Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/129

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dès qu’on la laissait seule un instant, elle se mettait à lorgner : on comprend l’intérêt et le plaisir qu’elle y trouvait.

Les principaux membres de la famille ayant signé, vint le tour de M. de Fontvenel. Valentine remarqua que la plume tremblait dans sa main ; elle l’observa avec curiosité, et cette pensée l’émut profondément : « Du courage, se disait-il, elle ne m’a jamais aimé, et ne sait pas combien je la regrette… Je ne dois pas être triste, mon ami sera si heureux ! »

Touchée de ce noble sentiment, elle s’approcha de lui et lui tendant la main : — Vous serez toujours notre meilleur ami, dit-elle de ce ton affectueux qui guérit toutes les blessures.

M. de Fontvenel lui baisa la main avec reconnaissance, touché de voir qu’elle l’avait compris. Il est si doux d’être assisté dans une grande émotion par celle qui la cause !

Après M. de Fontvenel, un jeune homme que M. de Lorville venait de présenter à Valentine s’approcha de la table pour signer : c’était ce même publiciste qu’Edgar avait rencontré dans la maison de la rue du Bac, et avec lequel il s’était lié depuis intimement. Madame de Champléry, frappée de la physionomie spirituelle du jeune écrivain, le lorgna pendant qu’il signait.

« Pauvre Angéline, notre mariage est bien incertain ! » pensait-il.

Puis, cédant la plume à un autre, il s’éloigna en se disant :

« Que toutes ces femmes sont gracieuses ! la duchesse de… est ravissante ; Angéline est jolie, mais elle n’a pas cette tournure, cette aisance de manières des femmes du grand monde… Sa lettre de ce matin m’a fait bien de la peine, elle pleure nuit et jour !… pauvre enfant !… mais n’importe, je ne dois plus lui écrire, son père s’opposant à cette union… ce serait manquer à l’honneur… et d’ailleurs, c’est une folie à mon âge que de vouloir me marier… Dans quatre ans, si mon grand ouvrage a du succès, je serai au conseil d’État, et je pourrai choisir. »

« Voilà un jeune homme qui ne manque pas d’ambition ! pensa Valentine. Ah ! s’il possédait ce talisman !… »