Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/130

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Pendant ce temps, Edgar se plaisait à contempler l’étonnement de madame de Champléry à chaque nouvelle observation que le lorgnon lui fournissait, et souriait de toutes les ruses qu’elle employait pour regarder sans être vue. Toutefois, il éprouvait un sentiment confus de dépit : il en voulait à Valentine de l’oubli qu’elle semblait faire de lui, et il se demandait pourquoi elle ne cherchait pas à deviner sa pensée.

— Parce que je la sais ! dit-elle en passant rapidement devant lui ; et M. de Lorville fut saisi à son tour d’entendre ainsi répondre à une idée qu’il n’avait pas exprimée.

— Mille compliments ! mille compliments, cher Edgar ! s’écria alors une voix bien connue de Valentine ; recevez tous mes vœux sincères, ah ! bien sincères, on n’en doute pas. Ce n’est pas Frédéric Narvaux qui a jamais trompé personne (ses amis, du moins) ; car pour les femmes, je n’en répondrais pas, je ne me fais pas meilleur que je ne suis.

— Des vœux aussi sincères sont sûrs d’être bien accueillis, répondit M. de Lorville d’un ton railleur. Crois que j’en suis pénétré ; va, mon cher, je te dois plus que tu ne penses…

— Vous l’entendez, dit M. Narvaux à une personne avec laquelle il venait d’arriver. Puis il se mit à causer avec elle d’un air de confidence qui excita la curiosité de Valentine ; elle prêta l’oreille et entendit M. Narvaux dire à voix basse :

— Sans moi, ce mariage était manqué ; Edgar était parti subitement, il ne voulait plus en entendre parler ; j’ai couru après lui, je lui ai fait sentir que les choses étaient trop avancées, qu’il ne pouvait rompre, j’ai parlé du désespoir de la pauvre madame de Champléry ; enfin j’ai tant fait, qu’il l’épouse aujourd’hui.

Valentine, ignorant à quel point M. Narvaux était habile dans l’art de mentir, crut qu’en effet on l’avait calomniée près d’Edgar ; et que sans le talisman qui lui avait permis de lire dans son cœur, il aurait peut-être cessé de l’aimer ; alors elle sut bon gré à M. Narvaux d’avoir cherché à la justifier, et se mit à le lorgner, ne doutant pas que des pensées dont l’enveloppe était si grossière ne gagnassent à être pénétrées. Son