aphrodite : on l’adorait en tant que cause de la fertilité et des fruits et des troupeaux.

Délicieuse et admirable histoire que celle de Psyché (fig. 181) ! Ce mot désigne le souffle des êtres vivants, mais la légende d’Éros et de Psyché parle d’une Fig. 180. — Priape.
Fig. 181. — Psyché.
Fig. 182. — Dioscures (camée).
vierge qui se croit mariée à un monstre : prenant une lampe pour regarder l’époux dans les ténèbres, elle le trouve beau. Or une goutte d’huile tombant de la lampe évellle, en ce monstre, qui ? Éros, lequel s’évanouit et disparaît… Psyché, après des années de douleur, s’unit à lui de nouveau. — Le récit est, en partie, le même que dans la Belle et la Bête ; et les contes du foyer (Grimm, etc.) le donnent sous plusieurs autres formes populaires.

Zagréos semble être un des noms de Dionysos : on présente ce personnage comme l’enfant à cornes de Zeus et Fig. 183. — Statue de Cybèle.
de Perséphone.

Hespéros, ce dieu du ciel occidental, est le père des Hespérides, qui, avec le dragon Ladon, gardaient les pommes d’or d’Héré.

Castor et Polydeukès (appelé par nous, d’après le latin, Pollux) sont les deux Dioscures (fig. 182) ou fils de Zeus. Dans l’Iliade et l’Odyssée ce sont les frères d’Hélène ; mais il y a beaucoup d’autres versions de leur parenté.

Les Cabires apparaissent comme des déités mystiques, que quelques-uns disaient les enfants de Héphaïstos et de Cabéira, fille de Protée.

Les Caribautes et les Dactyles, eux, sont des êtres vraisemblablement de la même sorte que les Cabires, On parle des Carybautes comme de fils d’Apollon. Les prêtres phrygiens de Cybèle s’appelaient Dactyles.

Qu’était-ce que Cybèle (fig. 183) ? On suppose que Fig. 184. — Hébé (camée).
Fig. 185. — Iris.
Fig. 186. — Morphée.
c’était originairement la déesse phrygienne de la terre. Les Grecs l’identifiaient avec Rhé et les Latins avec Ops.

Qu’était-ce que Hébé (fig. 184) ? La déesse de la jeunesse, répondant à la Juventas latine.

Qu’était-ce que Hymen ? Un dieu grec du mariage, que quelques-uns disent fils d’Apollon.

Qu’était Iris (fig. 185) ? Dans la mythologie homérique, comme Hermès, une messagère des dieux. Dans Hésiode, c’est la sœur des Harpies. Suivant d’autres, elle était femme de Zéphyre, vent d’ouest, et la mère d’Éos, l’aurore.

L’artisan des songes est Morphée (fig. 186) : on le nomme fils d’Hypnos, le sommeil.

Ganymède (fig. 189) est présenté, dans la mythologie Fig. 187. — Silène (statue).
homérique, comme un bel adolescent troyen, qui fut enlevé par un aigle et devint dans l’Olympe l’échanson de Zeus.

Silène (fig. 187) est un serviteur de Dionysos et un chef des Satyres, êtres qui, de même que Pan, sont représentés comme ayant la tête, les bras et le buste des hommes, avec les membres inférieurs d’un bouc [33]. Nous ne pouvons pas ne point voir dans les Satyres (fig. 190) le phénomène de vie qui semble animer les bois et faire danser les branches des arbres, au tronc noueux effrayant les voyageurs. Les Nymphes (fig. 188), charmées de la cour qui leur est faite, ce sont les nuages blancs arrêtés dans les cieux au-dessus du bouquet d’arbres.

Le fondateur mythique d’Athènes est Cécrops, qu’on représente comme un héros autochtone ou indigène : la Fig. 188. — Nymphe (statue).
Fig. 189. — Ganymède (statue).
Fig. 190. — Satyres (bas-relief).
partie supérieure de son corps étant celle d’un homme, et les parties inférieures, celles d’un dragon ; Hersé, la rosée, passe pour sa fille. Bref, c’est un personnage parallèle à Érechthée. Les imaginations d’un âge comparativement avancé le font venir de Saïs, en Égypte ; mais il n’y a rien dans la mythologie grecque qui indique un rapport quelconque avec ce pays pendant les siècles mythopiques ou « ceux qui font les mythes ».

Les Grâces.



DÉITÉS LATINES
NON IDENTIFIÉES AVEC DES DIEUX GRECS.


Les Lares, d’abord : ce sont des déités domestiques, qu’on paraît avoir regardées comme les âmes des ancêtres défunts ; il y avait ceux non-seulement des familles, mais de la cité, de la contrée, des routes. Ils forment un groupe de la classe plus vaste, connue sous le nom de Pénates, ou dieux de la maison ; dont le nom semble dérivé de panus, une provision de nourriture. Des Pénates publics existaient, aussi bien que les Pénats privés. Connaît-on les Lares (fig. 193) sous quelque autre nom ? certes ; on les invoque communément en tant que Mânes, nom général donné aux esprits des morts. Ce mot signifie « les bons », et se retrouve dans le nom de Mana, divinité italique (et dans le mot immanis, cruel).

Des esprits qu’on supposait capables de nuire aux vivants s’appelaient Lémures : les spectres des morts, généralement Larves.

Les Palici sont deux déités jumelles, adorées en Sicile, dont on ne sait guère autre chose que le nom ; lequel peut se rattacher, non sans quelque probabilité, à celui Fig. 193. — Les Lares.
Fig. 194. — Génie (médaille).
de Palès, déité rurale honorée particulièrement par les bergers.

Les Parques, selon les poètes des périodes avancées, sont trois sœurs qu’on identifiait avec les Moires grecques, Clotho, Lachésis et Atropos.

Le nom des Fatès, qui signifie les Sorts, servait à désigner les Parques. Le mot fatum, le Destin, veut dire « une chose proférée » ; et répond à l’Aïsa des Grecs, qui est le ’nom proféré de Jupiter, c’est-à-dire la Nécessité ou la Destinée.

Il y avait des Génies (fig. 194) : êtres surhumains, dont la vie, selon la croyance des vieilles races italiques, cessait avec celle des personnes qu’ils gardaient.

Le titre latin de dieux Indigètes était accordé aux héros mythiques de la contrée (fig. 195), qu’après leur mort on classait parmi les dieux.

Les Dii Consentes, nom marquant accord ou harmonie, désignaient dans les temps avancés les Douze Dieux de l’Olympe. Originairement ils consistaient en six déités Fig. 195. — Latinus, héros mythique romain.
Fig. 196. — Statuette de la Fortune.
mâles et six déités féminines, qu’on ne saurait déterminer avec certitude.

Bellone était la déesse latine de la guerre (bellum, guerre) comme Victoria (fig. 197), la Victoire, ou Fortuna (fig. 196), la Fortune.

La Bona dea, ou la bonne déesse, nous est présentée comme la sœur ou la fille de Faunus(fig. 198 et 199), et adorée seulement par les femmes. Elle s’appelle d’elle-même Fauna ; mais Faunus et Fauna signifient simplement ceux qui accordent des faveurs, et c’étaient les déités rurales des vieux Latins.

Les Camènes sont des divinités de qui les noms, dans la forme Carmentes ou Carmenæ, se rattachent à Carmen, un chant. Aussi les identifia-t-on avec les Muses grecques. Fig. 197. — La Victoire (camée).
Fig. 198. — Faunus.
Égérie est l’une des Camènes que l’on dit avoir été la conseillère secrète du roi mythique Numa.

Laverna, déesse patronne des voleurs.

Pilumnus, Picumnus, et Sémo Sancus : les deux premiers, Pilumnus et Picumnus, étaient des frères adorés comme déités rurales. Ces noms sont de simples épithètes, Pilumnus étant le mouleur du blé ; et Picumnus le remueur de terre. Ces mots Sémo Sancus se joignent en un seul nom pour désigner la même déité ; je vois réellement Fig. 199. — Faunus.
Fig. 200. — Triomphe de l’Aurore (bas-relief).
deux personnages, Sancus étant le dieu qui ratifie les serments et les contrats, et Sémo, le semeur des graines.

Pomone personnifie la déesse latine des fruits et des arbres fruitiers. On dit qu’elle fut aimée de Sylvain, déité des bois ; de Picus (qui, comme Picumnus, est le remueur du sol) et de Vertumne, le dieu des changements de saisons

Anna Pérenna était la dispensatrice de l’abondance au retour des saisons de l’année. Les poètes postérieurs l’ont identifiée avec Anna, sœur de Didon, fondatrice mythique de Carthage.

De Consus, déité, on ne sait rien autre chose sinon que la fête appelée Consualia se célébrait en son honneur. (On peut rattacher ce nom à celui des dieux Consentès.) Fig. 201. — Zéphyre.
Fig. 202. — Eurus.

Qu’est-ce que Gradivus et Mulciber ? Gradivus est un nom de Mars, en tant que « le dieu aux vastes enjambées », et Mulciber, de Vukain, en tant que « celui qui adoucit le fer chaud ». Enfin Favonius ? un nom du vent d’Ouest ou de Sud-ouest appelé par les Grecs Zéphyre (fig. 201). Eurus (fig. 202) et Nautus (fig. 203) : autres vents.

Inutile de dire qu’Aurore (fig. 200) est la déesse du matin, identifiée avec le grec Éos, la femme de Tithon. Remarquez seulement que ce nom correspond à quelque Fig. 203. — Nautus.
chose dans la mythologie orientale : il se rattache au sanscrit Ushas, un nom de l’aurore, issu d’une racine commune au latin aurum, l’or, et urere, brûler.


LES

GRANDES ÉPOPÉES ARYAQUES

LES ARGONAUTES.

LE CONTE DE TROIE.




LES GRANDES ÉPOPÉES ARYAQUES [34]





Tous les peuples de race aryaque ont possédé, à une époque plus ou moins jeune, leur grande épopée. Nous ne nous occupons pas dans ce moment de la forme littéraire. Que l’épopée soit un recueil de chants brefs, reliés par la parenté qui existe entre des événements célèbres, c’est l’Iliade, œuvre multiple des aëdes, chanteurs errants. Œuvre des rhapsodes, poètes habiles et scolastiques, comme l’Odyssée, elle peut présenter un poème long et merveilleusement ordonné, mais qui date toutefois des temps primitifs ayant suivi la période des hymnes. Dans un cas et dans l’autre, ou même quand ces légendes rythmées seraient récentes autant que le Cycle d’Arthur et de Charlemagne, le Lai de Béhowulf, le Shanameh de Firdusi, l’inspiration qui les anime ou le style qui les fixe ne fait pas actuellement l’objet de notre étude. L’intérêt, alors qu’on s’occupe de Mythologie, sera sollicité par une comparaison attentive entre les éléments qui composent ces grandes épopées communes à la race, et satisfait par une découverte, à savoir qu’elles sont indiscutablement empruntées à un fond commun. Excluons, au même titre que la question littéraire, la question historique : certes l’Iliade et l’Odyssée, attribuées à un personnage multiple que la légende nomme Homère ; le Ramayânâ et le Mahabâratâ, œuvres d’un Valmîki et d’un Vyasi allégoriques ; les Nibelungen et les Saga, enfin, illustrent, avec une authenticité incontestable, les époques féodales de la Grèce primitive, l’Inde farouche et héroïque des régions septentrionales, et nous initient à des mœurs réelles : mais ces armes, ces parures, ces costumes, tout le décor, appartiennent à des personnages imaginaires, réductibles, comme les dieux, en quelque phénomène naturel. Qu’on serait étonné, menant une pareille étude au-delà des grandes épopées, et jusqu’aux légendes populaires, de trouver que non-seulement ces amples récits faits pour les demeures illustres ou de vastes réunions, mais les contes de fées qui ont égayé le foyer séculaire, ne sont jamais « QU’UNE DES NOMBREUSES NARRATIONS DU GRAND DRAME SOLAIRE ACCOMPLI SOUS NOS YEUX CHAQUE JOUR ET CHAQUE ANNÉE » [35]. Inconsciente, à coup sûr, lors de sa composition par le poète, mais authentique. Ne nous y trompons pas : « la guerre de Troie a été livrée dans toute terre aryâque. Partout on voit la recherche de la brillante jeune fille volée, et, partout, le long effort pour la recouvrer ». Roland, du Roman, c’est Achille, comme Blanche-Flor, dans Garin le Lorrain, demeure l’Hélène grecque. Berthe au grand pied, Cendrillon, on vous reconnaît : vous êtes Pénélope.




LES ARGONAUTES.


L’expédition des Argonautes est le voyage d’un grand nombre de chefs achéens pour recouvrer la Toison d’Or, ou celle du bélier d’or de Phrixos. Qu’est-ce Phrixos ? un fils d’Athamas et de Néphèle. À la mort de Néphèle, Athamas épousa Ino ; et Phrixos, avec sa sœur Hellé, vécut dans le malheur, avant qu’un bélier, à toison d’or, les ravît l’un et l’autre. Comme le bélier s’élevait dans l’air, Hellé tomba du dos de l’animal et se noya dans l’Hellespont, qui porte son nom. Phrixos alla plus loin, au palais d’Ætés, roi de Colchis, et sacrifia à Zeus, protecteur des fugitifs, le bélier qui l’avait porté. On suspendit la toison d’or dans la maison d’Ætès, jusqu’à l’heure où vinrent la réclamer les chefs achéens, pressés par Athamas.

