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DE PONTANGES.

peut naturellement voir tous les jours. On l’attend trois jours avec impatience, et quand il est là, on s’attriste, parce qu’on se dit qu’on n’aura plus à l’attendre le lendemain.

Laurence fut un moment découragée ; mais ensuite elle se rappela ce que lui avait promis Lionel, et l’espoir de le revoir bientôt la rendit à toute la joie de sa naissante passion.

Connaissez-vous rien de plus ravissant que les commencements d’un amour ?

L’Amour est un enfant, — cette comparaison est commune ; l’idée ne m’appartient pas, je le sais ; mais je vais peut-être l’exprimer d’une manière qui paraîtra nouvelle, —

Et l’Amour, comme tous les enfants, n’est aimable qu’à un certain âge. Quoi de plus charmant qu’un enfant de trois à six ans, qui commence à marcher, à parler ! Il est bon, parce qu’il a besoin de vous ; il est soumis, parce qu’il a peur ; tout est gracieux en lui, jusqu’à ses colères, qui vous font sourire.

Mais plus tard !… dès qu’il grandit, ce n’est plus le même ; il devient méchant, tapageur, tourmentant, oh ! bien tourmentant ; vous n’avez plus sur lui d’empire ; vous le grondez, il n’écoute pas ; vous lui parlez raison, il vous répond des injures ; il devient insupportable enfin, tellement insupportable, que la mère la plus tendre elle-même est empressée de le mettre au collège.

Eh bien ! l’Amour est comme cet enfant. Les premiers jours de sa naissance sont pleins de charme : il n’ose encore parler ; sa démarche est timide, il implore, il espère, il attend ; il est soumis, parce qu’il a peur de déplaire ; il est bon, parce qu’il est dépendant ; il est ému par l’incertitude, il vous offre son avenir, il frémit d’être refusé. — Mais plus tard — quelle différence ! Il est sûr de vous, ou bien il se fatigue de votre empire ; il domine ou il soupçonne ; il devient tyrannique, jaloux, insupportable enfin, si j’ose m’exprimer ainsi ; et vous n’avez pas, hélas ! la ressource de le renvoyer au collège.

Madame Ermangard trouva sa nièce très-pâle ce jour-là.

— N’allez pas être malade demain, lui dit-elle ; j’ai promis à Clorinde de la mener à la fête de Champigny, et je compte bien que vous y viendrez avec nous.

Ces mots furent un trait de lumière pour Laurence.