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MONSIEUR LE MARQUIS

plaire, et rien ne lui était plus facile, à lui avec la mobilité de son caractère, que de paraître ce qu’il fallait être à ses yeux. Il aurait séduit les plus rebelles.

Et l’on comprend comment Laurence, simple de cœur, ignorant le monde, et déjà préparée par une imagination romanesque, fut si promptement dominée par le souvenir de Lionel.

Eh ! quel ravage ne devait pas causer l’apparition d’un jeune homme si aimable, si façonné d’élégance, dans le vieux château de Pontanges, où rien de la vie parisienne n’était encore parvenu !…

Quel trouble ne devait pas éprouver à sa vue une pauvre jeune femme qui n’avait pas encore aimé, et dont toute la vie s’était passée jusqu’alors entre un vénérable pasteur, sans exaltation religieuse, trop tolérant même pour lui inspirer cette dévotion passionnée qui aurait occupé son cœur ;

Une vieille tante, sans passion politique pour lui inculquer cet esprit de parti qui aurait fait du moins un aliment à sa pensée ;

Et, enfin, un mari imbécile, qui la laissait trop libre pour qu’elle eût jamais l’idée de le tromper ?…

Ceci était une vie ennuyeuse, il faut en convenir ! Pour moi, dans une situation pareille, je l’avoue franchement, si j’avais rencontré Lionel, je l’aurais aimé !

Et Laurence fit ce que j’aurais fait !

Elle passa toute la nuit à penser à lui. Son cœur s’enfermait en lui-même pour dévorer cette pensée, comme les animaux se cachent pour dévorer leur proie.

Quand le jour parut, elle se leva, et puis elle éprouva une grande tristesse, parce qu’elle fit une réflexion qui ne lui était pas encore venue à l’esprit :

C’est qu’elle ne verrait pas M. de Marny de toute la journée, ni le lendemain, ni les jours d’après… ni jamais peut-être ; qu’il n’oserait pas revenir si vite… qu’elle n’avait aucune chance de le rencontrer !…

En effet, cette pensée était décourageante pour l’amour.

C’est une chose fort incommode que d’aimer un homme que l’on ne connaît pas… qui n’est pas de votre société, qu’on ne