L’expédition fut concertée comme il suit (mais disons d’abord qu’il existe des versions nombreuses de cette histoire) : La plus communément reçue constate que Pélias, neveu de Jason, avait été averti de se tenir sur ses gardes « contre un homme chaussé d’un seul soulier » ; Jason parut au sacrifice ayant perdu l’une de ses sandales dans un fleuve, et Pélias lui ordonna d’aller chercher la toison d’or en Colchide. Jason rassemble en conséquence tous les grands chefs d’alentour et navigue sur la nef Argo, qui possédait le don de la parole (fig. 208). Au nombre de ceux qui l’accompagnent, Héraclès, Méléagre, Amphiarée, Fig. 208. — Construction de la Nef d’Argo.
Adméte, et d’autres héros (fig. 209). Voguant à l’Est, ils s’engagèrent dans les rocs périlleux nommés les Symplegades, qui s’ouvraient et se fermaient continuellement, avec une promptitude telle, qu’un oiseau avait à peine le temps de les traverser. Tiphys gouverna le vaisseau de manière à passer sauf par les rocs, qui se fixèrent après ce fait. On traversa la terre des Amazones, et l’on atteignit enfin la Colchide, où Jason (fig. 210) demanda la Toison à Ætès, lequel refusa de la donner avant que Jason eût labouré la terre avec les taureaux soufflant la flamme, et l’eût ensemencée des dents du dragon. Ce que Médée, par son aide, le mit à même de faire : elle lui Fig. 209. — Argonautes.
Fig. 210. — Jason et la Toison.
oignit le corps d’un onguent qui protégeait de l’haleine violente des taureaux, et lui dit de jeter une pierre aux hommes armés qui naîtraient des dents du dragon. Qu’advint-il ? Jason jeta la pierre, et les hommes commencèrent aussitôt à se battre entre eux et jusqu’à leur totale extermination. Alors Médée charma et endormit le dragon gardien de la Toison ; et Jason, tuant le monstre, fut maître du trésor et se hâta Je revenir dans la nef Argo.

Incidents qui appartiennent au retour de ce voyage : Ætès poursuivit le vaisseau dans une hâte furieuse ; et Médée, qui avait fui avec Jason, coupa son propre frère Apsyrtos en morceaux, et jeta ses membres, un par un, dans la mer. Ætès s’arrêta pour les recueillir : la nef échappa à son atteinte. Lors du retour de Jason à Iolcos, Médée persuada aux filles de Pélias de couper aussi le corps de leur père, et d’en apporter les membres dans un chaudron, disant qu’elle rendrait ce vieillard à la vie, tel qu’il était dans sa jeunesse. Elles obéirent : mais Médée, prétendant regarder les astres afin de savoir à Fig. 211. — Médée.
quel moment user de ses sortilèges, laissa les membres se consumer : c’est ainsi que l’avertissement à Pélias s’accomplit. Jason ne resta pas à Iolcos : Médée, dans son char à dragons, l’emmena à Argos, où il s’éprit de la beauté de Glaucé, fille de Créon. Médée parut tout supporter patiemment, comme si même la chose lui plaisait ; et elle envoya à Glaucé, pour cadeau de noces, la belle robe que lui donna, à elle, Hélios, avant de quitter la maison de son père. La jeune fille n’eut pas plus tôt mis la robe, que ce vêtement commença à lui brûler la chair ; et le vieux Créon, qui essaya de le déchirer, périt avec son enfant. Médée s’évanouit ensuite d’Argos dans le char à dragons. Se rappelle-t-on encore quelque chose de cette magicienne (fig. 211) ? On dit qu’elle tua ses deux enfants, les fils de Jason.

Voici comment toute cette étrange et terrible histoire a pris naissance. Quelques phrases décrivaient les changements du jour et de la nuit : et le soleil, qui s’appelle Hélios Hypérion (le gravisseur), passait pour descendre, le soir, dans une coupe ou un vase d’or, qui le portait au cours du fleuve Océan, dans la demeure noire de la Nuit : il y trouvait sa mère, sa femme et ses enfants, et c’est de cette coupe qu’il s’élevait encore le matin.

Si vous voulez retrouver, de temps immémoriaux, l’histoire des Argonautes, écoutez les plus vieux poèmes indiens. Le départ du soleil laissant les hommes dans la peine et la crainte, l’idée d’une recherche de cet Ami perdu se présenta d’elle-même à leur pensée primitive ; on supposa donc que toutes les choses que l’astre avait choyées de sa chaleur, dans le courant du jour, le cherchaient, réussissant enfin à le trouver et à le ramener.

Qu’est-ce alors que la nef Argo ? Un symbole de la terre, en tant que génératrice : elle contient en soi les germes de toutes les choses vivantes. Cette nef porte tous les chefs achéens, qui reviennent avec une force et une vigueur nouvelles, quand leur mission est accomplie. Génératrice de toutes choses, la terre apparaissait aux anciens comme un être conscient, possédant le don de la pensée, de la vue, et même du langage : aussi la nef parle. Quant à la toison d’or, voyez-y le vêtement d’or (ou les rayons) du soleil, lequel réapparaît dans la robe donnée par Hélios à Médée : ces rayons peuvent ou chauffer ou brûler ceux qu’ils viennent à toucher. C’est la même robe que donne Nessos à Déjanire, et qui consume le corps d’Héraclès.

Médée, enfin, incarne un être possédant cette sagesse, qui appartient à Phoïbos Apollon par droit de naissance. Cette sagesse, Asclépios et Tantale en héritent, en tant que représentant les secrets cachés de Zeus (le ciel) : appliquée à Médée comme à une femme sage ou instruite, elle suggère une idée de sorcellerie et de magie. Tout cela n’explique guère l’histoire du dragon ! N’y voir en effet qu’une autre version, rapportée ici, des pierres changées en hommes dans l’histoire de Deucalion.

Détails. Ætès poursuit Argo dans sa retraite, parce que les Gorgones chassent Persée, comme on peut dire des ténèbres qu’elles chassent le soleil ; et il les laisse derrière soi quand il s’élève dans le ciel. Ces pouvoirs dispensateurs de la vie que possède Médée, s’expliquent ; car le même soleil qui cause une sécheresse mortelle, rappelle aussi les choses à la vie après l’assoupissement de la nuit et le long sommeil de l’hiver.

Aussi Médée, comme Tantale et Lycaon, est-elle capable de tuer ; et, comme Asclépios et Héraclès, de rendre les morts à la vie. Le char à dragons de Médée demeure bien le même que le char d’Indra, d’Hélios et d’Achille. Celui d’Indra est traîné par les Harits (qui dans les légendes occidentales deviennent les Grâces) ; celui d’Hélios et d’Achille, par des chevaux immortels : au char de Médée s’attellent des dragons, parce que le mot dragon signifiait « quelqu’un à la vue perçante » : et ce nom s’appliquait naturellement à des créatures que l’on supposait convoyer le soleil à travers les cieux.



Rapt d’Hélène.





LE CONTE DE TROIE.


La Guerre. — Le conte de Troie ou d’Ilion consiste en cette série de légendes dont l’ensemble forme l’histoire mythique de Pâris, d’Hélène, d’Achille et d’Odyssée, l’Ulysse latin. Sachez bien qu’il n’est point, tout entier, contenu dans l’Iliade et l’Odyssée, appelées généralement les poèmes de Homère ; mais certaines expressions et des allusions semées tout le long des poèmes, semblent indiquer que les poètes savaient nombre d’incidents dont ils ne se souciaient pas toujours de parler.

Le début de cette légende, c’est la naissance de Pâris, dont la mère, Hécabé ou Hécube (fig. 213), rêva que son fils était « une torche destinée à détruire la terre d’Ilion ». Conséquence de ce rêve : l’enfant fut exposé sur le flanc couvert de bruyère du mont Ida, mais un berger le sauva ; grandissant beau, brave et généreux, il fut appelé Alexandre, le secours des hommes.

La reconnaissance de Pâris par sa famille offre un épisode d’une grande beauté. Le père du héros, Priam, ordonna qu’on offrît un sacrifice pour le repos de Pâris dans l’Hadès ; et les serviteurs choisirent le taureau favori de Pâris : or le jeune homme les suivit et fut le vainqueur à ses propres jeux funéraires. Personne ne le reconnaissant, sa sœur Cassandre, à qui Phoïbos avait accordé le don de seconde vue avec cette restriction, qu’on ne croirait pas à ses prophéties, dit à tous quel était le vainqueur.

Pâris ne resta pas à Troie ; il refusa de demeurer avec Fig. 213. — Hécube.
ceux qui l’avaient traité si cruellement dans sa première enfance, et c’est dans les cavernes de l’Ida qu’il gagna Œnone, la belle enfant du cours d’eau le Cébrène, et en fit son épouse. L’adolescent demeura avec Œnone, jusqu’à ce qu’il partît pour Sparte avec Ménélas. Voici comment. À la fête des noces de Pelée et de Thétis, mère d’Achille, Éris, la Discorde, que l’on n’avait pas invitée avec les autres dieux, jeta sur la table une pomme d’or, don à la plus belle des assistantes. Héré, Athéné et Aphrodite prétendirent à la pomme ; et Zeus fit Pâris arbitre. Par lui, le prix fut donné à Aphrodite, qui, en retour, lui promit la plus aimable de toutes les vierges, Hélène, pour femme. Une cruelle disette échut à Sparte quelque temps après ; et l’oracle de Delphes dit que les habitants ne seraient délivrés du fléau que s’ils rapportaient les os des enfants de Prométhée. Ménélas, le roi, vint pour cela à Ilion, et s’en Fig. 214. — Ménélas (bas-relief).
Fig. 215. — Nestor (bas-relief).
retourna avec Pâris ; celui-ci vit Hélène la belle à Sparte, et, obtenant son amour, l’emmena à Troie.

Ménélas supporta mal la perte d’Hélène (fig. 214) : il résolut de l’arracher des bras de Pâris, et invita Agamemnon, roi de Mycènes, et d’autres chefs à prendre part à l’expédition. Mentionnons les noms de quelques-uns de ces chefs. Nestor (fig. 215), le sage gouverneur de Pylos ; Ajax, fils de Télamon (fig. 216) ; Ascalaphe et Ialmène, fils d’Arès ; Diomède, fils de Tydée, et Fig. 216. — Ajax (camée).
Admète, mari d’Alceste. Mais les plus grands de tous étaient Achille, fils de Pélée et de la nymphe de mer Thétis, et Odyssée ou Ulysse, fils de Laertes, qui régnait sur Ithaque.

On alla à Troie par mer : mais la flotte subit une accalmie à Aulis ; et Calchas, le devin, affirmant que la cause de l’accalmie était la colère d’Artémis pour un cerf tué dans son bosquet sacré, déclara en outre que le sacrifice d’Iphigénie, fille d’Agamemnon, pouvait seul apaiser la déesse. Calchas prophétisa au sacrifice d’Iphigénie (fig. 217) : il dit que les Achéens combattraient en vain neuf années devant Ilion ; mais la dixième verrait la prise de la ville.

Troie fut défendue principalement par Hector, fils de Priam et frère de Pâris, aidé des chefs des cités voisines, entre qui : Énée (fig. 218), fils d’Anchise ; Pandaros, fils de Lycaon, et porteur de l’arc d’Apollon ; et Sarpédon, qui, avec son ami Glaucos, amena les Lyciens des bords du Xanthe, connu pour ses tourbillons. Fig. 217. — Sacrifice d’Iphigénie (bas-relief).

Attardons-nous au sacrifice : eut-il lieu ? Oui, selon l’histoire homérique : mais tels racontent qu’Artémis elle-même sauva Iphigénie, qui devint la prêtresse de la déesse ; d’autres disent qu’Artémis et Iphigénie étaient un même personnage.

Conséquences : Até, qui venge le sang versé des innocents, plana sur la maison d’Agamemnon, jusqu’à ce qu’elle eût fait mourir le roi de la main de sa femme Clytemnestre (fig. 220), et Clytemnestre de la main de son fils Oreste(fig. 219 et 222), meurtrier encore d’Égysthe, qui souillait la couche royale d’Agamemnon.

Étudions, isolément, quelques héros. Sarpédon a son histoire : comme Achille, Méléagre, Sigurd et d’autres mythes, il est voué à une mort précoce, que Zeus, son père, essaye en vain de détourner. Le voilà, combattant bravement, percé par la lance de Patrocle, ami d’Achille ; les larmes de Zeus (ou du Ciel) tombèrent en larges gouttes de pluie, à cause d’un sort qui n’était pas celui de cet âge. Phoïbos baigna enfin le cadavre de Sarpédon dans les eaux pures du Simoïs ; et Hypnos et Thanatos Fig. 218. — Énée.
(le Sommeil et la Mort), sur l’ordre de Zeus, le portèrent, à travers les heures tranquilles de la nuit, dans sa demeure lointaine de Libye.

Vous devinez la signification de cette histoire ? Sarpédon est un nom issu de la même racine qu’Hermès, Hélène, Erinnys, Saranya, et notre mot « serpent » ; et indique la lumière du matin quand elle rampe à travers le ciel. Ce guerrier est, comme Phoïbos, roi de Lycie (la terre brillante, nom qui appartient à la même famille que Délos, Ortygie, Argos, l’Arcadie, Athènes, la Phénicie et l’Éthiopie) : le Xanthe la traverse, fleuve doré de la lumière.

L’ami du héros s’appelle Glaucos, le brillant. La mort de Sarpédon et l’enlèvement de son corps, pendant la nuit, répondent au voyage nocturne d’Hélios dans sa coupe ou son vaisseau d’or le long du fleuve Océan, qui coule autour du monde des hommes : et la même idée, légèrement altérée, se retrouve dans le voyage des Argonautes à la recherche de la Toison d’Or, ou de la clarté du soleil dérobée. Fig. 219. — Oreste tue Clytemnestre.
Fig. 220. — Clytemnestretue Agumemnon (bas-relief).

