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DE PONTANGES.


VII.

DEUX LIEUES À PIED.


À mesure que Lionel s’éloignait du château de Pontanges, son enchantement diminuait. D’abord, ce fut un ravissement sans pareil.

« Quelle femme adorable ! pensa-t-il ; quelle sensibilité vraie, sans affectation ! Point de ces grands mots si froids qui glacent les plus beaux sentiments. Une autre femme aurait dit : « Mon devoir est de me consacrer à mon époux ! » elle se serait posée comme victime, elle aurait fait de la résignation, elle se serait servie de son mari imbécile pour m’intéresser à son sort… Laurence, au contraire, en parle avec tendresse, avec pitié : « Je l’aime comme un pauvre enfant, dit-elle, qui ne peut vivre sans moi… » Qu’elle était jolie en pleurant… Il y a des femmes qui font des grimaces horribles quand elles pleurent ; mais ses larmes coulaient si doucement sur ses joues si fraîches, si roses ! c’était charmant ; ce n’était pas du désespoir, c’était de la confiance. J’en suis fou… Quelles belles mains ! et quel joli petit pied ! et puis bien faite… grasse et svelte… — Que le temps est lourd ! Je suis las, il me tarde bien d’arriver… On appelle cela deux lieues ! il y en a bien trois ; la première fois j’irai à cheval : c’est très-loin… — Je voudrais bien savoir l’impression que je lui ai laissée… Oh ! elle m’aimera — Ah ! voilà la grille du parc… elle est fermée ! Maudit Guillaume ! Quelle heure est-il donc ? Sept heures et demie… Je n’aurai pas le temps de m’habiller… J’étouffe !… Ils sont à table maintenant… je meurs de faim… »

Il fallut faire un détour et longer les murs du parc. Lionel revint au château par la ferme, en maudissant sa visite, Guillaume qui fermait les grilles à sept heures, et jusqu’au plaisir de la journée.

Lionel est le type des élégants de Paris. Pour être amoureux, il lui fallait ses aises, et tous les petits inconvénients de la vie positive venaient le refroidir dans ses passions.

Il avait quitté sa première maîtresse, parce que toutes les cheminées fumaient chez elle ;