Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/128

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si, depuis qu’elle connaissait M. de Lorville, elle n’avait eu aucune pensée qu’elle eût désiré lui cacher ; mais madame de Champléry savait trop combien elle gagnait à être devinée pour avoir rien à craindre du passé.

« C’est pour cela qu’il m’a aimée, pensait-elle ; ce lorgnon semble avoir été inventé pour faire valoir mon caractère, pour moi seule enfin, qui ai des défauts si visibles et qui ne dissimule jamais que mes bons sentiments. »

Puis elle se perdit en conjectures sur l’histoire de cette merveille, et ce ne fut qu’après un certain temps qu’elle se sentit assez remise de son trouble pour essayer une seconde épreuve.

Madame de Clairange, placée en face d’elle, avait les yeux baissés, la tête languissamment penchée, le bras appuyé mollement sur le coussin d’un canapé, et elle paraissait décidée à rester quelque temps dans cette attitude commandée par la mélancolie. Valentine profita de ce moment pour braquer le lorgnon sur sa pensée.

« Oui, c’est bien comme cela, se disait madame de Clairange, que serait aujourd’hui la mère de Valentine ! » — Ainsi mademoiselle Mars pourrait se dire en étudiant un rôle nouveau : « C’est bien comme cela que mademoiselle Contat l’aurait joué. »

Malgré le triste souvenir que cette pensée réveillait dans l’âme de Valentine, elle en sourit dédaigneusement, et pour se distraire, elle fixa ses yeux sur madame de Montbert, dont l’air mécontent la préoccupait.

« Je ne sais vraiment, pensait-elle, ce qu’a Valentine ce soir ; elle ne fait que rire de la manière la plus inconvenante. »

Cette leçon rendit madame de Champléry à elle-même ; elle renonça au plaisir d’étudier ainsi ses amis, et elle redevint aussitôt grave et triste, comme il convenait de l’être en paraissant écouter cette lecture solennelle.

Cependant cette lecture se termina ; chacun vint à son tour signer le contrat de mariage, et les conversations s’engagèrent. Cette soirée tant redoutée, Valentine la trouvait fort amusante ;