Un autre héros troyen qui ressemble de près à Sarpédon, c’est Memnon (fig. 222) : comme lui, ce fils d’Éos (le matin) dont la jalousie cause la mort de la belle Procris vient d’Éthiopie, la terre étincelante. Comme lui, il est voué à une mort précoce ; et quand la lance d’Achille le perce, les larmes d’Éos tombent du ciel en rosée matinale. Éos enfin va devant Zeus, et le supplie d’évoquer Memnon de l’Hadès ; Zeus exauce sa demande : en conséquence, Memnon s’élève avec Éos dans l’Olympe, comme le soleil du pays obscur de la nuit, au matin.

Qui était le père de Memnon ? Tithon, dont Éos, selon Fig. 221. — Oreste (bas-relief).
la phrase mythique, quittait chaque matin la couche pour rapporter la clarté du jour aux fils des hommes, Éos obtint pour lui le privilège de l’immortalité ; mais comme elle oublia de demander une jeunesse perpétuelle, Tithon se décrépit et fut condamné à une vieillesse sans terme.

L’apparition d’Achille dans la guerre de Troie n’est pas moins frappante. Quoique, par tous ses traits principaux, connexe de celle de Méléagre, analogue encore à bien d’autres contes, elle paraît avoir fourni son fondement à la légende homérique, telle que nous la connaissons, plus classique et plus achevée. Quel est, en effet, le sujet de l’Iliade ? Raconter la colère d’Achille. La cause de cette Fig. 222. — Memnon.
Fig. 223. — Achille.
colère, la voici : Achille aime Briséis, qu’Agamemnon, forcé de rendre Chryséis à son père, enlève de la tente du héros. Achille, furieux, fait le vœu solennel de ne pas prendre part davantage à la guerre, disant aux chefs qu’ils ressentiraient promptement son absence de la lutte. Prédiction qui ne s’accomplit pas tout d’abord, suivant le poème appelé maintenant dans son ensemble l’Iliade : lequel continue et montre, au cours de plusieurs livres, que les héros achéens se passèrent parfaitement d’Achille et obtinrent de grandes victoires sur les Troyens.

Parenthèse. Une conclusion résulte clairement de pareille contradiction, et s’impose : c’est que ce poème de l’Iliade comprend deux poèmes rattachés l’un à l’autre, et que l’un rapporte les exploits des chefs, et est véritablement l’Iliade, tandis que l’autre dépeint la colère d’Achille et serait véritablement l’Achilléide. La colère d’Achille ne s’apaisa point, toutefois, avant que les Achéens se vissent réduits à une très-grande détresse, et obligés de solliciter humblement l’aide du guerrier courroucé, alors en proie à sa terrible manie. Odyssée et d’autres l’abordèrent, Phœnix à leur tête ; et Phœnix, qui avait été le précepteur d’Achille dans son enfance, cita à celui-ci l’histoire de Méléagre Fig. 224. — Combat de Patrocle.
comme un exemple des grands maux que porte en soi une colère désordonnée.

Rien ne peut d’abord apaiser Achille (fig. 223) : il insiste pour qu’Agamemnon, qui lui a fait tort, fasse amende par une humble soumission et même par le renvoi de Briséis. Agamemnon, d’autre part, ne se soumet pas immédiatement : et les désastres des Achéens émurent Patrocle au point qu’il alla vers la tente du guerrier solitaire et le supplia de le laisser, lui, Patrocle, sortir sur le char d’Achille et avec l’armure d’Achille, et vaincre les Troyens (fig. 224). L’ami écouta la prière de l’ami, mais lui donna en même temps l’ordre exprès de combattre en plaine, et de ne pas mener le char contre la ville. Patrocle n’obéit pas entièrement à cet ordre : et c’est ainsi que, après avoir tué Sarpédon, il fut lui-même accablé et tué par Hector, qui dépouilla son corps de l’armure étincelante. Achille, à la nouvelle de cette mort, s’arracha les cheveux ; et, déchirant ses vêtements, se coucha en pleurant dans la poussière. Ce que les prières et les supplications avaient été impuissantes à obtenir, lui fut arraché par sa douleur accablante et sa rage. Achille jura de se venger d’Hector, et de sacrifier douze jeunes gens troyens sur le bûcher funèbre de son ami.

Mais comment aller combattre sans son armure ? À la prière de Thétis, Héphaïstos forgea pour Achille une nouvelle armure, qui le portait comme comme l’aile porte un oiseau. Quant à sa lance et à son épée, elles étaient encore dans sa tente : car aucune main mortelle ne pouvait manier ces armes que celle d’Achille.

Thétis donna à son fils cet avertissement quand il jura d’avoir la vie de Hector : que son propre trépas suivrait de près celui d’Hector. La réponse d’Achille fut qu’il serait très-content de mourir de la mort d’Héraclès, si seulement Hector mourait avant lui. Prophétique lui-même, le cheval Xanthos, quand le héros monta sur son char et commanda à ses coursiers immortels de le ramener sauf du champ de bataille, inclina la tête, et dit à son maître que celui-ci était presque au terme de sa vie.

L’effet produit par la réapparition d’Achille fut extraordinaire. À la lueur de ses yeux et au son de sa voix, les Troyens furent remplis de crainte ; et ils tremblèrent quand les Myrmidons, ou ceux qui suivaient Achille, s’élancèrent au combat comme des loups ayant des mâchoires couleur de sang et avides de carnage.

Issue du combat : Hector, après avoir bravement lutté, tomba percé par la lance infaillible d’Achille, qui foula son corps aux pieds. Liés à son char, il traîna avec fureur ces restes à terre, jusqu’à ce que personne ne pût reconnaître dans les traits mutilés le beau visage d’Hector.

Tant de deuil n’apaisa pas encore la colère d’Achille. La mort d’Hector et le retour de Briséis, pure comme à son enlèvement, ne le satisfirent même pas. Il fallut que son vœu s’accomplît : et le sang de douze jeunes Troyens coula et rougit l’autel du sacrifice dans les jeux funéraires en l’honneur de Patrocle. Le père d’Hector, l’antique Priam, guidé par Hermès, vint à Achille ; et embrassant ses genoux, implora du héros le corps de son enfant, sur lequel Phoïbos Apollon avait étendu son bouclier d’or pour voiler toute trace douloureuse. Le cadavre fut donc rapporté à Ilion, où la femme d’Hector, Andromaque, pleura amèrement sa perte, tandis que tous les Troyens gémirent sur celui qui avait si bravement combattu pour eux.

À ce point cesse le poème appelé l’Iliade ; mais dans l’Odyssée nous apprenons qu’Achille fut tué par Pâris et Phoïbos Apollon, aux portes Scée ou occidentales ; Thétis, avec ses nymphes de mer, s’éleva de l’eau, et enveloppa de robes brillantes le corps de son fils. Après de nombreux jours révolus, les Achéens placèrent le héros sur un bûcher. On déposa ses cendres dans une urne d’or, travaillée par Héphaïstos ; et, sur cette urne enfouie, on éleva un grand tertre, que les hommes pussent voir de loin quand ils navigueraient sur le vaste Hellespont.

Entre temps, ce mot de « vaste » appliqué à l’Hellespont nous montre ceci, que l’Hellespont de l’Iliade n’est pas le détroit resserré entre Sestos et Abydos ; mais que c’est le nom d’une ample mer, apparentée sans doute à un peuple appelé Helli ou Selli, qui habitait ses rivages ou le traversa dans une migration de l’Est à l’Ouest.

Revenons au poème : la mort d’Achille ne mit pas fin à la guerre : les Achéens eurent encore à se battre jusqu’à l’accomplissement de la dixième année. Ils prirent alors Ilion et la brûlèrent, et tuèrent Priam et son peuple. Pâris lui-même, percé par les flèches empoisonnées de Philoctète, s’enfuit vers l’Ida, où, lorsqu’il expirait, Œnone lui apparut, belle et aimante comme toujours. Mais quoique cet amour pût le consoler, il ne pouvait guérir d’une blessure faite par les armes d’Héraclès. Le héros mourant donc sur l’Ida, et Œnone sur son bûcher funèbre.

Alors qu’est-ce que ce merveilleux siège de Troie ? C’est : « une répétition du siège quotidien de l’Est par les puissances solaires, à qui, chaque soir, sont volés leurs trésors les plus brillants dans l’Ouest ». Le trésor volé de l’Iliade est Hélène, dont le nom est le même que le Sarama indien, pour l’Aurore ; d’où est également dérivé le mot d’Hermias ou d’Hermès. Le nom de Pâris se retrouve dans les vieux poèmes sanscrits, sous la forme du nom de Pani, le trompeur, qui, lorsque Saramâ vient chercher les vaches d’Indra, la supplie de rester avec lui. Cette Saramâ refuse, mais elle accepte de boire du lait : la désobéissance passagère de Saramâ aux ordres donnés est le germe de cette infidélité d’Hélène, qui cause la guerre de Troie.

Que d’autres noms communs encore aux légendes grecques et indiennes ! Achille est le héros solaire Aharyu : tandis que Briséis, qui est une des captives prises par les Achéens, est un rejeton de Brisaya, vaincue par les puissances brillantes, dans le Véda, avant d’avoir pu recouvrer les trésors volés par Pani.

Remarquons particulièrement dans ce Conte de la guerre de Troie, la fusion d’idées très-différentes. Car, en tant que dérobant Hélène à Sparte occidentale, ou aidant à ce vol, Pâris et tous les Troyens représentent le pouvoir ténébreux de la Nuit qui dérobe le beau crépuscule au ciel de l’Ouest, Mais dans la vie de beaucoup d’entre les chefs troyens, comme dans celle de Pâris lui-même, se trouve une répétition de la vie de Méléagre, de Sigurd, et d’autres héros solaires. Voici dans quel rapport se tiennent ces chefs, les uns vis-à-vis des autres. Rappelez-vous que comme Héraclès se voit forcé de servir Eurysthée et Persée, d’exécuter les ordres de Polydecte, de même Achille déclare qu’il ne se bat pas pour une querelle personnelle, mais que toutes les dépouilles conquises par sa lance sont à Agamemnon et à ses alliés. Ainsi que Phoïbos, Persée, Thésée et d’autres, ce héros a une lance infaillible, et son épée tue tous ceux sur qui elle s’abat. Il aime Briséis, mais bientôt il est séparé d’elle, comme Sigurd l’est de Brunehilde. Le vœu d’Achille quand on lui prend Briséis est frappant ! le guerrier jure de ne pas aider plus longtemps les Achéens : en d’autres mots, le soleil se voile la face derrière les nuages. On ne voit plus de rayons d’or quand le visage du soleil est voilé : et les Myrmidons ne paraissent plus sur le champ de bataille quand leur chef pend sa lance et son bouclier dans sa tente. Pourquoi les Myrmidons sont-ils comparés à des loups ? détail curieux : pour ce même motif qui suggéra l’idée que Lycaon et ses fils furent changés en loups. Le mot grec lukoï, loups, est le même, quant au son, que leukoï, brillants : et comme on traitait de « leukoï » les rayons du soleil, les Myrmidons, qui sont simplement les rayons du soleil, ont été, lorsque le sens de cette qualification s’oblitéra partiellement, comparés à des loups aux yeux luisants et aux mâchoires rouges comme le sang. Patrocle, lui, apparaît comme un faible reflet de la splendeur d’Achille ; et il est, vis-à-vis de lui, ce qu’est, précisément, Phaéthon à Hélios, ou Télémaque à Odyssée (ou Ulysse). Une analogie nous le montre : Phaéthon ne doit pas fouetter les chevaux du soleil, ainsi Patrocle ne doit pas conduire les chevaux d’Achille dans un chemin différent de celui qui lui a été indiqué. Tous deux désobéissent, et ils périssent tous deux.

La lutte qui suit la mort de Patrocle représente visiblement le combat que les nuages se livrent au-dessus du soleil, dont ils ont, pendant un moment, éteint la clarté. Et cette vengeance d’Achille, n’y voyez-vous pas la victoire du soleil, quand, à la fin d’un jour d’orage, il émerge des vapeurs et foule les nuages qui ont voilé ses splendeurs ? Les fleuves de sang humain versés sur l’autel du sacrifice, sont les nuages déchirés et cramoisis qui s’écoulent dans le ciel de pourpre, aux heures du soir. Je note que le corps de Patrocle est préservé de la corruption : ainsi, malgré qu’Héraclès meure dans les bras d’Iole, le conte parle toujours d’elle et de lui comme de nobles êtres, vainqueurs à la fin des puissances auxquelles ils semblent d’abord soumis. Pareillement, Thétis assure à Achille que, Patrocle resté sans sépulture une année, le visage de ce héros montrera, même après ce temps, une beauté qui sera plus glorieuse et plus touchante.

La restitution de Briséis, c’est le retour d’Iole à Héraclès, d’Œnone à Pâris et de Brunehilde à Sigurd. Un conflit précède la mort d’Hector ; voyez-y la bataille énorme des vapeurs et du soleil, lequel semble fouler l’obscurité, juste comme Achille foule le corps d’Hector tué ; enfin, comme la victoire du soleil a lieu quand l’astre s’enfonce dans la mer, on raconte de même que la mort d’Achille suit de très-près celle d’Hector. À la mort d’Achille, plus tard, Troyens et Achéens se battirent avec fureur sur son corps. Pourquoi ? L’idée qui suggéra cette légende est celle d’un soir d’orage, alors que les nuages semblent combattre sur le soleil mort.

