Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/57

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vaudrait dire qu’un beau cheval est malheureux parce qu’il ignore la grammaire et ne se nourrit pas de petits pâtés, ou que le sort du taureau est déplorable parce qu’il ne peut apprendre les exercices du gymnase. L’homme n’est pas plus à plaindre d’être fou que le cheval de n’être pas grammairien, parce que la folie est inhérente à la nature humaine. Mais après cette superbe démonstration n’allez pas croire que nos adversaires soient à bout d’arguments. À l’homme seul, disent-ils, appartient la connaissance des sciences et des arts, afin qu’avec leur secours, son esprit puisse suppléer à ce que la nature lui a refusé d’autre part. De bonne foi, cet argument a-t-il même l’apparence de la vérité ? Quoi ! la nature n’aurait déployé sa prévoyance qu’en faveur des insectes, des plantes et des fleurs, en leur accordant tout ce qui leur est nécessaire, et elle aurait oublié l’homme à ce point qu’il lui faudrait trouver de lui-même ces sciences et ces arts indispensables à son bonheur ? Dites plutôt que ce Thaut, ce génie malfaisant, ennemi de l’espèce humaine, ne l’a doté de ces sciences et de ces arts que pour qu’ils fissent son tourment. C’est là une opinion pleine de sagesse, que partageait certain roi cité par Platon, qui condamnait comme une mauvaise chose l’invention de l’alphabet. Concluons donc que ces sciences vaines ont été introduites sur la terre avec le reste des fléaux de l’humanité par les démons, dont le nom tiré du grec veut dire savants. Les bonnes gens de l’âge d’or, sans s’inquiéter de tout cet inutile savoir, vivaient en suivant leurs instincts. À quoi leur aurait