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DE PONTANGES.

une femme qui fut tout à fait compromise par la manière indéfinissable, mais très-significative, dont il avait prononcé ce mot. Malheureusement, les inflexions ne peuvent s’écrire ; mais j’espère qu’il se trouvera quelques femmes qui devineront ma pensée et l’expliqueront à ceux qui nieraient la justesse de cette observation.

Lionel enfin était doué de ce je ne sais quoi qui séduit. Sa tournure élégante, son assurance respectueuse, sa démarche, la manière dont il tenait son chapeau, dont il saluait, dont il fermait la porte, tout en lui était distingué et gracieux ; il fallait bien cela pour expliquer tant de succès avec tant de défauts.

Le désir de plaire, chez lui, était un instinct et une passion ; bien plus, un goût dont il avait fait un art.

N’ayant pas de graves occupations, trop riche pour faire des affaires, trop indépendant pour prendre une place dans le gouvernement, il menait la vie oisive d’un élégant, jusqu’au jour où son âge lui permettrait d’arriver à la députation. Il était dans cette classe de gens qui, par leur existence et surtout leurs prétentions, sont cotés bien au-dessus de leur valeur : ils ne peuvent déjà plus descendre à des emplois subalternes, et cependant ils n’ont droit à aucune place importante.

Ainsi Lionel, qui aurait été un très-mauvais sous-préfet, se serait toutefois déconsidéré en acceptant une sous-préfecture. Sa position était mieux que cela, sa valeur fictive l’élevait plus haut. Il n’avait jamais rien fait, n’avait jamais donné aucune preuve de sa capacité ; mais on attendait beaucoup de lui, et comme il était très-fin, très-adroit, il savait escompter d’avance le crédit qu’il croyait devoir obtenir un jour.

Ses brillants succès auprès des femmes étaient donc la seule affaire importante de sa vie, et il apportait dans ces triomphes secondaires le même amour-propre, la même finesse d’esprit, la même tenue de volonté qu’il aurait mis à obtenir une ambassade, ou, s’il eût été ministre, à faire passer une loi de budget.

Aussi, peu de femmes pouvaient-elles le voir sans trouble. Il les connaissait si bien ! il lui suffisait de rencontrer une femme deux fois pour deviner ce qu’il fallait être pour lui