Qu’avons-nous donc à apprendre de tout ceci ? Que les principaux incidents de l’histoire, et même les principaux traits de caractère des principaux héros, s’offrirent, tout préparés, aux poètes homériques. Les chanteurs pouvaient laisser de côté un incident, celui-ci ou celui-là ; mais n’étaient libres d’altérer le caractère d’aucun. Oui, ils doivent décrire Achille combattant dans une querelle qui ne lui est pas propre — frustré de Briséis — fou de colère et de chagrin à cause de sa perte — se cachant dans sa tente, — envoyant Patrocle au lieu de paraître lui-même sur le champ de bataille — versant le sang de victimes humaines près du bûcher funèbre de son ami, et mourant de bonne heure après sa carrière brillante et troublée. Ce dernier fait explique le caractère d’Achille tout entier, qui, regardé comme le caractère d’un chef achéen, ne serait point vrai : manquant de rapport non-seulement avec le caractère national du peuple, mais encore avec la nature humaine. Tel qu’il est dessiné dans l’Iliade, le type n’est pas celui d’un Achéen, et de plus il est inhumain. Nul n’a de preuve que les chefs achéens aient fait expier aux innocents les méfaits des coupables, ou n’aient eu aucun sens du devoir ni aucune sympathie pour les souffrances de ceux qui ne leur avaient jamais fait injure : qu’ils offrissent des sacrifices humains ni qu’ils mutilassent les corps de braves ennemis tués par eux. Toutefois pareilles histoires ne pouvaient manquer d’apparaître, quand des phrases qui avaient d’abord désigné simplement les actes variés du soleil, vinrent à être interprétées comme les actes, bons ou mauvais, d’êtres humains.

Le Retour. — Que voir dans le retour de Troie, sinon un événement qui répond exactement au retour de Jason et de ses compagnons, quittant la Colchide : ceux-ci rapportent la toison d’or, comme Ménélas amène de Sparte Hélène. Les légendes sont identiques, sauf qu’elles représentent des héros revenant de l’Est dans l’Ouest : par exemple, les incidents, les noms des personnes et des lieux, changent presque à volonté. On montrait les tombes d’Odyssée (fig. 225), l’Ulysse latin, d’Énée et de beaucoup d’autres, en différents lieux ; car il était facile de faire voyager ces mythes dans une contrée ou dans l’autre. Le plus importants des chefs revenus de Troie est Odyssée (Ulysse), dont l’Odyssée, poème appelé de son nom, nous donne l’histoire et les pérégrinations ; cette histoire reproduit exactement celle d’Héraclès et de Persée. Or il en doit être ainsi, car le retour de Troie en Achaïe représente la marche du jour de l’Est à l’Ouest.

À quoi cela peut-il se reconnaître ? Fig. 225. — Odyssée ou Ulysse.
me demandez-vous : à ce qui suit. Comme Indra perd bientôt Dahana de vue ; comme Œdipe, dans sa première enfance, est séparé de Jocaste ; comme Sigurd doit laisser Brunehilde presque immédiatement après l’avoir conquise ; comme Orphée se voit ravir Eurydice, et Achille, Briséis ; ainsi Odyssée, bientôt après avoir épousé Pénélope, doit la laisser pour aller à la guerre de Troie ; et quand Hélène se laisse gagner à quitter Pâris, ce voyageur se remet en route comme le soleil, qui de l’Est va à son gîte en l’Ouest.

Voyage plein d’alternatives étranges de bonheur et de misère, de succès et de revers, finissant par une complète victoire ; comme les ombres et les éclaircies d’un jour orageux, sombre, lourd, sont parfois dispersées par le soleil, après avoir longtemps compromis sa gloire.

Ce que nous apprend ce récit, écoutez. Qu’Odyssée est parallèle à Achille : de la carrière de qui celle du chef d’Ithaque offre une répétition exacte (la différence principale étant qu’Achille est le soleil dans sa force, tandis que le caractère d’Odyssée est celui de Phoïbos, d’Asclépios, d’Iam et de Médée, possesseurs avant tout d’une sagesse merveilleuse et surhumaine). L’idée dominante de l’esprit d’Odyssée, l’intense désir qui devient son aspiration constante, c’est d’être de nouveau près de sa femme, laissée, il y a longtemps déjà, dans la fleur de sa jeune beauté. Malgré que, voyageant vers l’île, Fig. 226. — Lotophages.
sa patrie, il soit souvent tenté de séjourner en route, rien ne peut le faire départir de son dessein. Pourquoi ? Parce qu’Hélios ou le soleil ne peut se détourner de la marche qui lui est assignée, que ce soit dans son cours diurne ou nocturne.

Les premiers dangers rencontrés par Odyssée à son retour à Ithaque naquirent d’un conflit avec un peuple appelé les Cicones, qui détruisit à sa flotte six hommes par vaisseau. Le navigateur aborda ensuite à la terre des Lotophages (fig, 226), qui passaient leur vie dans un songe délicieux, mangeant le fruit du lotus, lequel fait oublier la patrie à ceux qui en goûtent. Odyssée dut là attacher quelques-uns de ses hommes qui désobéirent à son avertissement de ne pas toucher au fruit, puis les tirer avec les cordes jusqu’à leurs vaisseaux. Une terrible tempête porta ensuite la flotte au pays des Cyclopes, géants n’ayant qu’un œil au milieu du front. Avec plusieurs de ses compagnons, Odyssée franchit le seuil d’une caverne où étaient accumulées d’amples provisions de fromage et de lait : mais avant qu’ils pussent s’échapper, le cyclope Polyphème, fils de Poséidon, entra, et ferma l’issue avec un grand rocher qu’eux ne savaient mouvoir. Le feu qu’y alluma ce personnage éclaira la forme d’Odyssée et de ses Fig. 227. — Circé change en porces les compagnons d’Odyssée (Ulysse).
hommes, et Polyphème en fit cuire et en dévora deux. Odyssée, à qui Polyphème demanda son nom, répondit : Outis, en grec Personne. Lors donc que les autres Cyclopes vinrent demander à Polyphème pourquoi il rugissait si fort, il leur hurla qu’on lui faisait du mal ; et qui lui faisait ce mal ? « Personne ». Croyant qu’il n’y avait rien, ils s’en allèrent en leurs demeures.

L’aventure suivante n’est pas moins intéressante. Ayant échappé avec difficulté aux Trygoniens cannibales, le héros vint à Aïa, où la belle Circé changea nombre de ses hommes en porcs (fig. 227), mais se vit forcée par Odyssée de leur restituer leur forme première, celui-ci ayant reçu d’Hermès une herbe qui rendait sans puissance les charmes de la magicienne.

Les dangers ne cessent point là. Circé avertit le héros du péril plus grand des Sirènes, qui, assises dans leurs grottes vertes et fraîches, persuadaient aux marins de passage de venir se reposer et d’oublier tout labeur et leurs peines. Ceux qui cédaient au sortilège contenu dans la douce musique de ces nymphes, voyaient leurs vaisseaux lancés et mis en pièces contre les rochers. Odyssée, en conséquence, boucha les oreilles de ses matelots avec de la cire : comme il désirait entendre, lui, le chant des charmeresses, il se fit attacher étroitement au mât, et, de la sorte, conjura le péril. Toutefois il eut à lutter ferme pour sa liberté, quand l’écho de la berçante musique monta doucement dans l’air chaud et privé de souffle. Perte, après cela, de beaucoup d’hommes, dévorés par les deux monstres Scylla et Charybde, qui les absorbèrent dans leurs horribles tourbillons. Le reste de l’équipage disparut dans une tempête, après avoir tué quelques têtes du bétail d’Hélios, que Phaétuse et Lampetie, les filles brillante et étincelante, du premier Matin menaient en Trinacrie. Odyssée, secoué pendant bien des heures sur la mer, fut jeté à demi mort sur le rivage d’Ogygie. La belle Calypso le mena avec amour dans sa grotte, et l’y garda sept ans, bien qu’il lui tardât, cette fois encore, d’être chez lui. Hermès, enfin, ordonna à la nymphe de laisser aller son captif ; et elle l’aida à construire un radeau, qui le mena à quelque distance sur la mer : mais une autre tempête l’entraîna, et il fut jeté, sanglant et inanimé, sur le rivage de Phénicie. Plus tard il entendit, en revenant à lui, les voix joyeuses des filles qui jouaient sur la plage pendant que séchaient les vêtements lavés par elles. C’étaient des vierges venues avec Nausicaa, la belle enfant du roi Alcinoüs, et d’Arété, sa femme. Odyssée, guidé par Nausicaa, vint au palais de ce Fig. 228. — Pénélope.
prince, situé dans un glorieux jardin où les feuilles ne se fanaient jamais, et où des fruits étincelaient toute l’année aux branches. Mais plus charmante que tout était Nausicaa, dans sa jeunesse et sa pureté. Le voyageur fut, en ce lieu, traité avec bonté, et le roi lui offrit sa fille en mariage. Odyssée n’avait qu’un désir au cœur, c’était de voir encore Pénélope ; aussi fut-il conduit, dans un vaisseau phéacien, au rivage d’Ithaque, qu’il aborda seul et sous un déguisement.

Voici dans quel état il trouva sa maison. Son père Laerte, selon le récit fait dès l’abord par le porcher Eumée, vivait dans une misère sordide : une foule de chefs venus pour faire leur cour à Pénélope, avaient élu domicile au logis, et quelques serviteurs se liguaient avec eux pour dévorer les biens de l’absent. Elle, Pénélope (fig. 228), enfin, qui a promis de donner à ces prétendants une réponse quand elle aura achevé sa toile, diffère toujours cet instant en défaisant, la nuit, la portion de la trame tissée pendant le jour.

Odyssée entra dans la salle de son propre palais déguisé en mendiant, et, provoqué par quelques-uns des prétendants, il les défia à bander un arc suspendu au mur. C’était l’arc même du héros, que lui seul était capable de bander. Ils s’essayèrent en vain à le ployer ; mais quand le mendiant y mit la main, on entendit dans les cieux le tonnerre de Zeus, et ces intrus commencèrent à tomber un à un sous les flèches infaillibles. Télémaque avait laissé la porte de sa chambre entrebâillée ; plusieurs des chefs, saisissant les armes trouvées dans ce lieu, serrèrent de près Odyssée. Ils ne purent frapper le maître lui-même, mais Télémaque fut blessé, non pas mortellement cependant, comme Patrocle. À ce moment critique, Athéné vint en aide aux deux héros, et dispersa leurs ennemis avec son aveuglante égide. On rejeta les cadavres comme une dépouille refusée ; mais Odyssée assouvit toute sa rage sur le fils de Dolios, Mélanthios, comme Achille foula aux pieds le corps d’Hector. Il appela en dernier lieu toutes les femmes qui avaient favorisé les prétendants, et les pendit par les pieds à une poutre en travers de la grande salle. Le héros fut de nouveau uni à Pénélope, pour qui il avait, mainte année auparavant, fait de ses mains la belle chambre nuptiale, lieu de son repos après le grand massacre.

Savez-vous une histoire à qui ce conte ressemble de près ? Vous n’évoquerez pas tout de suite, à cause de mainte altération, la légende d’Achille à laquelle cette légende est parallèle. On tire, dans l’une et dans l’autre, une vengeance excessive d’un tort comparativement léger : dans le cas d’Odyssée, vraiment, le tort se bornait à l’intrusion des prétendants en sa maison. Arrivons à de plus minutieux détails. Tous deux, les héros, ont des armes que, seuls, ils peuvent manier ; tous deux sont aidés par Athéné ; tous deux ont, l’un dans Patrocle, l’autre dans Télémaque, un faible reflet de leur force ; tous deux font vœu d’accomplir une vengeance mortelle, foulent aux pieds et défigurent leur ennemi massacré ; ils ont presque le dessous à un moment de la lutte, et ils ont leur temps de repos et de quiétude après un terrible conflit.

Réflexions faites déjà autre part. Odyssée se sert de flèches empoisonnées, il vise et tue un homme par derrière, sans l’avertir ; il dit des mensonges toutes les fois qu’il sied à son dessein de le faire, il extermine une bande entière de chefs qui ne lui avaient pas fait grand tort, et ensuite pend « comme des moineaux à une corde », dit le poète homérique, une troupe de femmes, simplement parce qu’elles n’ont pas résisté aux demandes des prétendants. Morale de tout ceci : ne persistons point à regarder comme un modèle humain un être dont l’histoire a pris naissance dans les phrases qui sont aussi le fondement de la légende d’Achille.

Quant à Pénélope avec sa toile, elle est la tisseuse, trait commun à elle et à Hélios dans l’histoire de Médée : mais la trame, bien que souvent commencée, ne peut être achevée jusqu’au retour d’Odyssée, en raison de ce fait que la trame des nuages du matin ne reparaît qu’à la tombée du soleil.

