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MONSIEUR LE MARQUIS

Les portes en étaient bien closes et d’épais rideaux les recouvraient. Tous les meubles étaient commodes.

Il y avait ces trois choses qui font la vie d’un appartement : un bon feu, des tapis et des fleurs.

— Nous sommes bien ici, parce que j’y suis la maîtresse, dit Laurence ; ailleurs, ma chère tante est mon tyran. Si elle pouvait seulement tomber malade sans danger pendant trois jours, je m’emparerais de toutes les clefs, du gouvernement de ma maison, et l’on ne vous ferait plus faire de si mauvais déjeuners.

— Pourquoi cette faiblesse ? reprit Lionel ; dites-lui une bonne fois qu’elle mène votre maison tout de travers, et soyez la maîtresse chez vous.

— J’ai essayé déjà bien souvent de prendre ce parti, mais ma pauvre tante se désole ; elle veut, dit-elle, en se rendant utile s’acquitter de ce que je fais pour elle, et me rembourser en économie ce qu’elle me coûte. Quelle folie ! comme si je n’avais pas plus de fortune qu’il ne m’en faut ! Eh bien, quand je parle de cela, elle pleure et menace de s’en aller…

À l’époque où l’égalité était une mode, madame Ermangard, ou plutôt Julie de Champville, avait épousé un jeune homme indigne d’elle : on entendait alors, par là, un brave garçon qui n’était ni comte ni marquis. La nature l’avait douée d’une tournure vulgaire ; elle acquit, dans la famille bourgeoise de son mari, des manières communes. Madame Ermangard n’était point de ces esprits impérieux qui imposent leurs couleurs aux autres ; elle était de ces caractères vagues sur qui tout déteint, et il fallait être faible autant que Laurence pour n’avoir pas pu s’établir en souveraine auprès d’une personne si radicalement insignifiante.

— C’est à madame votre tante, cette petite fille que j’ai vue ce matin ? demanda M. de Marny.

— Non, c’est une orpheline, une filleule de ma belle-mère, que j’avais fait mettre en pension il y a quelque temps ; mais elle y était humiliée, malheureuse, et je l’ai reprise chez moi.

— Vous êtes trop bonne, en vérité ! s’écria Lionel avec mépris.