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MONSIEUR LE MARQUIS


IX.

UNE MAUVAISE NUIT.


Pendant que Lionel dormait d’un sommeil si paisible, Laurence ne pouvait trouver un instant de repos. Une émotion inconnue l’agitait. C’était une fièvre, mais une fièvre voluptueuse, une souffrance pleine de charme ; la vie venait de lui apparaître sous un nouveau jour, comme un tableau qu’un reflet favorable vient d’éclairer. Une révolution complète s’était opérée dans son âme. Elle ne savait quel nom donner aux pensées qui l’assiégeaient en foule, à ce tremblement nerveux qui ressemblait à de la joie, à cet étouffement, à cette oppression continuelle qui ressemblait à de la crainte ; mais elle s’abandonnait avec délices à cette émotion si nouvelle. Son cœur entrevoyait un avenir, ses yeux possédaient enfin une image… une image ravissante qui les poursuivait doucement ! Lionel était toujours devant eux : elle le revoyait tel qu’il lui était apparu le matin, gracieux et tendre, avec son maintien à la fois digne et nonchalant, son sourire spirituel et son regard passionné.

Oh ! quel regard !… elle croyait encore sentir sa puissance, elle baissait les yeux comme s’il eût été là.

Personne en effet plus que Lionel n’excellait dans l’art de magnétiser une femme en la regardant. Il savait moduler ses regards dans tous les tons, comme sa voix.

Oh ! quelle voix ! je ne vous avais encore rien dit de sa voix… qu’elle était sonore et douce, et puis coquette… Une seule inflexion disait plus que toutes les paroles. À son accent, on aurait compris ce qu’il disait et à qui il parlait. Rien qu’en l’entendant prononcer ces mots :

Oui, madame,


on savait le rang, l’âge, la beauté de la femme, à qui ils s’adressaient ; on devinait s’il en était aimé, s’il craignait de lui déplaire ; si c’était une vieille femme et s’il la révérait. Pour ceux qui l’écoutaient, il n’y avait aucun doute, et je connais