Si nous arrivons à la signiflcation des noms, nous verrons que celui d’Odyssée a un sens propre. Quand la vieille nourrice du héros le reconnaît, dans le bain, à la trace laissée à sa jambe droite par la morsure d’un sanglier en sa première jeunesse, elle lui dit qu’il reçut ce nom d’Odyssée comme exprimant la haine généralement ressentie pour son grand-père Autolycos. Interprétation peu correcte, quoique le nom puisse se rattacher à un verbe grec signifiant « être en colère ». La vieille nourrice ignorait l’étymologie de son propre nom : Euryclée, comme Euryanasse, Europe et nombre d’autres, est simplement un nom de l’Aurore, qui est nourrice du soleil ; et la blessure faite par le sanglier se répète, exactement, dans l’histoire d’Adonis. Le nom d’ Autolycos, à son tour, comme celui de Lycaon, désigne simplement la clarté, tandis qu’Odyssée est le soleil courroucé qui se cache derrière les nuages épais. Ainsi déguisé, il approche de sa demeure, c’est-à-dire que l’obscurité est plus grande avant le commencement même de sa dernière lutte. Beaucoup, sinon la plupart des noms de cette fable, s’éclairent entre eux ainsi : Odyssée a un chien, Argos (le blanc ou le brillant), l’animal même qui apparaît au côté d’Artémis dans la légende de Procris. Les serviteurs qui aident les prétendants portent des noms tels que Mélantho, le noir, ou les enfants de Dolios, l’obscurité traîtresse ; le mot enfin de Télémaque, comme ceux de Téléphos et Téléphasse, représente la lumière dardée au loin de Phoïbos Hecœrgos. Une fois de plus, il sied de répéter ce que nous apprennent généralement de telles ressemblances : que les phrases représentant les aspects infiniment variés du monde extérieur, fournissaient des matériaux inépuisables avec lesquels on put construire de splendides poèmes. Pour commencer, les poètes homériques travaillèrent, avec un succès merveilleux, sur ces matériaux, qui formeront aussi le cadre des grands poèmes d’autres contrées : ce fait se prouve par les coïncidences étonnantes des mêmes incidents, aussi bien que des noms et des caractères existant entre l’Iliade et l’Odyssée, le Chant des Nibelungen et l’Epopée perse de Firdusi. Qu’il y ait des faits réels mêlés à des contes de Pâris et d’Hélène, d’Achille et d’Odyssée, rien ne peut contredire à cette façon de penser. Nous savons que la plupart des incidents qui appartiennent à ces histoires n’ont jamais pu avoir lieu : nous savons qu’Aphrodite et Athéné ne se sont jamais mêlées à des combats entre les mortels, et que l’armure d’aucun chef achéen n’a jamais été forgée sur l’enclume d’Héphaïstos. Mais on peut (dira quelqu’un) écarter tous les événements merveilleux de l’histoire, et entreprendre de narrer une guerre sans Thétis et Hélène, ou Sarpédon et Memnon, ou Xanthos et Balios ? Soit. Vous aurez alors (comme dans la préface de Thucydide) le récit de quelque chose qui peut avoir eu lieu, mais qu’aucune garantie ne me permet d’envisager comme un fait historique. Les noms et les incidents du mythe appartiennent au beau pays des nuages, où Ilion, comme une vapeur, s’élevait avec ses tours ; et c’est peine perdue de chercher en Europe et en Asie, la Phénicie, Ortygie, la Lycie, la Phéacie, Délos, la Trinacie, l’Arcadie et l’Ethiopie où voyage Hélios dans l’orage et le calme, dans la splendeur et l’assombrissement, le long des mers bleues du ciel.



APPENDICE




MYTHES ÉGYPTIENS ET ASSYRIENS [36]


Pourquoi les Mythes Égyptiens et Assyriens sont-ils classés à part dans cette étude, ou, s’ils n’en font aucunement partie, pourquoi y prêter attention ? Alternative. — Voici. Ils sont classés à part, parce que la Science ne nous permet pas jusqu’ici de les rattacher aux mythes de la race Aryaque, et nous les donnons parce que d’autre part ils ne participent pas visiblement des religions qui ont été le trésor de la race Sémitique.

Plusieurs demanderont s’il n’y a pas une troisième race. Non : l’on ne reconnaît point, à proprement parler, une troisième race, une race dont la notion jouisse, parmi les savants modernes, de l’indiscutable autorité de celles jusque maintenant citées à l’exclusion de toute autre. Il faut confesser cependant que divers caractères historiques, et d’autres, ethnographiques, ne sauraient aucunement être attribués à l’une des grandes races, Aryaque et Sémitique. Quelques maîtres en ces matières ont tenté de tout grouper ou presque tout dans une seule race principale, qui serait cette troisième, ici négligée, à savoir la race Touranienne. Les Égyptiens et les Assyriens rentrent alors dans cette race Touranienne. Nous n’avons pas à rechercher ce fait pour le moment ; bornons-nous à constater les rapports qui peuvent exister entre des Mythes propres à certains peuples et ceux de la race aryaque, soit qu’ils résultent du commerce, ou d’une parenté, ou qu’ils aient simplement pour cause une certaine communauté d’impressions discernable dans les dispositions légendaires ou religieuses de toutes les races. Scarabées.

Caractère de la Mythologie Égyptienne : quelques-uns des Mythes Égyptiens semblent avoir avec des faits d’astronomie un rapport plus direct qu’on ne le voit ordinairement dans la Mythologie Grecque. Mais il n’y a pas de doute que, comme les Mythes Grecs, ceux des Égyptiens ont leur racine dans des phrases qui décrivaient les spectacles et les objets du monde extérieur. Les deux systèmes se formèrent d’une façon tout indépendante l’un de l’autre, et la Mythologie des poèmes homériques et de ceux d’Hésiode ne révèle aucune trace de la pensée égyptienne. Mais après que l’Égypte se fut ouverte au commerce grec, les Grecs furent (comme les premiers d’entre les modernes qui étudièrent le sanscrit dans Fig. 235 et 236. — Osiris.
l’Inde) frappés de la grandeur du pays et du mysticisme élaboré du sacerdoce, au point qu’ils se virent tentés, non-seulement d’identifier leurs propres déités avec celles de l’Égypte, mais de croire que les noms de ces premières, aussi bien que les actions qui leur sont attribuées, dérivaient de l’Égypte. Le système des Égyptiens avait été, lui, dans le cours des siècles, enté sur des mythes plus simples, correspondant essentiellement aux phrases qui sont la racine des Mythologies hindoue, grecque et teutonique. Fig. 237. — Isis.
Fig. 238. — Apis.

Ainsi : le sommeil d’Osiris (fig. 235 et 236) ou l’hiver, pour citer un exemple, est, avant sa réapparition au printemps, le sommeil de la belle jeune fille qu’éveille Sigurd, et répond encore à l’emprisonnement de Coré ou de Perséphone, dans l’Hadès. Osiris a pour femme Isis, mère d’Horos (fig. 237 et 239), et semble avoir d’abord été la déesse de la terre, comme la Déméter grecque. Osiris son mari ou son fils (car il porte ce double titre) est tué par un frère Seth ou Sethi, être dont le caractère répond à celui du Vritra hindou. Les Grecs identifièrent le bœuf Apis (fig. 238), objet d’un grand culte, avec Épaphos, enfant d’Io. Ils identifièrent encore, sans aucune raison cette fois, Neith, déesse couverte d’un voile, avec leur déesse Athéné.

Ammon (fig. 240), est l’Amen-ra égyptien ou Kneph, le dieu à tête et à cornes de bélier, qui réapparaît dans le Zagréos orphique. Mais ce nom est tout grec : il vient d’ammos, sable, parce que le temple du dieu, situé dans l’Oasis, apparut aux voyageurs grecs entouré Fig. 239. — Isis.
Fig. 240. — Ammon.
de sables. Les Grecs se contentèrent de lui donner un nom grec (fig. 241).

Horos, fils d’Isis, représenté comme un jeune garçon assis, un doigt sur la bouche, dans une fleur de lotus, a pour nom Harp-pi-Chruthi, « Horos l’enfant » ; les Grecs en firent leur Harpocrate (fig. 242). Dans ce cas, ils Fig. 241. — Zeus ou Jupiter Ammon, médaille.
Fig. 242. — Harpocrate.
Fig. 243. — Anubis.
Fig. 244. — Ra.
donnèrent un nom grec au dieu égyptien, et, d’un autre côté, placèrent le dieu égyptien parmi les leurs.

Anubis est représenté avec la tête d’un chien ou d’un chacal (fig. 243) ; quant à Ra (fig. 244), voir en lui simplement le nom sous lequel les Égyptiens adoraient le soleil. Ptah (fig. 245) et d’autres divinités attireront notre attention au cours d’une étude plus spéciale.

Quant au Phœnix, emblème égyptien de l’immortalité, sous la forme d’un oiseau qui renaît de ses cendres, les Grecs, sans se l’approprier, le connurent par les récits d’Hérodote.

Qu’est-ce que les déités assyriennes ? Des mythes dont Fig. 245. — Ptha.
Fig. 246. — Bal ou Baal.
les noms étaient d’abord, pour la plupart, de pures épithètes du soleil ; qui en vinrent, dans le cours du temps, à désigner différents dieux. C’est ainsi que l’on adorait le soleil en tant que Bal ou Baal (fig. 246), le Seigneur, et en tant que Moloch, ou le Roi ; noms qui graduellement s’appliquèrent à des déités diverses, juste comme Endymion, Hypérion, Apollon, Persée ; tous, originairement, de simples noms d’Hélios, le soleil, devinrent à la longue les noms de différents personnages.

La déesse assyrienne qui présente une analogie véritable avec une déesse grecque, c’est Isthar, avec Aphrodite. Fig. 247 et 248. — Astarté.
Les Grecs en parlent sous le nom d’Astarté (fig. 247 et 248). On sera probablement étonné d’apprendre que c’est, d’un autre côté, l’Astaroth de la Bible. Il est facile de retrouver, également dans le conte mythique de Perséphone (et dans celui d’Osiris en Égypte), l’idée qui préside à l’histoire de Tammuz, connu encore sous le nom d’Adonis, le Seigneur : les femmes portaient le deuil de sa mort en automne. Noter enfin Xisuthro, un juste. qui échappa, dans une arche, à un grand déluge inondant toute la Babylonie. Oannès, le dieu-poisson de Babylone, comme émergeant journellement de la mer et possédant une sagesse mystérieuse, est, manifestement, le même personnage que le Protée grec.

Astarté et Baal.



NOTES SUR LA TRANSCRIPTION DES NOMS
DE LA MYTHOLOGIE CLASSIQUE
[37]


Grave question que celle de la transcription des noms propres dans la Mythologie Classique : elle concerne tous les noms propres antiques.

Que deviendront-ils dans notre langue ?

Le lexique de ces mots n’y présente à première vue que disparate et confusion.

Le disparate est causé par ce premier fait que nombre est traduit, et nombre ne l’est pas.

La confusion provient de ce que plusieurs sont mal traduits.

Je comprends que, devant ce dernier fait particulièrement, on accepte le parti extrême qui consiste à rejeter toute traduction, quelle qu’elle soit, pour la remplacer par le nom original, même quand la langue étrangère dispose de caractères différents des nôtres ou que ceux-ci ne les rendent qu’avec quelque étrangeté. Oui, tel est le seul mode auquel on doive se conformer dans l’adaptation au parler français d’un chef-d’œuvre de l’antiquité. Notre grand poète Leconte de Lisle a tracé hardiment cette voie dans la traduction monumentale qu’il a entreprise des œuvres grecques ; et je ne doute pas qu’il agisse de même le jour où il initiera notre public à toute la poésie de Rome. Ces mots non traduits gardent le charme de bijoux authentiques, dont un sculpteur enrichirait ses marbres purs.

Mais le petit livre que l’on vient de parcourir suggère un devoir différent.

Quel plaisir se mêle à notre surprise de voir des mythes connus lentement s’évaporer, par la magie même qu’implique l’analyse de la parole antique, en l’eau, la lumière ou le vent élémentaires ! Or, si nous risquons à détruire chacune de ces personnalités anciennes qui, pour nous, consistent notamment dans l’effet familier que nous produit leur nom, la métamorphose à laquelle on veut assister sera, pour ainsi dire, commencée dès avant et ne causera pas toute l’impression attendue. Maintenant je crois (indépendamment d’une application de cette façon de voir au livre présent qui l’invoque comme auxiliaire de son effort) que la traduction française des noms grecs ou latins est propre au génie même de la langue française : si je puis, principalement, inférer quelque chose de ce fait que notre langue est presque seule à user du privilège de traduire ces noms. Mauvais génie peut-être, à de certains moments, mais bienfaisant et habile à d’autres : car combien de noms charmants nous gagnons, dont plusieurs sont maintenant inhérents à la langue presque usuelle au point qu’il ne serait pas licite de les annuler sans qu’ils y fissent quelque vide regrettable ! Oui, c’est parce que ceux-là sont des mots fréquemment proférés et bientôt intimes, que le Français se les est savamment adjoints : à d’autres, très-nombreux, mais qui sont d’un usage très-rare, est conservé leur caractère étranger avec cette séduction presque barbare que prennent les appellations de dieux ou de héros rendues à l’idiome originel. Ne renonçons à aucun de ces deux bonheurs échus à notre langue ; en un mot

Observation générale :


Les noms des mythes plus célèbres par la noblesse ou la beauté, notre langue se les est appropriés afin d’enrichir, par une fréquente invocation, nos impressions quotidiennes : gardons les tels. Quant aux autres, ils demeurent avec leurs sons quelquefois intacts, groupe nécessaire qui conserve le lointain des parlers exotiques ; exemple : Phoïbos. Le plus souvent, je les francise d’après le génie même de notre langue, c’est-à-dire en suivant le travail de métamorphose à peine perceptible qu’elle a imposé depuis longtemps à des noms analogues. Théseus, Prométheus, etc. Thésée, Prométhée ? Bien : j’ai Odyssée, fait avec Odysseus, mais je dois m’arrêter, et ne vais point jusqu’à Zeus, Zée. Pourquoi ? parce qu’à de certains moments la logique la plus stricte la cède devant la crainte de dérouter l’ouïe ; dans vingt ans, peut-être, on osera. La réunion de ces deux classes le vocables, exactement comprise, forme dans le discurs un heureux mélange : et non plus un disparate !

Mais la confusion, où est-elle ? car nous avons, au début, lancé contre la transcription usuelle cette accusation. La voici. Tous les noms propres traduits en Français, excepté Aphrodite [38] et d’autres qui forment un cortège insuffisant à cette déité, ont été, même venant, comme ce mot, du Grec, traduits par l’intermédiaire du Latin. Quand le mot original est latin, c’est à merveille que le Latin se francise ; et je déclare que, dans ma langue, j’oublie à tout jamais Mercurius et ne connais que Mercure ; j’ajoute même que, tant que vivra cette langue, il faudra respecter ce nom, dont l’existence est un fait acquis. Mais où il siérait d’imposer silence à l’éloge, c’est dans le cas entrevu d’un mot grec qui, après avoir été régulièrement transcrit en Latin, a été, par la suite, non moins régulièrement transcrit du Latin en Français. Sans compter qu’il y eut, dans cette déplorable erreur traditionnelle, confusion non plus de simples noms, mais souvent de personnages : exemple, Artémis, que je choisis, n’a, scientifiquement, rien à faire avec Diane. La grande familiarité du Latin avait conduit les modernes à négliger, absolument, le nom grec des grands dieux dont le culte fut à peu près commun à la Grèce et à l’Italie. Pourquoi, par ce détour, infliger à ce nom une perte de sa saveur très-grande relativement à celle qu’il eût subie dans son passage immédiat de Grèce chez nous ? Ce pas est mauvais : je respecte l’empressement instinctif du Français à traduire, mais je blâme qu’il n’ait pas su prendre où traduire. Il faudra qu’on revienne sur ce pas : quand ? je ne sais, il m’est permis cependant de conjecturer ; et je présume que, des horizons différents s’ouvrant à l’étude mythologique, qui entre, avec des livres comme le présent, dans une phase nouvelle, plus d’un étudiant profitera du bon moment pour faire accomplir aux mots de son lexique une seconde évolution qui le rendra parfait ; à savoir : la traduction du Grec en Français, comme il y a déjà celle du Latin même en Français.

Je m’adresse à ce public spécial : loin de moi de croire qu’il suffise qu’un livre, celui-ci ou quelque autre, impose les noms régénérés, pour que la régénération soit durable ! Une portion, même restreinte et technique, d’une langue ne change pas en une heure, à moins qu’un groupe d’individus n’y trouve un intérêt immédiat, comme ce fut le cas, il y a un demi-siècle, à propos de la nomenclature des sciences physiques et naturelles. Or ne nous abusons pas : c’est une étude spéciale ou restreinte encore que celle des Mythes.




DIEUX

——

L’Olympe (gr. Olumpos). L’Empyrée (gr. Empuréion).

Le nom de tout Mythe principal se trouve, s’il forme la titre d’un des chapitres, dans la première colonne ; sinon, dans la seconde colonne, à côté du Mythe à l’histoire duquel il se rattache.


Le Zeus grec et le Jupiter latin.
Zeus (Horkios, Xenios). Cronos, Chaos, Gé (gr. Gaïa), Ouranos, Hypérion (gr. Huperiôn), Japet (gr. Iapétos), Rhée (gr. R[h]éa), l’un des Cyclopes (gr Kuklôps), l’un des Titans (gr. Titan).
Jupiter (Elicius, Pluvius, Terminus). Saturne, Ops.
Le Poséidôn grec ou le Neptune latin.
Poséidôn (Gaiéthos, Enosikhos) Laomédon (gr. Laomédôn), les chevaux Xanthos et Balios, Amphitrite (gr. Amphtritè), Triton (gr. Tritôn).
Neptune. Nérèe (gr. Néreus).
La Déméter grecque ou la Cérès latine.
Déméter. Perséphoné ou Koré, Hécate (gr. [H]écatè), Kéléos et Métanéira, et leurs fils Démophoôn et Triptolème (gr. Triptolèmos).
Cérès. Perserpine.
L’Athèné greque et la Minerve latine.
Athène (Pallas, Akria, Tritôg[u]èneia, Koruphassa, Glaukôpis).
Minerve.
L’Arès grec ou le Mars latin.
Arès.
Mars. Ilia et ses fils Romulus et Remus, Télèphe (gr. Télèphos).
L’Aphrodite grecque et la Vénus latine.
Aphrodite (gr. Aphroditè).
(Enalia, Pontia.)
Héméra, Dioné, Arginnis (gr. Arg[u]innis). Les Heures et les Grâces (gr. [H]oraï, et Charitès), Déimos, [H]armonia et Erôs, Anchise (gr. Anchisès), Adonis.
Vénus.
(Myrtha, Cloacina, Purificatrix, Militaris, Barbata.)
Énée (gr. Ainéas).
L’[H]adès grec ou le Pluton latin.
[H]adès.
(Aïdès, Aïdonéos, Ploutôn, et Polydegmôn.)
Les chiens Orthros, Cerbère (gr. Kerbéros).
Pluton.
L’[H]éré grecque ou la Junon latine.
[H]éré.
Junon.
(Jugalis, Moneta, Regina.)
L’[H]estia greque ou la Vesta latine.
[H]estia.
Vesta.
[H]éphaïstos grec ou le Vulcain latin.
[H]éphaïstos.
Vulcain.
Phœbus Apollon, Dieu grec et latin.
(gr. Phoïbos Apollôn.)
(Lukeg[u]ènès, [H]ekatos, [H]ekaërgos en grec, et en latin Lucerius et Lucessius.)
Létô ou Latone. Le serpent Python (gr. Puthôn), Daphné (gr. Daphnè), Téléphassa.
Phaétoon, Dieu grec et latin.
(gr. Phaethôn.) Clymène (gr. Klumènè), Hèlios Néère et ses filles, Phaéthuse et Lampeti (gr. Neaira, Phaethousa).
L’Artémis grecque ou la Diane latine.
Artémis.
Diane. Ianus ou Dianus.
L’[H]ermès grec et le Mercure latin.
[H]ermès (gr. Psukhopômpos). Les Thriaï, Erinnys.
Mercure.
Le Dionysos grec ou le Bacchns latin.
Dionusos (gr. Jakkhos). Amalthée (gr. Amalthéia), Ino (gr. Inô), Protée (gr. Proteus), Penthée (gr. Pentheus).
Bacchus.
L’[H]éraclès grec ou l’Hercule latin.
[H]éraclès. Alcmène (gr. Alcmènè), Eurysthée (gr. Eurusthèus), Chiron (gr. Kheirôn), les Centaures (gr. Kentauroi), Iole, l’Hydre (gr. [H]udôr), les Harpies (gr. [H]arpuiaï), Déjanire (gr. Déianéira), Eunome (gr. Eunomè), Nessos, Alceste (gr. Alkestis), Ekhidna.
Hercule. Garanus ou Recaranus et Cacus, ou Cœci Kakias et Cœculus.
Io avec Prométhée, Déités grecques et latines.
(gr. Iô, Prométheus.) Argos Panoptès ou Argus. L’une des Amazones (Amazôn).
Épiméthée avec Pandore. Déités grecques et latines.
(gr. Epimétheus, Pandôra.)
Asclépios ou Esculape, Dieu grec et latin. Coronis (gr. Koronis), Phlégyas Ischys (gr. (Iskhus).
Deucalion, Dieu grec et latin. Protagénéia, Aéthlios, Endymion (gr. Endumiôn.)
Admète, Dieu grec et latin.
(gr. Admètos.) Alkestis, Thanatos.
Tantale, Dien grec et latin.
(gr. Tantalos.) Euryanasse (gr. Euruanassè), Pélops, le cnien Pandorée (gr. Pandoréos),
Ixion, Dieu grec et latin.
(gr. Ixiôn.) Dia, Hésione (gr. [H]esionè).
Briarée ou Égéon, dieu grec et latin.
(gr. Briaréos, Aegaiôn.)


HÉROS.


Persée, Mythe grec et latin.
(gr. Perséus.) Acrisios, Danaé (gr. Danaè), Dictys (gr. Dictus), Polydecte (gr. Poludectès), Méduse (gr. Médouça). L’une des Gorgones (gr. Gorgô), Stèinhô, Euryale (gr. Eurualè), les Graïaï, Atlas, Cephée (gr. Képhéos), Andromède (gr. Andromèdè), Mégapenthès, Laios ou Laius.
Niobé, Mythe grec et latin.
(gr. Niôbé.) Amphion (gr. Amphiôn).
Thésée, Mythe grec et latin.
(gr. Théséus.) Ariane (gr. Ariadnè). Aetrha. Sinnis. La Truie de Cromyon (gr. Kromuôn), Pasiphaé (gr. Pasiphaè).
Œdipe, Mythe grec et latin.
(gr. Oidipous.) Laios ou Laius. Le Sphinx (gr. Sphinx), Jocaste (gr. Jocaste), Antigone (gr. Antigônè), Étéocle et Polynice (gr. (Etéoclès et Polineikès), les Moïraï, Clothô, Lachésis et Atropos. Atè. les Euménides (gr. Euménidès), et les Erinyes ou encore les Furies ; ce sont : Alecto, Mégère (gr. Megaira) et Tisiphone (gr. Tisiphonè).
Procris, Mythe grec et latin. Céphale (gr. Képhalos), Érechthée ou Érichtonios (gr. Erechtheus), Éos, Amphytrion (gr. Amphitrûon).
Orphée, Mythe grec et latin.
(gr. Orpheus.) Eurydice (gr. Eurudikè).
Europe, Mythe grec et latin.
(gr. Europè.) Agénor (gr. Ag[u]ènôr), Kadmos ou Cadmus, Inô, Sémélé et Agavé (gr. Sèmèlà, Agavè), Althée (gr. Althaïa), Atlante (gr. Atalantè).
Méléagre, Mythe grec et latin.
(gr. Méléagros.)
Lycaon, Callisto, Mythe grec et latin.
(gr. Lnkaôn, Callistô.)
Dédale, Mythe grec et latin.
(gr. Daidalos.) Icare (gr. Ikaros).
Béllérophon, Mythe grec et latin.
(gr. Bellérophôn, Bellérophontès). Sisyphe (gr. Sisuphos), Antée (gr. Anteïa), la Chimère (gr. Khimaïrà), Pégase (Pègasos).
Scylla, Mythe grec et latin.
(gr. Skulla.)
Iam ou Iam, Mythe grec et latin.
Amphiaréos ou Amphiaraus, Mythe grec et latin. Mélampe (gr. Mélampos), Ériphyle (gr. Eriphulè), Alcméon (gr. Alcmaïôn).
Aréthase, Mythe grec et latin.
(gr. Aréthouça.) Les Néréides (gr. Nèrèidès), Alphée (gr. Alpheus).
Turô on Tyro, Mythe grec et latin.
Narcisse, Mythe grec et latin.
(gr. Narkissos.) Écho (gr. Ècho), Nemèsis.


Le Pays de l’Immortalité.


L’Hadès.

L’Achéron (gr. Akherôn).

Le Cocyte (gr. Kokutos).

Le Styx (gr. Stux).

Le Phlégéthon ou Pyriphlégéthon (gr. Phlégéthôn ou Puriphlégéthôn).

Le Léthé (gr. Léthaios).

L’Axe (gr. Axé).

Le passeur Charon (gr. Charôn), fils de l’Érèbe (gr. Erèbos).

Minos, Éaque et Rhadamanthe, les trois juges (gr. R[h]adamanthos).

L’Averne latin (Aornos).

Le Tartare (gr. Tartaros).

L’Élysée (gr. Elusion).



Mythes inférieurs grecs et Mythes latins non identifiés avec les Mythes grecs.

MYTHES INFÉRIEURS GRECS.


Les Hamadryades (gr. Hama druadès).

Les Hyades (gr. Huadès).

Les Héliades (gr. Héliadès).

Les Géants (gr. G[u]igantès).

Les Aloades (gr. Aloadès).

Les Miolones.

Érato (gr. Eratô).

Thalie (gr. Thaléia).

Melpomène (gr. Melpoménè).

Terpsichore (gr. Terpsichorè).

Polymnie (gr. Polumnia).

Uranie (gr. Ourania et Ouraniè).

Calliope (gr. Calliopè).

Orion (gr. Oriôn).

Le dieu Pan (gr. Pan) et la nymphe Syrinx.

Les Pléiades (gr. Pléiadès).

Pallas (gr. Pallas), surnom d’Athéné.

Éros (gr. Erôs).

Protée (gr. Proteus).

Priape (gr. Priapos).

Psyché (gr. Psuk[h]é).

Borée (gr. Boréas et Borras).

Érèbe (gr. Erébos).

Ényo (gr. Enuô).

Les Harpies (gr. Harpuiaï).

Les Muses (gr. Mouçai).

Clio (gr. Clóio).

Euterpe (gr. Euterpè).

Zagréos.

Hespéros.

Castor et Pollux (Castôr et Poludéikès) ou les Dioscures (gr. Dioscuroï).

Les Cabires (gr. Cabéiroï).

Les Corybantes et les Dactyles (gr. Corubantès et Daktuloï).

Iris.

Zéphyre (gr. Zephuros).

Ganymède (gr. Ganumédès).

Silène (gr. Seilènos).

Les Satyres (gr. Saturoï).

Les Nymphes (gr. Numphaï).

Cécrops (Kecrops).

Hersé.


Mythes latins non identifiés avec les Mythes grecs.


Les Lares.

Les Pénates.

Les Mânes.

Les Larnes.

Les Sémures.

Les Palici.

Les Parques.

Les Fates.

Les Génies.

Les dii Indigétès.

Les dii Consentès.

Bellone, ou Fauna, avec Faunus.

Les Camènæ, ou les Carmentes.

Égérie.

Laverna.

Pilumnus, Picumnus, Seuco, Saucus.

Pomone.

Sylvain.

Picus.

Vertumne.

Anna Perenna.

Consus.

Gradivus.

Mulciber.

Favonius.

L’Aurore.

Tithon.



Légendes épiques des Dieux et des Héros.


Les Argonautes. Le bélier Phrixos, Hellé (gr. Hellè), Athamas, Jason (gr. Iasôn), Tiphys (gr. Tiphus), Médée (gr. Mèdéia), Pélias, Ioléos, Glaucé (gr. Glaukè), la nef Argo (gr. Argô).
Le Conte de Troie.
(Tros ou Ilion.)
Pâris, Hècube (gr. Hécabè), Œnone, Éris (gr. Éris).
La Guerre. Ménélas (gr. Ménélaos), Hélène (gr. [H]èlènè), Nestor (gr. Nestôr), Ajax (gr. Aiax), Ascalaphe et Ialmène (gr. Ascalaphos, Ialmènè), Diomède (gr. Diomèdès), Achille (gr. Achilleus), Odysseus, Calchas (gr. Kalkhas), Iphigénie (gr. Iphig[u]ènèia, Iphianassa), Énée (gr. Aineas), Pandaréos, Sarpédon (gr. Sarpédôn), Glaucos, Agamemnon (gr. Agamemnôn), Atè, Clytemnestra (gr. Clutemnestra), Égisthe (gr. Aig[u]isthos), Patrocle (gr. Patroclès, os), Memnon (gr. Memnôn), Briseis Chryseis, Phœnix, le Cheval Xanthos, Pryam, Hector, Andromaque (gr. Andromachè),
Le retour de Troie. Circé, Calypso (gr. Kalupsô), Nausicaa, Alkinoos, Arètè, Pénélope (Penélopeia, è), Télémaque (gr. Tèlèmachos), Eumée (gr. Eumaïos), Antolycos (gr. Antolukos), le Chien Argos.


POÈMES MYTHOLOGIQUES MODERNES [39]


MYTHOLOGIE HINDOUE

SURYA

Ta demeure est aux bords des océans antiques,
Maître ! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques.

Sur ta face divine et ton dos écumant
L’abîme primitif ruisselle lentement.
Tes cheveux qui brûlaient au milieu des nuages,
Parmi les rocs anciens déroulés sur les plages,
Pendent en noirs limons, et la houle des mers
Et les vents infinis gémissent au travers.
Sûryâ ! Prisonnier de l’onde infranchissable,
Tu sommeilles couché dans les replis du sable.
Une haleine terrible habite en tes poumons ;
Elle trouble la neige errante au flanc des monts  ;
Dans l’obscurité morne en grondant elle affaisse
Les astres submergée par la nuée épaisse,
Et fait monter en chœur les soupirs et les voix
Qui roulent dans le sein vénérable des bois.

Ta demeure est au bord des océans antiques,
Maître ! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques.

Elle vient, elle accourt, ceinte de lotus blancs,
L’Aurore aux belles mains, aux pieds étincelants ;
Et tandis que, songeur, près des mers tu reposes,
Elle lie au char bleu les quatre vaches roses.
Vois ! Les palmiers divins, les érables d’argent,
Et les frais nymphéas sur l’eau vive nageant,
La vallée où pour plaire entrelaçant leurs danses
Tournent les Apsaras en rapides cadences,
Par la nue onduleuse et molle enveloppés,
S’éveillent, de rosée et de flamme trempés,
Pour franchir des sept cieux les larges intervalles,
Attelle au timon d’or les sept fauves cavales,

Secoue au vent des mers un reste de langueur,
Éclate, et lève-toi dans toute ta vigueur !

Ta demeure est au bord des océans antiques,
Maître ! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques.

Mieux que l’oiseau géant qui tourne au fond des cieux,
Tu montes, ô guerrier, par bonds victorieux ;
Tu roules comme un fleuve, ô Roi, source de l’Être !
Le visible infini que ta splendeur pénètre,
En houles de lumière ardemment agité,
Palpite de ta force et de ta majesté.
Dans l’air flambant, immense, oh ! que ta route est belle
Pour arriver au seuil de la nuit éternelle.
Quand ton char tombe et roule au bas du firmament,
Que l’horizon sublime ondule largement !
Ô Sûryâ ! Ton corps lumineux vers l’eau noire
S’incline, revêtu d’une robe de gloire ;
L’abîme te salue et s’ouvre devant toi :
Descends sur le profond rivage et dors, ô Roi !

Ta demeure est au bord des océans antiques,
Maître ! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques !

Guerrier resplendissant, qui marches dans le ciel,
À travers l’étendue et le temps éternel ;
Toi qui verses au sein de la terre robuste
Le fleuve fécondant de ta chaleur auguste,
Et sièges vers midi sur les brûlants sommets,
Roi du monde, entends-nous, et protège à jamais
Les hommes au sang pur, les races pacifiques
Qui te chantent au bord des océans antiques !

Leconte de Lisle
(Poëmes antiques.)


MYTHOLOGIE SCANDINAVE

LA LÉGENDE DES NORNES
Première Norne.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ô Nornes ! qu’ils sont loin, ces jours d’ombre couverts,

Où, du vide fécond s’épandit l’univers !
Qu’il est loin, le matin des temps intarissables,
Où rien n’était encor, ni les eaux, ni les sables,
Ni terre, ni rochers, ni la voûte du ciel,
Rien qu’un gouffre béant, l’abîme originel.
Et les germes nageaient dans cette nuit profonde,
Hormis nous, cependant plus vieilles que le monde !
Et le silence errait sur le vide dormant,
Quand la rumeur brûlante éclata brusquement.
Du Nord, enveloppé d’un tourbillon de brume,
Par bonds impétueux quatre fleuves d’écume
Tombèrent, rugissants, dans l’antre du milieu.
Les blocs lourds qui roulaient se fondirent au feu :
Le sombre Ymer naquit de la flamme et du givre,
Et les géants, ses fils, commencèrent de vivre.

Pervers, ils méditaient, dans leur songe envieux,
D’entraver à jamais l’éclosion des dieux ;
Mais nul ne peut briser ta chaîne, ô destinée !
Et la Vache céleste en ce temps était née !
Blanche comme la neige, où, tiède, ruisselait
De ses pis maternels la source de son lait,
Elle trouva le roi des Ases, frais et rose,
Qui dormait, fleur divine aux vents du pôle éclose.
Baigné d’un souffle doux et chaud, il s’éveilla ;
L’aurore primitive en son œil bleu brilla,
Il rit, et, soulevant ses lèvres altérées,
But la vie immortelle aux mamelles sacrées !
Voici qu’il engendra les Ases bienheureux,
Les purificateurs du chaos ténébreux,
Beaux et pleins de vigueur, intelligents et justes.
Ymer, dompté, mourut entre leurs mains augustes ;
Et de son crâne immense ils formèrent les cieux,
Les astres, des éclairs échappés de ses yeux,
Les rochers, de ses os. Ses épaules charnues
Furent la terre stable, et la houle des nues
Sortit en tourbillons de son cerveau pesant.
Et, comme l’univers roulait des flots de sang,
Faisant jaillir, du fond de ses cavités noires,
Une écume de pourpre au fond des promontoires,
Le déluge envahit l’étendue, et la mer
Assiegéa le troupeau hurlant des fils d’Ymer,
Ils fuyaient, secouant leurs chevelures rudes,
Escaladant les pics des hautes solitudes,
Monstrueux, éperdus ; mais le sang paternel
Croissait, gonflait ses flots fumants jusques au ciel ;
Et voici qu’arrachés des suprêmes rivages,
Ils s’engloutirent tous avec des cris sauvages.
Puis, ce rouge océan s’enveloppa d’azur ;
La terre d’un seul bond reverdit dans l’air pur ;
Le couple hummn sortit de Vécorce du frên^
Et le soleil dora l’immensité sereine.
Hélas ! mes sœurs, ce fut un rêve éblouissant !
Voyez ! la neige tombe et va s’épaississant !
Et peut-être Yggdrasill, le frêne aux trois racines,
Ne fait-il plus tourner les neuf sphères divines !
Je suis la vieille Urda, l’éternel Souvenir ;
Mais le présent m’échappe autant que l’avenir,

Leconte de Lisle
(Poëmes Barbares.)


MYTHOLOGIE CLASSIQUE

L’OLYMPE
Le Satire

. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quoique à peine fût-il au seuil de la caverne
De rayons et d’éclairs que Jupiter gouverne,
Il contemplait l’azur, des pléiades voisin ;

Béant, il regardait passer, comme un essaim
De molles nudités sans fin continuées,
Toutes ces déités que nous nommons nuées.
C’était l’heure où sortaient les chevaux du soleil.
Le ciel, tout frémissant du glorieux réveil,
Ouvrait les deux battants de sa porte sonore ;
Blancs, ils apparaissaient formidables d’aurore ;
Derrière eux, comme un orbe effrayant, couvert d’yeux,
Éclatait la rondeur du grand char radieux ;
On distinguait le bras du dieu qui les dirige ;
Aquilon achevait d’atteler le quadrige ;
Les quatre ardents chevaux dressaient leur poitrail d’or
Faisant leurs premiers pas, ils se cabraient encor
Entre la zone obscure et la zone enflammée ;
De leurs crins, d’où semblait sortir une fumée
De perles, de saphyrs, d’onyx, de diamants,
Dispersée et fuyante au fond des éléments,
Les trois premiers, l’œil fier, la narine embrasée,
Secouaient dans le jour des gouttes de rosée ;
Le dernier secouait des astres dans la nuit.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Soudain il se courba sous un flot de clarté,
Et, le rideau s’étant tout à coup écarté,
Dans leur immense joie il vit les dieux terribles.
Ces êtres surprenants et forts, ces invisibles,
Ces inconnus profonds de l’abîme, étaient là.
Sur douze trônes d’or que Vulcain cisela,
À la table où jamais on ne se rassasie
Ils buvaient le nectar et mangeaient l’ambroisie.
Vénues était devant et Jupiter au fond,
Reposait mollement, nue et surnaturelle,
Ceinte du flamboiement des yeux fixés sur elle,
Et, par moments, avec l’encens, les cœurs, les vœux,
Toute la mer semblait flotter dans ses cheveux.
Jupiter aux trois yeux songeait, un pied sur l’aigle ;
Son sceptre était un arbre ayant pour fleur la règle ;
On voyait dans ses yeux le monde commencé ;
Et dans l’un le présent, dans l’autre le passé ;
Dans le troisième errait l’avenir comme un songe ;
Il ressemblait au gouffre où le soleil se plonge ;
Des femmes, Danaé, Latone, Sémélé,
Flottaient dans son regard  ; sous son sourcil voilé,
Sa volonté parlait à sa toute-puissance ;
La nécessité morne était sa réticence ;
Il assignait les sorts ; et ses réflexions
Étaient gloire aux Cadmus et roue aux Ixions ;
Sa rêverie, où l’ombre affreuse venait faire
Des taches de noirceur sur un fond de lumière,
Était comme la peau du léopard tigré ;
Selon qu’ils s’écartaient ou s’approchaient, au gré
De ses décisions clémentes ou funèbres,
Son pouce et son index faisaient dans les ténèbres
S’ouvrir ou se fermer les ciseaux d’Atropos ;
La radieuse paix naissait de son repos,
Et la guerre sortait du pli de sa narine.

Il méditait, avec Thémis dans sa poitrine,
Calme, et si patient que les sœurs d’Arachné,
Entre le froid conseil de Minerve émané,
Et l’ordre retoudable attendu par Mercure,
Filaient leur toile au fond de sa pensée obscure.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Au-dessus de l’Olympe éclatant, au delà
Du nouveau ciel qui naît et du vieux qui croula,
Plus loin que les chaos, prodigieux décombres,
Tournait la roue énorme aux douze cages sombres,
Le Zodiaque, ayant autour de ses essieux
Douze spectres tordant leur chaîne dans les cieux ;
Ouverture du puits de l’infini sans borne ;
Cercle horrible où le chien fuit près du capricorne ;
Orbe inouï, mêlant dans l’azur nébuleux
Aux lions constellés les sagittaires bleus.

Victor Hugo
(Légende des Siècles.)


LE SANGLIER


C’était auprès d’un lac sinistre, à l’eau dormante,
Enfermé dans un pli du grand mont Erymanthe,
Et l’antre paraissait gémir, et, tout béant,
S’ouvrait, comme une gueule affreuse du néant.
Des vapeurs en sortaient, ainsi que d’un Averne.
Immobile et penché pour voir dans la caverne,
Hercule regarda le sanglier hideux.
Les loups fuyaient de peur, quand il s’approchait d’eux,
Tant le monstre effaré, s’il grognait dans sa joie,
Semblait effrayant, même à des bêtes de proie.
Il vivait là, pensif, Lorsque venait la nuit,
Terrible, emplissant l’air d’épouvante et de bruit
Et cassant les lauriers au pied des monts sublimes,
Il allait dans les bois déchirer ses victimes ;
Puis il rentrait dans l’antre, auprès des flots dormants.
Couché sur la chair morte et sur les ossements,
Il mangeait, la narine ouverte et dilatée,
Et s’étendait parmi la boue ensanglantée.
Noir, sa tanière au front obscur lui ressemblait.
Les ténèbres et lui se parlaient. Il semblait,
Enfoui dans l’horreur de cette prison sombre,
Qu’il mangeait de la nuit, et qu’il mâchait de l’ombre.
Hercule, que sa vue importune lassait,
Se dit : « Je vais serrer son cou dans un lacet ;
Ma main étouffera ses grognements obscènes.
Et je l’amènerai tout vivant dans Mycènes. »
Et le héros disait aussi : « Qui sait pourtant,
S’il voyait dans les cieux le soleil éclatant,
Ce que redeviendrait cet animal farouche ?
Peut-être que les dents cruelles de sa bouche
Baiseraient l’herbe verte et frémiraient d’amour,
S’il regardait l’azur éblouissant du jour ! »
Alors, entrant ses doigts d’acier parmi les soies

Du sanglier courbé sur des restes de proies,
Il le traîna tout près du lac dormant. En vain,
Blessé par le soleil qui dorait le ravin,
Le monstre déchirait le roc de ses défenses.
Il fuyait. Souriant de ces faibles offenses,
Hercule, soulevant ses flancs hideux et lourds,
Le ramenait au jour lumineux. Mais toujours,
Attiré dans sa nuit par un amour étrange,
Le sanglier têtu retournait vers sa fange,
Et toujours, l’effrayant d’un sourire vermeil,
Le héros le traînait de force au grand soleil.

Théodore de Banville
(Les Exilés.)


TUEUR DE MONSTRES


Le beau monstre, à demi-couché dans l’ombre noire,
Laisse voir seulement sa poitrine d’ivoire,
Et son riant visage et ses cheveux ardents,
Et Thésée admirant la blancheur de ses dents,
Regardait ses bras luire avec de milles poses,
Et de ses seins aigus fleurir les boutons roses.
Au loin ils entendaient les aboiements des chiens,
Et la charmante voix du monstre disait : « Viens,
Car cet antre nous offre une retraite sûre.
Ami, je dénouerai moi-même ta chaussure,
J’étendrai ton manteau sur l’herbe, si tu veux,
Et tu t’endormiras le front dans mes cheveux,
Sans craindre la clarté d’une étoile importune. »
Mais comme elle parlait, un doux rayon de lune
Parut, et le héros, dans le soir triste et pur,
Vit resplendir avec ses écailles d’azur
Le corps mystérieux du monstre, dont la queue
De dragon vil, pareille à la mer verte et bleue,
Déroulant ses anneaux, et de blancs ossements
Brillèrent à ses pieds, sous les clairs diamants
De la lune. Alors, sourd à la voix charmeresse
Du monstre, et saisissant fortement une tresse
De la crinière d’or qui tombait sur ses yeux,
Il tira son épée avec un cri joyeux,
Et deux fois en frappa le monstre à la poitrine.
Et, hurlant comme un loup dans la forêt divine,
Crispant ses bras, tordant sa queue, horrible à voir,
L’Hydre au visage humain tomba dans son sang noir,
Tandis que le héros sous l’ombrage superbe,
Essuyant son épée humide aux touffes d’herbe,
S’en allait, calme ; et, sans que ce cri l’eût troublé,
Il regardait blanchir le grand ciel étoilé.

Théodore de Banville
(Les Exilés.)
LA MORT DE L’AMOUR


Une nuit, j’ai rêvé que l’amour était mort.
Au penchant de l’Œta, que l’âpre bise mord
Les Vierges dont le vent meurtri de ses caresses
Les seins nus et les pieds de lys, les chasseresses
Que la lune voit fuir dans l’antre souterrain,
L’avaient toutes percé de leurs flèches d’airain.
Le jeune Dieu tomba, meurtri de cent blessures,
Et le sang jaillissait sur ses belles chaussures.
Il expira. Parmi les bois qu’ils parcouraient
Les loups criaient de peur. Les grands lions pleuraient.
La terre frissonnait et se sentait perdue.
Folle, expirante aussi, la nature éperdue
De voir le divin sang couler en flots vermeil,
Enveloppa de nuit et d’ombre le soleil,
Comme pour étouffer sous l’horreur de ses voiles
L’épouvantable cri qui tombait des étoiles.
Laissant pendre sa main qui dompte le vautour,
Il gisait, l’adorable archer, l’enfant amour,
Comme un pin abattu vivant par la cognée.
Alors Psyché vint, blanche et de ses pleurs baignée :
Elle s’agenouilla près du bel enfant dieu,
Et sans repos baisa ses blessures en feu,
Béantes, comme elle eût baisé de belles bouches,
Puis se roula dans l’herbe et dit: « Ô Dieux farouches !
C’est votre œuvre, de vous je n’attendais pas moins.
Je connais là vos coups. Mais vous êtes témoins,
Tous, que je donne ici mon souffle à ce cadavre,
Pour qu’Éros, délivré de la mort qui le navre,
Renaisse, et dans le vol des astres, d’un pied sûr,
Remonte en bondissant les escaliers d’azur ! »
Puis, comprimant son cœur que brûlaient mille fièvres,
Dans un baiser immense elle colla ses lèvres
Sur la lèvre glacée, hélas! de son époux,
Et, tandis que la voix gémissante des loups
Montait vers le ciel noir sans lumière et sans flamme,
Elle baisa le mort, et lui souffla son âme.
Tout à coup le soleil reparut, et le Dieu
Se releva, charmé, vivant, riant. L’air bleu
Baisait ses cheveux d’or, d’où le zéphyr emporte
L’extase des parfums, et Psyché tomba morte.
Éros emplit le bois de chansons, fier, divin,
Superbe, et d’une haleine aspirant, comme un vin
Doux et délicieux, la vie universelle,
Mais sans s’inquiéter un seul moment de celle
Qui gisait à ses pieds sur le coteau penchant,
Et dont le front traînait dans la fange. Et, touchant
Les flèches dont Zeus même adore la brûlure,
Il marchait dans son sang et dans sa chevelure.

Théodore de Banville
(Les Exilés.)
LA SOURCE


. . . . . . . . . . . . . . . . . .
La petite Naïade est pensive. Elle rit.
Devant ses pieds d’ivoire un narcisse fleurit.
Oiseaux, ne chantez pas ; taisez-vous, brises folles,
Car elle est votre joie, ailes, brises, corolles,
Verdures ! Le désert, épris de ses yeux bleus,
Écoute murmurer dans le roc sourcilleux
Son flot que frange à peine une légère écume.
En ouvrant dans l’éther son vol démesuré :
L’alouette vient boire au bassin azuré
Dont son aile timide agite la surface.
Quand la pourpre céleste à l’horizon s’efface,
Les étoiles des nuits silencieusement
Admirent dans le ciel son visage charmant
Qui rêve, et la montagne auguste est son aïeule.
Oh ! ne la troublez pas ! La solitude seule
Et le silence ami par son souffle adouci
Ont le droit de savoir pourquoi sourit ainsi
Blanche, oh ! si blanche, avec ses ravageurs d’églantine,
Debout contre le roc, la Naïade argentine !

Théodore de Banville
(Les Exilés.)


PAN


Pan d’Arcadie, aux pieds de chèvre, au front armé
De deux cornes, bruyant, et des pasteurs aimé,
Emplit les verts roseaux d’une amoureuse haleine.
Dès que l’aube a doré la montagne et la plaine,
Vagabond, il se plaît aux jeux, aux chœurs dansants
Des Nymphes, sur la mousse et les gazons naissants.
La peau du lynx revêt son dos ; sa tête est ceinte
De l’agreste safran, de la molle hyacinthe,
Et d’un rire sonore il éveille les bois.
Les Nymphes aux pieds nus accourent à sa voix,
Et légères, auprès des fontaines limpides,
Elles entourent Pan de leurs rondes rapides.
Dans les grottes de pampre, au creux des antres frais,
Le long des cours d’eau vive échappés des forêts
Sous le dôme touffu des épaisses yeuses,
Le Dieu fuit de midi les ardeurs radieuses ;
Il s’endort ; et les bois, respectant son sommeil,
Gardent le divin Pan des flèches du soleil.
Mais sitôt que la nuit, calme et ceinte d’étoiles,
Déploie aux cieux muets les longs plis de ses voiles,
Pan, d’amour enflammé, dans les bois familiers
Poursuit la vierge errante à l’ombre des halliers,
La saisit au passage ; et, transporté de joie,
Aux clartés de la lune, il emporte sa proie.

Leconte de Lisle
(Poëmes Antiques.)


FIN DE L’OUVRAGE.

  1. Quoique le Traducteur s’applique à dissimuler son immixtion (trop fréquente, notamment dans l’ordonnance de ce livre), il est de son devoir le plus strict envers l’Auteur de désigner les quelques passages entièrement ajoutés au texte. Ces passages seront marqués au bas de la page par cette briève indication : Le Traducteur.

    Qu’il soit toutefois constaté à notre décharge, que nous avons toujours, avant de recourir à cette extrémité, cherché dans les écrits et principalement dans la grande œuvre postérieure de l’Auteur, s’il ne s’y rencontrerait pas les éléments nécessaires pour combler telle ou telle lacune causée par le remaniement qu’a subi l’ouvrage pendant la traduction. Les fragments transposés, soit de Préfaces, soit de la Mythologie des Nations Aryaques, portent l’une ou l’autre de ces indications : Préf. (Préface), Gde Myth. (Grande Mythologie), avec le chiffre du livre ou du chapitre : liv… ch… très-scrupuleusement.

  2. Gde Myth., liv. I, ch. 9.
  3. Extrait d’une Préface de Cox.
  4. Exirait d’une Préface de Cox.
  5. Extrait, en partie, d’une Préface de Cox.
  6. Le Traducteur, d’après l’Auteur.
  7. Extrait d’une Préface de Cox.
  8. Le Traducteur, d’après l’Auteur en général ; notamment d’après la Gde Myth., liv. I et II, ch. 1 et 2.
  9. Note particulière à la Traduction.
  10. Le Traducteur.
  11. Le Traducteur.
  12. Gde Myth., liv. I et II.
  13. L’Aêshmia daêva perse est l’Asmodée ou l’esprit malpropre du livre de Tobie, dans la Bible hébraïque.
  14. Voir aux Mythes grecs et latins, les chapitres relatifs à ces Héros et à ces Dieux.
  15. Voir aux Mythes grecs et latins les chapitres relatifs à ces personnages et à ces montres.
  16. Voir à l’Appendice : Mythes égyptiens et assyriens, et aux Mythes grecs les chapitres relatifs à ces personnages.
  17. Voir aux Mythes grecs et latins les chapitres relatifs à ces Héros.
  18. Voir aux Mythes grecs et latins les chapitres relatifs à ces Héros et à ces femmes légendaires.
  19. Voir aux Mythes grecs et latins les chapitres relatifs à ces femmes légendaires et à ces Héros.
  20. Voir aux Légendes grecques les chapitres relatifs à l’expédition des Argonautes.
  21. Le Traducteur.
  22. Ce nom de déité grecque possède, par exception, cette traduction française : Aphrodite, avec un e muet.
  23. Ezéchiel VIII, 14.
  24. Cf. Arès.
  25. Cf. Déméter.
  26. Gde Myth., liv. II, ch. 24.
  27. Le Traducteur. Pour compléler la série d’invention récente qui comprend les Douze Travaux classiques, il y aurait à ajouter enfin : le Combat contre le lion de Némée, la Prise du Cerf d’Arcadie, la Capture du Taureau de Crète et celle des Cavales de Diomède de Thrace, la Prise de la Ceinture de la Reine des Amazones, la Capture des bœufs de Gérion en Erythie, la Recherche des pommes d’or des Hespérides, Cerbère ravi à l’enfer, la Purification des Étables d’Augias.
  28. Introduction.
  29. Les Parques.
  30. La Traducteur d’après l’Auteur, Gde. Myh. et divers.
  31. Gde Myth., liv. II, ch. 5.
  32. Le Traducteur.
  33. Gde Myth., liv. II, ch. 8.
  34. Le Traducteur.
  35. Gde Myth., et jusqu’à la fin du chapitre.
  36. Le Traducteur.
  37. Le Traducteur.
  38. Au lieu d’Aphrodité.
  39. Les symboles mythiques ont été, par la Science, délivrés de la personnalité fabuleuse où les enferma l’Antiquité. Rien ne reste plus, aux yeux de qui vient de regarder ce livre, que l’apparence des dieux à jamais incarnée dans le marbre, puis leur signification rendue à la lumière, aux nuées, à l’air.

    Voilà où en est le savoir de notre temps ; mais à côte de l’étude il y a l’imagination.

    De très grands poètes ont su (c’est leur devoir tant que l’humanité n’a pas créé des mythes nouveaux) vivifier à force d’inspiration et comme rajeunir par une vision moderne les types de la Fable. Si quelque esprit, imbu de préjugés, pensait que les divinités n’ont plus chez nous le droit à l’existence, il pourra, à la lecture de belles pages empruntées ici aux gloires des Lettres d’aujourd’hui, reconnaître, comme un fait, que rien n’est mort de ce qui fut le culte spirituel de la race. Magnifique et vivant prolongement qui doit se perpétuer aussi longtemps que notre génie littéraire !

    Apprendre les superbes morceaux et fragments de Victor Hugo, Leconte de Lisle et Théodore de Banville extraits de la LÉGENDE DES SIÈCLES, des POÈMES BARBARES et des POÈMES ANTIQUES, des EXILÉS, et groupés ici selon l’ordre et les grandes divisions de notre ouvrage.